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Nacer Djabi. Sociologue «L’émeute ne menace pas le système, elle lui sert de fortifiant»

 

le 09.01.17 | 10h00 Réagissez

 
 

Scrutant les dynamiques sociales et politiques depuis des années, le sociologue Nacer Djabi estime que le système politique algérien préfère avoir affaire à des mouvements de contestation non organisés et violents.

- La grève des commerçants à Béjaïa a été marquée par des scènes de violence. Au-delà du fait lui-même, que révèle cette tendance à s’exprimer par la violence ?

Ce n’est pas un phénomène nouveau. la violence a de tout temps caractérisé les mouvements de contestation en Algérie. Il est avéré que les dynamiques sociales qu’a connues le pays à partir de la seconde moitié des années 1980 étaient multiformes et diverses concernant la participation. Elles commencent chez les étudiants comme en avril 1980 et deviennent populaires avec l’implication des travailleurs, des commerçants, des chômeurs et même des femmes. La frange jeune en a toujours été le principal moteur.

Il existe deux types de violence. La violence expressive, qui domine souvent les mouvements, a pour objectif de capter l’attention. Elle fonctionne comme une invitation des contestataires à ouvrir le dialogue et transforme le mouvement en un théâtre ouvert dans l’espace public avec plusieurs acteurs.

Souvent, c’est une occasion d’affirmation et d’émergence de «leaders» dans l’objectif d’engager un dialogue avec les autorités officielles et représenter temporairement les contestataires. Cette forme de violence s’exprime par la fermeture des routes, des rassemblements devant les édifices publics, mais sans attenter à la sûreté des personnes. La finalité est de mettre la pression pour ouvrir un dialogue autour des préoccupations exprimées.

La seconde forme de violence est de type instrumental ; elle vise à attenter aux personnes et aux biens. C’est l’œuvre d’une minorité de contestataires. Elle apparaît lorsque les pouvoirs publics ne reconnaissent pas ou refusent d’ouvrir les canaux du dialogue après plusieurs vagues de contestation qui passent d’un endroit à un autre. Il faut rappeler qu’à ce titre, la violence est faiblement présente dans la plupart des mouvements de contestation, qui demeurent dans une très large mesure pacifiques.

La violence est l’œuvre d’une petite minorité qui tente d’instrumentaliser l’ambiance de la contestation. La faiblesse dans l’organisation des dynamiques sociales, qu’a connues l’Algérie durant des décennies, explique la prédisposition de ces mouvements à l’instrumentalisation, voire à la manipulation par différentes forces organisées officielles et non officielles. Il leur devient aisé de surfer sur la vague contestataire pour lui donner d’autres objectifs que ceux fixés par les initiateurs.

- Pourquoi la région de Béjaïa, pourtant connue pour ses traditions de lutte et d’organisation ?

Les récents événements de Béjaïa confirment la régression que vit le mouvement social en Kabylie depuis le mouvement dit des archs. Il est connu et reconnu que la Kabylie avait cette particularité dans sa force d’encadrement partisan et associatif très dense, qui prenait en charge les mobilisations dans la région. Une capacité qui donnait aux mouvements sociaux un caractère particulier dans l’organisation, la forme pacifique et la clarté dans les objectifs et les revendications. Il est regrettable de constater que ce qui dominait en matière de mobilisation populaire commence à ressembler à ce qui se passe dans d’autres régions du pays.

Au lieu d’être une locomotive du changement en Algérie, elle a connu un revers. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette situation. La faiblesse de la vie politique partisane, de la vie associative, l’état de la crise économique et aussi l’éloignement des élites politiques et sociales de la région. D’autre causes plus profondes liées à la reconnaissance officielle de la revendication amazighe. Le regard des Algériens sur la question amazighe a nettement évolué ; elle est admise par tous.

