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1 Septembre 2012
Nous commémorons cette année le 54e anniversaire de la création du GPRA, dans une indifférence de plus en plus marquée et pourtant le 19 septembre 1958, qui a vu la naissance du premier gouvernement algérien, est la troisième date en importance sinon la plus importante dans l’histoire de la lutte de libération nationale déclenchée le 1er Novembre 1954, après le 20 août 1955, date de la généralisation de l’insurrection dans le Nord-Constantinois et le 20 août 1956, date de la tenue du congrès historique du FLN dans la vallée de la Soummam.
Son importance première se situe au niveau de la symbolique. En effet, la mise en place de ce gouvernement signifiait la résurgence de l’Etat algérien avec une direction nationale officielle. Elle a été d’ailleurs perçue par le peuple algérien, tout entier, comme la mise entre parenthèse de l’autorité coloniale exercée depuis plus d’un siècle et le rattachement direct du combat pour l’indépendance à la légitimité historique de la souveraineté algérienne antérieure confisquée par la colonisation.
La symbolique n’était pas cependant la fin en soi. Le pragmatisme commandait, pour sa part, que face aux défis internes et externes, l’encadrement de la lutte de libération gagnât en représentativité, en cohésion et en efficacité pour lui impulser une dynamique nouvelle.
L’efficacité sera recherchée par la définition au niveau du cabinet gouvernemental de missions et d'attributions précises pour chaque ministre.
La cohésion se fera par un choix équilibré des personnalités représentant les différents courants œuvrant au sein du FLN (militants de l’OS et du CRUA, centralistes du MTLD,UDMA, Oulémas).
La représentativité enfin par des figures politiques de premier plan agissant sous la direction d’un chef, le Président Ferhat Abbas dont l’envergure politique dépassait les frontières de l’Algérie et de la France, et dont la mission était de s’affirmer comme le représentant de cette révolution et son porte-voix.
La désignation d’un homme à la tête de la Révolution constitue d’ailleurs une nouveauté car, depuis le 1er Novembre 1954, les différentes directions, qui se sont succédé, pratiquaient l’exercice collégial de l’autorité se gardant d’autoriser toute prééminence de l’un des dirigeants sur les autres. Cette défiance vis-à-vis du chef, qui avait prévalu jusque-là, dérivait directement de la crise du MTLD et de son chef le « zaïm » Messali Hadj contesté pour son autoritarisme considéré comme la source principale de l’immobilisme du Parti.
Il n’est pas superflu de rappeler comment cette défiance à l’égard du chef unique s’est exprimée au moment même du déclenchement de la Révolution.
Le 1er novembre 1954, en lançant l’action armée, le FLN naissant avait théoriquement recensé et réglé les problèmes majeurs liés à l’organisation de la lutte :
L’expérience a bien montré que c’est cette dernière hypothèse qui a prévalu, pour peu de temps d’ailleurs, puisqu’à l’extérieur un consensus se fit rapidement sur une répartition des tâches qui permit à Ben Bella et Boudiaf de s’occuper de logistique et à Khider et Aït Ahmed des aspects politiques liés à la promotion du message et de l’image de la Révolution. Les dirigeants de l’intérieur avaient bien envisagé, dès le départ, la tenue d’une réunion d’évaluation quelques mois plus tard, mais les circonstances de la lutte, caractérisée par des difficultés de tous genres, notamment le manque de liaison et la mort de certains d’entre eux au combat, ne le permirent pas, accentuant la coupure entre eux et favorisant une gestion quasi autonome de chaque zone par son encadrement originel.
La fin de l’année 1955 et le 1er semestre de l’année 1956 virent, toutefois, un timide début de contact entre Alger et Le Caire par un échange de courrier entre Abane et Khider, suivi par un déplacement de Ben M’hidi au Caire en janvier 1956 et de l’envoi d’un émissaire de Abane vers Zighoud Youcef vers la mi-1956.
C’est à partir de ces maigres contacts que se projeta l’idée de l’organisation enfin de la réunion précédemment programmée.
Cette idée se concrétisa, le 20 août 1956 au congrès de la Soummam où les dirigeants principaux, en nombre réduit par ailleurs (Ben M’hidi - Abane - Krim - Zighoud – Ouamrane - Bentobbal) décidèrent, outre les aspects idéologiques de charte politique, et stratégiques d’organisation militaire, de doter le FLN de structures nationales de commandement, au lieu et place des structures régionales, jugées inaptes à sa survie et à son épanouissement. C’est ainsi que fut créée une instance souveraine supérieure le Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA) de 34 membres (17 titulaires et 17 suppléants) et un Comité de coordination et d’exécution (CCE) de 5 membres (Ben M’hidi - Abane - Krim – Benkhedda et Dahlab), chargé comme son nom l’indique de la conduite des actions décidées par le CNRA.
