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«Al Jazeera a donné le la. Les autres télés satellitaires ont suivi»

 

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18 Janvier 2011 Par Antoine Perraud

 

Le chercheur tunisien Sadok Hammami, spécialiste de la communication (il a obtenu un doctorat à l'université Stendhal de Grenoble sous la direction du «médiologue» Daniel Bougnoux), enseigne à l'université de Sharjah aux Émirats arabes unis. Joint au téléphone, il analyse les bouleversements à l'œuvre dans son pays.

 

Peut-on parler d'une révolution de Facebook?

La révolution, la révolte, ou encore le changement tunisien s'est déroulé en trois actes : les soulèvements initiaux de Sidi Bouzid ou de Kasserine, puis la généralisation de la protestation et enfin la chute de Ben Ali. Facebook n'a joué aucun rôle dans les premières révoltes, celles précisément menées par les exclus de ce développement et de cette modernité présentés comme la réalité tunisienne. Ensuite, la pudence des Tunisiens face à la censure n'a disparu que quelques jours avant la chute du régime. Alors même si Facebook a pu apparaître, sur la fin de ces quatre semaines, comme un espace accueillant différentes formes de débats et de séditions, je ne vous suivrai pas dans un tel déterminisme technologique simplificateur...

Et la télévision?

Al Jazeera a donné le la. Les autres télévisions satellitaires arabophones (Alarabiya, la BBC, France-24) ont suivi le mouvement. Elles sont devenues les principales sources d'information des Tunisiens, qui ont compris qu'ils pouvaient les alimenter de par leurs vidéos, dans une sorte de journalisme citoyen spontané, capable de remplacer au pied levé les correspondants de presse que le pouvoir avait voulu écarter du théâtre de la révolte populaire.

La télévision nationale n'a joué aucun rôle?

Ces événements auront prouvé que le monopole des médias n'est d'aucune utilité, au contraire. L'effet inverse à celui recherché s'est ainsi produit. Au lieu d'endormir la conscience des Tunisiens, la télévision officielle a poussé le peuple à l'exaspération. Comme l'explique l'universitaire britannique John Fiske, les citoyens développent «un pouvoir sémiotique» et une résistance culturelle. Ils deviennent actifs et ne se soumettent pas, ils sabotent et réinterprètent les discours dominants qu'un canal officiel déverse sur eux. Les gouvernements arabes ne peuvent donc plus compter sur les médias sous leur contrôle tel un facteur de gestion de la société.

Imaginez-vous une prochaine propagation de l'exemple tunisien?

Les incidents ici ou là, aussi tragiques soient-ils (je pense aux immolations), ne doivent pas nous faire croire que les facteurs propres à la Tunisie puissent être simplement dupliqués. En Tunisie, l'absence de leaders, l'opposition déstructurée (ce n'est pas le cas en Algérie, au Maroc ou en Égypte), a fait que le pouvoir s'est retrouvé face à face avec la société. Le régime de Ben Ali avait rendu invisibles des pans entiers du pays, dont il ne pouvait donc ni distinguer, ni interpréter les mouvements.

La chute de Ben Ali est le résultat, entre autres, d'une gestion culturelle autoritaire, qui a favorisé une culture underground vivace et singulière (la musique et notamment le rap, le théâtre, les blogs...). Idem pour des pratiques médiatiques ayant abouti à une révolution unique dans le monde arabe, qui me paraît prometteuse. Il y a eu en Tunisie la formation d'un espace public distinct du pouvoir, comme dans l'Europe des Lumières avant 1789; mais avec toutes les caractéristiques de la modernité politique, économique et culturelle.

La jeunesse, libérée des carcans partisans et idéologiques, s'est soulevée au nom de la liberté dans l'espace public. Condamnée à l'invisibilité par le pouvoir et son système médiatique verrouillé, cette société a trouvé une visibilité active, créative et démocratique sur Internet, où des débats divers, éclairés, rationnels, ont formé une aspiration civique et politique, à l'instar des clubs sous la Révolution française.

De telles caractéristiques ne me semblent pas actuellement à l'œuvre dans les autres pays arabes, qui m'apparaissent moins au pied du mur pour avoir lâché un peu plus de lest. C'est paradoxalement l'étouffement pratiqué par le régime de Ben Ali qui a favorisé la libération des Tunisiens, longtemps présentés comme un «peuple docile»...

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