Cela marque la fin d’un cycle. Il appartient alors aux élites qui ont porté cette revendication en Kabylie et ailleurs d’inventer d’autres formes de revendication et de luttes et de nouer le national et le local. Il faut ajouter aussi le niveau très élevé d’intégration politique, économique et sociale de la région dans le corps social national global qui a joué un rôle. Ce qui n’est pas le cas pour les régions de Ghardaïa et celles des Touareg.

- Pourquoi la violence est-elle devenue un mode d’expression ou de contestation ? En affaiblissant les cadres d’organisation intermédiaires, le pouvoir politique n’a-t-il pas créé les conditions de la violence sociale ?

La faiblesse de l’organisation des mouvements sociaux facilite leur infiltration par des forces mieux organisées. La plupart des mouvements en Algérie ne sont pas accompagnés par des partis, des associations ou des syndicats. Toutes les institutions en mesure d’encadrer et d’organiser ces mouvements, de donner un sens politique à leurs revendications, d’aider à un dialogue en leur sein et avec les pouvoirs publics, sont absentes.

Les institutions intermédiaires sont faibles parce que le régime politique n’en veut pas. Il ne veut pas de corps intermédiaires forts, qu’il a par ailleurs combattus. L’exemple est donné par l’état du Front de libération nationale historique qu’il a affaibli, sans parler des partis de l’opposition ou de ceux qui tentent d’être indépendants.

Tout cela parce que le régime politique ne craint pas seulement l’opposition partisane, mais redoute encore plus le parti indépendant dans son fonctionnement, même s’il est allié, parce que le régime ne sait pas comment traiter avec lui. Le système politique reconnaît légalement le parti, l’association et le syndicat et leur refuse d’être des acteurs réels dans la vie politique et sociale. La culture politique des élites officielles et leurs institutions nie et rejette ces cadres d’intermédiation.

Il faut s’attendre, dans un avenir proche, à ce que la violence prenne de l’ampleur lors des mouvements sociaux, en raison de la persistance de la faiblesse des intermédiations politiques et sociales et de la dégradation de l’état économique comme variante qui pourrait durer pendant des années.

Par le passé, les mouvements sociaux disposaient d’une négociabilité forte, parce qu’ils posaient des revendications économiques et sociales autour desquelles il était facile de négocier en raison de l’aisance financière dont disposait l’Etat, très enclin à la gestion rentière adoptée par le régime politique. Ces conditions ne seront plus de mise dans un avenir proche, ce qui va inéluctablement réduire les chances de négociation. Cela va naturellement provoquer des mouvements de contestation sans possibilité d’offrir des solutions. En résumé, la violence sociale sera fort probablement notre avenir.

- Les réponses du pouvoir politique, comme à chaque fois, se résument en l’accusation de «mains extérieure et intérieure qui complotent contre l’Algérie». Comment analysez-vous ce discours ?

C’est une rhétorique qui revient en force, exploitant le climat politique et sécuritaire régional. C’est un discours sans impact si les responsables politiques en abusent avec le temps, dans un contexte d’élargissement du rôle des intermédiaires sociaux et la scolarisation des jeunes.

Le risque avec cette «galvanisation nationale» est de faire croire que l’Algérie est une île dans un environnement régional et international hostile, haineux et jaloux. C’est un jeu politique qui peut être bénéfique immédiatement, mais qui s’avère dangereux, inefficient et coûteux sur le moyen et le long termes. Et le plus important est que cette histoire de main étrangère et son pendant conspirationniste poussent les institutions et les individus à ne pas assumer leurs responsabilités.

Elle anéantit toute possibilité d’émergence des valeurs de citoyenneté, de responsabilité et d’efficacité dès lors que tout est décidé de l’extérieur. Ce discours résulte de la peur et de l’incapacité à produire de l’action consciente et organisée chez le citoyen algérien. Il renforce la haine de l’autre et de l’étranger. C’est un discours qui produit un citoyen mineur, infantilisé, en rapport avec un système politique paternaliste habitué à traiter avec des individus âgés, analphabètes, ruraux et pauvres.

