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Montebourg: plaidoyer pour une alternative économique

| Par Laurent Mauduit

Arnaud Montebourg veut croire en ses chances. Menant campagne pour la primaire socialiste, il affiche sa conviction qu'il sera l'un des deux candidats en tête, le 9 octobre, pour participer au second tour de la primaire, le 16 octobre. Et il s'agace si d'aventure on lui fait la remarque qu'il a, quoi qu'il arrive, réussi sa campagne puisqu'il aura profité de cette formidable tribune pour défendre une politique économique alternative.


La vérité est pourtant celle-là. Quelle que soit l'issue de la primaire socialiste, cette campagne d'Arnaud Montebourg constitue un événement, qui pèsera sur l'avenir du Parti socialiste. Qu'on souscrive ou non aux idées que défend le député et président du Conseil général de Saône-et-Loire, il faut en faire le constat: mis à part le courant de pensée longtemps incarné par Jean-Pierre Chevènement ; mise à part aussi la vision défendue par Lionel Jospin dans les années 1992-1997, c'est la première fois depuis le virage de la « rigueur » des années 1982-1983 qu'un dirigeant socialiste défend une politique économique clairement alternative au sein même de ce parti, s'éloignant de la doxa libérale dans laquelle les socialistes ont trop souvent perdu leur âme.

Dans le tumulte de la campagne des primaires socialistes, il faut donc prendre le temps d'examiner avec minutie cette nouvelle politique économique. Pour en mesurer la force et la cohérence. Pour en discerner aussi les éventuelles ambiguïtés ou les habiletés. Il faut faire cet audit, car dans tous les cas de figure Arnaud Montebourg va contribuer à modifier sensiblement la donne du débat économique pour les prochaines années au sein du Parti socialiste. Comme il a lourdement pesé, ces dernières années, dans le débat pour refonder la démocratie et avancer vers la VIe République.

 

C'est peu dire en effet qu'Arnaud Montebourg a fait entendre, tout au long de ces dernières semaines, et jusqu'au premier débat télévisé opposant les six candidats à la primaire, le 16 septembre dernier (lire Confrontation confuse entre deux logiques économiques), une petite musique très différente de celle à laquelle on était habitué depuis longtemps. « Protectionnisme européen », « démondialisation », « mise sous tutelle des banques »: jusque dans leur énoncé, les grands projets que défend le candidat rompent avec l'orthodoxie de centre gauche dans laquelle se situent la plupart des autres candidats, à l'exception de Ségolène Royal qui paraît, elle aussi, comme par bouffée, s'inscrire dans une politique de rupture, ou en tout cas plus volontariste, même si c'est de manière un peu plus brouillonne ou moins achevée.

 

Et du même coup, à entendre Arnaud Montebourg tonner contre les dérives de la finance, à l'écouter défendre l'idée d'un changement radical de cap, on se prend à se demander depuis combien de temps un débat de cette vivacité-là n'avait pas eu lieu dans les rangs socialistes. Près de trois décennies? Sans doute. Autant dire une éternité... Comme par contraste, on en vient à se souvenir qu'en d'autres temps, le Parti socialiste était un lieu (parmi d'autres) de confrontations. Un lieu où de multiples orientations économiques étaient en débat.

« Le temps est venu de rompre avec l'orthodoxie économique »

Au début des années 1980, juste avant que la gauche ne vienne au pouvoir, il y avait ainsi le « chevènementisme », ligne économique un peu composite, mélange de nationalisme ombrageux sinon même franchement réactionnaire, et de volontarisme industriel, sur fond de radicalisme anti-européen. Il y avait aussi la « deuxième gauche » emmenée par la CFDT et Michel Rocard, qui a essayé de pousser le PS dans l'ornière d'un social-libéralisme qui ne disait pas encore son nom. Et puis, il y avait la « première gauche », celle qui essayait de pratiquer la synthèse, mais qui restait profondément attachée aux valeurs anciennes du socialisme, celles de la transformation sociale.

 

Et puis, on sait ce qu'il en advint – c'est d'ailleurs l'un des effets de la mondialisation et de la dérégulation: la gauche a progressivement abandonné des priorités économiques spécifiques. Politique du « franc fort » et du chômage élevé, « désinflation compétitive », désindexation des salaires sur les prix, privatisations, réduction des déficits: à l'initiative de François Mitterrand et de Pierre Bérégovoy, la politique économique de la gauche, à quelques symboles fiscaux près comme l'impôt sur la fortune, sympathiques mais sans réel impact hormis sur l'opinion, est rentrée dans le rang. Le « cercle de la raison » a alors fonctionné à plein: d'une alternance à l'autre, sous la gauche comme sous la droite, ce sont durant de nombreuses années, à peu de choses près, les mêmes politiques économiques qui ont été conduites. Et au plan politique, cela a aussi produit ses effets: les différents courants socialistes n'étaient plus porteurs de projets vraiment spécifiques mais de beaucoup plus d'ambitions. Les idées ont cédé la place aux écuries.

