Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Espace conçu pour les Démocrates de tous bords.

Réseau des Démocrates

La révolution tunisienne sur un fil

 

tunisie repressionHched Ferhat

                                                                                             Hached Ferhat leader syndicalsite au lendemain de l'indépendance

 

reportage 13 Commentairess (24)Partager

18 Janvier 2011 Par Thomas Cantaloube

1 2 De notre envoyé spécial en Tunisie

 

La révolution tunisienne ne se fait désormais plus seulement dans la rue, mais aussi dans les antichambres du pouvoir. Après la formation du gouvernement d'union nationale lundi 17 janvier au soir, la journée de mardi devait représenter un ballon d'essai. Allait-il s'élever dans les airs, profitant de l'appel d'air porté par des figures de l'opposition et de la société civile et de nombreuses promesses de réforme, ou être lesté par les nombreux ministres issus du RCD, le parti-État de l'ex-dictateur Ben Ali? Très rapidement, le ballon s'est percé.

 

Dès lundi soir, le nouveau ministre de l'intérieur, qui occupait déjà le poste auparavant, Ahmed Friaa, a tenu une conférence de presse durant laquelle il a commis plusieurs bourdes – il faut dire qu'il n'était pas vraiment habitué à parler aux médias sous l'ancien régime. Tout d'abord, il a lourdement insisté sur le bilan financier des manifestations dans le pays, qu'il a placé sur le même plan que les pertes en vies humaines de citoyens abattus par la police (officiellement 78, probablement davantage). Pas vraiment la meilleure opération séduction pour nouer une relation plus harmonieuse entre la population et un ministère honni.

Ensuite, il a demandé aux miliciens fidèles au RCD, qui terrorisent sporadiquement la population dans le pays depuis la fuite de Ben Ali, de déposer les armes en leur promettant qu'ils seraient pardonnés. Quand Hocine, un jeune chômeur, a entendu ces propos il y a vu une provocation : « De quel droit leur garantit-il une amnistie, alors que le gouvernement vient d'annoncer la mise en place d'une commission pour faire la lumière sur les abus de ces dernières semaines ? C'est se moquer du monde. Cela signifie qu'ils veulent continuer à faire de la politique comme avant. Ce n'est pas cela la démocratie ! »

De nombreux Tunisiens ont également vu un dessein plus sournois dans cet appel du ministre de l'intérieur. Une manipulation. En effet, après plusieurs nuits émaillées de violences, celle de lundi à mardi s'est avérée relativement calme. Cela a permis à Tunis de se réveiller encore plus active que les jours précédents – même si beaucoup de devantures restaient obstinément fermées. Les voitures circulent avec moins de fluidité et les tramways avec plus de monde à bord. Encore une fois, la ville semble vouloir repartir avec entrain.

Mais, dès onze heures, des manifestants commencent à se regrouper, toujours au même endroit, avenue Bourguiba en centre-ville. Le mot d'ordre est toujours le même, il tient en deux mots: «RCD dégage!» Le jour précédent, ce slogan tenait du souhait, aujourd'hui, il s'agit d'une admonestation. Le gouvernement a en effet été nommé, et il faut en chasser les principaux représentants, issus du RCD, «de crainte de voir la révolution populaire confisquée», comme le résument plusieurs manifestants.

 

© PPTrès vite, bien plus rapidement que les jours précédents, la police charge les manifestants. Elle le fait aussi bien plus violemment. Les grenades lacrymogènes fusent à tir tendu et les matraques tombent lourdement. Il n'est plus question de parlementer, il s'agit de disperser.

Tabassage, poursuites dans les porches d'immeubles, charges à moto. Des manifestants sont embarqués dans les fourgons de police, les journalistes menacés. Il semble que le nouveau gouvernement ne veuille pas tolérer très longtemps ce défi à son pouvoir, même intérimaire. Mauvais signe.

À quelques rues de là, à l'orée de la Médina de Tunis, les syndicalistes de l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), la principale force derrière le mouvement de décembre et janvier, se concertent. Ils ont apparemment une annonce à faire. En attendant, ils soutiennent les manifestants et donnent leur point de vue sur les paroles du ministre de l'intérieur, en passe de devenir le symbole de la confiscation de la révolution. « Quand le patron de la police demande aux milices du RCD de déposer les armes et que celles-ci s'exécutent, on peut se demander pourquoi il ne l'a pas fait plus tôt », s'insurge Samir Bouraoui, le vice-président de la Ligue des droits de l'homme de Tunis. « On peut aussi se demander si tout cela n'a pas été orchestré, afin d'effrayer la population et de précipiter la nomination d'un gouvernement d'union nationale. »

 

Coup de théâtre, des ministres démissionnent

 

Sur la placette qui abrite le siège de l'UGTT et ses banderoles encadrant la figure du fondateur moustachu du syndicat, Farhat Hached, une grappe de manifestants scandent toujours le même slogan « Tunisie libre ! RCD dehors ! ». Ines, une étudiante coiffée d'un foulard explique : « La révolution a commencé et il faut la protéger. Le peuple n'est pas représenté dans ce gouvernement, ce sont encore ceux qui volaient l'argent du peuple qui ont le pouvoir. Il faut un nouveau gouvernement qui ne comporte plus autant d'anciennes figures du régime. Ce sont toujours les alliés de Ben Ali. »

Il ne lui a pas échappé, comme à la plupart des Tunisiens, que le premier ministre Mohammed Ghannouchi a raconté (sur France-24) avoir récemment parlé au téléphone à l'ex-dictateur exilé. Pourquoi a-t-il révélé cette conversation ? Maladresse de communication ? Toujours est-il que les Tunisiens ont perçu cela comme la preuve que le lien n'était pas rompu et que Ghannouchi demeurait l'homme de Ben Ali et de sa clique.