Là aussi, comme au 1er novembre 1954, le principe de la direction collégiale a été réaffirmé et aucun responsable n’a été formellement chargé d’assumer l’exercice de l’autorité de commandement notamment à la tête de ce directoire du FLN qu’était le CCE.
Le premier acte d’autorité du CCE fut d’envoyer des émissaires dans les diverses Wilayas pour faire part des résolutions du Congrès et régler des problèmes organiques épineux tels que :
A part cela, le CCE, confiné à Alger, n’eut de prise réelle que sur la capitale, avec beaucoup de réussite, il est vrai, sur l’organisation locale au plan politique et militaire. Une réussite telle qu’elle appela à un sursaut des autorités françaises qui mobilisèrent tous les moyens juridiques, organisationnels et opérationnels pour tenter d’en venir à bout.
Ce fut le déclenchement de la Bataille d’Alger où les armes de la torture et de la répression furent massivement utilisées. La pression fut si forte qu’après la mort des principaux chefs de l’organisation locale et l’arrestation puis l’assassinat de Larbi Ben M’hidi, le CCE dut se résoudre à quitter Alger et à se déployer hors des frontières en mars 1957. Cette sortie hors des frontières et l’arrivée d’une équipe amoindrie du CCE au Caire ne facilitèrent pas, bien au contraire, l’exercice de l’autorité de manière consensuelle, en raison de la présence et de l’opposition de dirigeants tout aussi représentatifs mais non membres de cet organe. La contestation fut même encouragée pas Ben Bella et ses camarades détenus en France, depuis le détournement de leur avion sur Alger le 22 octobre 1956. Les uns et les autres contestaient, qui la composition du CNRA et du CCE issus du congrès de la Soummam, qui les principes et orientations de la plate-forme politique.
Finalement, la décision de tenir une nouvelle réunion du CNRA au Caire fut prise et celui-ci, réduit à 8 membres titulaires sur 17, en raison des arrestations opérées par l’Armée française notamment les cinq ou de la présence de certains autres en Algérie même, c’est à dire ne disposant pas du quorum exigible de 12 membres, dut se résoudre à un compromis et à accepter l’accès à la réunion des membres suppléants présents au Caire et de 5 membres cooptés pour la circonstance (Houari Boumediene, Mahmoud Chérif, Mohamed Lamouri, Amara Bouglez, Amar Benaouda).
Le nouveau CNRA, réuni du 20 au 28 août 1957, prit la décision de :
Il fallut quelques mois pour que la crise s’estompât et que le CCE reprît ses activités plus ou moins normalement.
Le 8 avril 1958, fut annoncée la répartition des tâches entre les huit membres restant du CCE, missions qui constituent le prélude de ce que sera l’organisation du GPRA cinq mois plus tard.
Ce début 1958 s’annonçait une année riche en événements et la structure ainsi mise en place se devait de prendre toutes les initiatives pour faire face à l’environnement national, régional et international qui se trouvait être en relation directe avec le destin de la Révolution.
Les coups de boutoir de l’ALN et l’engagement du peuple algérien mobilisé derrière le FLN créent une grande instabilité au niveau de la hiérarchie politique en France.
Quatre gouvernements se succèdent en quelques mois, divisant les partis et l’opinion publique pour aboutir en fin de compte à l’effondrement de la IVe République.
Ces difficultés et ces succès encouragent le CCE qui lance une action politique et diplomatique intense qui se traduira par l’organisation de la conférence de Tanger le 25 avril 1958, conférence qui jettera les bases d’une coordination plus grande des trois pays maghrébins pour un combat politique unitaire. C’est cette même conférence qui appuie, par une résolution, le souhait du FLN de constituer un gouvernement. Souhait exprimé par le CNRA en août 1957 et conforté, depuis, par de nombreux dirigeants Aït Ahmed, Ben Bella, Krim Belkacem, Boussouf, Ferhat Abbas, Mabrouk Belhocine etc.
