« Ce soir, à 22 h 29, le commandant en chef de la révolution cubaine, Fidel Castro Ruz, est mort », a annoncé son frère Raul Castro, à qui Fidel, touché par l’âge et la maladie, avait transmis le pouvoir en 2006. Vêtu de l'uniforme vert olive popularisé par son frère lorsqu'il dirigeait l'île communiste, le dirigeant a lancé, reprenant les mots si souvent prononcés par le “Líder Maximo” : « Jusqu'à la victoire, toujours. » Le site du journal espagnol El País a diffusé la vidéo de l'annonce. Neuf jours de deuil national ont été décrétés.

 

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Le « père » de la révolution cubaine est mort vendredi 25 novembre, à l'âge de 90 ans. Arrivé au pouvoir en 1959, l'ancien avocat a dirigé Cuba d'une main de fer pendant près de cinq décennies et a pris une place centrale au cours de la guerre froide. Diabolisé par les États-Unis et leurs alliés, Fidel Castro n'en a pas moins été une icône populaire un peu partout dans le monde pendant des décennies, suscitant l'admiration de millions de militants et dirigeants de gauche, en Afrique et en Amérique latine notamment, où plusieurs dirigeants se revendiquent de son héritage.

 

Fidel Castro, en 1976 © Reuters/ Prensa Latina (CUBA)Fidel Castro, en 1976 © Reuters/ Prensa Latina (CUBA)

 

Le régime communiste cubain a nargué des années durant les États-Unis, symboles du capitalisme occidental et distants d'à peine 150 kilomètres. Fidel Castro a vu neuf présidents se succéder à la Maison Blanche. Malgré les efforts déployés par les États-Unis, la CIA et les anticastristes, c'est la maladie qui a fini par vaincre “El Comandante”.

Reclus, Castro n'exerçait ces dernières années plus aucune fonction, se contentant de publier dans la presse des commentaires évoquant les affaires du monde ou de rencontrer des dirigeants étrangers. Sa mort, qui aurait autrefois provoqué d'intenses interrogations sur l'avenir de l'île, ne devrait pas susciter de difficulté dans l'immédiat, tant l'assise de son frère Raul semble solide.

Fidel Castro était arrivé au pouvoir à Cuba en janvier 1959, après plusieurs mois de guérilla contre le régime de Fulgencio Batista. Charismatique et fougueux, reconnaissable à sa barbe, à son uniforme militaire et souvent un cigare à la bouche, il a pu compter en pleine guerre froide sur le soutien de l'Union soviétique et était devenu l’un des symboles de la confrontation entre les deux blocs.

Le journaliste américain Richard Eder, interrogé par le New York Times, raconte ici en anglais sa rencontre avec Castro, en 1964 :

 

 

Célèbre pour ses discours enflammés pouvant durer des heures, l'infatigable Castro a mené tambour battant une révolution qui a inspiré des mouvements gauchistes à travers le monde. « Le socialisme ou la mort » : voilà ce qu'il opposait encore, au début des années 1990, à l'effondrement du communisme en Europe de l'Est.


Puissance non alignée 

Officiellement né dans le village de Biran, près de Mayari, dans l'est de Cuba, le 13 août 1926 – certains biographes situent sa naissance un an plus tôt –, Castro est le fils d'un immigré espagnol ayant fait fortune dans la culture de la canne à sucre. Après une scolarité catholique chez les jésuites, il étudie le droit à La Havane, où il prend part à une vie politique parfois violente. Il s'engage rapidement dans des activités clandestines visant au renversement de la dictature de droite de Fulgencio Batista. En 1953, l'attaque de La Moncada, une caserne de l'armée cubaine à Santiago de Cuba, lui vaut d'être condamné à trente ans de prison. Bénéficiant d'une amnistie, il est libéré dès 1955 et gagne le Mexique, où il prépare l'invasion de l'île avec d'autres exilés cubains.

En décembre 1956, Castro et 81 compagnons d'armes regagnent l'île à bord du bateau leGranma. Le débarquement tourne à la catastrophe. Seuls douze barbudos, dont Castro, son frère et Ernesto “Che” Guevara, parviennent à gagner le maquis de la Sierra Maestra. Ils n'ont en tout et pour tout que sept fusils. Mais ils parviennent à rassembler autour d'eux les mécontents. En 1958, les rebelles repassent à l'offensive – cette fois avec succès. Le 1er janvier 1959, Batista quitte précipitamment Cuba et un gouvernement provisoire est formé où Castro, à l'âge de 32 ans, devient chef des forces armées, puis premier ministre.

Une fois arrivé au pouvoir, il entreprend de faire de Cuba une puissance non alignée. Son projet : une révolution politique, économique et sociale. Par ses choix radicaux, il s'aliène Washington, qui suspend en 1961 ses relations diplomatiques avec La Havane. Naturellement, Castro se tourne vers Moscou. Il autorise en octobre 1962 l'installation sur son sol de missiles soviétiques. La confrontation qui s'ensuit avec les États-Unis, alors dirigés par John Kennedy, conduit le monde au bord d'un conflit mondial.

L'annonce de la mort de Fidel Castro a été accueillie dans la liesse par un millier de Cubains de Miami aux cris de « Cuba libre! », « liberté, liberté! », accompagnés de champagne, de selfies et de chants avec des concerts de tambours et de casseroles. 


