Fondation Frantz Fanon
Experte ONU
L’écoute attentive du discours des deux candidats à la présidence des États-Unis confirme
l’orientation stratégique de déclencher une nouvelle guerre, aux conséquences totalement imprévisibles, contre l’Iran. Dans ce but, l’establishment américain et ses médias n’hésitent pas à
instiller l’idée que ce pays est sur le point de finaliser la bombe nucléaire et dès lors serait un danger pour l’ensemble du monde mais particulièrement pour l’État d’Israël, dernier rempart moyen-oriental d’un Occident dont
l’influence se contracte irrésistiblement et dont le modèle libéral est entré dans une crise terminale.
Les États-Unis, qui se posent en gardien de la paix et de la sécurité internationales, ainsi qu’on a pu le voir en Irak où
leur intervention a été imposée à la communauté internationale par le mensonge, en Afghanistan où celle-ci a été justifiée au nom de la démocratie et contre la situation faite aux femmes, ont
bien l’intention d’attaquer l’Iran dès que leur calendrier sera en cohérence avec celui de l’État d’Israël. Mais entretemps Washington ne perd pas de vue son objectif principal : contrer la progression globale de la Chine
dans la grande guerre pour les ressources de la planète. Et dans ce conflit encore feutré mais qui pourrait se transformer en guerre chaude, l’Afrique est le continent de tous les enjeux. Le
rapport « Horizons stratégiques[1] » publié par le Ministère français de la Défense, avril 2012, anticipe cette éventualité et s’inquiète du face-à-face Chine-États-Unis « enfin, sans conduire à une logique bipolaire, le
format de la relation sino-américaine devient, qu’on le souhaite ou non, l’enjeu de la gouvernance de demain ».
C’est bien sous cet angle que doit être évaluée la situation du Mali et les menaces d’intervention américano-françaises.
Il s’agit de profiter de la déliquescence d’États sous domination continue depuis les indépendances pour réintroduire directement une présence militaire camouflée derrière des
armées locales dont nul n’ignore l’insigne faiblesse. Le Mali devient, dans ce jeu géostratégique, otage d’une volonté des États impérialistes et de leurs soutiens de porter partout la guerre
sans fin de façon à interdire la progression d’une puissance adverse et, dans le même mouvement, d’éradiquer toute volonté des peuples à résister à l’ordre ultralibéral mondialisé construit sur
la financiarisation et la militarisation. Les États-Unis démontrent leur sens de l’opportunisme en répondant à l’appel à l’aide de son allié français désormais incapable, à lui seul, de gérer son
pré carré africain. La présence américaine dans le Sahel permet de contrôler directement l’accès à des ressources essentielles, l’uranium notamment, et de conférer une profondeur stratégique à
leur action sur le continent et au Moyen-Orient
I/ Les États-Unis et Africom
> La première étape pour les États-Unis qui avaient compris que l’ancienne puissance coloniale de l’Afrique francophone, la
France, n’avait plus les moyens de jouer le rôle de soutien et de protecteur effectif des transnationales implantées pour capter les ressources naturelles indispensables à leur domination
économique, était d’implanter des bases Africom[2]. Il y a 6 ans, les États-Unis, par le biais d’Africom, ont décidé d’un cadre militaire spécifique au continent afin de faciliter sa mise sous
tutelle. Les États-Unis ont étoffé leur présence militaire, notamment par des bases plus ou moins secrètes sur l’ensemble du continent. C’est ainsi qu’Africom a commencé son installation au Mali
par des programmes de formation à l’intention de quelque 6 000 soldats de l’armée malienne, dans l’incapacité de contrôler le territoire parce qu’insuffisamment formés et armés.
