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Espace conçu pour les Démocrates de tous bords.

Réseau des Démocrates

La société civile et le mouvement social

Voici la deuxième partie de la restitution commentée de la première soirée organisée par l'IRD. La première partie fut consacrée à la conférence de Nacer DJABI.

 

 

2 – LE DEBAT

 

Parler de la société civile et des mouvements sociaux est, en soi, une invite à parler du changement, à déceler ses signes dans l’avalanche des jours, de l’information torrentielle et manipulée et du monde en rapide mutation.

 

C’est ce qui explique la liberté du débat et sa richesse. Devant la masse d’interventions, j’ai choisi les entrées suivantes :

La société et La violence

L’échec et ses causes

Le changement.


2.1 – La société et la violence


J’ai été étonné par le fait que pour parler de la société, nous ayons beaucoup parlé du pouvoir dans sa relation aux différentes branches et tranches de la société. C’est toujours le pouvoir qui nous impose son agenda et ses pratiques.

Un second sujet d’étonnement est notre connaissance approximative, empirique de la société. Nous voulons changer. Par NOUS, il faut entendre les partis politiques, les syndicats autonomes et le mouvement associatif, toute la mouvance des républicains, des démocrates et des citoyens modernistes.


Que connaissons-nous de la société ?

Mais que connaissons nous de sa composition, des couches socio professionnelles qui la constituent, des jeunes et de leur vision du monde et de leur pays, de la qualité de l’instruction qui leur est donnée, de leur rapport au politique et au religieux, des femmes et de leurs luttes pour l’égalité des droits, de la différence de leur sensibilité quant à la politique et à la religion, du mouvement associatif et des différents courants qui le traversent, de la presse et de ses effets sur les jeunes, les femmes et l’ensemble de la société ?

Pragmatisme et données de sens commun commandent la connaissance et la perception de notre univers social.

Nous savons, ou nous nous sommes laissé enfermer dans la perception d’une société partagée sommairement en trois courants idéologiques et politiques : nationaliste conservateur, démocrate et islamiste. Est-ce la réalité ou une projection faite par les laboratoires de l’ombre pour canaliser les forces et les compartimenter, pour une meilleure manipulation des esprits.

C’est sur cette base que le pouvoir a toujours bâti ses stratégies de domination. Jusqu’aux années 80, il s’appuyait sur « le soutien critique » du PAGS, à tous les niveaux de l’organisation politique et sociale, notamment au sein des organisations de masse. Pour changer ses armes d’épaule et tenter d’apprivoiser la tendance islamiste montante, viscéralement opposée au progrès et à la modernité.

Avec la crise économique, livrant l’Algérie pieds et poings liés au FMI et à ses programmes d’ajustement structurels, le 5 Octobre 88 était là pour ouvrir les portes de la réforme et d’une nouvelle constitution ; consacrant toutefois l’irrésistible ascension de l’islamisme politique et son triomphe électoral en 1990 pour les communales, puis en 1991 pour les législatives.


Le scénario du pire

Dès lors, tout était en place pour que s’ouvre le scénario du pire, le terrorisme et la sanglante décennie, qui fit vaciller l’Etat et douter toute la société, emportée dans une spirale de violence ahurissante et barbare. Qui a pu mesurer l’importance des traumatismes sur les enfants, les jeunes et les femmes, sur l’école et les familles, l’économie et la culture ?

C’est une société traumatisée par la violence aveugle qui, désormais, appréhende le changement, le souhaite mais ne le veut pas, parce qu’elle craint que ne se répète le scénario du pire.