L’investiture du général de Gaulle, rappelé après les événements du 13 mai 1958 en tant que chef du gouvernement, crée une donnée nouvelle en ce sens qu’elle lui permet de réorienter la politique de son pays en prônant l’intégration des trois départements algériens à la France dans le cadre du réaménagement de la Constitution envisagé. De la même manière, il entreprend de contrarier l’action politique du FLN auprès de ses alliés les plus utiles au sein de l’espace régional maghrébin dessiné par la conférence de Tanger. Ainsi, par des contacts directs avec les deux pays voisins, il réussit à compromettre les résultats attendus de la conférence de Tunis tenue fin juillet 1958. Le FLN réplique par une série de mesures : extension de la lutte armée en France même, le 25 août 1958 et surtout création d’un gouvernement algérien afin de hisser l’organe de direction du FLN (le CCE) au niveau requis pour une représentativité plus conforme à l'exigence des relations internationales et mieux réaffirmer, auprès de toutes les parties, son engagement à poursuivre la lutte jusqu’à la concrétisation des objectifs d’indépendance.
La décision arrêtée, il restait à régler un certain nombre de préalables techniques et politiques :
L’appui de ses pairs Bentobbal, Boussouf et Mahmoud Chérif, au premier nommé, emporta la décision au cours d’une ultime réunion du CCE le 9 septembre 1958.
La proclamation officielle est faite par le Président Ferhat Abbas le 19 septembre 1958 à 12 heures au cours d’une cérémonie officielle au Caire, tandis que Krim Belkacem et Abdelhafid Boussouf informaient respectivement le Président Bourguiba et le roi Mohamed V, de vive voix, quelques heures auparavant alors qu’ils espéraient être consultés préalablement à toute décision.
Les résultats de cette annonce dépassent les espérances. Presque tous les pays membres de la Ligue arabe reconnaissent le GPRA de même que la Chine, le Pakistan, l’Indonésie, et quelques pays africains indépendants. La Yougoslavie est le premier pays européen à annoncer une reconnaissance « de facto ». Cette reconnaissance ira en s’accentuant jusqu’à arriver au nombre de 31 pays quelques mois plus tard. Le moment le plus marquant a été naturellement la reconnaissance « de facto » par l’Union soviétique et l’audience accordée en 1960 par son secrétaire général Nikita Khrouchtchev au vice-président et ministre des Affaires étrangères du GPRA, Krim Belkacem à New-York, en marge de la réunion de l’Assemblée générale des Nations unies.
Le GPRA reprenait donc les tâches du CCE, à savoir :
Le Président du GPRA et des ministres entreprennent de nombreuses tournées à l’étranger à Rabat, Le Caire, Riyad, Damas, Baghdad, Belgrade, Moscou, Pékin,… Des missions du FLN, véritables ambassades avec statut particulier, remplacent les bureaux du FLN. Dans de nombreux forums et conférences, le GPRA est admis en qualité de membre à part entière au lieu du statut d’observateur qu’il avait précédemment. L’aide financière et matérielle s’accroît, particulièrement en matière d’armement, acquis maintenant directement auprès des Etats (Chine, Tchécoslovaquie, Yougoslavie) au lieu et place des marchands d’armes privés qui ont souvent été des informateurs privilégiés des services de renseignement et d’action français. Paradoxalement c’est la cohésion intérieure qui tarde à se cimenter.
Malgré un équilibre politique apparent au niveau du gouvernement entre les différents courants et surtout la présence des responsables militaires les plus représentatifs, la machine est lourde à mettre en branle pour discipliner les commandants d’unités de l’ALN implantées aux frontières. Les colonels Lamouri et Aouachria, membres du CNRA, et quelques-uns de leurs adjoints en particulier, contestent le GPRA et entravent directement l’action de son ministre des Forces armées. La crise est dissipée par leur neutralisation en novembre 1958.
Sur le front intérieur, quatre autres colonels chefs de Wilaya (Amirouche, Si El Haoues, Hadj Lakhdar et Si M’hamed) se réunissent dans le Nord-Constantinois, en décembre 1958, pour faire le point et rédiger une requête vigoureuse au GPRA lui demandant d’apporter un intérêt plus conséquent à la lutte armée en faisant acheminer l’armement nécessaire à la poursuite du combat. Ali Kafi et Lotfi, autres chefs de Wilaya en exercice, ne s’associeront pas à cette démarche.
Ces différentes manifestations d’humeur traduisent l’absence de consensus et de cohésion au sein de l’organe souverain, le CNRA, qui apparaît divisé sinon affaibli. Un signe de cet affaiblissement est de rappeler qu’il n’a pas été réuni pour décider de la création du GPRA.
