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Mine Kirikkanat, une voix contre l'obscurantisme

Écrivain, journaliste, cette intellectuelle franco-turque dénonce la dégradation des libertés publiques et l'islamisation rampante sous l'ère Erdogan

Mine Kirikkanat : « Ma plume acerbe tape et fait mal là où il faut. » photo DR 

 
Par Pauline Garraude à Istanbul

« Je suis militante et mon arme est ma plume acerbe qui tape et fait mal là où il faut », assène Mine Kirikkanat (1), avec un ton qui d'emblée en impose. Avec ce regard profond, aussi doux que déterminé, son charisme saute aux yeux. Nous discutons dans un café « branché » de Cihangir, le quartier « intello » d'Istanbul. Et tout le monde la salue du regard, car Mine est connue ici… et de tous les opposants au régime, des défenseurs de la laïcité et de la liberté d'expression.
« J'admire énormément son travail. C'est une femme hors du commun », glisse un journaliste attablé à côté. Née en 1951, Mine vient d'un milieu laïc où la religion a toujours été vue avec distance et critique. Sociologie et religions, avec pour thème central la place et la condition de la femme dans l'islam, fut très tôt son thème de prédilection. C'est aussi le sujet de son dix-septième et prochain livre, prévu pour septembre.
« Durcissement inquiétant »

Alors, quand elle voit ce qui se passe en Turquie depuis l'arrivée au pouvoir de l'AKP et de son chef de file, Teyyep Erdogan, reconduit hier pour un troisième mandat de Premier ministre, elle s'indigne de la dégradation des libertés publiques et de l'islamisation rampante bien que discrète de la société. « Ce n'est pas forcément visible, mais il y a un durcissement inquiétant, une police des mœurs et une traque des libertés. On ne peut absolument pas critiquer le régime. Plus de 40 000 leaders d'opinion en Turquie sont sur écoutes et une soixantaine de journalistes sous les verrous, condamnés au silence. »
Mine, qui a reçu trois fois le prix décerné aux femmes dans la presse de « la journaliste la plus courageuse », sait de quoi elle parle. « J'ai été dégagée deux fois de grands quotidiens après vingt-cinq ans de carrière pour avoir critiqué la façon dont les musulmans conservateurs en Turquie traitent leurs femmes. » Et quand, en plus, elle utilise l'humour, alors là, elle franchit la ligne rouge !
Hier, elle a voté pour un candidat indépendant - comme beaucoup d'intellectuels. « La démocratie est en danger et on glisse progressivement vers le totalitarisme. Voter pour des candidats indépendants, c'est voter pour des idées et non pour un parti où tout le monde obéit au "patron". Les partis se sclérosent et il n'y a plus de débats d'idées. Réintroduire le débat d'opinions est le seul moyen de redonner à la démocratie sa véritable dynamique. C'est ça qu'il manque à la Turquie aujourd'hui. » Mine Kirikkanat se définit volontiers comme une rebelle. « Mon but n'est pas de provoquer mais de parler franchement, sans détour ni hypocrisie. » D'ailleurs, son éditorial dans le quotidien « Cumhuriyet », où elle écrit depuis l'an dernier, dénonce les scandales sexuels de politiciens « qui eux-mêmes jouent à la police des mœurs ». Son titre ? « Le pouvoir à l'aune de la sécrétion de testostérone ».
« Je sais que je prends des risques mais la liberté d'expression n'a pas de prix. » C'est avec ce courage, cette pugnacité et cette profonde conviction que la pensée et le verbe peuvent faire changer les choses que Mine mène son combat.
(1) Auteur de « La Malédiction de Constantine » (2006) et « Le Sang des rêves », (2010) aux éditions Métailié.
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