> Sous couvert d’une opération « Creek Sand », des militaires et des entrepreneurs américains sont arrivés au Mali
pour des missions de renseignement. Par ailleurs, dès 2009, le Pentagone avait envisagé l’intégration dans l’armée malienne de commandos américains[3] mais aussi le survol du territoire par des
avions de surveillance ressemblant à des avions de transport civil, mais cela a été abandonné. Enfin au moins partiellement[4], puisqu’en avril dernier, six personnes, dont trois soldats
américains accompagnés de trois ressortissantes marocaines, ont trouvé la mort à Bamako lorsque leur 4×4 a plongé dans le fleuve Niger. Que faisaient-ils là ? Officiellement, les États-Unis
avaient annoncé avoir suspendu toutes relations miliaires avec le gouvernement malien, à la suite du coup d’État du mois de mars.
> Cet accident semble fortement confirmer le contraire : au nord Mali, des unités d’élite, investies secrètement dans
des actions de contre-terrorisme visant officieusement Aqmi, étaient bien présentes et le sont probablement encore.
II/ Une intervention militaire au Mali
> La seconde étape consiste à préparer l’opinion publique internationale à une intervention au nord Mali au nom de la
démocratie et de l’ordre constitutionnel, du patrimoine culturel mondial mis en péril par des terroriste islamistes et de la souffrance des populations, qui, rappelons-le, paient le prix fort de
tout conflit interne ou importé par ceux qui veulent imposer leur loi. Ces raisons méritent questionnement.
> Sont à la fois mis en avant la situation humanitaire des populations du nord et du sud mais ne peut être omis que de
nombreux partenaires, dont l’Union européenne, les États-Unis, la Belgique, le Canada, la France[5] et des institutions financières ont décidé, au lendemain du coup d’État, de suspendre leurs aides au Mali précipitant l’ensemble de
la société malienne dans une pauvreté encore plus grande ; cet « embargo » financier a été renforcé par un « embargo » politique. L’Organisation internationale de la
Francophonie[6] a suspendu le Mali dès le 30 mars ; l’Union Africaine[7] dès le 23 mars et la CEDAO dès le 27 mars. Il aura fallu la quasi-certitude d’une intervention militaire pour que
certaines instances reviennent sur leur décision de bannir le Mali de leur communauté internationale.
> Le Président Hollande, quant à lui, revendique son droit à délivrer les otages –cela semble compter bien peu- mais surtout
à protéger les intérêts français. Pour mieux faire accepter une intervention militaire, il cache des intentions néo-coloniales partagées derrière le besoin d’une intervention pour
« éradiquer le terrorisme dans l’intérêt de ce pays, de l’Afrique et de la stabilité du monde[8] ». Certes, l’Islam radical – désigné globalement et sous nuances par le terme
« terrorisme » pour conditionner l’opinion – dispose de bases dans le Sahel, sur les routes du pétrole, du gaz et de l’uranium, mais ne soyons pas naïfs, son émergence et sa
consolidation ont bien été favorisées – notamment par les Saoudiens et les Qataris – pour servir les intérêts des Occidentaux et particulièrement ceux des Américains. Cette consolidation des
positions des fondamentalistes correspond au vide institutionnel que l’État malien déliquescent a laissé s’installer dans la région. Les Jihadistes font la loi et assurent une sorte de service public (par
la distribution d’eau, de vivres et de médicaments) là où des potentats disposaient de manière régalienne du réel pouvoir d’État. La lutte contre le terrorisme est l’argument rhétorique pour
justifier la mise sous tutelle du Mali et faire main basse sur les ressources naturelles de cette région du monde dont les multinationales veulent s’arroger le monopole. On ne peut, bien sûr,
ignorer que nombre de citoyennes et de citoyens maliens souhaitent, eux aussi, la fin de l’Islam radical et des exactions qui l’accompagnent sur leur territoire.
> Les Maliens, dans leur ensemble, désirent vivre en assumant leur droit à l’autodétermination, leur droit à disposer
pleinement de leurs ressources naturelles et leur droit à choisir librement leur représentation politique sans qu’un pays, ancien ou futur colonisateur, vienne leur dire ce qui est bon pour eux,
au nom de la « responsabilité de protéger » et/ou de la démocratie mais surtout au nom de la lutte contre le terrorisme.
