Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Espace conçu pour les Démocrates de tous bords.

Réseau des Démocrates

L'Affaire Si Salah


Sadek Sellam Historien de l’islam contemporain.

 

In  CAIRN.Info

 

Les raisons de l’échec des négociations secrètes qui aboutirent à la rencontre du 10 juin 1960 entre de Gaulle et la délégation de la Wilaya 4, conduite par le colonel Si Salah, restaient insuffisamment connues. Les révélations contenues dans les mémoires que publie récemment en arabe le commandant Lakhdar Bouréga comblent une partie de ces lacunes. Les témoignages de cet acteur de l’ « affaire de l’Élysée » renseignent également sur le vécu de l’ALN et retracent les parcours des grandes figures de la Wilaya 4. 

 

Bouregaa.jpgLakhdar Bourèga, l’ancien chef de la katiba (compagnie) Zoubiria, a vécu à l’intérieur de la wilaya IV l’affaire Si Salah, en tant qu’adjoint militaire du capitaine Abdelatif, le chef de la mintaka 42. Dans ses Mémoires, parues en arabe sous le titre Témoin de l’assassinat de la Révolution (Dar al Hikma, Alger), il fait des révélations sur cet épisode de la guerre d’Algérie. Sadek Sellam résume dans cet article la relation par L. Bourèga de cette « ténébreuse affaire ». Si Lakhdar Bourèga a lu les épreuves de cet article qu’il a trouvé conforme à ses mémoires.

 

Les protagonistes de l’affaire

 

Le discours du 16 septembre 1959 dans lequel le général de Gaulle a parlé d’autodétermination a rencontré un écho favorable chez certains officiers supérieurs de l’ALN. Ceux-ci manifestaient de plus en plus de confiance envers le chef de l’État qu’ils croyaient être en mesure d’aller vers une solution satisfaisante du conflit algérien par la voie de la négociation. L’idée même d’autodétermination leur paraissait représenter un début de reconnaissance des revendications politiques pour lesquelles ils combattaient depuis cinq ans.

 

La même intervention provoquait la consternation chez les officiers de l’armée française d’Algérie qui croyaient à une issue militaire. C’est en confiant leur perplexité au colonel Alain de Boissieu, qui était chef de cabinet du délégué général Paul Delouvrier, que ces partisans d’une victoire militaire ont entendu le gendre de De Gaulle leur répondre que seule « la neutralisation d’un chef de wilaya » pourrait dissuader son beau-père de chercher à négocier avec le GPRA. Le colonel Henri Jacquin qui dirigeait le BEL (Bureau d’études et de liaisons) assistait à l’entretien. Il passa aussitôt en revue la situation de toutes les wilayas avant de jeter son dévolu sur « la IV ».

 

Malgré les graves difficultés internes dues notamment aux défections provoquées par l’offre de la « Paix des braves » par le général de Gaulle en septembre 1958, et qui donnèrent lieu à de sévères mesures d’ « épuration », et en dépit des rudes coups portés en 1959 par l’opération « Courroie » du plan Challe qui lui valut de perdre près de la moitié de ses effectifs, la wilaya de l’Algérois gardait, avec ses 2 500 djounouds (selon les estimations du BEL), une importance militaire certaine [1]. Selon Jacquin, la wilaya IV était restée « le phare de la résistance intérieure ».

 

L’affaire Si Salah, ou opération « Tilsit », est née de la diffusion au sein de l’ALN de l’idée d’une paix séparée par les officiers du BEL, qui étaient dirigés notamment par le capitaine Heux. Les manipulations de ce spécialiste de la guerre psychologique avaient été à l’origine de la mise en place de la Force K, un faux maquis créé en 1957-1958 près d’Aïn Defla, sous la direction de Djilali Belhadj, dit Kobus [2], un ancien de l’OS passé au début des années 1950 au service du SLNA du colonel Schoen. L’action du BEL au sein de la wilaya IV avait en quelque sorte anticipé le désir de quelques officiers supérieurs de celle-ci de répondre directement aux offres du général de Gaulle. Ajoutée aux contacts qu’avaient déjà noués avant le 13 mai 1958 avec le FLN et l’ALN de la région d’Alger des gaullistes comme Lucien Neuwirth, cette action favorisa l’émergence d’un véritable courant « degaulliste » (Jacquin) au sein de la wilaya IV [3]. C’est le commandant Lakhdar Bouchama qui faisait figure de chef de file de ce courant attentif aux propositions du général de Gaulle.

