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Réseau des Démocrates

Salah Chorfi, ex-condamné à mort, ingénieur, chercheur en histoire Sétif, les Beaumettes et la corruption (déjà) !

 

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le 31.10.13 | 10h00

| © Souhil. B.
 

«Quand on a tout perdu, quand on n’a pas d’espoir, la vie est un opprobre et la mort un devoir.»
                                                              Voltaire


Salah passe son chemin sans faire de bruit. Il a des choses à dire, mais ce n’est pas une grande gueule. Il trimballe sa gentillesse à la rencontre de gens susceptibles de l’aider à boucler son enquête sur ses camarades du FLN, condamnés à mort, comme lui, dans la guerre d’Algérie. 

 

Il peut vous montrer à profusion les documents qu’il a collectés, les photos qu’il a récupérées et les écrits relatant «cette terrible période où la  mort vous interpelle à chaque instant». Ordonné comme un écolier studieux, il confie : «Ça m’a pris du temps pour faire ce travail, mais il ne fallait surtout pas se décourager», murmure-t-il.

Cet homme discret, derrière ses lunettes, a eu un parcours atypique.  Résistant, il a fait le coup de feu à Sétif, vécu les moments douloureux de la guerre, s’est fait arrêter et condamner à mort. Sa peine a été commuée en prison à perpétuité. L’indépendance arrachée, «alors que certains rivalisaient de cupidité et de rapine en partant à l’assaut des villas laissées par les colons, moi j’ai décidé en toute conscience de reprendre mes études. J’ai posé mon sac sur les bancs de l’école. A force d’abnégation, j’ai gravi les échelons pour devenir ingénieur en servant mon pays d’une autre manière», lâche-t-il, non sans fierté.

Salah s’en est allé écrire sur l’histoire parce qu’il a ressenti de la déception et de la fâcherie par rapport aux occultations coupables du pouvoir, peu en phase avec l’Histoire, «jetée aux oubliettes, si elle n’est pas carrément travestie». Mais comme disait Mohamed Dib, «la mémoire du peuple est la bibliothèque nationale de l’Algérie». La grève de la faim lancée par les anciens condamnés à mort, lundi à Alger, irrite encore davantage notre interlocuteur. Salah grimace, et on ne sait si cette moue est de dépit ou de moquerie. 

 

L’histoire occultée


Nous osons la première question : à quoi pense un condamné dans le couloir de la mort ? «Il pourrait avoir une pensée pour ses proches, pour la vie qui aurait pu être meilleure et pour laquelle il se bat mais c’est un sentiment diffus, indicible et que seule la foi peut surmonter.» Salah est né le 13 juin 1933 à Sétif, au quartier de la gare. Il y a fait ses études jusqu’au CEP obtenu en 1948. Il intégra la formation professionnelle en visant un CAP de menuisier. Il exerçait comme ébéniste, chez un corse du nom de Baldachino, «qui faisait les meilleurs meubles de tout l’Est algérien.» Puis chez Albera, un espagnol spécialisé dans la menuiserie des portes et fenêtres. Enfin, Salah s’est vu embaucher en tant qu’agent d’entretien au collège technique. En 1950, il est à Tizi Ouzou pour un stage de menuisier à Oued Aïssi. «On a constitué une cellule du MTLD avec l’aide d’un maquisard de renom issu de Béni Yenni. Il s’agit de Moh Touil Hamouche, vieux briscard de la lutte qu’il avait entamée au lendemain des massacres de Mai 1945 avec Krim, Ouamrane et les autres…».

