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Paris 2024: l’arrière-cuisine toujours plus dispendieuse du «mouvement olympique»

 PAR 

On connaissait déjà les conflits d’intérêts au cœur de l’équipe de candidature, les « primes de succès » et le coût astronomique du voyage de Lima. Voici maintenant les salaires délirants, les notes de frais douteuses et l’organisation défaillante de Paris 2024.

L’étau se resserre autour de Paris 2024. Moins d’un mois après la désignation officielle de la capitale française pour l’organisation des Jeux olympiques, les porteurs du dossier de candidature se retrouvent déjà sous pression.

Après les différentes enquêtes de Mediapart (relire notre dossier ici) sur le fonctionnement du groupement d’intérêt public (GIP) Paris 2024, Le Canard enchaîné a rendu public ce mercredi le contenu d’une note émanant de la direction du budget du ministère de l’action et des comptes publics particulièrement sévère à l’égard des pratiques et du mode de gouvernance de la petite équipe à la tête des JO. L’occasion d’une plongée dans l’arrière-cuisine du « mouvement olympique », dont la plupart des détails manquent encore, faute de transparence de la part des intéressés, qui continuent de préférer le silence, plutôt que de répondre à nos questions.

Les responsables de Paris 2024 (Bernard Lapasset et Tony Estanguet au centre) © Paris 2024Les responsables de Paris 2024 (Bernard Lapasset et Tony Estanguet au centre) © Paris 2024

 

  • Les salaires délirants des patrons des JO

Ces dernières semaines, Mediapart a coup sur coup révélé que la masse salariale de l’équipe de candidature (dont la moitié des ressources est de l’argent public) avait dépassé les 15 millions d’euros pour une cinquantaine de salariés de fin 2015 à fin 2017, que des « primes de succès » avaient été versées aux membres de Paris 2024, malgré l’abandon de tous ses concurrents, et que ces rémunérations seraient prochainement complétées par des indemnités de licenciement.

Mais Paris 2024 avait déjà préparé la suite. Rédigée par la directrice du budget Amélie Verdier, la note du 25 septembre mentionnée par Le Canard enchaîné alerte cette fois sur le niveau des rémunérations au Comité d’organisation des Jeux olympiques (COJO), la structure qui doit prochainement prendre le relais du GIP pour la préparation de l’événement. « Les salaires envisagés par les personnels du COJO posent d’ores et déjà problème », écrit sans détour la direction du budget. Selon la grille salariale envisagée par les patrons de Paris 2024, les rémunérations pourraient atteindre des niveaux astronomiques : 452 000 euros par an pour le futur président du COJO, Tony Estanguet, aujourd’hui co-président du GIP, et 383 000 euros par an pour son futur directeur général, poste pour lequel est pressenti Étienne Thobois (déjà DG du GIP).

Dans un communiqué de presse diffusé mercredi matin, l’organisation des Jeux de 2024 a contesté ces informations : « Les montants mentionnés ne constituent en aucun cas la rémunération du président et du directeur général du futur COJO », assure le comité. Et d’ajouter que « les travaux sur la rémunération des dirigeants du futur COJO Paris 2024 débutent à peine » et « feront l’objet de discussions avec les membres fondateurs de Paris 2024 », comme l’État, la ville de Paris, la région Île-de-France, les Comités olympique et paralympique français (CNOSF et CPSF).

Selon Le Canard enchaîné, la Cour des comptes a aussi tiqué sur les notes de frais d’un autre homme fort du comité de candidature, l’ancien président de la fédération de rugby Bernard Lapasset, dont le rôle a été crucial en 2014 pour convaincre les pouvoirs publics de s’engager dans l’aventure. Alors à la tête d’une coquille vide – le Comité français du sport international (CFSI) –, Lapasset voyait ses notes payées par la Comité national olympique sportif français (CNOSF). Des dépenses évaluées, d’après le Canard, à près d’un million d’euros. Celles-ci présenteraient, selon la Cour, un « défaut de transparence et de rigueur ».