> Le Président français n’hésite pas, pour se doter d’une « légitimité » moins discutable et pour convaincre les
derniers récalcitrants, à affirmer qu’il s’agit de « casser un processus fondé sur le trafic de drogue, d’armes, d’êtres humains qui risque de déstabiliser l’ensemble de la région[9]
(…) ». Mais qui contrôle et à qui profite exactement le trafic de drogue, d’armes et d’êtres humains ?
> Le Mali ne possède pas d’armes de destruction massive mais sur son territoire se retrouvent tous les ingrédients pour que
les Occidentaux s’autorisent à intervenir au nom de ce qu’ils considèrent comme leur mission depuis l’époque où ils ont foulé, pour la première fois, d’autres terres que les leurs. Leur mission
imprescriptible et immuable est de « sauver leur monde » ; la lutte de la Civilisation (ou de l’Axe du Bien) contre le terrorisme est une des nouvelles dénominations du crédo
impérialiste. Et comme le veut l’usage, le moyen d’imposer les lumières et la Civilisation, par essence, est la guerre…
> Le rapport « Horizons stratégiques[10] » permet de constater que, d’une part, même si le Président de la France
change, les relations coupables de la Françafrique perdurent, le néocolonialisme vit encore de beaux jours. Une fois élu, rien ne change alors que le candidat Hollande avait claironné, durant sa
campagne, qu’il allait tout changer. D’autre part, ce rapport pointe un possible affaiblissement de la sphère occidentale ce qui renforcerait encore plus le besoin en sécurité globale « dont
les États-Unis continueraient d’assurer la maîtrise d’ouvrage (…) » avec « la possible émergence d’un référentiel unique en matière de contrat opérationnel et, surtout, un processus
décisionnel maîtrisé de plus en plus étroitement par les États-Unis ». En toute objectivité, les rédacteurs du rapport, envisagent qu’ « indirectement donc, l’autonomie de nos décisions
relatives à notre environnement international de sécurité pourrait être régulièrement mise à l’épreuve d’ici 2040 », particulièrement si « un retrait de la présence militaire américaine
en Europe » n’était « pas suivi d’une stratégie concertée entre Européens sur les modalités de la sécurité du continent » ce qui « aurait des effets néfastes pour la stabilité
de la région ».
III/ Construction d’une alliance militaire
> Se pose, à l’heure actuelle, la question des alliances pour mener cette guerre dont les premières victimes seront les
Maliens eux-mêmes, mais aussi les Mauritaniens, les Nigériens, les Burkinabais, les Algériens avec des conséquences évidentes pour les Guinéens, les Ivoiriens et les Sénégalais. Autant dire que
toute l’Afrique sahélienne et de l’ouest pourrait s’embraser et s’enfoncer dans une guerre sans fin à l’instar de celles menées en Irak et en Afghanistan.
> La CEDAO, malgré les orientations bellicistes qui lui sont dictées par ses mentors parisiens, n’a ni les moyens humains ni
matériels pour mener une intervention lourde et complexe. Sous forte influence, pour ne pas dire sous la conduite directe, de l’ex-métropole, elle a donc recherché un soutien extérieur, obtenu à
l’issue du vote à l’unanimité de la Résolution 2071 adoptée par le Conseil de sécurité, considérant notamment que « la situation au Mali constitue une menace contre la paix et la sécurité
internationales » et qui « se déclare prêt à donner suite à la demande des autorités de transition maliennes qu’une force militaire internationale prête son concours aux forces armées
maliennes en vue de la reconquête des régions occupées du nord du Mali ». Reste à savoir qui participera à cette force internationale qui à terme devrait, selon les termes du Secrétaire
général des Nations Unies, « élaborer une stratégie globale portant sur les problèmes transfrontaliers du Sahel : les armes, les réfugiés et le terrorisme » ?