 

En 1952, Salah rentre à Sétif où il contacte l’organisation, à sa tête Saïd Boukherissa : «On faisait des réunions hebdomadaires. La scission survenue au sein du Parti en 1953 désarçonne tout le monde. Maïza Salah, ex-Caïd membre du comité central ne nous avait pas informés. C’est par le truchement d’un émigré sétifien rentré au bled qu’on a su l’éclatement entre messalistes et centralistes. On était divisés et sans contact. On avait entendu parler du Crua et de la fameuse liste des 22.» «Il y avait un 23e qui était prévu, Mohamed Maïza de Sétif ; Boudiaf en a parlé dans son ouvrage, je ne sais pas pourquoi il n’a pas rejoint le groupe. Nous le lui avons reproché à l’indépendance. Ce qui est sûr, c’est que lors du déclenchement Sétif n’a pas bougé ou du moins a mis du temps pour le faire. Boukherissa et Maïza étaient emprisonnés à la Coudia de Constantine avec Benboulaïd. Dès leur libération, les deux premiers lancèrent des actions à Sétif. Le premier attentat eut lieu en 1956 contre un traître du nom de Dif Mohamed qui, malgré les mises en garde n’a cessé de faire du tort aux populations. La deuxième action se déroula au bar d’Yvonne à Sétif où j’ai jeté une grenade qui a fait des dégâts. Et puis, il y avait un certain Rendou en face du théâtre qui venait nous narguer le soir en fumant alors que le FLN l’avait interdit, décrétant de couper le nez aux contrevenants. Je l’ai épié devant le monument aux morts de Sétif, et le moment venu je l’ai attaqué en le balafrant. On était aux aguets dans l’attente d’une intervention pour anihiler le maquis MNA à Lafayette, mais c’est surtout l’affaire du garage de Lakhdar Benmekki qui eut une grande résonance — le garage avait été racheté par le maréchal Juin dont la famille résidait à Annaba ; Juin lui-même était né à la Coquette en 1888. On avait reçu l’ordre de brûler le garage. Nous avons été 4 fidayine désignés pour cette opération. Mais, au cours de l’action, l’un de nous, Rabah Zeghouane, avait été arrêté et a subi des tortures. Il a fini par avouer et me coller l’affaire de Dif.

 

Sétif la  martyre


«Nous avons été arrêtés, Zaghouane Rabah, Dehaba Abdelhamid et moi-même, alors que Allaoua Zerrouki qui avait réussi à s’enfuir avait été condamné par contumace. Lors de la confrontation, Rabah qui avait donné mon nom m’avait craché au visage en éructant. ‘‘Ce n’est pas des pouilleux comme vous qui vont pouvoir sortir la France !’’ Dieu merci, il s’en est arrêté là et le fait de ne pas m’avoir dénoncé dans l’affaire du garage suffisait à me redonner vie, à reprendre mes esprits, à renouer avec le fil de la vie.  Nous avons été transférés à la prison militaire de Constantine le 25 septembre 1956. Le tribunal militaire nous a condamnés à mort. Déjà, le 2 février 1957,  il y eut 4 exécutions : Terfaïa Med Salah, Laoubi Saïd, Benmohamed Hamid et Merabet Mohamed.  Ma peine a été commuée en prison à vie. On nous a emmenés à Lambeze durant l’année 1957. Nous y avons enregistré 7 décès au sein de la prison à cause de la faim et de la soif.

On vivait dans des conditions inhumaines. C’est là que j’ai rencontré Zoubir Bouadjadj, Georges Arbib, Daniel Timsit, Merzougui Mohamed, Moh Touil et le a’lem Belkacem el Baïdhaoui. Les Européens qui ont contribué à la Révolutiion étaient tous de la gauche et ont été très utiles, chacun dans son domaine. Arbib Georges nous prodiguait un enseignement en nous promettant de faire de nous des ingénieurs ! 

Rien que ça ! On n’y croyait pas trop, mais il nous avait transmis cette volonté qui ne nous quittera plus et qui fera de nous, une décade plus tard, des gars instruits et moi un ingénieur ! Après Lambeze, Salah est transféré à El Harrach où il séjourne un mois avant d’être envoyé à la fameuse prison des Beaumettes à Marseille, où son séjour sera plus long. Trois ans au total. Il y avait 200 condamnés à mort, dont Souiyah Lahouari, membre du comité central du PPA/MTLD. En prison, on a pu avec l’accord de l’administration créer 4 classes avec des ‘‘enseignants’’ valeureux comme Ahmed Akache, secrétaire général du PCA, Abdelkader Guerroudj qui n’a pas oublié cette période.» Il témoigne : «J’étais le responsable des cours. Il y en avait pour tous les goûts.