Nous avons parlé de la paupérisation des classes moyennes et de l’appauvrissement des couches pauvres ; comme d’un autre constat que l’on fait, sans en tirer toutes les conséquences au plan politique. Les fortunes illicites, la corruption, les nouveaux riches, c’est de tout cela qu’est constituée la société algérienne. Au point que le Premier Ministre, pour explique l’échec collectif de son gouvernement et tous ceux qui l’ont précédé, évoque les forces occultes de l’argent contre lesquelles, le pouvoir serait impuissant. Mais ce raccourci, tout aussi facile que commode, dédouane ceux qui le font et cache en même temps la collusion du pouvoir, ses rouages, ses mécanismes et ses institutions, avec ces puissances nouvelles.


La violence des forces de l’argent

Les forces de l’argent sont dans la place grâce aux largesses du pouvoir. Rappelons nous l’épisode Khalifa, ou celui que l’on évoque aujourd’hui, le cas Hemch intronisé par le puissant Chakib Khelil, dont le but secret était de livrer le pétrole algérien aux pontes de son pays d’accueil, Vice Président Cheyney en tête.

Mais est-ce que la corruption et la domination de plus en plus assurée et rassurée des forces de l’argent, ne constitue-t-elle pas une forme de violence s’exerçant contre la société ?

Les forces de l’argent ne sont les seuls marches pieds du pouvoir. La religion est son deuxième piédestal, puisqu’il a su s’aliéner toute la partie archaïque et conservatrice de la mouvance islamiste, en l’occurrence les zaouïas, dont l’enracinement social dans l’Algérie profonde, est tout aussi productif, en période électorale, que le système tribal toujours vivace.

2.2 - L’échec

Face à cette violence multiforme dont les mailles profondément imbriquées, enserrent et étouffent la société, que reste—t-il à celle-ci comme moyen de défense ? Les émeutes et les jacqueries de rue sans souffle et sans autre programme que des revendications économiques et sociales, sans grande portée politique.

Et, phénomène plusieurs fois noté, au cours du débat, l’insuffisance du processus de capitalisation des expériences et des luttes. On a l’impression que tout recommence à zéro. Mais il ne s’agit là que d’une impression de surface. Car comment expliquer ce que Djabi a appelé la migration de la contestation sociale, du Nord vers le Sud, s’il n’y avait eu propagation de cette culture de l’émeute, actuellement partout présente. Comment expliquer le printemps berbère s’il n’y avait eu les émeutes de Constantine et de Sétif au début des années quatre-vingt ? Comment expliquer le 5 octobre s’il n’y avait eu le printemps berbère ? Comment expliquer les printemps des Arouchs de 2001, s’il n’y avait eu tous ces mouvements sociaux qui les ont précédés ?

Comment expliquer l’échec de tous ces mouvements, y compris celui de la mouvance islamiste ? Elle qui avait l’avantage d’avoir proclamé, haut et fort, son but ultime, à savoir, la proclamation d’une république islamiste, comme elle le fit au lendemain de son triomphe électoral lors des communales, en baptisant les communes remportées par elle, « baladya islamia », au déni de la Constitution.

Je me suis permis ce rappel parce que certains ont expliqué l’échec des mouvements sociaux par l’inexistence d’un but commun comme en novembre 1954. Novembre 1954 devenu, à juste titre, le référent suprême au point qu’il fut utilisé par le Président de la République comme argument électoral décisif le 8 mai à Sétif.

La revendication sociale qui n’a d’autre but que matériel ou corporatiste, n’a rien à voir avec une insurrection dont le but proclamé, est de remplacer la République Démocratique et Populaire par une République islamique, à l’iranienne.


Sport et politique

Toujours dans le même ordre d’idées, l’on s’est étonné que, pour destituer le Président du MCA, les supporters de ce club aient organisé, après la prière du vendredi, une marche encadrée par la police, c’est-à-dire, tolérée par le pouvoir. Il est possible de rappeler aussi l’épisode de notre qualification à la Coupe du Monde de 2010 et les remous sérieux entre nous et l’Egypte. L’engagement de nos jeunes pour aller à Omdourman pour réparer l’agression de nos joueurs au Caire et notre dignité bafouée par journalistes, intellectuels et artistes égyptiens, entrés en hystérie, parce que leur but commun, aller en coupe du monde, avait été usurpé par « des va nus pieds ».