 

Né au début des années trente à Novi près de Ténès, L. Bouchama avait fait des études de lettres à Alger. Il a rejoint l’ALN en 1956 dans sa région natale. Il avait servi dans le commando zonal Djamal avant d’être promu capitaine chef politico-militaire de la zone 4 (Ténès-Cherchell). Le 14 janvier 1960, le conseil de la wilaya IV a été convoqué, par le commandant Si Salah, pour la première fois depuis la mort mystérieuse du colonel Si M’hamed, le 5 mai 1959 à Ouled Bouachra, près de Médéa. À cette occasion, Si Lakhdar Bouchama a été promu commandant, chargé des Renseignements et liaisons au sein du nouveau conseil de wilaya. À la fin de cette réunion, le commandant Lakhdar arrive à convaincre le commandant Halim de l’utilité d’engager des pourparlers directs avec les Français. Originaire de Sidi Aïssa, Halim était un ancien condisciple de Boumediene à l’université islamique d’El Azhar.

 

Après une période d’instruction dans une académie militaire égyptienne, il était passé par le camp d’entraînement d’Amrya [4]. Il était arrivé en 1957 dans la wilaya IV où il est devenu assez rapidement capitaine, responsable politico-militaire de la zone 1 (Palestro-Tablat). À la réunion du 14 janvier 1960, Halim est promu commandant, membre du conseil de wilaya avec le titre de commissaire politique. On peut supposer que les souvenirs mitigés ramenés du Caire, où il avait observé les dissensions au sein du CCE du FLN, l’avait prédisposé à être réceptif aux sévères récriminations du commandant Lakhdar Bouchama contre l’ALN et le FLN de l’extérieur.

 

Les deux membres du conseil de la wilaya ont pu rallier à leurs vues le capitaine Abdelatif, le chef de la zone 2 (Médéa-Aumale). De son vrai nom Othman Telba, Abdelatif était originaire de Koléa. Sa qualité d’ancien du commando zonal Ali Khodja lui valait un grand prestige auprès de ses djounouds. Ce « militaire sobre de gestes et de paroles » (Jacquin) avait été arbitrairement emprisonné en 1957 par l’ALN du Maroc, d’où il a pu s’échapper en compagnie du docteur Farès, le neveu d’Abderrahmane Farès, natif comme lui de Koléa et qui venait d’achever ses études de médecine à Montpellier. Abdelatif était revenu à la wilaya IV assez mécontent de ce qu’il avait vu et vécu au Maroc.

 

Les soupçons de L. Bourèga

 

Il avait comme adjoint militaire au sein du conseil de la zone 2 le lieutenant Lakhdar Bouregaa. Dans ses mémoires publiés en arabe à Alger sous le titre évocateur Témoin de l’assassinat de la révolution, il se souvient qu’il a reçu le 2 mars 1960 une convocation des commandants Lakhdar et Halim lui demandant de venir, seul et dans le plus grand secret, les rejoindre au douar Bouakiria près de Tablat. Ses deux supérieurs, avec lesquels il est resté du 12 au 18 mars, lui ont demandé d’interrompre la préparation des contingents que la wilaya IV avait l’habitude d’envoyer comme renforts aux wilayas qui étaient en difficulté [5]. Ils l’ont interrogé sur le commandant Si Mohamed, l’adjoint militaire de Si Salah, pour savoir s’il était parti accomplir sa mission en zone 3, puis dans la wilaya V. L. Bouregaa fut intrigué par ce contre-ordre donné par des supérieurs qui étaient censés se rendre dans les wilayas I et VI pour l’accomplissement des missions décidées lors de l’importante réunion du 14 janvier. Alors qu’il s’interrogeait sur les raisons cachées de ces changements, le lieutenant Lakhdar a vu arriver à El Bouakiria son supérieur immédiat le capitaine Abdelatif qui rentrait d’une mission secrète à Médéa, dont il saura plus tard qu’elle consistait à rencontrer le cadi de cette ville Si Kaddour Mazighi [6]. Abdelatif lui a ordonné d’accompagner les deux commandants dans leurs déplacements, sans chercher à en savoir plus.

