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Politique : Mikado électoral au Maghreb

CHRONIQUE. 2019 sera une année politique charnière en Algérie, Tunisie et Libye. Ce qui se passe à Alger concerne Tunis. Et réciproquement. Enjeux d'une année éminemment tactique.
PAR NOTRE CORRESPONDANT À TUNIS, 
Publié le  - Modifié le  | Le Point Afrique
<p>Plusieurs scrutins sont attendus dans les prochains temps au Maghreb.</p>
 

Plusieurs scrutins sont attendus dans les prochains temps au Maghreb.

© ANIS MILI / AFP
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Le temps estival a vécu. On replie serviettes de plage et mode détente. La rentrée déplie son cortège d'obligations. Dans les foyers, on prépare affaires scolaires, on affronte la kyrielle de factures et on grommelle au sujet des augmentations. Dans les capitales, les gouvernants concoctent dans la douleur les lois de finances 2019. Ça coince. Il va falloir économiser, emprunter, tenter de panser les douleurs du social tout en étant rigoureux. En fil rouge, les scrutins qui vont se dérouler dans trois des cinq pays que compte la région. Présidentielle en Algérie, présidentielle et législative en Tunisie, législative en Libye. Dans les cuisines politiques, dans les arrière-cours des pouvoirs, cette rentrée est forte de sous-entendus. Et ce qui se trame à Alger concerne Tunis, tout autant que l'évolution de la jeune démocratie tunisienne intéresse fortement le pouvoir algérien. Un véritable mikado maghrébin.

Algérie : un 5e mandat pour Bouteflika

La vie politique algérienne est, en surface, un long fleuve paisible. Le président Bouteflika est aux manettes depuis quatre mandats. Il se dirige tranquillement vers le cinquième. Milieux d'affaires officiels (le patronat), partis (FLN & Co) ont multiplié les appels à une nouvelle candidature. Cela reportera de quatre ans le moment de vérité : un renouvellement des dirigeants. La génération qui dirige le pays depuis l'indépendance atteint un âge vénérable et devra, d'ici dix ans maximum, céder la place à une génération plus jeune. Les clans qui se partagent et se disputent le pouvoir ont opté pour que le président Bouteflika reste en fonction. Cela évitera un affrontement mauvais pour les affaires. Le combat clanique est reporté de quatre ans. Pendant qu'on décide dans le clair-obscur du pouvoir, la population grogne, s'impatiente. Et manifeste sa désapprobation par une abstention de plus en plus importante. Au pays d'Hibernatus Bouteflika, c'est ainsi. On regarde avec attention ce qui se passe chez le voisin tunisien ou le consensus (alliance des « progressistes » et des islamistes) en place depuis début 2015 connaît des heures tumultueuses.

Guerre des clans à Tunis

Malgré les rumeurs de report des élections, malgré la volonté de changer le mode de scrutin à un an du vote, malgré l'ambiance polaire qui règne entre Carthage (la présidence de la République) et la Kasbah (la présidence du gouvernement), tous les états-majors politiques ont, en ce mois de septembre 2018, les yeux rivés sur 2019. Depuis la fin des municipales, emportées par le parti Ennahda, on assiste à un combat fratricide sur la place publique. Le parti qui a gagné les élections de 2014, Nidaa Tounes, est en voie de désintégration. Il occupe les trois présidences : république, gouvernement et assemblée. Malgré cela, il « ne dirige plus vraiment », selon l'un de ses dirigeants. Béji Caïd Essebsi a demandé à Youssef Chahed, au début de l'été, d'aller à l'Assemblée demander la confiance. Sans réponse de la part de ce dernier. La situation est à ce point bloquée que les milieux d'affaires savent qu'il faudra attendre les élections pour que les grandes réformes économiques commencent à être mises en œuvre. Le consensus, ce mode d'emploi politique très tunisien, a du plomb dans l'aile. Chahed ne tient à la Kasbah que grâce au soutien des islamistes. S'il est impossible de savoir ce qui sortira des urnes en 2019 – hormis un Ennahda autour de 30 %, son score habituel –, ce qui intéresse au plus haut point Alger est le devenir de BCE et de cette alliance Nidaa-Ennahda. À 91 ans, BCE est en possession de ses capacités intellectuelles. À l'inverse d'un Bouteflika devenu invisible aux yeux de l'opinion depuis son AVC, Essebsi intervient dans la vie politique, manœuvre, joue son rôle. L'homme n'a pas fermé la porte à une nouvelle candidature. Pour le pouvoir algérien, si BCE venait à ne pas se représenter, cela représenterait un péril pour un Bouteflika V. Et ce consensus entre islamistes et « progressistes », qu'Alger a fini par accepter, pourrait-il perdurer ? Ce qui se joue à travers des scrutins forts différents au sein de pays forts différents, c'est la stabilité politique et sécuritaire de la région. D'autant qu'en Libye, ça barde à nouveau.

La Libye entre combats et pression occidentale

Des affrontements à Tripoli ont récemment fait plus de cinquante morts. Les législatives ardemment souhaitées par l'international, la France particulièrement, pourront-elles se tenir ? L'ouest et l'est du pays auront-ils la volonté de se dissoudre dans un parlement d'union nationale ? Si le pays a connu une relative stabilité depuis que les bastions de l'État islamique ont été occis, les antagonismes – sur fond de manne pétrolière – persistent. Et pour certains, le goût des Kalashs prime sur la légitimité démocratique. Sept ans après la chute de Kadhafi, la Libye demeure une épine dans le pied du Maghreb. Pour des raisons de sécurité. Et pour le ralentissement économique connu dans la région à cause de l'affaissement de ce petit pays (six millions d'habitants) aux richesses parfois surestimées. Des élections réussies pourraient rassurer Alger comme Tunis. Et offrir à ces deux pays un interlocuteur unique, fiable.

Trois pays, trois scrutins, un destin

La seule inconnue, majeure, sera celle des populations. En Tunisie, la dernière livraison de l'Afrobaromètres révèle que « huit Tunisiens sur dix pensent que le pays va dans la mauvaise direction ». Et la confiance en la démocratie comme mode de gouvernance a sombré. La crise économique est réelle, puissante, pesante. Idem en Algérie. Si le prix du pétrole a repris des forces, les hydrocarbures représentant 90 % des recettes de l'État, cela n'est pas suffisant pour s'offrir « la paix sociale ». L'autocratisme dominant est à bout de souffle. On dit toujours qu'il n'y aura pas d'explosion sociale à cause des cent mille morts de la décennie noire. Viendra un jour où l'argument ne tiendra plus face à un pays figé. Et les Algériens regardent avec envie ces Tunisiens qui peuvent librement voter, librement manifester. À l'heure d'Internet triomphant, tout se sait, tout traverse les frontières. Et on compare les modes de gouvernance, la corruption, les économies… C'est septembre 2018, mais c'est déjà 2019 au Maghreb. Aujourd'hui, c'est demain. 

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