Il est difficile de comparer batailles sportives et batailles politiques, bien que dans l’imaginaire des foules, elles soient de même nature, puisque, de manière symbolique, l’objectif est commun : remporter la victoire.

Pour le sport, peut-importe que ce soit à l’échelon d’un club, comme le MCA ou de l’équipe nationale, l’essentiel réside en la victoire. C’est le combat pour la victoire qui unit joueurs et supporters. En un mot, ils ont un but commun. Peu importe la classe sociale à laquelle on appartient. Au MCA, coexistent les chnawas d’aujourd’hui et les mouloudéens d’avant. Autrement dit, ouled echâab, la3araya, comme on les appelle et une classe plus huppée, une sorte de « tchichi sportive », aux racines patriotiques et populaires indéniables. Entre les deux, le fossé des générations, mais également, un ciment fort, une histoire et une culture communes, fondement d’une patrie unique : l’amour, parfois irraisonné, du club.


Ainsi, l’inexistence d’un but commun semble être au centre de l’échec. Le manque de cohésion et d’organisation politiques, en est le corollaire. Le zaimisme ajoute à tout cela une pointe de narcissisme toujours mal venu, lorsqu’il s’agit de mener pareil « combat de libération ».

Le récent échec de la CNCD en est une preuve. Tout comme cet échec, illustre bien « les capacités de nuisance » du pouvoir, face à la fragile cohésion des forces démocratiques et sociales. Il est devenu courant de parler de capacité de nuisance d’un mouvement pour amener la pouvoir à la table des négociations, comme l’ont fait les arouchs, en oubliant la force destructrice des instruments du pouvoir, de ce que l’on appelle communément « le système ».

M’inspirant de ce que j’ai écrit précédemment à ce sujet, je vais tenter de répondre à une question de fond.


Mais qu’est-ce que le système ?

Il est comme l’Arlésienne : tout le monde en parle ou le devine ; mais personne ne parvient à le cerner dans ses multiples manifestations. Il serait partout et saturerait l’ensemble institutionnel et informel du pays. Il vit dans une opacité entretenue à bon escient, cultivant le mystère qui fait la force de tout ce qui est caché. Qui en occupe le centre ? et/ou la périphérie ? Nul ne le sait avec une rigoureuse précision tant les choses se font se défont au gré des circonstances te des luttes du Palais.

Il est supposé ne rien laisser au hasard, et pourtant des bugs se produisent, ébranlant la stabilité du pays et mettant en doute la solidité des institutions sécuritaires de l’Etat, comme vient de le révéler le « one man show » du général Khaled Nezzar, rattrapé par la justice suisse.

Mais que connaissons-nous réellement du système ?

De sa totale main mise sur toutes les institutions du pays et rouages de l’appareil d’Etat ; de sa capacité de manipulation, de ses modes et pratiques de déstabilisation et d’anesthésie de toute vie politique, en chloroformant partis, syndicats, associations et médias par l’usage de la peur, de la carotte, du bâillon, du bâton et du redressement, empêchant tous ceux et celles, désireux de s’exprimer, pour clamer leur vérité, de le faire à cœur ouvert.

C’est ainsi que le Système s’assure la subordination quasi-totalitaire de toutes les poches de résistance citoyenne. Et ce, grâce aux Assemblées soit disant « élues », garrotées, à une justice aux ordres, de jour comme de nuit, aux finances publiques, utilisées selon le bon vouloir du Prince dont les libéralités calculées, ne sont ni plus ni moins que les instruments du viol et de l’achat des consciences.

Par ailleurs, que connaissons-nous réellement de son alliance avec les milieux d’affaires et de la grosse finance, des deals passés avec les puissances étrangères, celles de l’argent et celles de la politique ; ou des deux à la fois, puisque tout est imbriqué, pour donner la mafia-politico-financière internationale et ses camoras périphériques.