Durant le premier semestre de l’année 1959, le Président Ferhat Abbas, très à l’aise pour la gestion des problèmes politiques touchant à la place du FLN dans le monde, n’arrive pas à s’imposer au trio Krim, Bentobbal, Boussouf chargés de la tutelle sur les problèmes militaires. Ces problèmes internes, inconnus du grand public, n’avaient pas gêné l’évolution de la situation politique toujours favorable au FLN.
En août 1959, le Président Ferhat Abbas marque de nouveau son désaccord avec ses pairs et au lieu du CNRA, il sollicite l’arbitrage des militaires chefs de commandement.
Dix colonels (Boumediene, Lotfi, Sadek, Hadj Lakhdar, Yazourène, Mohammedi Saïd, Ali Kafi ainsi que Krim, Boussouf et Bentobbal) se réunissent à Tunis au siège du MALG du 10 septembre au 12 décembre 1959.
Ces longs débats s’achèvent sur une conclusion : réunir le CNRA pour une nouvelle distribution des tâches. Conforté par les recommandations des colonels, le CNRA, réuni du 18 septembre 1959 au 8 janvier 1960, reprend un semblant d’autorité et décide de reconduire Ferhat Abbas à la tête d’un exécutif plus réduit, tout en préconisant et en décidant la création d’un Etat-major général de l’ALN unifié, confié au colonel Boumediene assisté des commandants Kaïd Ahmed, Mendjli et Azzeddine, d’un Comité interministériel de la guerre composé des trois ministres Krim, Boussouf et Bentobbal, deux structures directement responsables de la conduite de la lutte armée.
La stratégie du général de Gaulle qui s’appuyait sur l’intensification de la lutte contre les unités de l’ALN par la mise en œuvre de grandes opérations offensives dites « opérations Challe » et qui s’appuyait également sur une promesse de développement économique au titre du « Plan de Constantine », ne lui apporte pas les résultats escomptés. Pas plus que les démarches entreprises lors de ses voyages en Algérie pour susciter l’émergence de courants politiques parallèles susceptibles d’affaiblir le FLN tels que la 3e Force ou le Front algérien d’action démocratique. Il est important de souligner que depuis 1958, du fait de la construction par l’armée française de barrages frontaliers électrifiés et minés quasiment hermétiques, l’apport extérieur à la lutte intérieure au plan matériel se réduisait graduellement. Cette rupture d’équilibre avait certes suscité quelques rancœurs chez certains responsables de l’intérieur qui s’estimaient abandonnés. Elle ne diminua en rien leur respect de la hiérarchie au sommet du FLN et n’entacha nullement leur ardeur à continuer la lutte malgré les immenses difficultés rencontrées. De toute manière, ces responsables voyaient clairement en face d’eux une armée française qui après s’être embourbée dans le guêpier algérien se désagrégeait progressivement, signe évident de la victoire finale. Tout à leurs préoccupations quotidiennes, ils ne participaient pas au débat des hauts dirigeants de l’extérieur qui misaient, chaque clan de son côté, sur leur adhésion le moment venu.
Sur l’échiquier international, la diplomatie algérienne engrange des points positifs. L’ONU enregistrait en août 1959 une nouvelle proposition de résolution déposée par le groupe Afro-asiatique plus favorable aux thèses défendues par la délégation algérienne. Cette résolution qui devait être examinée à l’automne de la même année et qui recommandait la reconnaissance du droit du peuple algérien à l’autodétermination et à l’Indépendance, avait numériquement toutes les chances d’être adoptée. Cette éventualité fit réagir le général de Gaulle, qui annonce le 16 septembre 1959, que le gouvernement français appellera le peuple algérien à se prononcer sur son devenir par un scrutin d’autodétermination. Il ne précise cependant ni la date ni le contenu des questions auxquelles la population devra répondre et encore moins l’assiette territoriale sur laquelle se déroulera cette consultation. Cette demi-victoire dope littéralement la résistance du peuple algérien qui perçoit les prémices d’une victoire proche.
La minorité française, par contre, est surprise par le retournement de l’homme qu’elle croyait avoir aidé à prendre le pouvoir pour renforcer l’intégration de l’Algérie à la France.
Le président du GPRA, qui avait annoncé, dès son investiture en 1958, la disponibilité du FLN à rechercher une solution politique au problème algérien voit aboutir son initiative deux années plus tard, lorsque le général de Gaulle, après avoir tenté toutes les actions de caractère politique, diplomatique et militaire, notamment exploiter les malentendus intérieur - extérieur en recevant en avril 1960, des officiers de la Wilaya IV, pour leur proposer sa solution de paix des braves, se retrouve contraint de rechercher le contact avec le FLN pour des premiers pourparlers. La rencontre entre deux délégations algérienne et française, à Melun en mai 1960, ne donne rien.
