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ARABIE SAOUDITE • Pour en finir avec les fatwas

En donnant la prérogative de l’interprétation des textes sacrés aux dignitaires religieux proches de lui, le pouvoir wahhabite a soulevé la colère des islamistes, sans pour autant plaire aux libéraux.

07.10.2010 | Abdelaziz Hussein Al-Soweigh | Minbar Al-Hewar

Abdulaziz Al Al-Cheikh, le grand mufti du Royaume d'Arabie saoudite.

Abdulaziz Al Al-Cheikh, le grand mufti du Royaume d'Arabie saoudite.

 

Le roi Abdallah a décidé cet été que seuls les membres du Conseil des grands oulémas auront désormais le droit d’émettre des fatwas [réponses fondées sur l’interprétation des textes religieux à des questions diverses, la plupart du temps concernant la vie quotidienne]. Depuis, des sites Internet saoudiens ont supprimé les rubriques qui y étaient consacrées et des programmes de télévision spécialisés dans ce domaine ont été annulés. Reste à savoir s’il sera possible d’appliquer effectivement cette interdiction à une époque où les chaînes satellitaires se multiplient et où Internet échappe à tout contrôle.

 

Au-delà de la simple faisabilité, le décret royal a suscité une énorme polémique, non seulement en Arabie Saoudite mais bien au-delà. Car l’impact des fatwas saoudiennes dépasse les frontières de notre pays et régit désormais d’autres sociétés musulmanes, dont elle freine le développement et le progrès. Il suffit de regarder les émissions religieuses qui passent sur les chaînes de télévision par satellite pour constater le crédit accordé aux docteurs de la foi saoudiens par le public à la recherche de normes religieuses. Cela concerne tous les domaines, tels que le statut personnel, le mariage et le divorce, l’économie ou les rapports avec l’Occident.

 

Pour illustrer cette polémique parmi les intellectuels saoudiens, nous pouvons citer par exemple Mansour Al-Al-Nougaydan [ex-islamiste devenu libéral], qui a prédit l’échec de la mesure, puisque, rappelle-t-il, “l’islam sunnite rejette les hiérarchies et l’exclusivité de l’autorité religieuse” et qui a qualifié les adeptes de la décision de “stupides” lors d’un entretien téléphonique avec la chaîne satellitaire Al-Hurra.

 

Quant à Abdallah Abou Al-Samh, éditorialiste du quotidien saoudien Okaz, il demande qu’“on ne touche pas à la liberté de recherche et d’enseignement des textes religieux”, indispensable à “la production d’interprétations modernes”. Abdallah Nasser Al-Fawzan, du quotidien Al-Watan, souligne un autre point important : “Les fatwas ne sont pas sacrées, même émanant du Conseil des grands oulémas. Personne ne pourra donc empêcher les gens d’en discuter, ni les leaders d’opinion de s’exprimer.” Cela est d’autant plus vrai que la légitimité de ce conseil n’est pas indiscutable et présente quelques faiblesses, comme le fait remarquer l’activiste islamiste Mohsen Al-Awaji, qui réclame la création d’un Conseil indépendant.

 

On dit toujours que l’une des principales différences entre notre religion et le christianisme réside dans le fait que l’islam sunnite ne connaît pas de clergé et n’accepte pas d’intermédiaires entre le croyant et le Seigneur. Or nous nous trouvons aujourd’hui, selon l’expression de l’intellectuel Ahmed Adnan, en présence d’une “patriarchisation” du mufti qui émet des fatwas. Une telle évolution ne peut s’appuyer sur aucun fondement dans l’islam. Pis, la création de la fonction officielle de mufti est une invention blâmable (bidâa) des Ottomans, motivée par des raisons politiques et administratives.

 

D’autres mettent en garde contre le risque de remplacer le Coran par des dits d’imams et de substituer à la parole de Dieu celle de tel ou tel savant religieux, ce qui ne serait rien d’autre que de l’associationnisme.

Certes, l’encadrement de la fatwa en Arabie Saoudite mettra peut-être un terme à la folle concurrence entre des muftis funambules aux positions extravagantes. Le nombre de ceux qui se sentent habilités à en émettre a explosé et certains de nos hommes de religion disputent la vedette aux starlettes du petit écran. Ils se prononcent sur tout et n’importe quoi, y compris à propos de choses dont ils ne connaissent rien, comme la médecine, la technologie… et jusqu’à la politique. Nombre de leurs contributions ne conviendraient même pas aux hommes du Moyen-Age et ils ont donné une image caricaturale de l’islam, au point qu’il est la risée du monde entier.

 

Le nombre de muftis est en constante augmentation, au point qu’on dirait que chaque Saoudien a son mufti particulier. Cela est d’autant plus paradoxal que notre société est imprégnée de religion. Les enfants ont des versets du Coran à la bouche dès leur plus tendre enfance et l’enseignement scolaire comporte assez de cours de religion pour transformer un âne en docteur de la foi. Malgré cette prégnance de la culture religieuse sur les esprits, les individus ne sont pas capables de prendre la moindre décision par eux-mêmes et ne peuvent vivre sans que quelqu’un les prenne par la main, pas seulement en matière de religion mais dans tous les domaines de la vie. Ce qui pose la question, plus fondamentale, de savoir si l’on a vraiment besoin de faire constamment appel aux fatwas pour être un bon musulman.

http://www.courrierinternational.com/article/2010/10/07/pour-en-finir-avec-les-fatwas-0

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