> Afin de délimiter les contours de cette force, le gouvernement transitoire du Mali a, maintenant un peu moins de 45 jours
pour définir, en liaison avec ses partenaires de la CEDAO et de l’Union africaine, un « concept d’opération » – conditions concrètes de l’aide extérieure, modalités du déploiement sur
le terrain, forces venant de différents pays. Ce n’est qu’à l’issue de ces 45 jours, qu’une autre résolution autorisera le déploiement de la force.
> La réunion, tenue dans le cadre du Conseil européen -18 et 19 octobre à Bruxelles-, semble avoir précisé le cadre de cette
force qui devrait prendre modèle sur l’Amisom- mission de l’Union africaine en Somalie- qui, soutenue par l’European Union Training Mission Somalia -EUTM Somalia- aurait contribué à arrêter les
jihadistes Chebabs en Somalie. Il s’agit là d’une interprétation optimiste, même si les Chebabs somaliens sont en recul, la guerre dure en Somalie et la paix n’est pas à l’ordre du jour, le pays
est toujours en état de guerre civile.
> Il est, dès lors, pour le moins curieux de se revendiquer d’un modèle qui n’a pas fait ses preuves et dont la fin de la
« formation » ne prendra effet qu’en décembre 2012, date à laquelle près de 3 000 soldats somaliens auront été formés par quelque 675 instructeurs européens.
> La mission de formation au Mali – Micema – 3 000 hommes environ – devrait contribuer à la réorganisation et à
l’entraînement des forces de défense maliennes et se trouver sous mandat de l’Union africaine et de l’ONU. La France, la Grande-Bretagne et l’Espagne ont accepté d’y participer, l’Italie, la
Belgique aussi, l’Allemagne vient de se décider ; seuls la Pologne et les pays nordiques font encore attendre leur décision.
> Mais il est bien évident que la force de la CEDEAO avec ou sans l’appui logistique de l’OTAN ne suffira pas. Dans l’appel
des acteurs, sur ce champ martial un des protagonistes essentiels semble renâcler.
IV/ Une inconnue de taille
> Il reste en effet une inconnue de taille et dont dépendent l’entrée et l’issue de cette guerre : l’Algérie va-t-elle
accepter de participer à cette force ? Jusqu’à présent, elle a refusé toute intervention militaire hors de ses frontières. De plus les Algériens qui connaissent bien la région et les autres
acteurs estiment que 3000 hommes, dans un théâtre d’opérations de plus de 8 000 kilomètres carrés et face à une guérilla déterminée et soutenue par les populations Touaregs, sont loin de
constituer une force suffisante. Il est indispensable pour les Algériens d’identifier précisément les groupes de guérilla et d’établir une distinction nette entre subversion jihadiste, incarnée
par le Mujao et Aqmi, et le groupe militaro-politiques, Ançar Eddine et Mnla, qui ont un réel ancrage dans les populations locales. Dans une optique de guerre indifférenciée, l’adversaire mènera
une guerre d’usure qu’il gagnera à coup sûr contre une formation militaire telle que la pense la CEDEAO, qui ne connaît pas, non plus, le terrain saharien. Les groupes armés s’appuieront sur la
population locale, des Touaregs, pour qui une armée africaine équivaut à une force d’occupation étrangère. A l’heure actuelle, l’Algérie, après avoir pondéré son avis, accepterait[11], selon le
très influent service de renseignement algériens, le Département du renseignement et de la sécurité (DRS), d’offrir un appui logistique à la future force africaine d’intervention dans le nord du
Mali.
> L’ État algérien entretient de bons rapports avec les États-Unis mais sait aussi qu’il suscite la convoitise à cause de ses propres
ressources et de sa position géographique qui ouvre les portes vers le Sahel avec ses richesses énergétiques et son potentiel souterrain.