 

Né en 1933 au douar Ouled Turki, près de Champlain dans la région de Médéa, Lakhdar Bourèga a été formé dans les écoles coraniques de l’Atlas blidéen (Ouled Turki, Sidi al Mahdi, Zérouala…). Sa politisation précoce a été favorisée par les troubles qui firent, selon lui, plus d’une douzaine de morts dans la région au moment des élections des délégués de l’Assemblée algérienne en avril 1948. Il a pu approcher des militants du MTLD et des membres de l’OS comme Didouche Mourad, Ben M’hal, Lakhdar Rebbah et Si Tayeb Djoghlali qui s’étaient réfugiés dans sa famille en 1952. Appelé au service militaire, il a fait son instruction à Mostaganem. Là il a rencontré deux camarades qui venaient du centre d’instruction de Hussein Dey et qui feront parler d’eux par la suite : Ali Khodja, qui donnera son nom au célèbre commando zonal de la wilaya IV, et Sadia Djemaï, alias Mostéfa Lakhal, qui fera partie des contestataires des résolutions du congrès de la Soummam d’août 1956 avant d’être exécuté pour avoir trempé dans le complot de 1959 du colonel Lamouri contre le GPRA. Lakhdar Bourèga nous apprend au passage qu’à l’annonce de l’exécution de Mustapha Lekhal, un de ses anciens compagnons d’armes, Lounissi, qui faisait partie du commando Ali Khodja, a décidé, sous le choc, de quitter définitivement et l’ALN et l’Algérie pour s’établir définitivement en Allemagne !

 

L. Bourèga a été ensuite dans les Chasseurs alpins à Briançon avant d’être envoyé à Safi au Maroc d’où il s’est évadé en mars 1956 avec un groupe d’appelés algériens. Avec les autres déserteurs, il a pris contact avec l’ALN dans la région de Tlemcen. Mais les responsables locaux de celle-ci se sont contentés de les dépouiller de leurs armes et les ont laissés repartir vers Alger. C’est à Chebli qu’il a été enrôlé dans l’ALN. Blessé près de Boufarik, il a quitté la Mitidja pour mettre à profit sa formation de chasseur alpin et acquérir une grande connaissance de la zone montagneuse allant du djebel Bouzegza jusqu’aux monts de l’Ouarsenis. Promu sous-lieutenant, il est devenu commandant de la célèbre katiba Zoubiria à laquelle faisait appel le colonel Si M’hamed pour l’escorter dans ses longs déplacements [7]. Lorsqu’il s’est trouvé confronté, début mars 1960, à la grave crise de conscience provoquée par les contre-ordres des commandants Lakhdar et Halim, approuvés par le capitaine Abdelatif, le lieutenant zonal était pris entre, d’un côté, l’admiration, voire la révérence, qu’il vouait à des chefs charismatiques qui s’étaient distingués depuis le début de la guerre dans les meilleures unités d’élite de toute l’ALN, et, de l’autre, le désir d’en savoir plus sur ce qu’on lui cachait. Les deux commandants l’ont chargé d’aller contacter Baba Ali Bachir, le chef de la zone 5 (Boghari-Aumale) en lui indiquant un trajet autre que celui qu’il avait l’habitude de prendre. Il a été d’autant plus intrigué que ses supérieurs l’appréciaient pour sa bonne connaissance des itinéraires à prendre. Le choix par eux d’itinéraires inhabituels ajouté aux nombreux autres contacts secrets que ses trois supérieurs multipliaient à partir du refuge d’El Bouakiria contrariait le sens habituel de la discipline chez le lieutenant Lakhdar.

 

Les ruses de L. Bourèga

 

Pour en avoir le cœur net, il a décidé de se rendre, non pas en zone 5, mais au siège de la wilaya, qui était à Guellaba près de Boghar. Là, il a appris à Si Salah que les deux commandants ont renoncé aux missions dont ils avaient été chargés le 14 janvier, et qu’ils lui ont ordonné d’arrêter l’envoi des contingents vers les autres wilayas. Il lui a fait part également de la mission dont il était chargé auprès du chef de la zone 5, à qui il devait remettre un message des deux commandants dont il ignorait le contenu. Si Salah lui a donné l’impression d’ignorer tout ce qui se tramait. Après un long moment de silence le chef de la wilaya lui a demandé d’obéir aux ordres des commandants. L. Bourèga s’est rendu à la zone 5, mais après avoir envoyé une lettre à Si Mohamed – qui préparait dans le Ouarsenis les contingents destinés aux autres wilayas – pour lui demander de l’autoriser à venir le voir. Mais Bounaama lui recommanda de s’adresser à… Si Salah. Le lieutenant Lakhdar écrit à nouveau à Si Mohamed pour le mettre au courant de la rencontre avec le chef de la wilaya. Au même moment, les commandants Lakhdar et Halim ont adressé un courrier demandant au commandant militaire de la wilaya de venir les rejoindre. L. Bourèga s’est trouvé mis dans l’impossibilité de rencontrer Si Mohamed car les deux commandants avaient pris soin d’envoyer à sa rencontre une escorte qui lui a fait prendre un itinéraire destiné à éviter à l’adjoint militaire de Si Salah de rencontrer le lieutenant. Ce dernier a accompli sa mission auprès du chef de la zone 5 et revient vers les deux commandants. Les missions demandaient alors entre trois jours et trois semaines. Les contacts avec la zone 3 étaient rendus particulièrement difficiles par l’intensité de l’ « opération Matraque » qui semble avoir été déclenchée pour faire pression sur Si Mohamed. Les deux commandants redoutaient de le voir désapprouver les contacts engagés, à partir du 28 mars, avec Bernard Tricot (qui représentait l’Élysée) et le lieutenant-colonel Édouard Mathon (qui représentait Matignon) à la suite de la transmission aux Français, le 18 mars, par le cadi Mazighi des messages d’Abdelatif et de Lakhdar Bouchama. Certains déplacements étaient contrariés par les opérations des troupes de secteur et cela rendait difficiles les communications d’une zone à une autre. Les retards dans l’accomplissement des missions confiées à Bourèga étaient aggravés par les ruses des deux commandants (dont un était chargé des Renseignements et liaisons), qui ont été jusqu’à lui confier des missions fictives, sans doute en raison de ses réticences qui leur paraissaient susceptibles de décourager les officiers dont l’adhésion aux pourparlers était souhaitée. Tout cela a fait que les interrogations de Bourèga ont duré jusqu’au début du mois de juin. Au retour d’une mission, il a été stupéfait de trouver Lakhdar, Halim et Abdelatif en compagnie de Si Salah auprès de qui ils avaient dépêché un autre émissaire.