Entre la « première gauche » et la « deuxième gauche », il n'est plus alors resté grande différence. L'une et l'autre se sont dissoutes dans la dérégulation libérale des années 1990.

Et c'est d'abord en cela, après trente années de lente et progressive extinction du débat économique au sein du Parti socialiste, que le positionnement d'Arnaud Montebourg constitue un événement. Que ses idées plaisent ou non, en tout cas elles bousculent le ronron socialiste; et c'est une franche nouveauté!

Si l'on y réfléchit bien, il n'y a, en fait, qu'un seul précédent de véritable sursaut, à la manière de ce qu'entreprend aujourd'hui Arnaud Montebourg. Et c'est Lionel Jospin qui l'a opéré. Qu'on s'en souvienne, dans le courant de l'année 1992, Lionel Jospin engage ce « droit d'inventaire » qu'il revendiquera de plus en plus nettement, face aux dérives éthiques et économiques du mitterrandisme. C'est le débat sur le Traité de Maastricht qui lui en offre l'un des premiers prétextes. Alors qu'il s'est rangé dans le camp de ceux qui disent «non au non » – la formule est d'ailleurs de lui –, il n'hésite pas à reconnaître qu'il approuve « certaines des critiques qui sont faites par les opposants de gauche au traité ». « Je partage leur espérance d'une Europe plus sociale », dit-il (Libération, 31 août 1992). Jamais, il ne rate une occasion de rappeler cet attachement aux valeurs de la gauche. Quitte même à se démarquer de François Mitterrand. Ainsi, un an plus tard, en septembre 1993, toujours dans Libération, on lui demande un commentaire sur le propos présidentiel estimant que tout avait été tenté pour éradiquer le chômage, mais en vain. Là encore, Lionel Jospin livre le fond de sa pensée: « Le temps est venu de rompre avec l'orthodoxie économique qui domine le monde occidental et la France depuis quinze ans, et qui a démontré son inefficacité. Les raisonnements fondés sur la désinflation compétitive ou selon lesquels les profits d'aujourd'hui font les investissements de demain et les emplois d'après-demain ne fonctionnent pas. On ne voit jamais venir les emplois d'après-demain. »

« Ce modèle n'est pas le nôtre»

Et, rompant avec tous les dogmes économiques qui ont constitué l'alpha et l'oméga de la politique économique de Pierre Bérégovoy, il ajoute – et il faut bien mesurer ce qu'il y a à l'époque d'iconoclaste à dire cela, tant les socialistes étaient contaminés par le virus libéral: «La remise en cause du discours dominant en économie a commencé, par exemple, dans le discours de Philippe Séguin, chez d'éminents économistes américains. Au Parti socialiste aussi. Nous devons réfléchir à la définition d'une nouvelle pensée économique (...) Je précise bien qu'il ne s'agit pas de substituer la dévaluation compétitive à la désinflation compétitive ou encore de revenir à 1981. Mais il faut inverser nos priorités de politique économique. Aujourd'hui, on fixe des objectifs quantifiables pour les prix, le déficit budgétaire, et le chômage va comme on peut. Inversons. Fixons des objectifs quantifiables pour l'emploi et voyons comment les atteindre (...) Le modèle dominant avec lequel je propose une rupture, ce ne sont pas les socialistes qui l'ont inventé. Ils s'y sont ralliés. Ce modèle n'est pas le nôtre et nous perdrions notre identité à vouloir nous y accrocher.»

 

«Ce modèle n'est pas le nôtre»! D'une époque à l'autre, il y a donc comme une résonance. Ce que disait à l'époque Lionel Jospin s'apparente à ce que suggère aujourd'hui Arnaud Montebourg. Et c'est ce volontarisme affiché par Lionel Jospin qui explique pour beaucoup le sursaut de la gauche, à l'époque. Essuyant en 1993 l'une des défaites électorales les plus cinglantes de son histoire contemporaine, elle est requinquée à peine deux ans plus tard. Avec des projets plein sa besace, passablement radicaux, auxquels Lionel Jospin a travaillé, comme la taxe Tobin – exhumée par le dirigeant socialiste avant que Attac ne s'en empare –, les 35 heures payées 40 ou encore le rétablissement de l'autorisation administrative des licenciements, etc.

