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Bertrand Badie. professeur à Sciences po de Paris «Le bilan des interventions est extrêmement négatif»

 

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le 03.09.13 | 10h00 Réagissez

«L’intervention est un mode d’action qui ne fonctionne décidément pas. Il n’a pas fonctionné dans l’affaire irakienne, afghane, en Somalie. Il n’a pas fonctionné bien évidemment dans le conflit israélo-palestinien», rappelle Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales. Se passer de l’ONU traduit «une incroyable marginalisation du multilatéralisme et de l’ONU en particulier», juge-t-il.

- L’intervention militaire contre la Syrie est-elle devenue irréversible malgré le scepticisme qui gagne des pays occidentaux et surtout les opinions publiques ?

La plupart des dirigeants occidentaux sont prisonniers des engagements qu’ils ont annoncés et de manière très forte et tout à fait définitive. L’essentiel du débat aujourd’hui, paradoxalement, ne porte plus sur la Syrie, mais sur la crédibilité de la diplomatie occidentale. Le principal souci est de ne pas apparaître comme incohérent dans les choix qui ont été faits il y a déjà un an.
C’est le principal souci d'Obama et c’est en train de devenir celui des dirigeants français. La défection de la Grande-Bretagne et les atermoiements des Etats-Unis posent de graves problèmes aux responsables français qui d’une part craignent d’être isolés même dans le camp occidental, et d’autre part  d’apparaître encore plus comme manquant aux engagements annoncés.
Donc, je crois que la probabilité reste très forte, mais il faut voir cependant ce que le Congrès américain va décider, et il n’est  absolument pas certain qu'il suive le président, c’est probable, mais cela n’est pas sûr. Si le Congrès ne suit pas le président  des Etats-Unis, la France ne pourra pas agir toute seule.  

 

- En cas d’une intervention, quelles seraient les conséquences non seulement sur la Syrie, mais sur toute la région ?

D’abord, le terme d’intervention militaire n’est pas vraiment approprié. Là on parle seulement de frappes. Intervenir, cela veut dire modifier la donne sur le terrain ; or ce qui est tout à fait nouveau et inédit dans la chronique des relations internationales c’est que pour la première fois les puissances occidentales veulent agir mais disent de manière explicite et forte qu’elles ne cherchent pas à renverser le régime.
Donc ce n’est pas vraiment une intervention, c’est une frappe qui est présentée plutôt comme une punition que comme une solution à la guerre. Je ne pense pas qu’en cas de frappe les choses vont changer de manière radicale. Ce que je crains en revanche, si ces frappes sont fortes et spectaculaires comme on nous l’annonce, le régime syrien se radicalisera davantage, ou plus exactement à l’intérieur du régime, les éléments les plus radicaux finissent par l’emporter sur les modérés.
Le grand paradoxe, cette action est faite dans l’idée de protéger une population mais aussi celle de punir. Punir et protéger ce n’est pas exactement la même chose. Donc, on ne peut pas aujourd’hui concevoir cette action en termes stratégiques. Il faut davantage la concevoir en termes moraux.

 

- A ce stade des tensions diplomatiques préparant une action militaire, cela ne signifie-t-il pas l’échec des efforts diplomatiques dans la résolution de ce conflit ?

C’est très clairement un échec sur le plan politique et diplomatique. D’ailleurs, la meilleure preuve en est que celui qui est chargé par l’ONU, Lakhdar Brahimi, a exprimé les doutes qu'il avait sur ce type d'action et sur les conséquences dont elle   pourrait être  porteuse.
Depuis deux ans et de demi, il n’y a aucun progrès politique et diplomatique, ce qui d’ailleurs pose problème puisque il y a un couloir de négociation à travers la Russie et que, semble-t-il, les négociations entre les puissances occidentales et la Russie sont au point mort.

 

- Cette situation soulève la problématique de l’ordre international. Engager une action militaire contre l’assentiment des Nations unies, c’est porter un coup sérieux à la légalité internationale...