  • L’intox autour du voyage de Lima

Dans plusieurs ministères, à la mairie de Paris ou à la Région Île-de-France, le coût du déplacement de Lima – 1,5 million d’euros –, que beaucoup ont appris dans la presse, continue à faire tousser. Pour tenter d’éteindre l’incendie, le comité de candidature a expliqué que la « moitié » de la délégation française avait payé son voyage. Des packages « hospitalité », dont un « pack en classe économique à 2 600 euros », ont même été évoqués par nos confrères de RMC.

Sauf que les recettes de ces prestations n’étaient pas pour Paris 2024. Elles ne figurent pas dans les comptes du GIP, consultés par Mediapart, dont les ressources reposent uniquement sur les contributions des collectivités, de l’État et des partenaires privés (un peu plus de 60 millions d’euros).

Les « hospitalités » étaient-elles alors au bénéfice de l’agence MCI, qui a remporté l’appel d’offres pour l’organisation du déplacement ? Si oui, dans quel cadre ? Cette dernière a-t-elle par exemple participé à la location du Boeing spécialement affrété par le GIP ? Sollicités par mail, Paris 2024 et MCI n’ont pas retourné nos questions. « Comme pour tous nos clients, nous avons signé des accords de confidentialité et de non-divulgation qui m’amènent naturellement à vous renvoyer vers le GIP Paris 2024 », nous a expliqué la directrice de l’agence, Barbara Martins-Nio, qui est par ailleurs une vieille connaissance d’Étienne Thobois, le DG du comité de candidature.
Les conflits d’intérêts avec Keneo

Un autre point agite le landerneau sportif depuis plusieurs semaines : la place d’une agence, Keneo, au sein de la candidature de Paris. Ainsi que nous l’avons raconté en mai dernier, cette société fondée par Étienne Thobois (qui a depuis revendu ses parts en rejoignant Paris 2024) a reçu plus de 2 millions d’euros de contrats du GIP. Pour lutter contre les conflits d’intérêts, Bercy souligne dans sa note que « le choix des dirigeants des futures entités doit donc, de l’avis de la direction du budget, conduire à un très large renouvellement par rapport aux équipes du GIP ou, a minima, à l’édiction de règles déontologiques strictes préalables au recrutement ».

La proximité de Keneo avec le « mouvement olympique » est antérieure à Paris 2024. En plus des études de faisabilité de la candidature française, l’agence aurait dû réaliser le « Club France » pour les Jeux olympiques de Londres en 2012. Mais le marché a été annulé in extremis, les modalités de mise en concurrence ayant soudainement été jugées « insuffisantes » par le CNOSF.

Mediapart a depuis découvert que le CNOSF avait aussi relevé que la présence d’Étienne Thobois pouvait poser problème. Toujours directeur associé de Keneo à l’époque, Thobois avait aussi été pressenti pour être recruté par le CNOSF en tant que chef de projet pour la gestion du « Club France » et avait, à ce titre, participé à des réunions et des visites sur place. La volonté de son agence d’organiser l’opération le plaçait dès lors dans une situation de conflit d’intérêts inextricable. Finalement écartée du marché, Keneo a tout de même été dédommagée de 150 000 euros par le CNOSF.

  • La gouvernance défaillante

 

Un dernier aspect de la candidature parisienne soulève des interrogations : sa gouvernance. Le choix de confier la majorité des voix du GIP Paris 2024 aux représentants du « mouvement olympique » (Comités nationaux olympiques et paralympiques), au détriment des représentants des pouvoirs publics – qui ont pourtant financé la candidature à 50 % –, interpelle de nombreux observateurs.

 

Dénonçant une « organisation défaillante », la note de la direction du budget relève, elle, les carences du cabinet du premier ministre (celui de Manuel Valls, puis celui de Bernard Cazeneuve), qui n’a « pas assuré un pilotage politique suffisant d’un projet pourtant interministériel ». Une remarque loin d’être anecdotique. Surtout quand on sait – ce que ne relève pas la direction du budget – que Loïc Duroselle, ancien conseiller chargé du suivi du dossier à Matignon et interlocuteur incontournable de la préparation de la candidature, a basculé dans le privé en mars dernier… pour devenir directeur général adjoint de l’agence Keneo.

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