Or, nous sommes en présence d’une société à majorité jeune, urbaine, scolarisée et décomplexée par rapport à l’argent qui cherche à devenir riche. A partir de là, on pourrait comprendre la crise du système politique algérien devenu incapable de gérer les transformations sociales et culturelles produites par l’Etat national lui-même. Des transformations que le système politique et ses institutions ne sont pas en mesure de gérer de manière graduelle et acceptable.

- A qui profite l’émeute ? A la rupture avec le système, ou bien sert-elle à reconduire le pouvoir ?

Historiquement, le système politique algérien, avec ses élites et ses institutions, préfère traiter avec des mouvements sociaux violents non organisés. Il préfère l’émeute à un mouvement politique conscient, organisé et porteur de revendications claires, sinon il sera forcé à négocier et à reconnaître ses représentants et sa représentativité.

Alors que dans le cas de l’émeute, il n’est pas obligé à tout cela, parce que l’émeute ne donne pas lieu à une direction et ne dispose pas d’encadrement. Alors qu’il refuse de négocier avec des mouvements organisés et politiquement encadrés de peur de leur reconnaître la légitimité. En réalité, le mouvement violent non organisé ne constitue pas une menace pour le système politique.

Ces contestations ne dérangent pas le régime politique, parce qu’elles ne produisent pas des élites alternatives, encore moins des légitimités nouvelles et ne posent pas de problématiques politiques qui peuvent réellement déranger. C’est dans ce sens que l’on peut comprendre que l’émeute devient un fortifiant pour le régime politique. A dessein ou pas, il les suscite par anticipation à chaque fois qu’il se trouve face à une situation d’ébullition générale, comme ce fut le cas ces dernières années. Il les fait exploser en petits mouvements pour éviter la grande confrontation.

Il faut remonter dans l’histoire politique de la société algérienne — élites et institutions — pour mieux comprendre la problématique historique qui se pose à nous de façon récurrente et à chaque étape historique. Observons par exemple la plus récente, celle des années 1990, comment le régime politique a favorisé la négociation avec les «militaires» du FIS et non pas avec ses politiques. C’est dans ce cadre que l’on peut comprendre la thèse de René Gallissot, qui explique la faiblesse des mouvements sociaux contestataires comme génératrice des élites alternatives dont la société algérienne a grandement besoin.

- La loi de finances 2017 marque le tournant de l’austérité dont les effets sur les ménages vont se faire ressentir. Comment sera la réaction de la société ?

Ce qui est demandé aux lois sur le budget et aux gouvernements dans cette période est d’agir de sorte à parvenir à se débarrasser graduellement du constituant social de l’Etat national algérien. C’est une opération inscrite dans la durée et qui sera coûteuse politiquement et exige des conditions qui ne sont pas réunies. Ce qui est demandé dans ce contexte, c’est une entente entre les forces politiques et financières montantes.

Le système bureaucratique habitué à la logique de la rente trouvera de grandes difficultés à traiter avec elles et à lier des rapports nouveaux. Ce qui va demander un discours politique nouveau dans le traitement avec les forces populaires habituées elles à des pratiques et discours rentiers et populistes. Comme je l’ai évoqué plus haut, l’Etat national a produit beaucoup de transformations, comme les médias indépendants, des partis et des hommes d’affaires ; mais paradoxalement le système politique a échoué pour le moment à travailler avec ces nouveaux acteurs de manière positive.

Le cas de Khalifa, ce qui se passe avec Rebrab et ce qui pourrait arriver à Haddad et d’autres, tout cela constitue un indicateur de cet échec dans la gestion des mutations profondes que vit la société, élites et institutions politiques. Ces dernières n’arrivent pas se retrouver et dans le même temps elles refusent de quitter le champ rentier et populiste dans lequel elles ont évolué. Elles sont devenues en réalité un blocage historique contre le changement fortement requis en Algérie. C’est à partir de là que l’on comprend alors comment le changement politique apparaît comme
un frein.

Hacen Ouali
 
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