Oui. Je crois effectivement c'est ce qu’il y a de plus grave et de très préoccupant. Je voudrais juste faire trois remarques là-
dessus : d’abord, une incroyable marginalisation du multilatéralisme et de l’ONU en particulier. Le fait que les puissances aient annoncé qu’elles entendaient frapper avant même que les enquêteurs des Nations unies aient quitté la Syrie, c’est très problématique et préoccupant. De même, le fait qu’on considère que l’on puisse se passer d’une résolution du Conseil de sécurité et un mandat des Nations unies montre un affaiblissement grave et conséquent des Nations unies dans cette affaire.
Deuxième remarque : on s’aperçoit paradoxalement que l’intervention est un mode d’action qui ne fonctionne décidément pas. Il n’a pas fonctionné dans l’affaire irakienne, afghane, en Somalie. Il n’a pas fonctionné bien évidemment dans le conflit israélo-palestinien. Bref, le bilan de l’intervention et de la régulation internationale par intervention internationale est extrêmement négatif. Face à cet échec, on commence à penser que ce qui compte n’est pas tellement d’intervenir, mais de punir. Ce qui est un stade nouveau.
Et, troisième remarque, je constate qu'à mesure que s’affaiblit le multilatéralisme, les puissances occidentales sont portées de plus en plus à se reconnaître le droit de se substituer au multilatéralisme. Ce qui ne plaît pas à la Russie et la Chine, aux pays émergents et dans la plupart des pays du sud. Mais, en même temps, les opinions publiques occidentales qui sont de plus en plus hostiles et c’est probablement ce qui explique ce qui s’est passé à la chambre des Communes à Londres la semaine dernière. Le défi du gouvernement britannique à se substituer au multilatéralisme est défaillant et un refus de l’opinion publique exprimé à travers ses représentants à la Chambre des Communes pour mettre ce projet en échec.

 

- Dans l’affaire de l’utilisation des armes chimiques, le discours dominant est définitif quant à l’origine et aux auteurs, alors que les inspecteurs de l’ONU n’ont pas encore rendu leurs conclusions. Le doute est interdit. Avons-nous une preuve tangible que c’est le régime qui en est à l’origine ?

D’abord, il y a une enquête des Nations unies pour répondre à cette question. Vous savez que le jeu international est réglé par le droit et ce sont les institutions spécialisées qui peuvent seules déterminer de manière objective s'il y a eu utilisation de l’arme chimique. Bien entendu, tout le monde ne peut être qu’effrayé par l’éventualité de l’utilisation d’armes chimiques et il est tout à fait normal que des gouvernements cherchent à réagir face à ce type d’utilisation.

 

- Mais maintenant, même si comme je le pense ça sera le cas, on établit clairement et définitivement que ces armes chimiques ont été employées par le pouvoir syrien, il reste la question de savoir qui au sein du pouvoir syrien a fait usage de ces armes chimiques. S’agit-il d’une décision prise au plus au niveau, c’est-à-dire par le président, ce qui à ce moment est extrêmement grave ?

Ou s’agit-il dans le cadre d’un Etat syrien mis à mal par la guerre civile, une décision prise par les fractions les plus radicales du système syrien qui ont ainsi placé Bachar al Assad devant le fait accompli ? Ça aussi c’est un mystère. On ne peut pas réagir de la même façon si c’est un choix stratégique réalisé au plus haut niveau de l’Etat ou si c’est un coup de force réalisé à l’intérieur de cet Etat. C’est une interrogation qui commence à se développer et à laquelle nous n’avons pas une réponse extrêmement claire.  

 

Ce conflit déborde les frontières syriennes pour prendre les contours d’un conflit régional où les Etats-Unis et la Russie se disputent un espace stratégique dans cette région...

Il faut être nuancé. Nous ne sommes pas au temps de la bipolarisation et de la guerre froide où effectivement tous les conflits périphériques ont reflété une compétition entre l’URSS de l’époque et les USA. Ce qui en revanche inquiète la Russie, c'est de voir qu’à la faveur des printemps arabes, les Etats-unis essayent de se doter de nouvelles zones d’influence.
Le cas de l’intervention en Libye était de ce point de vue assez parlant. D’autre part, la Russie développe un discours souverainiste de non-intervention, du droit de chaque gouvernement d’agir comme il l'entend à l’intérieur de ses frontières. c’est un discours relativement bien porté dans le monde arabe d’aujourd’hui. Si on prend le cas de l’Egypte dont on ne peut pas dire que le régime mis en place est proche de Moscou, le général El-Sissi développe les mêmes thématiques. D’ailleurs, il a clairement pris position contre des frappes sur la Syrie. Ce qui prouve que le thème souverainiste dispose d’une certaine popularité qui aide la diplomatie russe et qui fait que celle-ci reprend pied au Proche-orient. De là à dire qu’elle reprend pied comme c'était le cas autrefois, je pense que cela est un peu excessif.

