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12 Juin 2019
El watan le 12 Juin 2019
Par HAMID TAHRI
Vivons-nous une révolution judiciaire ? A voir les charretées d’hommes politiques, d’affaires et autres pontes parvenus et préfabriqués, qui faisaient la pluie et le beau temps, qui nous toisaient avec dédain, traînés devant les tribunaux, on est saisi d’un double sentiment : de stupéfaction et de ravissement.
Comment des hommes, considérés comme intouchables, réduits à cette humiliante posture, descendus de leur piédestal, devenus comme vous et moi justiciables, pour répondre de leurs méfaits et de leurs ignobles forfaitures aux dépens de la collectivité. Cette évolution foudroyante a bouleversé les relations et l’idée que le citoyen avait de la justice.
Elle touche dans ses fondements des hiérarchies diverses, politiques, administratives et économiques, infestées de malfrats qui ont longtemps joui de privilèges indus grâce à leur statut. Le simple citoyen, impuissant, voyait la loi pervertie et piétinée au service de cette caste de prédateurs, mais nullement indulgente pour lui et envers les faibles et les sans-grade. Mais ce qui a accentué davantage la colère des citoyens, et la répulsion de l’opinion, c’est cette impression de trahison, d’abus de confiance et de biens sociaux, qui n’est qu’un vol pur et simple de la propriété collective.
C’est pourquoi, parmi les slogans les plus scandés, celui qui revenait le plus : «Klitou l’blad ya serrakine !» (Vous avez ruiné le pays, bande de voleurs). Slogan rageant, sorti des tripes et des tréfonds, qui allie colère et indignation. Le citoyen se sent profondément floué par les filouteries de ceux qui étaient censés gérer ses affaires !
Car les dégâts moraux et matériels sont énormes. A travers leur affairisme sans nom, ceux qui se sont sucrés sur le dos du peuple ont saccagé les biens collectifs, mais aussi les valeurs et la morale. Au plus fort de leur pouvoir cynique, ces politiques ripoux, se croyant malins, ricanaient sous cape, en direction de simples citoyens, sans privilèges ni passe-droits qui vivent humblement et honnêtement, mais qui eux payent leurs impôts et sont en règle avec les institutions et avec leur conscience.
Aujourd’hui, avec tout ce qui se passe dans les prétoires et face aux juges qui les interrogent, force est de penser que les prévenus ont perdu ce qu’il y a de plus précieux chez l’homme : son honneur et sa dignité ! Cette nouvelle manière d’agir de la justice a vu s’opérer dans la conscience collective un transfert dans la revendication égalitaire, c’est-à-dire l’égalité de tous devant la loi !
C’est pourquoi la justice, qui s’est drapée de ses nouveaux atours, dans ses téméraires ardeurs, s’est offert un autre regard des citoyens, qui y voient des prémices optimistes pour le nouvel ordre qu’ils veulent bâtir. Car, ne l’oublions pas, la justice indépendante et sans interférence est un pilier de la société. Elle est comme le bâtiment, si elle va, tout va.
A ce titre, il faut qu’elle reste un service public qui, après avoir asphyxié le service du public, en le faisant souvent galérer, rende au citoyen son dû en le jugeant, en toute équité, comme le commun des mortels, y compris ceux qui ont trahi la confiance du peuple.
Et en s’éloignant surtout du pouvoir politique. Car la justice est là pour protéger un ensemble de règles, sans lesquelles toute vie collective deviendrait une jungle ! Travail ardu et de longue haleine, car les juges doivent aussi affronter, avec les seules lois, une incivilité publique qui gagne de larges couches de la société. Et qui n’est que la conséquence d’une gestion publique, calamiteuse et voulue.
Espérons que les magistrats, qui rendent d’éminents et inestimables services à la démocratie, ne se discréditent pas en sortant de leur éthique, en cédant aux pressions ou aux tentations. Mais attention, les survivances, surtout nocives, ont la peau dure.
Maintenant que les injonctions et le téléphone, nous a-t-on rassurés, ne sont plus qu’un mauvais souvenir, il faut espérer que la justice, concentré de droiture, d’équité et d’intégrité, puisse avoir les moyens de ses ambitions, car pour paraphraser Blaise Pascal, «La justice sans la force est impuissante. La force sans la justice est tyrannique.» H.T