Le système c’est l’ensemble des appareils d’Etat qui en font une infernale et impitoyable machinerie propre à décourager et briser toutes les volontés de résistance, sous quelques formes qu’elles aient choisi de s’exprimer.

C’est l’armée, la grande muette dont le pouvoir s’est édifiée aux frontières, durant la guerre de libération nationale ; car ceux qui détiennent le pouvoir réel, ne parlent pas, et n’ont pas besoin de le montrer, sauf lorsque l’état d’urgence est décrété. La police et la gendarmerie font partie de ce que les sociologues, après Max Weber, appellent les détenteurs de la légitime violence d’Etat.

La justice, aux ordres, est la servante du pouvoir et non des droits et libertés du citoyen, comme le stipule la Constitution.

Les finances participent à camoufler les scandales, les tromperies et tripatouillages en tous genres, les détournements, les méga exonérations lorsqu’il s’agit de serviteurs du Système, les corruptions et les blanchiments. Nos grands argentiers, ne sont pas les argentiers du peuple mais ceux du Prince et de sa cour. En mauvaises circonstances, ils peuvent se piquer de niaiserie, en déclarant à une juge toute acquise « je n’ai pas eu l’intelligence d’éventer le pot aux roses » aurait dit, en substance, l’un d’entre eux - pour expliquer ses vénales défaillances ; passage obligé pour qui n’entend pas déplaire au Prince.

Puis, vient l’appareil administratif, avec ses règlements tatillons, ses carcans et sa bureaucratie, vivant à l’envers de la société, de ses aspirations, et attentes légitimes : ne pas faire le pied de grue, pour obtenir le moindre papier ou la moindre autorisation, sans glisser la pièce de toutes les compromissions et de la chipa triomphante.

Les walis et leurs chefs de daïra font figure de véritables potentats locaux. Ils ressemblent au Prince qui les a nommés, prolongent et fondent territorialement son pouvoir absolu. Certains se sont illustrés par des pratiques prédatrices leur ayant valu d’être embastillés, pour faire bonne mesure aux yeux du peuple, et faire croire aux menées anti corruption, d’un pouvoir toujours à la recherche d’un brin de virginité, pour tromper les masses.

Au sein des assemblées, dites « populaires », les élus, dessaisis de leurs principales attributions et prérogatives, font de la figuration, et n’ont plus qu’à se soumettre ou à se démettre. Généralement, la rente étant plus qu’alléchante, ils se couchent, et font comme tout le monde : ils se servent, au lieu d’être au service du peuple qui les a élus.

Les partis nés d’octobre 88, puis ceux d’avant les législatives 2012, participent du système. Ils sont le système par le fait du système des quotas : Obscurs tripatouillages d’alcôves à la solde d’irresponsables spadassins, lors que le destin du pays appelle à des projets à la hauteur de Novembre 1954. Tout comme le monde des travailleurs est tenu en laisse par une UGTA qui a perdu son âme.

Les appareils d’état sont les parties apparentes du système et de son pouvoir ; celles avec lesquelles les citoyens sont quotidiennement confrontés. Ils sont relayés par les appareils idéologiques qui prolongent leur emprise dominatrice sur la société. Nous évoquerons la religion, l’école et les médias publics.

Mais faut-il passer sous silence toutes les pratiques - redressements en tous genres et de toutes institutions, les bastonnades, les sanctions et les procès injustes - qui font que le Prince gouverne sans partage, jusqu’au point de mettre tout un pays à l’arrêt politique et technique, sans que nul ne proteste. Il est vrai, comme l’a si bien dit Montesquieu, que les régimes despotiques ont pour seul ressort, « la crainte » et que nous sommes bien loin des régimes démocratiques dont « la vertu », est le pôle d’ancrage fondamental.


SMB. le 02.08.2012

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