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Réseau des Démocrates

Maltraitance , déscolarisation et exploitation au travail

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le 01.06.13 | 10h00 Réagissez

-Cachez-moi ces enfants qui travaillent !


«Je gagne 500 DA par jour.» Youcef lâche cette phrase avec un rictus de mécontentement. «C’est pas assez», ajoute-t-il, en continuant à éplucher ses pommes de terre. Assis sur un casier en plastique renversé, à quelques mètres de la gargote du marché communal de Douada, il rassemble les pommes de terre qu’il vient de laver et les dispose à l’intérieur d’un autre seau. «J’ai hâte que l’été arrive parce qu’en vendant des mhadjeb (sorte de crêpes traditionnelles, ndlr) sur la plage, je gagne parfois jusqu’à 2000 DA par jour !» Il reprend son couteau et coupe. Son oncle, à quelques mètres, le presse, il est déjà midi et les frites doivent être prêtes. Youcef coupe des pommes de terre à longueur de journée depuis déjà deux ans. «L’école c’était pas pour moi, j’ai pas pu», lâche-t-il précipitamment, comme pour éluder le sujet. Travailler, parler d’argent, Youcef le fait avec un naturel déconcertant. Il n’a pourtant que 14 ans. «Cet argent, je le donne à mes parents.»

Comme Youcef, beaucoup d’autres enfants sont contraints de travailler pour vivre. Selon les estimations de la Forem, ils seraient entre 350 000 et 500 000 à travailler en Algérie. Mohamed, 11 ans, écolier de Tessala El Mardja en fait partie. C’est le cadet d’une fratrie de quatre enfants. «Je gagne 700 DA par jour que je remets à ma mère à chaque fin de journée, elle est très fière de moi», explique-t-il, en comptant ses pièces pour rendre sa monnaie à un passant qui vient de lui acheter une galette. Pour Mohamed, c’est presque un jeu, il n’exerce cette activité que depuis quelques mois. «Je vais toujours à l’école, mais ça ne me plaît pas !»
Le phénomène se banalise et inquiète. Etre au contact de l’argent dénature leur comportement, modifie leur langage, mais pas seulement. Ils se voient également exposés à toutes sortes de risques, dont l’échec scolaire. Pour le professeur Mustapha Khiati, président de la Forem, «ce phénomène est d’une extrême gravité. C’est attentatoire à la vie des enfants».

-Banalisation déconcertante


En 2002, le ministère du Travail avait procédé à l’installation d’une commission nationale de lutte contre le travail des enfants. La Forem était conviée à y siéger, à l’époque. Mais depuis que les recommandations de son enquête sur la situation des enfants ont été rendues publiques en 2007, elle ne semble plus y être la bienvenue. «Notre discours ne leur convenait pas, alors ils ne nous convient plus à leurs réunions, si toutefois, ils se réunissent encore», confie le professeur Khiati. Et d’ajouter : «Pendant qu’on essaye de sensibiliser sur une problématique sérieuse qui implique des réseaux de mendicité, de prostitution de mineurs, le ministère du Travail finance des enquêtes pour prouver que les enfants ne travaillent pas en Algérie, c’est quand même désolant !»

Les enfants, eux, ne s’en plaignent pas. «Pourquoi ils ne nous laissent pas travailler en paix !» Imad, 12 ans, s’insurge contre un policier en poste à l’entrée du Jardin d’essai d’Alger, qui l’empêche, avec ses copains, de vendre leurs ballons multicolores aux familles venues se balader. «Il est quand même énervant ce policier, dénoncez-le, il s’appelle Brahim, l’autre jour il a même saisi nos ballons», lâche-t-il, rieur. Imad insiste. Le policier le menace de loin et lui interdit l’entrée. Imad ne comprend pas. «Je ne fais rien de mal, je suis allé jusqu’à Bab Ezzouar pour acheter ces ballons pour les revendre !» Si ces enfants ne réalisent pas toujours la gravité de leur situation, c’est souvent à leurs parents qu’ils le doivent. «Le ministère de l’Education a, pendant des années, promis de faire un arrêté en vue d’aller vers la pénalisation des parents qui font travailler les enfants âgés de moins de 16 ans, on attend toujours, à ce jour !», s’étonne le professeur Khiati. En attendant, Imad ira écouler son stock de ballons ailleurs. Loin des regards de l’Etat...

-Un plan national pour l’enfance, à quoi bon ?


En mai 2002, l’Assemblée générale des Nations unies avait organisé une session spéciale consacrée aux enfants, et avait adopté une résolution engageant tous les Etats membres à réaliser des objectifs, à l’horizon 2010, pour l’amélioration des conditions de vie des enfants et la réalisation de leurs droits. Cette résolution a été transcrite dans le document officiel de la session spéciale intitulé «Un monde digne des enfants». Les objectifs : promouvoir une existence meilleure et plus saine, pour une éducation de qualité, protection contre la maltraitance, l’exploitation et la violence, lutter contre le VIH/sida.

Les Etats membres se sont ainsi engagés à développer, à l’horizon 2003, un Plan national d’action en faveur de l’enfance, basé sur trois principales stratégies : le partenariat et la participation, la mobilisation des ressources et le suivi et l’évaluation. L’Algérie a lancé son Plan national pour l’enfance cinq années plus tard, en 2008. «Ce plan a été élaboré avec le concours de plusieurs départements ministériels et de représentants d’institutions et de la société civile afin de mettre en place un plan national global basé sur des données scientifiques visant la réalisation du bien-être de l’enfant algérien», expliquent les textes de présentation. Et d’ajouter : «Le plan veille également à la mise en place de mécanismes de coordination des politiques adoptées dans ce sens afin de les inscrire dans un programme national intégré.» Un discours à mille lieues de la réalité.

-Les violences contre les mineurs en hausse


915 cas de violences contre des mineurs ont été pris en charge par la Gendarmerie nationale durant les quatre premiers mois de l’année, dont 4 incestes, 34 viols, 41 cas d’incitation à la débauche et 256 de coups et blessures volontaires. Des chiffres en hausse. En seulement quatre mois, le bilan de la gendarmerie a atteint près de 50% des cas enregistrés en 2012, où 2214 cas de violence contre des mineurs avaient été pris en charge. Une augmentation d’autant plus inquiétante que la saison estivale (qui n’a pas encore commencé) enregistre d’habitude un pic de violence à l’égard des enfants. Pour le lieutenant-colonel Abdelhamid Kerroud, «les enfants sont particulièrement exposés à toutes formes de violences en été. Etant en vacances, ils se retrouvent souvent livrés à eux-mêmes dans la rue ou sur les plages que nous couvrons à hauteur de 74%». Mais la Gendarmerie nationale, qui couvre les 48 wilayas et les zones suburbaines, se veut tout de même rassurante. «S’il y a augmentation des chiffres, c’est aussi parce que les gens prennent de plus en plus d’initiatives pour dénoncer ces abus. Notre numéro vert fonctionne très bien parce que nous avons réalisé un travail de proximité avec des associations et des écoles pour sensibiliser le plus grand nombre», explique encore le lieutenant-colonel Abdelhamid Kerroud.

Bouredji Fella
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