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Les raisons du soutien inconditionnel de Poutine à la Syrie

| Par Thomas Cantaloube

La Russie de Poutine peut-elle être assez embarrassée au point de lâcher son allié syrien Bachar al-Assad ? C’est, en substance, la question que se posent les chancelleries occidentales face au refus de l’exécutif russe d’accepter la moindre concession – résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, déclaration conjointe, tentative de médiation – visant à mettre la pression sur le régime syrien. Alors qu’une cinquantaine de ministres des affaires étrangères se réunissaient vendredi 24 février à Tunis avec les « Amis de la Syrie », afin de discuter de la mise en place d’une aide humanitaire destinée aux populations civiles, la Russie a tout simplement refusé l’invitation (la Chine, de son côté, a lâchement expliqué qu’il lui fallait plus de temps pour « étudier l’invitation »).

Dans le même temps, Moscou a fait mine de se réjouir de la nomination de Kofi Annan en tant qu’« émissaire conjoint des Nations unies et de la Ligue arabe sur la crise en Syrie », chargé « d'offrir ses bons offices afin de mettre un terme à toutes les violences et les violations des droits de l'homme, et à promouvoir une solution pacifique à la crise syrienne ». Ceci, alors que l’ONU affirme avoir établi une liste de hauts dignitaires syriens soupçonnés de « crimes contre l’humanité » et a laissé filtrer qu’elle disposait de preuves démontrant que les plus hauts échelons du régime syrien, dont le président al-Assad, avaient ordonné de bombarder et de tirer sur les populations civiles. Cette annonce ressemble à une première marche vers la Cour pénale internationale.

En début de semaine, la Russie a bondi avec enthousiasme sur une suggestion de la Croix-Rouge internationale d’instaurer des pauses de deux heures quotidiennes dans les bombardements, afin de pouvoir acheminer une aide humanitaire aux populations civiles. Mais Moscou n’a rien entrepris (pour le moment) pour contraindre le gouvernement syrien à respecter cette « pause humanitaire ».

© Sky News

Plus que la Chine – dont la position de non-intervention dans les affaires intérieures des pays étrangers est constante et bien connue –, c’est la Russie qui bloque aujourd’hui tous les efforts visant à contraindre Bachar al-Assad de partir ou de cesser les massacres contre sa population (l’ONU recense plus de 6.000 morts depuis le début des soulèvements il y a presque un an). Quel intérêt y trouve Moscou, au moment où Vladimir Poutine entend se faire réélire sur un programme promettant la restauration de la grandeur de la Russie ?

La première réponse est que les relations entre la Syrie et la Russie remontent à l’époque soviétique, et qu’on ne balaie pas aussi aisément plusieurs décennies de coopérations politique, économique et militaire. Les entreprises russes sont très présentes en Syrie, dans l’énergie, l’agriculture, les télécommunications et le tourisme, avec des investissements récents et plusieurs gros projets – dont un réacteur nucléaire civil. Il y a également la base navale russe de Tartous, construite en 1971, qui représente non seulement le seul accès pour la marine russe en Méditerranée, mais aussi sa seule base militaire encore en activité en dehors des anciens territoires soviétiques.

Cette base s’accompagne également de conseillers militaires russes qui travaillent avec les différentes branches de l’armée syrienne, notamment pour la formation aux armements que Moscou vend à Damas. Entre 2007 et 2010, les Russes ont vendu pour 4,7 milliards de dollars de matériel militaire au gouvernement d’al-Assad (contre 2,1 milliards entre 2003 et 2006) : des avions, des systèmes de missiles, mais aussi des armes légères. Avec les sanctions à l’encontre de l’Iran et la chute de Kadhafi, la Russie a perdu ces dernières années deux « bons clients » en matière d’armement. Certains analystes estiment que le souci de préserver ce marché syrien (autour de 10 % des exportations d’armes russes), et les emplois qui vont avec dans la Mère patrie, est un facteur dans le soutien de Poutine à al-Assad. En même temps, ce marché n’est pas si lucratif, car la Syrie étant relativement pauvre, les paiements ne sont pas toujours honorés, ou alors ils sont financés par des prêts.

Ce qui est clair, c’est que Rosoboronexport, la structure qui exporte l’armement russe, n’a pas cessé ses livraisons à la Syrie. Au moins quatre cargos soupçonnés de transporter des armes ont fait le trajet entre le port d’Oktyabrsk sur la mer Noire et la Syrie depuis le mois de décembre, selon ThomsonReuters, qui répertorie les trajets maritimes. Le porte-parole de Rosoboronexport a confirmé à plusieurs reprises que sa société n’avait aucune raison d’arrêter ses exportations vers la Syrie à partir du moment où il n’y a pas d’embargo. La Russie continue aussi d’exporter vers Damas de la nourriture et des médicaments. Approvisionnements sans lesquels la chute du régime d’Assad ne serait qu’une affaire de mois, voire de semaines, selon l’opposition syrienne en exil.