Les émigrés qui ne maîtrisaient rien, analphabètes pour la majorité, avaient appris l’arabe et pouvaient après un certain temps écrire des lettres dans cette langue à leurs proches. C’était fabuleux de pouvoir communiquer pour quelqu’un promis à un triste sort ! Salah m’aidait dans cette entreprise. Vous savez, un condamné à mort ne pense pas à grand chose, sinon à l’attitude qu’il doit avoir face à la guillotine coloniale. Cela m’est arrivé. Quand on est venu chercher Taleb Abderrahmane qui était dans la même cellule que moi, quel était son ultime mot : ‘‘prépare-toi, ce sera bientôt ton tour !’’ Moi, j’étais déjà préparé. Mourir pour mourir, autant mourir dignement et courageusement.» «En prison, un jour ils ont ramené le professeur Max Minera qui enseignait à La Casbah et qui avait osé revendiquer l’indépendance pour les Algériens. Il avait écopé de 2 ans, mais on l’a mis avec les droits communs. Guerroudj avait exigé pour lui le statut de prisonnier politique. Il était dans ma cellule avec le Dr Daniel Timsit.

 

Ainsi, les trois religions monothéistes étaient réunies dans le même cachot pour le même idéal. N’est-ce pas beau tout ça ! A la prison d’Angers, Guerroudj et Akkache avaient préparé notre évasion. Il y avait Ferhat Belamane, Sadek Keramane et les deux premiers cités. La tentative échoua à la dernière minute. Du bâtiment qui faisait face au bloc pénitentiaire l’alerte avait été donnée et on avait été arrêtés, à l’exception de Ahmed Akkache qui trouva refuge dans une église limitrophe où il a séjourné durant 15 jours à l’abri de tout danger. Quelque temps après, il nous envoya une lettre de Bulgarie qu’il a réussi à rallier. Il était sauvé !»

A l’indépendance, Salah et ses camarades sont libérés. «J’ai tout de suite repris mes études de dessinateur à l’hydraulique de Sétif». Il est technicien supérieur des travaux publics après un stage effectué à Hussein Dey. «Sur les 500 candidats, je m’étais classé 25e. C’était une performance pour moi et l’obtention  du diplôme a été une grande joie, car jeune marié. J’avais des difficultés de transport et d’argent. Sous la direction de M. Ali Yahia Abdenour, alors ministre des Travaux publics, des ingénieurs d’Etat de l’école de Paris étaient venus à l’institut pour quelques jours. Ils avaient procédé à une sélection pour choisir des candidats à l’ingéniorat et j’étais dans le tas. 5 années d’études. J’en avais souffert, d’autant que je faisais en parallèle des cours du soir en économie politique et en urbanisme. J’ai pu grâce à mon assiduité et à ma détermination dérocher le diplôme d’ingénieur d’Etat remis par le ministre Lamine Khene en1969.»

 

