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La guerre d’indépendance «médiatique» a été gagnée par les Algériens

 
Marie Chominot. Historienne, docteur à l’université Paris VIII
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le 23.09.11 | 01h00 Réagissez

 

C’est un autre regard sur la guerre de Libération que propose Marie Chominot. Après Alger et Constantine, elle animera une conférence à Annaba* sur le thème «Guerre d’Algérie, guerre des images». Son travail de recherche, qui a duré six ans, porte sur les pratiques et les usages de la photographie pendant la guerre, côté français et algérien. Il sera publié en septembre 2012 aux éditions Payot.

-Votre recherche a porté à la fois sur le fonds photos français et algérien. Qu’est-ce que cette confrontation vous a permis de découvrir ?

Que les fonds sont très inégaux, de quelque milliers de photos du côté algérien contre quelques centaines de milliers du côté français. Le Gouvernement provisoire de la République algérienne avait bien un photographe attitré, Mohamed Kouaci, mais il se trouvait en Tunisie et ne pouvait pénétrer sur le territoire algérien du fait de la ligne Morice.

-Malgré cela, vous considérez que l’Algérie a gagné cette guerre médiatique...

Oui. La part de l’image dans le conflit et sa médiatisation ont été des facteurs importants pour arriver à une solution négociée. Les Algériens avaient élaboré une stratégie de récupération d’un maximum de photos produites dans le camp français. Ils ont aussi favorisé le séjour de journalistes étrangers dans les maquis. Leur fonds est peu important, mais très varié et ils ont su l’utiliser à plein dans des publications, comme Résistance algérienne qui deviendra plus tard El Moudjahid. Mais c’est surtout à l’échelle internationale que l’on a vraiment vu s’affronter les deux propagandes, les Algériens distribuant aux délégations étrangères à l’ONU des brochures illustrées via la délégation extérieure du FLN à New York.

-Mais comment les Algériens ont-ils mesuré si vite l’importance que pouvait prendre l’image ?

Parmi les personnes qui ont mis sur pied le service d’information du FLN, il y avait plusieurs courants. Pour certains comme Réda Malek, le contenu, et donc les textes étaient les plus importants. D’autres, qui avaient fait leurs études ou séjourné en Europe et qui avaient été au contact de la presse occidentale, comme Boudiaf, savaient quel rôle l’image pouvait avoir. Ceci dit, je ne suis pas sûre que ce soit l’unique raison, car il existait déjà une presse dans les milieux nationalistes. Il faut aussi prendre en compte le rôle de la délégation à l’ONU.

Dans le domaine de l’utilisation de l’image, les Etats-Unis étaient bien plus en avance que la France. Sans en avoir la preuve, on peut émettre l’hypothèse que quelqu’un comme Chanderli, représentant du FLN à New York, marié à une Américaine, a aussi eu une influence. Enfin, peut-être que les Algériens ont aussi été influencés par d’autres pays arabes comme l’Egypte ? Ils savaient qu’ils devaient combattre leur adversaire avec les mêmes armes. On peut parler d’une forme de mimétisme. Le GPRA élaborait des pochettes de photos, des affiches, des brochures qui, sur la forme, étaient identiques à celles fabriquées par l’armée française. La propagande algérienne n’était pas à la traîne de la propagande française ! Il est même arrivé que cette dernière ait à répliquer à une initiative algérienne.

-Vous avez un exemple en tête ?

En septembre 1957 devait se tenir une nouvelle session de l’Assemblée générale de l’ONU. En juillet, le FLN produit une brochure avec de nombreuses images et l’intitule «Aspects de la révolution algérienne». Elle est aussi déclinée en dépliant, en français et en anglais. Du côté français, une brochure illustrée est également en cours de fabrication. Il s’agit du deuxième volume d’un livre blanc consacré à dénoncer les «crimes et les attentats commis en Algérie par les terroristes». En prenant connaissance de la brochure algérienne, les Français ont été obligés d’adapter leur publication et de la renommer «Aspects véritables de la rébellion algérienne» !

-La guerre d’Algérie marque-t-elle une période importante dans le contrôle des images par les Etats ?

Elle marque la fin d’une période. Pendant la guerre du Vietnam, les Américains ont adopté une stratégie différente. Ils ont laissé les journalistes civils libres sur le terrain, avec les résultats que l’on connaît. Si bien qu’aujourd’hui, les Etats-Unis et la France sont revenus à un modèle très proche de celui adopté pendant la guerre d’Algérie : le journalisme embedded (pris en charge par l’armée, ndlr).

-Vous dites que la propagande française s’inspire de celle utilisée en Indochine ?

Les méthodes d’action psychologique pour détacher les populations du FLN et les amener à rallier la France ont déjà été testées pendant la guerre d’Indochine. Elles sont systématisées en Algérie : des petites compagnies ont été créées pour effectuer des tournées en camions ciné, équipés de haut- parleurs et de panneaux photo. Les Français sont partis du principe qu’ils n’avaient pas gagné contre le Vietminh parce qu’ils n’avaient pas contrôlé les esprits… «La méconnaissance, dans les opérations en Indochine, de la part prépondérante de la lutte psychologique conduite par l’ennemi et le retard, sinon l’impuissance, à lui opposer des parades efficaces, sont l’une des causes essentielles de nos revers sur ce théâtre d’opérations»,  constatait le ministre de la Défense en octobre 1955.

* Au CCF à 17h. 8, bd du 1er Novembre 1954. Tél. : 038 86 45 40/038 80 22 59. 

Mélanie Matarese
 
 
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