A vingt ans, lorsqu'on est dans sa peau, les jours, les mois, les années ne se comptent pas, on en a tant devant soi qu'on les croque frénétiquement sans obsédantes pensées quant stock restant. Mais ce n'est pas le cas partout. Comment cela se passe-t-il en un lieu n'exhalant la vie que par les soupiraux, un lieu où l'on expire plus qu'on ne respire? Comment vit-on entre le blanc et le noir, le halal et le haram, là où l'on ne parle que d'argent, de mort et de course effrénée à la réservation des meilleures places au paradis ?
Comment vit-on enserré entre la cupidité et la démagogie, entre l'image ostentatoire des parvenus et le son docte des prosélytes, entre le vide existentiel et le trop plein d'amertume ? Il est difficile de croire qu'on puisse, à vingt ans ,se suffire de calories et de génuflexions appuyées, dans l'espoir d'un au-delà édénique.Et pourtant ! Chez nous,depuis le temps, les maîtres des lieux font la sourde oreille, Dieu aussi, à moins qu'il ne soit lassé de se faire prier avec autant de fièvre dévote.
Pour autant, et malgré tout, inlassablement nos jeunes se cherchent une issue. Elle ne vient pas, ni du banc public, ni du stade, ni du drapeau ; encore moins du minaret,malgré notre grandiloquence à vouloir le faire le plus haut qui soit. Une sempiternelle fin de non-recevoir leur est opposée, ne leur laissant d'autre choix que celui de lorgner ailleurs.
Histoire occultée, pas de projet de société.Point de projet de société pas d'avenir et sans projet d'avenir point d'espoir : tels sont les termes de l'équation !Ici, pas plus qu'autre chose, le pays ne produit de réponse au besoin d'exister. Il vit d'extras qu'il importe et d'extraction qu'il exporte, sans plus. Il se contente de remplir les panses et de laisser ruminer oubliant qu'il faut aussi faire chanter les têtes. Alors la vie ? Un long tube digestif borborygme, une zone de transit, une salle d'embarquement pour l'au-delà. Ce n'est pas un lieu jouissif, ni créatif, seulement une réserve d'angoisses pour indigènes en quête d'horizon dégagé.
Ni du sous-sol ni des cieux,nos jeunes n'auront de réponse tant qu'ils s'échinent à interroger le présent avec les soupirs du passé et le vocable d'un glossaire bancal. Quand on leur pose les questions du pourquoi et du comment : ils farfouillent dans le réduit de leur connaissance ne sachant user ni d'idées ni de mots. Plus ils les cherchent mieux ils se dérobent. Leur esprit tâtonne, leur langue atone ne les trouve pas. Et pour cause : De vocabulaire, leur dictionnaire en est sevré, les mots ont été exfiltrés par les tabous, lesquels, érigés en gardiens de temple d'une morale castratrice, régentent le débat et imposent l'omerta (chez nous certaines choses ne se disent pas quand bien même il serait salutaire d'en parler). Quant à la logique leurs cerveaux formatés en sont dépourvus.
L'école, la société, la mosquée se sont chargées de les stériliser de toute curiosité intellectuelle ou « d'altération » d'ordre artistique ou culturel. Il y a des situations où ne pas pouvoir parler d'un mal est plus grave que le mal lui-même. Lorsqu'on insiste, ils se défaussent sur le ciel, interrogeant les étoiles du bout d'un joint en guise de lorgnette. En bégayant ils vous répondent : « kima gal lakhor
», comme il a dit l'autre,
alignant des « in challah » à tous les virages.Mais les « in challah » : ce sont leurs jours enterrés sans sépulture, ingurgités par une oisiveté anthropophage, des moments qui passent de l'autre côté de la barrière en attendant qu'eux les y rejoignent.