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Réseau des Démocrates

Ces matières que les profs ont du mal à enseigner

 

Écrit par Ilyess   
Jeudi, 27 Décembre 2012 22:45

Croisades, Shoah, colonisation, sexualité, darwinisme… les enseignants se plaignent de plus en plus de leurs difficultés à traiter de certains sujets devenus « sensibles » du fait notamment des pressions religieuses venues des élèves et de leurs parents.

« Madame, je n’ai pas le droit d’écrire “Yahvé”. Comment je fais pour le contrôle? » Question d’une collégienne à sa professeur d’histoire-géographie dans un établissement de l’Essonne. «Dans une classe de troisième, certains élèves en sont venus aux mains lors d’un cours sur la décolonisation», poursuit l’enseignante.

D’ordre religieux ou identitaire, il est des questions qui fâchent à l’école. Et embarrassent les professeurs au quotidien. Le sujet est cher à Vincent Peillon. Drapé de sa foi laïque, le ministre de l’Éducation le répète à l’envi: il ne tolérera aucune entorse à la laïcité. Le 22 novembre, en ouverture du Salon de l’éducation, il évoquait encore ces «professeurs qui ne peuvent enseigner certaines matières librement». Tout en précisant quelques jours plus tard que les programmes des fameux cours de morale laïque ne seraient pas définis avant la rentrée 2015…

Parmi les disciplines concernées, l’histoire arrive en tête. Les Croisades, la Shoah, la guerre d’Algérie, l’histoire des religions, la colonisation, l’immigration, les événements du Proche-Orient… Intrinsèquement, la discipline cumule, de l’école primaire à la terminale, les sujets «sensibles».

 

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«Tout ce qui touche à l’identité des élèves peut devenir un sujet chaud. Et comme les ados sont en recherche d’identité…» Antoine Tresgots, délégué national au syndicat Unsa, est professeur d’histoire-géographie dans un lycée près de Montargis (Loiret). Il a en tête la réaction brutale de cette jeune fille noire, qui, lors d’un cours sur l’esclavage, choisit d’utiliser le pronom «nous» pour désigner les esclaves et «vous» pour les esclavagistes. «Certains sujets exigent un travail d’objectivation, de mise à distance. D’autres en revanche sont non négociables. Des remarques telles que “les musulmans croient que…” ou “Jésus, ce n’est pas possible parce que…» n’ont rien à faire dans ma classe.» Quant au refus de certains parents de voir leur enfant apprendre une leçon sur l’islam, il ne peut que le juger «absurde».

«Nous ne sommes pas “empêchés” de travailler», avance prudemment Serge Lacassie, président de l’association des professeurs de biologie et géologie, avant de parler de «positions extrémistes marginales», dans sa discipline, les sciences et vie de la terre. Il faut dire qu’en «SVT», deux sujets d’importance peuvent susciter des tensions. «Les questions de sexualité, de procréation, de contraception et d’avortement sont parfois difficiles à aborder, explique-t-il. Certains garçons ont par ailleurs une vision de la femme qui n’est pas celle de la République française

Darwin contesté
Les professeurs se heurtent aussi aux oppositions suscitées par la théorie de l’évolution du naturaliste anglais Darwin. Une théorie réfutée, au nom du créationnisme, par des tenants d’un islam radical. «Comment expliquer, dans ces conditions, que la Terre a 4,6 milliards d’années. Et comment parler de roches de plus de 100 millions d’années?» interroge le professeur. Certains élèves n’ont pas hésité à rendre des copies blanches. Au-delà, Serge Lacassie déplore les incidences de ces discours extrémistes sur l’ensemble de la science: «On se méfie des sciences et des experts.»

«Il faut imposer la différence entre les faits scientifiques et les croyances personnelles», martèle de son côté Valérie Sipahimalani, professeur de SVT au lycée Jules-Ferry dans le IXe arrondissement parisien. Elle décrit des cas d’élèves placés «en situation de conflit de loyauté». «Il est nécessaire d’enseigner la démarche scientifique qui se situe à la croisée de la science et de la philosophie. Dans le fait scientifique, il n’y a rien à croire, mais tout à démontrer», ajoute-t-elle. Confrontée à «des réactions à brûle-pourpoint» telles que «l’homme n’est pas un animal puisque c’est une créature de Dieu», elle préfère que les élèves «disent».