Salah a été désigné à l’hôtel Aurassi où il a exercé quelques mois.  L’hôtel Aurassi a été sans doute l’un des premiers scandales post-indépendance. Ce sont les Egyptiens, avec l’architecte Mustapha Moussa, «un grand monsieur», qui avaient réalisé l’ouvrage entamé en 1964. Au coup d’Etat de 1965, Boumediène les a renvoyés en propageant l’idée que le site n’était pas adéquat. «J’ai assuré le suivi par la suite. on a fait des forages de 34 mètres de profondeur et on n’a pas décelé la moindre goutte d’eau. Contrairement à ce qui a été dit, le terrain ne présentait aucun danger. Les matériaux étaient propices à la construction. Le béton armé était bon. C’est le CTC français qui avait fait les contrôles d’usage. Les Egyptiens avaient projeté 23 étages, mais on avait traité par la suite avec l’Italien Moretti qui a revu l’envergure nettement à la baisse ! Seulement 9 étages. Malgré toutes ces précautions, on a refait les travaux en gaspillant énormément d’argent. Il y avait 23 ascenseurs prévus. Le marché avait été signé avec Otis Londres. Lorsqu’une délégation est partie là-bas dans le cadre du suivi, elle n’a trouvé que du vent. Point d’Otis. Le ministre du Tourisme de l’époque, à la réception de l’ouvrage, s’était élevé contre la conception des portes. Il les voulait coulissantes. On a tout refait. 500 chambres, on a touché à tous les corps d’Etat : menuiserie, plomberie, peinture, électricité. Il a fallu tout refaire. Vous vous imaginez le gaspillage ! Quelques mois plus tard, le même ministre nous dit de revenir à l’ancien système. Comment appelez-vous ces attitudes ? Sinon qu’elles sont irresponsables.»

La baraka de Sidi El Kheir

«Le budget de l’Etat, déjà très maigre, en avait pris un sérieux coup. Ce n’est qu’en 1970 qu’on a reçu définitivement les clefs. Vous voyez, les bourgeons de la corruption fleurissaient déjà…» Après des recherches fastidieuses sur l’exécution des algériens, Salah en est arrivé à ce résultat : il y a eu 212 condamnés à mort, dont 141 exécutés à Alger, Constantine et Oran. L’avocat d’Yveton (exécuté), Me Smaga, nous a ramené la liste de Marseille où se trouve le musée du sinistre Meyssonnier, responsable des exécutions. Il s’avère que 21 ont été exécutés par la guillotine à Paris, Lyon et Dijon, 4 ont été brûlés vifs à Oran par le général Jouhaud, complice du général Salan. Quatre condamnés à mort sont décédés à l’hôpital ou en clinique à Oran (2) à El Harrach (1) et en France (1). 42 condamnés à mort ont été fusillés.

Salah détient toutes ces informations dans un précieux document où figurent les noms des suppliciés avec leurs photos. Les  «rescapés», note M. Salah, ont connu des fortunes diverses après l’indépendance. Sur les 831 enregistrés officiellement, il en reste plus de la moitié. M. Salah ne s’explique pas l’agitation ces derniers jours de certains d’entre eux qui ont observé une grève de la faim pour, selon le président de l’association des anciens condamnés à mort, «revendiquer notre réhabilitation et réclamer un minimum de considération de la part des autorités». M. Salah, sans trop s’étaler, se dissocie de cette action en implorant le saint Sidi El Khier d’apaiser les cœurs et d’estomper les rancœurs.

Parcours :

Naissance le 13 juin 1933 à Sétif. Etudes dans cette ville. CEP et CAP. Milite au MTLD et rejoint le FLN dès le déclenchement de la lutte à Sétif. Jaloux de sa ville, Salah rappellera que Sétif a été une ville martyre en mai 1945 et que Saal Bouzid, le premier chahid, en est le symbole. Sétif a été aussi le terreau fertile d’hommes valeureux comme Abdelhamid Benzine et Bousbaa, communistes, du Cheikh El Ibrahimi, l’un des leaders des Oulémas, de Si Mebarek Djillali et de Ferhat Abbas et bien d’autres… Le militantisme de Salah lui vaudra une condamnation à mort, peine commuée en prison à vie.

En 1962, il reprend ses études et devient ingénieur. Il exerça à l’hôtel Aurassi, directeur des travaux publics à Blida (1972-74) ; 1975 à Laghouat ; 1978 à Mostaganem ; 1984, directeur de l’Ecole de techniciens supérieurs de la même ville ; 1985-1993, directeur des travaux routiers à Médéa. Retraité en 1993, Salah est m-arié et père de 6 filles et 2 garçons.

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