 

- Ne pensez-vous pas qu’en frappant la Syrie, c’est l’Iran qui est visé ?

Alors ce qui se dit de part et d’autre et je crois que c’est assez vrai, ce qui est derrière les frappes sur la Syrie, il y a un message adressé à l’Iran. Si effectivement on peut faire usage des armes chimiques sans réaction internationale, le régime iranien sera évidemment convaincu qu’il peut continuer dans son programme nucléaire sans risquer la moindre réaction des menaces occidentales. Derrière les menaces qui pèsent sur la Syrie, c’est très clairement  l’Iran qui est visé.

 

- Le président français s’apprête à se lancer dans une action militaire en une année de pouvoir, après celle au Mali. Comment expliquer ces ardeurs «guerrières» de François Hollande ?

La personnalité de François Hollande est peut être l’une des explications. Mais je crois surtout qu’il y a une pente dans la politique étrangère française. Déjà à la fin du mandat de Jacques Chirac, puis pendant la durée du mandat de Nicolas Sarkozy et maintenant avec le nouveau président socialiste, il y a une nouvelle politique étrangère française qui s’éloigne du code du Gaullisme qui réprouvait tout alignement a priori sur les Etats-Unis et qui cherchait davantage à regarder les intérêts propres de la France et de son rôle de puissance autonome.
Maintenant, la France qui se dessine depuis quelques années est plus atlantiste, plus proche des Etats-Unis et d’un certain point de vue  assez sensible au virus néo-conservateur. On l'a vu très nettement avec Nicolas Sarkozy, on le retrouve d’un certain point de vue dans la diplomatie de François Hollande. C’est-à-dire croyance préétablie qui dit que la force doit être utilisée à des fins de transformation du système international.
Pour favoriser les changements de régimes, pour combattre ce que l’on appelle le terrorisme. C’est un profil nouveau. Plus d'interventionniste qui frappe, alors que ni nos voisins allemands, ni maintenant nos voisins britanniques, sans parler des autres, espagnols et italiens ne sont sur cette pente.
C’est une inversion par rapport à ce que nous avons connu notamment durant la guerre d’Irak de 2003 et a fortiori dans les années qui ont précédé.

 

- Au final, comment voyez-vous l’issue de ce conflit qui dure depuis deux ans et demi au bilan sinistre de plus de 100 000 morts ?

D’abord, ce qui est effrayant c’est qu’en ce moment on parle beaucoup de la réaction à l’usage de l’arme chimique, mais on parle très peu de solution du conflit.
Donc, on ne peut pas être optimiste dans la mesure où on ne voit aucune porte de sortie aujourd’hui. La fameuse conférence de Genève II annoncée au printemps dernier est semble-t-il enterrée. Le dialogue au Conseil de sécurité ne se fait pas. Et, ce qui est particulièrement dangereux c’est qu’on voit effectivement autour des combattants syriens se constituer des coalitions régionales et internationales qui donnent à chacune des parties en cause une illusion de pouvoir l’emporter définitivement. Donc, le scénario actuel est très négatif et les chances de paix sont faibles. Je constate que le conflit syrien même s’il se régionalise, même s’il s’internationalise a essentiellement des racines à l’intérieur de la société syrienne. Ce type de conflit que nous connaissons, hélas, assez fréquent notamment au Moyen-orient et en Afrique est très dur à arrêter. Bien souvent, c’est par épuisement des combattants qu'il prend fin. Il faut être modeste et lucide, contrairement à ce qu’on croyait il y a dix ou vingt ans, ce que l’on appelle à tort d’ailleurs la communauté internationale ne dispose pas de recette miracle pour y mettre un terme.                                 

Hacen Ouali
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