Le GPRA maintient la pression et à l’automne de la même année les populations algériennes ouvrent un nouveau front en descendant dans la rue et en scandant des slogans favorables au GPRA et à Ferhat Abbas. Ces manifestations sont sévèrement réprimées en particulier à Alger le 11 décembre 1960. Devant cette situation, le général de Gaulle autorise de nouveaux contacts secrets avant d’engager ses équipes à des discussions officielles en Suisse avec les représentants du GPRA, reconnu représentant exclusif du peuple algérien au cours de la première rencontre qui aura lieu à Evian en mai 1961. Une autre rencontre suivra à Lugrin en juillet. Cette deuxième rencontre est stoppée à l’initiative de la partie algérienne en raison de la position française sur le Sahara qu’elle souhaite maintenir hors de la souveraineté algérienne.
Krim Belkacem, vice-président et ministre des Affaires étrangères, qui a dirigé la délégation algérienne à Evian, revient cependant sur les problèmes intérieurs et provoque une nouvelle crise au sein du GPRA en briguant ouvertement le poste de Président à la place de Ferhat Abbas.
Le CNRA se réunit, de nouveau, en août 1961 et procède à un remaniement du GPRA avec une troisième équipe dirigée cette fois par Benyoucef Benkhedda.
Le choix de Benkhedda au lieu et place de Ferhat Abbas à la tête du GPRA donne satisfaction à moitié aux membres de l’Etat-major général. Benkhedda se montrera cependant intraitable pour défendre les acquis positifs du GPRA contre les critiques qui lui sont adressées et qu’il juge infondées. Il privilégie la poursuite de l’action politique engagée notamment pour faire avancer les négociations dans le respect des principes originels en gommant au fur à mesure les arguments et les réticences de la partie française.
Le colonel Boumediene, pour sa part, fort de son bilan à la tête de l’Etat-major général qui a permis la restructuration, la réorganisation et le renforcement de l’armée des frontières tout en fédérant la presque totalité des officiers de cette armée autour de ses orientations politiques, se cherche des alliés parmi les dirigeants politiques en marge du GPRA, pour influer sur la suite des événements, pensant déjà aux choix idéologiques liés au devenir de la Révolution après l’Indépendance qui s’annonce inéluctable.
C’est dans cette ambiance que se poursuivent les contacts secrets des représentants du GPRA avec des délégués français durant tout l’automne de 1961. Les négociations officielles entre les deux parties, qui reprennent le 11 février 1962 aux Rousses, se soldent par des accords de principe sur la quasi-totalité des dossiers. Cet avant-projet d’accord est soumis au CNRA qui l’adopte à la presque unanimité (45 voix contre 4). Une dernière réunion officielle se tient à Evian le 10 mars 1962 et les accords définitifs sont signés le 18 mars avec fixation du cessez-le-feu pour le lendemain 19 mars 1962 à 12 heures.
Par ces accords le FLN, grâce à l’action de sa direction exécutive le GPRA, et malgré les écueils internes et externes, venait de couronner le long et difficile combat du peuple algérien en obtenant satisfaction sur l’ensemble des objectifs assignés à la lutte dans l’appel du 1er Novembre 1954 et constamment réaffirmés depuis, à savoir :
La période du cessez-le-feu mit cependant un GPRA, fier d’avoir rempli avec succès sa mission, devant de nouvelles difficultés générées par la montée des ambitions pour la conquête du pouvoir démontrant, cette fois-ci, l’inefficacité des mécanismes d’accès au pouvoir de manière consensuelle.
Ces développements sur la problématique du pouvoir peuvent paraître longs et s’appesantir, un peu trop, sur les difficultés éprouvées par les dirigeants de la Révolution à s’entendre sur l’adoption, dans ce domaine, d’une doctrine claire qui à défaut d’être commune se devait d’être au moins partagée par le plus grand nombre. Ces désunions conjoncturelles n’enlevaient rien cependant au mérite des uns et des autres dans l’exercice de leur mission au service de la patrie.