> L’Algérie se montre hésitante mais il n’échappe à personne que dans la région, c’est le seul État, disposant d’une armée
puissante et équipée, capable d’envisager une confrontation de longue haleine avec les rebelles, même si elle sait que cela reste risqué. Dès lors, ceux qui s’auto-désignent comme
« communauté internationale », essentiellement les Occidentaux du G5 (États-Unis, Japon, Grande-Bretagne, Allemagne et France), s’impatientent, au premier chef la France et le fait
savoir.
V/La fabrication de l’ennemi de l’intérieur
> Pour ne pas être exclue des richesses à prendre et qu’elle n’a pas su garder mais aussi pour montrer sa participation
active à l’Axe du Bien tel que pensé par George W. Bush, la France, après avoir œuvré en vue du vote de la résolution 2071, mène, sur son propre territoire, une guerre multiforme contre les
terroristes, les jihadistes, les islamistes fanatiques…Et qui parfois à la lumière des « unes » de certains hebdomadaires ressemble ni plus ni moins à une guerre contre l’Islam,
prolongement et succédané de la guerre perdue d’Algérie. Une guerre policière mais aussi idéologique, psychologique très lourdement médiatique.
> Dans ce combat oblique où l’ennemi n’est pas seulement le terroriste armé mais celui qui proclame sa différence, la
République n’hésite pas à recourir à l’arsenal des stigmatisations néo-coloniales et à la diabolisation de l’étranger inassimilable. La méthode est éprouvée mais la République ne veut pourtant, à
aucun titre, en assumer les origines collaborationnistes et coloniales. La France des élites laisse, ou pousse, une partie de son opinion dériver vers une représentation européo-centrée qui
désigne l’Autre, l’Étranger en tant que responsable de l’errance politique des représentants politiques – y compris ceux au gouvernement -, du délitement de la pensée intellectuelle et d’une
crise sociale, économique et finalement morale et culturelle. Il est aujourd’hui admis et considéré comme absolument normal de réécrire une « histoire » plus politiquement ’correcte’
basée sur une conception raciste ou ethnoculturelle du monde ; ce prisme réducteur et dangereux est de plus en plus présent dans le champ politique. C’est ainsi que l’on entend les
intellectuels organiques du libéralisme au pouvoir distiller à longueur de colonnes et sur tous les plateaux de télévision les thématiques de l’arabophobie et de l’islamophobie[12]. Le racisme se
fond aujourd’hui dans un ensemble de mécanismes d’exclusion et d’infériorisation qui semblent fonctionner de manière autonome, sans que personne n’ait à s’assumer explicitement raciste mais où
tous comprennent le langage le code de l’exclusion. Les superstructures idéologiques d’État nourrissent l’exclusion par des stigmatisations essentialistes. De « l’homme noir qui n’est pas entré dans
l’histoire » à une laïcité de combat, l’essentialisme est bien l’habit neuf d’un vieux discours. Les hiérarchies ontologiques visent à différencier irrémédiablement pour mieux
exploiter.
> Dans un climat de xénophobie ascendante et d’émiettement social, le racisme est vécu au quotidien, pèse fortement sur les
constructions identitaires des individus et vient de manière, ô combien opportune pour le système, transcender les clivages de la misère et les logiques d’exclusion qui concerne des catégories
croissantes de Français. En ce sens la figure sociale de l’Algérien, en France ou en Algérie, pour les Français n’a pas changé depuis la colonisation.
> On peut affirmer que la raison de ce racisme tient au fait que ces représentations ont précédé les Français issus de la
lutte pour l’indépendance de l’Algérie, au-delà même de la période coloniale. C’est ainsi que la reprise du thème du « racisme anti-blanc » par un parti de droite
« républicain » est révélatrice de l’imprégnation d’un discours essentialiste directement hérité de la colonisation et de la guerre d’Algérie. On le sait, le soi-disant racisme
anti-blanc[13] est la première ligne de défense du racisme réel, celui des colonisateurs et des exploiteurs.
