Dans la capitale mondiale de la moquette...
« Ma famille entière travaillait dans la fabrication de tapis, la crise nous a heurtés de plein fouet. J’ai retrouvé un emploi mais c’est fragile », témoigne Shelly, 34 ans, dans un square de la ville où elle se promène avec ses deux enfants, l’aînée nous annonçant fièrement qu’elle veut devenir journaliste au National Geographic « pour voyager ». Au sol, un peu partout dans le parc, une inscription à la craie : « Impeach Obama » (Destituez Obama). Shelly s’en amuse et confirme : le président n’est pas en odeur de sainteté ici. Elle a beau trouver le shutdown « ridicule », elle soutient les efforts républicains pour se débarrasser de la réforme de la santé d’Obama.
« Je ne comprends pas le concept : nous obliger à acheter une assurance privée qui coûte au minimum 1 200 dollars par an alors qu’on arrive à peine à boucler les fins de mois ? Ça n’a pas de sens », lâche-t-elle. Le président, « je ne vois pas ce qu’il m’amène de bon. J’ai du sang cherokee, les Indiens sont les grands oubliés de l’histoire de toute façon », poursuit-elle. « Les républicains, c’est sûr qu’ils défendent avant tout les riches, mais on a besoin de riches ici, c’est eux qui créent des entreprises. »
Avec de rares nuances, les habitants croisés çà et là partagent les mêmes opinions : la fermeture du gouvernement leur fait honte, elle a affecté les zones touristiques de la région (principalement des sites historiques liés à la guerre civile américaine des années 1860), mais ils ne la considèrent pas comme problématique. La réforme de la santé initiée par Barack Obama l’est bien plus. Elle est jugée « compliquée », « coûteuse », « intrusive », « mauvaise » comme tout ce qui vient de la Maison Blanche depuis 2009, que ce soit le plan de relance de l’économie, « ruineux », ou l’augmentation des taxes sur les munitions : « On aime chasser ici. »
Les habitants donnent l’impression d’être dans une posture de résistance, celle d’une Amérique « qui a vécu pendant des décennies autour du textile, qui avait un job décent, un niveau de vie décent, qui constate que ce n’est plus là, qui tente de conserver ce qu’elle peut conserver », comme le raconte une journaliste locale souhaitant rester anonyme, installée dans un café de la ville de Rome, également représentée par Tom Graves. « Ici, la population vote républicain, un point c’est tout, ajoute-t-elle. La seule variable, c’est le style de candidat : plus ou moins conservateur, plus ou moins extrémiste. »
« Comme nous sommes en terre républicaine, tout se passe pendant les élections primaires du parti plutôt que pendant l’élection générale. Sauf que les primaires sont très peu suivies (dans ce district, à peine la moitié des inscrits se sont déplacés en 2012 - ndlr). L’élection se retrouve donc entre les mains des électeurs les plus excités », nous explique encore Charlie Harper, ancien consultant de candidats républicains, fondateur d’un site sur la politique locale, Peach Pundit (l’un des surnoms de la Géorgie étant « l’État de la pêche »). Et depuis 2010, il s’avère que les électeurs républicains les plus passionnés sont ceux ayant donné naissance au mouvement citoyen Tea Party, en Géorgie comme ailleurs.
« C’est une nouvelle forme d’ultra-conservatisme et ce n’est pas la première fois que ce courant prend le dessus dans l’État, comme s’il ne demandait qu’à être réveillé », glisse Charlie Harper, persuadé que la crise économique mais aussi les médias « d’opinion » de plus en plus influents, préférant prendre position plutôt qu’exposer des faits, telle la chaîne Fox News chez les républicains, favorisent cette résurgence.
Nous partons donc à la rencontre de militants de l’association Georgia Tea Party de Marietta. Cette agglomération, entre banlieue et zone rurbaine, située à une demi-heure d’Atlanta, est à cheval sur deux circonscriptions appartenant à des élus « Tea Party », Tom Price et Phil Gingrey. Les piliers du groupe sont Jim Jess, J. D. Vank et Mark Lane, la quarantaine, de petits entrepreneurs locaux travaillant dans l’édition, les assurances, l’immobilier, avec une expérience du militantisme de jeunesse au GOP. Ils ont lancé le Georgia Tea Party juste après l’investiture de Barack Obama, en janvier 2009.