«La théorie de l’évolution, unificatrice de la biologie, est entrée dans les programmes du lycée depuis 2001. Et de ce point de vue, la France est un des pays les plus avancés», avance cependant la professeur. Tradition laïque oblige. Et il suffit de regarder ailleurs pour s’en persuader. Aux États-Unis, berceau du créationnisme, où se sont développées au début des années 1990 les thèses de l’«Intelligent Design» (dessein intelligent), la théorie de l’évolution est régulièrement mise à mal dans les écoles dont les conseils d’administration, élus, peuvent modifier les programmes. Et ce, alors même que la Cour suprême a tranché sur le sujet en 1987. L’Europe aussi subit les assauts de ces thèses. En 2007, dans de nombreux pays, collèges, lycées et universités avaient ainsi reçu L’Atlas de la création, ouvrage imprimé en Turquie prétendant démontrer que l’évolution n’était pas une doctrine, mais de la propagande antireligieuse. Confrontés à des cas d’écoles ayant mis le créationnisme au programme de biologie, en Allemagne, en Pologne ou en Russie, le Conseil de l’Europe a publié en juin 2007 un rapport sur «les dangers du créationnisme dans l’éducation».

Mais comment, dans leurs classes, les professeurs font-ils face à ces fins de non-recevoir? En 2004, un rapport de l’Inspection générale de l’éducation nationale s’est intéressé au problème. À noter au passage que parmi les inspecteurs généraux ayant participé à ce rapport, figure un dénommé Jean-Paul Delahaye, conseiller spécial du ministre de l’Éducation nationale tout juste promu, le 21 novembre, à la Direction générale de l’enseignement scolaire (Dgesco). Les conclusions de ce rapport devraient donc inspirer son action à la tête de l’instance chargée, entre autres, d’élaborer les programmes.

Face aux difficultés, certains enseignants pratiquent «une autocensure préventive», explique le rapport. En histoire, il relève le cas d’un professeur faisant cours, coran sur le bureau, afin d’y recourir dès que des contestations se manifestent. En biologie, des enseignants avouent ne plus aborder la reproduction avec «les classes difficiles». Et certaines jeunes recrues expliquent «candidement» présenter la science «comme une croyance comme les autres». Mais il y a aussi «les plus aguerris», parmi lesquels certains ont le sentiment de livrer «un combat contre l’obscurantisme», tandis que d’autres regrettent de devoir consacrer autant de temps à la défense de la laïcité, «aux dépens de l’enseignement».

«Une gestion quotidienne du fait religieux dans les établissements»
Professeur d’histoire-géographie à Rouen (Seine-Maritime), Anthony Lozac’h fait partie de ces aguerris, qui connaissent les ressorts du sujet et peuvent en jouer de manière pédagogique. Lorsqu’en éducation civique, il a choisi de poser la question: «peut-on caricaturer Mahomet?», le débat a été «vif», mais il a eu le sentiment de remplir sa «mission éducative». «Nous sommes sur une corde raide. Il ne faut pas tomber dans la complaisance ou céder à des opinions liberticides. Il faut faire vivre nos valeurs démocratiques, notamment par l’exercice du débat, qui ne s’improvise pas», conclut-il.

Enfin, si l’histoire, l’éducation civique et la biologie sont les premières matières à faire les frais du fait religieux, aucune discipline n’y échappe, comme le décrit le rapport de l’Éducation nationale. En littérature, Voltaire est enterré, Madame Bovary répudiée, tandis qu’Harry Potter lui-même est accusé de satanisme par une mère évangélique.

Conjugué à une institution scolaire dont la légitimité n’est plus si évidente, le sujet se pose avec d’autant plus d’acuité. L’école est moins protégée, les parents plus intrusifs. Un fait qui dépasse les disciplines et la salle de classe. Valérie Sipahimalani parle ainsi de «gestion quotidienne du fait religieux». «Dans les établissements publics, je constate qu’élèves et parents adoptent souvent des positions confessionnelles», explique-t-elle, évoquant des refus de voyages scolaires pour cause de jour de Shabbat, de voile interdit ou de transfusion sanguine impossible chez les Témoins de Jéhovah. Et l’école primaire aussi est concernée. «Ils ont de la chance les musulmans, ils ne mangent pas de porc»… Une remarque d’écolier de CE2 qui en dit long à la fois sur la qualité de la restauration scolaire et sur les débats dans la cour de récréation. Quant à l’histoire de cet enfant de 10 ans brandissant avec fierté sa copie en proclamant: «J’ai eu une meilleure note que mes copains musulmans à mon contrôle sur l’islam!», elle illustre amplement cette confusion des genres entre croyances et enseignement.

Source : Le Figaro

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