On sait ensuite comment, malheureusement pour la gauche, l'histoire a évolué. Devenu premier ministre, Lionel Jospin a oublié que ce «modèle» n'était pas celui des socialistes, et il a «perdu son identité à vouloir s'y accrocher». Privatisations à marche forcée, résignation face aux licenciements boursiers: la dérive de la gauche a progressivement repris. Jusqu'à une nouvelle débâcle, encore plus grave que la précédente, celle de 2002.

Voilà donc ce qu'il y a de nouveau dans la démarche économique d'Arnaud Montebourg. Il semble suggérer lui aussi un nouveau souffle, un cours nouveau, celui-là même que Lionel Jospin a laissé espérer, avant d'y renoncer.

Au demeurant, ce cheminement-là, cette résistance à l'air libéral du temps, n'a rien de très surprenant de sa part. Car son approche de l'économie est singulière. Comme il aime à le dire, c'est celle d'un juriste. Ainsi va le droit, il repose sur des normes. Pour cette raison, sans doute a-t-il donc été moins contaminé que d'autres par les dérives libérales de l'époque. Même s'il parle d'économie, on sent toujours que l'avocat n'est pas loin. Le droit, c'est, dit-il,  sa « carte d'identité intellectuelle ». Et de cela, tout découle, à commencer par ce précepte: « C'est la politique qui façonne le monde; ce n'est pas le monde qui façonne la politique. Pour moi, il y a un primat de la norme. Ce sont les hommes qui font et qui défont le monde. »

Ce qui distingue Montebourg de Chevènement

En quelque sorte, Arnaud Montebourg n'a pas suivi le même parcours que certains socialistes qui, consternés par la dérive libérale impulsée par Pierre Bérégovoy, ont cherché à résister. Mais à sa façon, par d'autres voies, il a exercé, lui aussi, son « droit d'inventaire » à la même époque. Ce qui lui a permis d'être aussi plus lucide que d'autres – et plus rapidement – sur les renoncements des années Jospin, en 1997-2002 .

 

Il faut relire son livre La Machine à trahir (Folio documents), écrit dès 2002, pour s'en rendre compte. Alors que beaucoup d'autres socialistes se refusaient à regarder en face les causes du séisme qui avait conduit à l'éviction du candidat socialiste lors du second tour de l'élection présidentielle, face à l'extrême droite, il pointe, lui, les renoncements des années antérieures: « C'est aussi durant ces années sombres que la même gauche se mit à fréquenter l'argent et à apprendre par cœur les recettes économiques du Wall Street Journal. Elle devint pionnière, voire avant-gardiste, dans la déréglementation financière (...) Oser dire que la mondialisation financière était un fait contre lequel il était impossible de lutter revient à théoriser l'abandon par une génération politique tout entière de ce combat contre la cruauté des marchés. Marchés impitoyables qui ont jeté dans le malheur tant d'ouvriers, d'employés, de paysans, lesquels n'eurent en France que les urnes pour résister, comme ces paysans mexicains du temps d'Emiliano Zapata qui n'avaient pour survivre que le fusil et la prière. »

Mais ce serait méconnaître Arnaud Montebourg que de l'inscrire dans cette filiation jospinienne des années 1992-1997, qu'il ne revendique d'ailleurs pas. Car le dirigeant socialiste a visiblement d'autres sources d'inspiration. Et c'est naturellement, quand on cherche à comprendre sa cohérence ou ses ambiguïtés, cette autre question sur laquelle rapidement on bute: n'y a-t-il pas aussi en lui un souffle chevènementiste? Est-il européen ou bien nationaliste? Est-il authentiquement socialiste ou pourrait-il aussi faire un bout de chemin avec les nationaux-républicains, de droite mais tout autant de gauche?