> Comment émerger d’un passé traumatique et visiblement indépassable ? La question est d’autant plus complexe qu’elle
renvoie irrésistiblement aux enjeux actuels du débat sur l’immigration et à l’enracinement dans la société de jeunes Français issus de minorités « visibles ». C’est sur ce terreau
nauséabond que l’on voit des intellectuels -presque toujours- d’origine algérienne désignés[14] à la vindicte au prétexte qu’ils feraient l’apologie du « racisme anti-blanc ». Apparaît
dans l’espace politico-social la désignation de responsables des errances d’une société qui se réveille chaque jour un peu plus raciste, chauffée à blanc par ses médias engagés à des degrés
divers dans la défense de l’État d’Israël et du mouvement sioniste, reprenant à son compte les délires racistes datant de la lutte de libération nationale de l’Algérie. Cette accusation n’est pas
sans lien avec la guerre programmée au Mali et l’éventuelle agression de l’Iran.
> Il s’agit pour ceux qui dominent et qui veulent pérenniser cette domination au nom des multinationales et des banques de
désigner ceux qui empêcheraient ou leur « paix » et leur « sécurité internationales » ou leur « cohésion sociale ». Leur volonté de porter la guerre au Mali, certes
au nom de la libération du nord de forces rétrogrades, ce que désirent de nombreux Maliens, n’est pas sans lien avec ce que le rapport « Horizons stratégiques » cité plus haut dit de la
peur que suscitent, chez les Occidentaux, la résurgence puissante du panafricanisme et la volonté de certains États africains d’assumer leur souveraineté sans « tuteurs ». De nombreux
intellectuels et politiques du continent font entendre leur désir d’être débarrassés de certains des accords bilatéraux qui les maintiennent dans un statut de soumission – militaires, policiers,
économiques ou portant sur les migrations. Ces revendications successives sont, pour les anciens colonisateurs, inacceptables. Ce n’est pas pour rien que les vigies occidentales scrutent avec
angoisse les révoltes arabes. Les centres néocoloniaux craignent bien trop la prise en main du processus de libération de la dictature par le mouvement social. Outre la fabrication aéroportée
d’une révolution assujettie comme en Libye, les Occidentaux, forts de leurs relais saoudiens et qataris, poussent leurs pions et tentent d’influer les luttes internes comme en Tunisie, où
certains se délectent de la montée de l’Islam obscurantiste et des faux débats autour de valeurs morales qu’il introduit pour détourner les populations tunisiennes des réalités économiques et
politiques de la domination et de l’exploitation.
> Le bombardement envisagé sur l’Iran procède de la même logique. Il s’agit de mettre à l’index ceux qui s’opposent à l’ordre
du monde impérialiste et de les exclure de la communauté internationale ; tout comme il s’agit d’exclure de la société ceux qui dénoncent la droitisation de la société française. Il s’agit
pour les dominants d’utiliser des instruments de répression politico-idéologique et de remise en cause des droits politiques et civils.
> Les États-Unis et leurs alliés assument pleinement la logique du dit « choc des civilisations », entre États mais
aussi entre citoyens d’un même pays, en légitimant l’état d’exception international mis en place par les puissants contre les peuples.
VI/ Terrorisme versus paix et sécurité internationales
> La plus grande menace à la paix et à la sécurité internationales se trouve dans la violence des pays occidentaux,
spécialement des États-Unis et de leurs alliés européens qui violent systématiquement le droit international et la Charte des Nations Unies, sous couvert de lutte contre le terrorisme, comme
c’est le cas en Irak, en Afghanistan, au Soudan, à Cuba, en Haïti , en Serbie, en Côte d’ivoire et bientôt au Mali.
> L’exemple le plus caractéristique est celui de la Palestine qui, depuis plus de soixante ans, est exilée –aussi bien sur
son territoire qu’à l’international- par une « communauté internationale » -réduite au G5 occidental- qui maintient l’ensemble des Palestiniens exclus des normes impératives du droit
international et du droit humanitaire international mais aussi du droit à leurs droits.