Moscou sait pourtant que la situation ne comporte pas beaucoup d’avantages sur le long terme

Au-delà de cet entrelacs d’intérêts économiques et militaires, doublés d’une vieille amitié politique, il y a une seconde raison pour laquelle Poutine continue de soutenir Bachar al-Assad. Entre les invasions américaines en Irak et en Afghanistan, l’isolement de l’Iran, et les bouleversements induits par le « printemps arabe », Moscou n’a plus beaucoup de points d’ancrage, et encore moins d’alliés fidèles, au Proche-Orient. À l’exception de Damas. Si Poutine, qui rêve toujours de restaurer la Russie à son statut de grande puissance du temps de la guerre froide, lâche la Syrie, il perd son dernier levier d’influence dans la région.

Il est évident, également, que la Russie s’est sentie flouée par le vote de la résolution de l’ONU instaurant une interdiction du survol du territoire libyen l’an dernier. Résolution qui a conduit aux bombardements de l’OTAN, qui ont dépassé le cadre de la résolution et ont abouti à la chute, puis la mort, de Mouammar Kadhafi. Même si aucun pays occidental ne manifeste aujourd’hui la volonté d’intervenir militairement en Syrie, et si l’opposition syrienne ne le réclame pas (contrairement à son homologue libyenne qui le souhaitait), Moscou craint d’entrouvrir la porte à un enchaînement de décisions qu’elle ne maîtriserait pas si une résolution de l’ONU était votée ou si elle soutenait une mission humanitaire.

En même temps, il n’a sûrement pas échappé à Moscou que la situation ne comporte pas beaucoup d’avantages sur le long terme. Si Bachar al-Assad parvient à mater la contestation, il deviendra un paria international en sursis, ostracisé, pourchassé par la justice, vivant dans la crainte de la prochaine insurrection. Cela n’en fait pas un allié très utile. Si le régime syrien tombe dans les mois qui viennent, les Syriens se souviendront assurément du rôle joué par la Russie. Et si la situation vire à la guerre civile ouverte – avec certains pays arabes et occidentaux armant les rebelles, une hypothèse qui commence à être évoquée à Washington –, le chaos régional qui en résultera ne profitera à personne.

Un montage vidéo montrant Poutine emprisonné pour détournement de biens d'Etat, abus de pouvoir, machinations financières"...

Le dernier élément enfin du soutien russe à la dictature al-Assad est intérieur. Vladimir Poutine est, pour la première fois de sa carrière, sérieusement contesté, et même moqué. Le tour de bonneteau qu’il a joué avec Dmitri Medvedev pour effectuer un troisième mandat passe mal en Russie, comme le montrent les manifestations régulières et inédites à l’approche de l’élection présidentielle du 4 mars 2012. Même si personne ne doute réellement de la réélection de Poutine, celui-ci ne veut en aucun cas apparaître comme « faible », et surtout pas face aux Etats-Unis, dont il se sert comme d’un repoussoir. Laisser tomber un vieil allié et se ranger aux côtés des Occidentaux serait un grave aveu de « faiblesse » pour un homme qui a fait de la force virile sa marque de fabrique.

Il y a aussi la situation dans le Caucase, que Moscou surveille toujours comme du lait sur le feu. Les dirigeants des différentes républiques de la région n’ont rien à envier à leurs homologues déchus du monde arabe (clientélisme, corruption, culte de la personnalité, pratiques anti-démocratiques), et ils sont de surcroît perçus comme des vassaux de la Russie par leurs populations. Poutine n’a aucune envie que la « contagion démocratique » dans le monde arabe ne parvienne jusqu’aux portes de la Russie, dans le Caucase.

Il est difficile de savoir si, une fois l’élection russe passée et Poutine (sans doute) réélu, celui-ci assouplira sa position, ou s’il persévérera dans son appui sans faille à al-Assad. C’est la raison pour laquelle les Occidentaux espèrent aujourd’hui qu’un sentiment d’isolement, et l’embarras d’être montré du doigt comme co-responsable des massacres perpétrés en Syrie, parviendront à infléchir la position de la Russie.

Le président Medvedev, soucieux certainement de montrer son pays sous un meilleur jour, a appelé mercredi 22 février le roi Abdallah d’Arabie saoudite pour évaluer ce qui pouvait être fait pour « calmer la situation en Syrie ». Abdallah, qui mène l’opposition arabe au régime d’al-Assad, a apparemment répliqué assez froidement au président russe, en lui reprochant de « ne pas s’être coordonné avec les pays arabes » avant de mettre son veto à la résolution de l’ONU. Puis, il lui a assené que « tout dialogue (entre nous) à propos de la Syrie est désormais vain ». Alors que l’agence officielle de presse saoudienne relatait le contenu de cet échange, la présidence de Russie n’a rien publié. Premier signe d’embarras ?

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