La question est, en fait, moins innocente qu'il n'y paraît. Car quand on interroge Arnaud Montebourg sur son cheminement, il est le premier à rappeler que, lors de son adhésion au Parti socialiste, en 1981, c'est au Ceres, le courant impulsé par Jean-Pierre Chevènement, qu'il s'est d'abord impliqué. De Didier Motchane, l'ancien militant du groupuscule gaulliste Patrie et Progrès devenu théoricien du Ceres, qui assure le premier séminaire de formation auquel il assiste, il dit: « J'ai été ébloui. »

Et cette adhésion de jeunesse à cette mouvance, sans doute a-t-elle laissé des traces. Ou une fidélité, une forme de volontarisme. Mais pour ce qui concerne l'inspiration économique, cela s'arrête-là. Et en tout cas, même si le concept de « démondialisation », qu'Arnaud Montebourg a habilement préempté, est en vérité élastique et peut se charger de contenus variés, le dirigeant socialiste n'a jamais défendu sur l'Europe, ou sur l'euro, le point de vue de Jean-Pierre Chevènement. Ce dernier a toujours été opposé à l'euro, tandis qu'Arnaud Montebourg y a toujours été favorable. Même aujourd'hui, alors que l'Europe est en phase d'implosion, alors qu'elle offre la plus détestable des images, celle d'un continent ravagé par les dérégulations et par les marchés, il le dit encore: « Moi, je défends l'euro, même si l'euro ne se défend pas lui-même. » Avant de dire qu'il va falloir engager une nouvelle phase, celle de la reconstruction, avec d'autres règles.

« Pourquoi suis-je au Parti socialiste? Pour le changer... »

En Arnaud Montebourg, il n'y a donc pas de repli nationaliste. Dans son cheminement, il y a plutôt une lente maturation à l'égard de l'Europe, de plus en plus critique à l'encontre des règles économiques et financières sur lesquelles elle s'est édifiée. Du Traité de Maastricht, qu'il soutient par fidélité à François Mitterrand, jusqu'au débat à l'Assemblée nationale pour la ratification du Traité constitutionnel européen, où il fut l'un des rares députés de gauche à s'abstenir, il y a donc une progressive prise de distance, à l'égard de l'Europe, telle qu'elle s'est construite; à l'égard aussi de la discipline du PS, et notamment du groupe parlementaire, qui rendait difficile toute expression critique.

 

 

Il est d'ailleurs un autre indice qui atteste qu'Arnaud Montebourg n'est pas tenté par un repli nationaliste. A chaque fois qu'il défend son projet de « démondialisation », et explique qu'il peut en particulier prendra la forme du protectionnisme, il prend bien soin de préciser que ce protectionnisme doit se concevoir à l'échelle... européenne. Et cette position est ancienne; ce n'est pas une concession à l'air du temps. On en trouve une trace dès 1997, dans la profession de foi qu'il publie pour les élections législatives auxquelles il concourt pour la première fois, les 25 mai et 1er juin. Parmi ses propositions (lire ci-contre), figure en effet celle-ci, qui n'est pas encore franchement à la mode: « Taxer aux frontières européennes les produits fabriqués sans aucune protection sociale. »

 

En bref, on peut aimer ce que dit Arnaud Montebourg en matière de politique économique; ou alors le critiquer. Mais il faut lui reconnaître une forme de rectitude. Alors que d'autres, notamment ceux qui, de 1997 à 2002, ont participé à la dérive libérale des années Jospin, illustré par tant de formules malheureuse – « L'Etat ne peut pas tout »; « mon projet n'est pas socialiste »... –, et n'ont avancé ensuite qu'une timide autocritique, ou alors pas d'autocritique du tout, lui a vu plus clair, et plus tôt que d'autres. Même s'il n'est pas économiste, même s'il oscille en permanence entre cette discipline et celle du droit, ce qui est sans doute une bonne approche pour défendre l'idée d'une économie régulée, il a vite compris que la politique économique de la gauche avait perdu toute identité et a contribué à cette dérégulation générale qui a rendu la planète folle. 

 

Dès 2002, dans un film consacré à sa campagne pour les législatives (on peut visionner sa bande-annonce ci-dessus), il résume ainsi le sens de son engagement: « Pourquoi suis-je au Parti socialiste? Pour le changer... »

 

La formule en dit long sur la politique économique qu'il préconise. Une autre politique...

 

 

Connaissant François Hollande et Martine Aubry depuis très longtemps, depuis près de 40 ans pour l'un, pas loin de 30 pour l'autre, j'ai écrit sur eux de très nombreux articles, notamment sur leurs convictions économiques et sociales. D'Arnaud Montebourg, je connaissais moins de choses, mis à part ses engagements pour la VIe République. Et en particulier, je n'avais jamais pris le temps de me pencher sur ses convictions économiques. A l'occasion du débat de ces primaires socialistes, j'ai ressenti le besoin de combler cette lacune. J'ai donc beaucoup lu. Et j'ai demandé à le rencontrer. J'ai ainsi eu un échange avec lui, lundi 19 septembre, dans son bureau à l'Assemblée nationale.

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