> Cette communauté d’alliés qui, en protégeant l’État israélien et en le laissant commettre des crimes de guerre,
toujours impunis, contribue décisivement à la violation des normes impératives du droit international et, surtout joue le rôle de courroie de transmission d’un projet et d’un modèle politique,
idéologique et économique qui vise à l’instauration d’un ordre international fondé sur la guerre sans fin, la discrimination, l’apartheid, la force, la domination des peuples et la
violence.
> Comme cela a été le cas en Libye où l’intervention de l’OTAN a été possible grâce à l’injonction paradoxale portée par ceux
qui ont voté la résolution 1973, ils affirment d’un côté, « leur ferme attachement à la souveraineté, à l’indépendance, à l’intégrité territoriale et à l’unité nationale de la Jamahiriya
arabe libyenne » et de l’autre envoient des forces armées pour obtenir plus rapidement l’assassinat en direct de Kadhafi en dehors de toute légalité internationale au regard de la Charte des
Nations Unies, laissant le pays dans une situation de grave déstabilisation.
> La vraie menace à la paix internationale est la pauvreté généralisée des populations du Sud, le pillage de leurs ressources
naturelles par les sociétés transnationales et les guerres qu’elles déclenchent pour pérenniser leur hégémonie ou prévenir l’intrusion du nouveau concurrent chinois. C’est bien dans la réalité de
la misère généralisée et organisée par la mondialisation libérale que peuvent être définis les ressorts profonds du terrorisme et des idéologies du désespoir. L’impérialisme et ses relais locaux
ont, traditionnellement, utilisé pour leurs propres aventures et toujours à leur avantage les mouvements fanatiques apolitiques et les desperados qu’ils subjuguent. Les médias omettent de le
rappeler mais le terrorisme islamiste contemporain est né en Afghanistan pour contrer l’Union Soviétique. Ce terrorisme, financé par les Saoudiens et soutenu à bout de bras par les Américains et
leurs alliés, a fini par avoir raison de l’armée rouge et a précipité l’effondrement de l’URSS. On le voit, hier instrument commode et efficace, le terrorisme islamiste est aujourd’hui un
épouvantail tout aussi opérant. Le terrorisme, conséquence du désespoir que l’ordre injuste impose aux peuples, est aussi un instrument entre les mains des architectes de la mondialisation
libérale.
> Au Mali, en France, aux États-Unis mais aussi dans de nombreux autres pays, le terrorisme islamiste est un argument
fondamental dans la justification des aventures bellicistes de l’impérialisme et des atteintes aux libertés dans les sociétés occidentales elles-mêmes. La guerre globale et éternelle contre
l’islamisme alimente un discours raciste qui permet de détourner l’attention des populations des pays industrialisés confrontées à une crise économique majeure. La libération de l’impensé raciste
occupe une place centrale dans le discours politique « décomplexé » par temps de chômage généralisé et de creusement sans précédent des inégalités. En Europe comme en Afrique.
[6] communiqué du 30 mars 2012 dans lequel le Conseil permanent de la Francophonie a décidé “la suspension de ce pays des
instances francophones, y compris la suspension de la coopération multilatérale francophone à l’exception des programmes qui bénéficient directement aux populations civiles et de ceux qui peuvent
concourir au retour à l’ordre constitutionnel et au rétablissement de la démocratie“
[7] Communiqué du 23 mars dernier transmis par Paul Lolo, président du Conseil de paix et de sécurité de l’organisation
panafricaine, “Le Conseil a décidé que le Mali devrait être suspendu sine die de toute nouvelle participation jusqu’au retour effectif de l’ordre constitutionnel”
[8] Conférence de presse tenue à l’Élysée lors de la venue du Secrétaire général de l’ONU
[9] Nouvel Observateur, 9 octobre 2012
[10] Cf note 1
[12] A ce sujet, lire Thomas Deltombe, L’Islam imaginaire, Editions La Découverte, octobre 2007 et Sébastien Fontennelle et
alii, Les Editocrates, Editions La Découverte, 2009