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Portrait d'Angela «Merkiavel» en impératrice hésitante de l'Europe

 

Il a fallu plus de six mois pour traduire en français le bref essai d'Ulrich Beck sur l'Europe allemande (Autrement, 12 euros). C'est un laps de temps suffisant, à l'échelle de la crise européenne, pour que le travail du sociologue allemand ait un léger goût daté. Aujourd'hui, la « relance » de l'Europe par François Hollande a du plomb dans l'aile, et la pression des marchés financiers sur les États les plus endettés s'est – pour combien de temps ? – estompée.


 

Si certains paramètres du livre sont devenus caducs, sa thèse reste, elle, d'une actualité majeure : « L'Europe est devenue allemande », tempête Ulrich Beck, qui s'inquiète de voir Angela Merkel, « la reine sans couronne de l'Europe », piétiner les valeurs du continent. Il y aurait donc urgence à bâtir un nouveau « contrat social européen », en réaction à cet impérialisme. 

L'auteur estime « briser un tabou », à l'approche des élections allemandes (septembre 2013) et européennes (mai 2014) : « La nouvelle puissance allemande en Europe ne repose pas comme jadis sur l'emploi de la violence en dernier recours. Elle n'a pas besoin d'armes pour imposer sa propre volonté à d'autres États. (…) Cette nouvelle puissance qui se fonde sur l'économie a beaucoup plus de marge de manœuvre ; nul besoin d'envahir le pays, elle y est omniprésente. »

Cette description des « nouvelles coordonnées du pouvoir » s'accompagne d'une vive dénonciation de la manière dont la crise est gérée depuis quatre ans, tout en austérité : « Dans quel monde, dans quelle crise vivons-nous donc pour qu'une telle mise sous tutelle d'une démocratie par une autre n'éveille aucun sursaut ? » s'interroge-t-il, après avoir évoqué le vote décisif du parlement allemand, en février 2012, débloquant une nouvelle aide à la Grèce. 

« Dans l'orgueil que les pays du Nord montrent à l'égard de ceux du Sud, supposés paresseux et indisciplinés, se révèlent un oubli de l'Histoire assez brutal ainsi qu'une ignorance culturelle. (…) Les Allemands ont-ils oublié à quel point l'histoire de leurs idées et de leur pensée est redevable de l'Antiquité grecque ? » poursuit le sociologue. 

 

Ulrich Beck s'était fait connaître du grand public en Allemagne en 1986, année de la publication de La Société du risque (tardivement traduit en 2001 en français). Dans ce classique contesté, il décrit les sociétés modernes comme des « manufactures à risques », et théorise le basculement, pour le dire très vite, d'une société industrielle à une société du risque, dominée par la peur.

Comment en est-on arrivé à cette « Europe allemande » ? Pour Beck, c'est justement la « logique du risque » qui aurait joué à fond. Le scénario redouté d'un effondrement économique, et d'une désintégration de l'union monétaire, a servi de prétexte formidable. Il a installé un « état d'exception » en Europe, autorisant certains à prendre des décisions en dehors de toute légitimité démocratique. Ce « risque lié à l'euro » a légitimé une autre forme d'action politique, hors des cadres traditionnels de la légalité. 

Dans cette phase de transition incertaine ouverte par la crise, les « bâtisseurs de l'Europe », partisans d'un « saut fédéral » vers plus d'Europe en réponse à la crise, ont tenté de faire gagner leurs idées – en vain jusqu'à présent. De l'autre côté du spectre politique, les souverainistes ont « le droit constitutionnel national » avec eux, mais ils ne détiennent pas pour autant la « réponse à la menace qui pèse sur l'Europe », juge Beck. Conclusion : c'est la chancelière Merkel qui engrange les bénéfices de cette « logique du risque » – ou plutôt « Merkiavel ».

« Des plans de rééducation » pour les pays du Sud

Cette référence à l'auteur du Prince (1469-1527), aussi contestable soit-elle, donne au livre ses pages les plus stimulantes. Beck décrit Merkel comme une chancelière sans colonne vertébrale, qui aurait fait de l'hésitation perpétuelle la marque de sa politique, qui se refuserait à trancher entre des lignes euro-sceptiques ou radicalement pro-européennes face à la crise. « L'hésitation comme tactique d'apprivoisement, c'est la méthode Merkiavel », résume-t-il. « Il est possible de faire aujourd'hui l'exact contraire de ce que l'on a annoncé hier si cela multiplie ses chances de gagner la prochaine élection nationale. »

« L'ascension de l'Allemagne devenue puissance hégémonique européenne est ainsi poussée et masquée à la fois. C'est une astuce propre à Angela Merkel mais qui est digne de Machiavel », juge Beck. Pour lui, l'objectif numéro un de la chancelière est d'être réélue par les Allemands. Si bien que toutes les mesures prises pour sauver l'euro doivent d'abord être compatibles avec les intérêts allemands. 

Elle veut être crainte à l'étranger, mais aimée en Allemagne : « Un néo-libéralisme brutal vis-à-vis de l'extérieur, un consensus teinté de social-démocratie à l'intérieur, telle est la recette que Merkiavel utilise pour conforter sa position dominante et celle de l'Europe allemande. » Pour arriver à ses fins, Merkel/Merkiavel profite de la quasi-inexistence d'une opinion publique européenne. Et plus la crise de la dette contamine d'autres grands pays, France en tête, plus le pouvoir de l'Allemagne se renforce.

Vue de l'exposition «La vie dans l'ancienne Union européenne » (lire la boîte noire) ©DR 
Vue de l'exposition «La vie dans l'ancienne Union européenne » (lire la boîte noire) ©DR

 

Cette « “Europe allemande” n'est pas le résultat d'un plan élaboré en secret au moyen de la tactique et de la ruse. Elle s'est réalisée plutôt – en tout cas au début – de façon involontaire et planifiée ». Mais les conséquences sont énormes : « elle universalise la précarité » et l'absence de solidarité sur le continent, imposant des « plans de rééducation » aux pays du Sud, en matière « d'épargne et de responsabilité ». « On a adopté de façon irréfléchie envers les pays endettés et leur mauvaise gestion économique la même arrogance et le même air de supériorité qu'avaient eu les Wessis (Allemands de l'Ouest) envers les Allemands de l'Est. »

L'invention par Beck de cette formule tapageuse de « merkiavélisme » en laissera certains songeurs. D'abord parce que l'auteur ne fait jamais l'effort d'expliquer en quoi le rapprochement entre les désordres de l'Europe du XVIe siècle et ceux du XXIe est en soi pertinent. Mais surtout parce qu'il se contente d'une lecture particulièrement poussiéreuse et étroite des travaux de Machiavel, reprenant à la volée les concepts faciles de fortuna et virtu… 

En clair, ce détour par Machiavel tient plus du coup de marketing que de l'analyse de fond. Mais il ne doit pas dissimuler la vraie question que pose l'essai, et que les scrutins allemands et européens à venir vont devoir, d'une certaine manière, trancher : l'Allemagne a-t-elle encore besoin de l'Europe ? L'horizon européen qui prévalait en Allemagne au moment de la réunification, dans les années 1990, est-il encore d'actualité ? À lire le texte d'Ulrich Beck, on finit par en douter. Mais l'essoufflement de l'économie allemande, que certains commencent à prédire, pourrait changer la donne.

cent à prédire, pourrait changer la donne.
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