Il s’agit là, d’une réalité historique. Si beaucoup de peuples ont mené des luttes de libération, unis, derrière un chef incontesté à l’image d’un Gandhi, Nasser, Tito, Nkrumah, Mohammed V, Bourguiba ou Castro, la Révolution algérienne disposait, dès le 1er Novembre 1954, d’un réservoir de dirigeants d’égale valeur, en grand nombre. Ils furent rejoints ou relayés, au fur et à mesure, par d’autres dirigeants politiques importants sans omettre les cadres responsables de la lutte à l’intérieur qui ne tardèrent pas à s’affirmer les égaux des premiers. La présence de tant de cadres d’horizons divers au niveau de l’instance suprême du FLN, le CNRA, qui était loin d’être une simple chambre d’enregistrement, avait donné lieu, jusque-là, à des débats d’une grande âpreté où la liberté de ton le disputait au courage, la dialectique au bon sens, le tout fort heureusement dans un cadre officiel, réellement démocratique mais suffisamment feutré, qui ne favorisait guère les indiscrétions susceptibles de nuire aux intérêts du FLN et de la Révolution.
Mais à la veille de l’Indépendance, l’heure était aux choix décisifs. L’esprit de solidarité, de collégialité et de responsabilité, qui avait prévalu jusque-là, a perdu ses droits tant les rancœurs accumulées et exacerbées, ajoutées aux enjeux idéologiques et politiques étaient grandes. Les clans s’affrontèrent, pour la première fois, à visage découvert, pour l’exercice de la tutelle sur la Révolution en vue d’imposer au peuple, par avance, tel ou tel projet de société.
Bien que d’accord sur le texte de la charte politique adoptée à l’unanimité lors de la réunion du CNRA le 28 mai 1962 à Tripoli et dont le maître mot était justice sociale, les uns et les autres avaient une vision tout à fait différente sur la démarche à adopter pour sa concrétisation sur le terrain une fois l’Indépendance acquise. Pour Benkhedda et les autres membres du GPRA, l’objectif est de s’appuyer sur l’élite pour que cette indépendance soit effectivement le point de départ d’une vie de liberté, de progrès et de prospérité, en somme une approche libérale avant l’heure.
Pour le colonel Boumediene et ses alliés, la révolution ne peut être que radicale avec comme maître d’œuvre les forces sociales qui l’ont portée au cours des sept années de souffrance et de privations, c'est-à-dire l’armée, les paysans et les travailleurs.
Le paradoxe dans cette affaire c’est que les alliances qui se nouent au cours de cet ultime débat ne répondent à aucune logique. On verra le révolutionnaire pur et dur Boudiaf à côté de Benkhedda et les libéraux Ferhat Abbas et Francis soutenir le duo Ben Bella - Boumediene.
Les membres influents du GPRA, Benkhedda, Krim, Boussouf et Bentobbal furent fortement attaqués par ce CNRA dont la composante était favorable à l’E.-M.G. soutenu par Ben Bella et Khider. Ces opposants leur reprochaient, malgré les résultats obtenus, de s’être déviés de la voie révolutionnaire et demandaient le remplacement du GPRA par un Bureau politique du FLN.
Les membres du GPRA quittèrent la réunion, suivis par Boudiaf et Aït Ahmed, considérant que celui-ci signataire des accords d’Evian était le garant de leur application jusqu’à l’Indépendance et que sa disparition risquait d’ouvrir la porte à toutes les aventures. Ils espéraient surtout laisser la porte ouverte à la poursuite des travaux du CNRA en Algérie même, au lendemain de l’Indépendance et pourquoi pas le transformer en un grand Congrès où le peuple souverain aura son mot à dire. En conclusion, il ne faut surtout pas croire que les dirigeants de la Révolution avaient perdu de vue ou manqué à leurs obligations ou à leurs devoirs de responsables vis-à-vis de la lutte de leur peuple qui leur donna le meilleur exemple de courage et d’abnégation. Leur patriotisme était intact, comme au premier jour, mais leur faculté à s’unir dans l’action, jusqu’au terme final, se délitait au fur et à mesure que la victoire les rapprochait du nouvel objectif à mettre en chantier : la gestion de l’après- indépendance. Fort heureusement trois semaines seulement séparaient ces événements de la date du scrutin pour l’autodétermination.
Le 1er juillet 1962, le peuple algérien confirmera, par un vote massif, le choix de l’indépendance et devant la persistance de la division de ses dirigeants, c’est également lui qui descendra dans la rue, un mois plus tard, pour imposer aux différentes fractions l’arrêt de la confrontation afin de savourer une victoire dont il a été, de par son engagement sans faille et le poids des immenses sacrifices consentis, le principal artisan.
D.O.K