 

Ça y est, en début d'après-midi, l'UGTT est prête à faire son annonce : ses trois membres qui avaient accepté de participer au gouvernement démissionnent. Moins de 24 heures après leur nomination, c'est un coup de théâtre qui plombe sérieusement la notion d'union nationale. « Ce gouvernement ne nous représente pas, et nous demandons désormais la dissolution du RCD », proclame Nizar Amami, le porte-parole de l'UGTT.

 

À l'autre bout de la ville, deux des trois ministres démissionnaires racontent leur choix. « Il n'y a eu aucune consultation, je n'étais même pas informé du ministère qu'on allait m'attribuer », raconte Abdeljelil Bedoui, éphémère ministre auprès du premier ministre. Avec son air souriant et son crâne chauve, il n'a rien d'un animal politique. « Je ne connaissais pas le nom des autres ministres avant l'annonce officielle. Ce sont les mêmes pratiques rétrogrades, des pratiques de soumission et d'allégeance. Le risque de rester au gouvernement est plus grand que celui de se retirer parce qu'on aurait cautionné une évolution qui risque d'aboutir à la confiscation de la volonté de changement des Tunisiens. »

Son second collègue, lui aussi éphémère ministre de l'emploi, estime « qu'on a été trop vite pour constituer le gouvernement. On pouvait attendre plus de 48 heures. À l'UGTT, nous ne pouvons pas accepter l'inclusion de personnalités qui représentent les symboles de la destruction de la démocratie et de l'instauration de la dictature. » Tiré à quatre épingles, Hossine Dimassi refuse de donner les noms de gens dont il parle. « Tous les Tunisiens les connaissent », assure-t-il. Au moins deux d'entre eux, nommés ministres, Zouheir Mdhafar et Moncer Rouissi, étaient des proches de Ben Ali. Le second officiait même en tant que « premier conseiller politique et c'est la personne qui s'est efforcée de démanteler toutes les organisations de droits de l'homme dans le pays », confie une autre source, qui préfère rester anonyme.

Après le retrait des trois ministres de l'UGTT, la rumeur court vers la fin de l'après-midi que d'autres pourraient suivre. Joints au téléphone, deux des trois ministres d'opposition, Mustapha Ben Jaafar et Ahmed Brahim, expliquent qu'ils réfléchissent. Leur embarras est perceptible. Finalement, le premier rendra son tablier en fin de soirée. Au siège du Parti démocratique progressiste (PDP), la formation du troisième ministre d'opposition, la ligne officielle est : « On reste dans le gouvernement, mais on essaie d'en faire changer la composition », selon le membre du comité exécutif Ahmed Bouazzi. « Il faut un autre ministre de l'intérieur, et que tous les ministres membres du RCD acceptent d'en démissionner. »

Deux heures plus tard, l'appel sur ce dernier point semble avoir été entendu : Foued Mebazaa, le président par intérim, et Ghannouchi rendent leur carte du RCD, alors que, sans trace d'ironie apparente, le parti annonce avoir radié Ben Ali de ses rangs. Ces gestes sont symboliques, mais seront-ils suffisants pour convaincre ceux qui ne veulent pas remettre leur destin entre les mains du RCD après être descendu dans la rue pour mettre fin à son règne? C'est une nouvelle journée qui s'achève en Tunisie, une journée au cours de laquelle les événements se sont encore tamponnés.

La révolution continue d'évoluer, prenant un tour plus politique. Dans les anciennes démocraties, la connotation est souvent négative. Ici, à Tunis, elle apparaît bienvenue. « Nous parlons de tractations et de négociations et nous tenons des conférences de presse pour les évoquer », sourit l'éphémère ministre UGTT Dimassi. « En soi, c'est déjà un progrès énorme. » Au siège du PDP, au premier étage d'une ruelle décrépie, Ahmed Bouazzi regarde sa montre et n'en revient pas du temps qu'il passe à répondre aux questions des journalistes. Puis, il fixe avec amusement ses interlocuteurs et leur lance : « Avant, vous veniez ici en frôlant les murs et en risquant des ennuis. Maintenant, vous entrez sans frapper et ne me lâchez plus ! »

1 2

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
D
<br /> Une révolte n'est pas une révolution, camarade, et tu le sais sinon bien que moi, mieux que moi.<br /> A bientôt.<br /> <br /> <br />
Répondre