État policier

Washington imposera alors à l'île un strict embargo économique, qui dure encore aujourd'hui. Dès le début, l'aversion des Américains pour ce régime si opposé à leurs conceptions politiques les conduit à comploter contre Castro. En 1961, plus d'un millier d'exilés cubains entraînés par la CIA débarquent dans la baie des Cochons. L'opération est un échec cuisant, mais les services secrets continuent de réfléchir à des moyens – plus ou moins sérieux – de l'éliminer. Un rapport spécial du Sénat américain, en 1975, révèle que les services secrets américains ont envisagé un temps de verser dans ses chaussures un produit chimique qui déclencherait la chute de sa barbe, ce qui aurait grandement entamé son charisme. Parmi les autres subterfuges envisagés : lui faire livrer des cigares empoisonnés, ou placer un coquillage bourré d'explosifs sur son lieu de plongée habituel. Castro affirme avoir survécu à 600 projets d'assassinat ourdis par la CIA ou les nombreux exilés cubains réfugiés aux États-Unis.

Castro, orateur hors pair, a inspiré les mouvements de gauche dans le monde entier et plusieurs dirigeants latino-américains, Evo Morales en Bolivie et Hugo Chavez au Venezuela, par exemple, qu'il présentait comme ses héritiers. En envoyant près de 20 000 médecins cubains soigner les plus pauvres, d'abord au Venezuela, puis jusqu'au Pakistan, en Indonésie et au Timor oriental, le dirigeant cubain a su se créer des alliés fidèles. Pour la jeunesse altermondialiste, Castro et le “Che”, mort en 1967 en Bolivie, sont devenus des icônes de la révolution.

 

 

Assumant à la fois les fonctions de dirigeant du Parti communiste et de président, le Líder Maximo a conduit le pays d'une main de fer. Malgré les difficultés économiques dans les années 1990, il a refusé toute concession au capitalisme, malgré l'effondrement du bloc soviétique. Il est accusé d'avoir soumis les onze millions de Cubains à la pauvreté collective dans un État policier, les privant de toute liberté politique. Il y a moins d'un an encore, Amnesty international dénonçait la répression contre les opposants, toujours en vigueur. Selon le dernier classement de Reporters sans frontières, Cuba est à la 171e place sur 180 concernant la liberté de la presse.

Avant de se retirer, Fidel Castro avait tenté de répondre aux insuffisances les plus criantes du régime – logements délabrés, transports publics insuffisants, coupures d'électricité, corruption –, tout en refusant de laisser s'exprimer ses détracteurs. L'argent et le pétrole à bas coût fournis par son ami vénézuélien Hugo Chavez, ainsi que les prêts chinois avaient un moment permis au régime cubain de garder la tête hors de l'eau.

Depuis le passage du témoin à son frère, après une lourde opération à l'intestin en 2006, il publiait des chroniques dans la presse cubaine mais apparaissait très rarement en public. Pour le “Comandante” affaibli, le survêtement avait remplacé le treillis militaire. Si Raul Castro a toujours glorifié son frère et son œuvre, il a parallèlement travaillé à ouvrir l'île communiste par une politique de petits pas, introduisant des réformes économiques et, surtout, en rétablissant les relations diplomatiques avec Washington en 2014.

Fidel Castro était resté discret sur le rapprochement opéré par son frère, et il n'avait pas rencontré Barack Obama lorsque ce dernier s'est rendu à Cuba en mars dernier, une première pour un président américain depuis 1928. Il a en revanche dénoncé quelques semaines plus tard l'attitude « mielleuse » de Barack Obama, rappelant aux Cubains les efforts déployés des décennies durant par les États-Unis pour renverser le régime de La Havane. Le corps de l'ancien dirigeant sera incinéré ce samedi, conformément à ses vœux.

Hommages internationaux

François Hollande, qui l’avait rencontré le 11 mai 2015, lors de la première visite d’un chef d’État français à Cuba depuis la révolution, a salué « une figure du XXe siècle ». « Il avait incarné la révolution cubaine, dans les espoirs qu’elle avait suscités puis dans les désillusions qu’elle avait provoquées. Acteur de la guerre froide, il correspondait à une époque qui s’était achevée avec l’effondrement de l’Union soviétique, a déclaré le président de la République dans un communiqué. La France qui dénonçait les atteintes aux droits de l’homme avait toujours contesté l’embargo imposé par les États-Unis à Cuba. Elle s’était félicitée de son ouverture et du dialogue qui s’était rétabli entre les deux pays. » En Espagne, Mariano Rajoy, récemment reconduit à la tête du gouvernement, a déclaré que Castro avait « une stature historique » etle premier ministre belge Charles Michel a estimé que la mort de Castro mettait « un terme définitif à la Guerre froide qui a tant divisé les populations au siècle dernier ». « Le monde a perdu un homme qui était un héros pour beaucoup », a souligné Jean-Claude Juncker, le président de la commission européenne.

De son côté, le président socialiste du Venezuela Nicolás Maduro a appelé à « poursuivre l'héritage » de Fidel Castro, rappelant la relation étroite qui unit les deux pays. « Tous les révolutionnaires du monde, nous devons poursuivre son héritage et sa bannière d'indépendance, de socialisme, de patrie humaine », a déclaré Maduro sur Twitter. Le président du Mexique, Enrique Peña Nieto, a quant à lui écrit : « Je pleure la mort de Fidel Castro Ruz, chef de file de la Révolution cubaine et figure emblématique du XXesiècle. »

Dans un message lu à la télévision, le président chinois, Xi Jinping, assure que Fidel Castro « vivra éternellement ». « Cet homme d'État émérite est à juste titre considéré comme le symbole d'une époque de l'Histoire moderne du monde », a déclaré Vladimir Poutine dans un message adressé à Raul Castro, ajoutant que Fidel Castro « était un ami sincère et fiable de la Russie ». L'ex-dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev, dernier président de l’URSS, lui a également rendu hommage, estimant selon l'agence Interfax qu'il avait « résisté et a fortifié son pays au cours du blocus américain le plus dur, quand il y avait une pression monumentale sur lui », menant « son pays sur la voie du développement indépendant ».