 

Les griefs de Si Salah

 

Né en 1928 à Aïn Taya dans une famille originaire de Kabylie, Si Salah, de son vrai nom Mohamed Zamoum, a fait partie des groupes armées qui participèrent avec Ouamrane et Si Sadek aux opérations du 1er novembre 1954. Il avait occupé le poste de commissaire politique de la wilaya IV quand celle-ci était dirigée par le colonel Si M’hamed Bougara, de 1957 à 1959. Il avait gardé un fort mauvais souvenir d’un bref séjour à Tunis. Ses griefs envers le FLN et l’ALN de l’extérieur prirent une tournure dramatique quand l’état-major refusa de répondre à ses demandes d’explication sur la passivité manifestée face aux difficultés des maquis. Les services français avaient intercepté, et falsifié, la communication qu’il a pu avoir, le 15 avril 1960 avec le colonel Boumédiène. À cette date, il ne semble pas qu’il ait été mis au courant des préparatifs de l’opération « Tilsit ». Mais sa déception l’a amené à adresser un message menaçant le GPRA d’engager des contacts directs avec les Français. Un message radio de Tunis l’a prié de ne rien engager dans ce sens et de « penser à l’avenir de la révolution ».

 

Nouvelles ruses de L. Bourèga

 

Le lieutenant Lakhdar était persuadé que quelque chose de grave se préparait à son insu, mais ses supérieurs ne lui ont pas laissé le temps de se ressaisir et l’ont chargé d’une autre mission dans la zone 1 (Palestro-Tablat). Début juin, il a fait part de ses interrogations au sous-lieutenant Mohamed Bousmaha, qui lui avait succédé à la tête de la région 4 de la zone 2. Celui-ci lui a manifesté une entière confiance et, sans être au courant de ce qui se tramait, le lieutenant et le sous-lieutenant se concertent. Ils ont un moment pensé à alerter le GPRA par un message radio. Mais le lieutenant Lakhdar a eu recours à une ruse. Il s’est présenté à ses chefs, qui ne l’attendaient pas, et a trouvé Si Salah et Si Mohamed réunis avec les commandants Lakhdar et Halim ainsi qu’avec le capitaine Abdelatif. Deux tissal (agents de liaison) des zones 2 et 3 venaient de lui annoncer les passages des commandants Si Salah et Si Mohamed. Malgré le secret qui entourait ces déplacements, les deux tissal l’ont mis au courant, du fait de la confiance qu’ils avaient en lui et de son expérience du terrain. Surpris de le voir rappliquer, les chefs de la wilaya lui ont demandé ce qu’il était venu faire. Il leur a annoncé que le commandant Tareq (qui assurait l’intérim du commandement de la wilaya V) était au mont Mongorno et qu’il souhaitait les rencontrer [8]. Le lieutenant Lakhdar avait capté les conversations secrètes de ses supérieurs et s’était souvenu de ce nom qui était cité parmi les chefs à contacter. C’est Si Mohamed qui s’est proposé d’aller le voir. L’adjoint militaire d’Abdelatif se souvient qu’un des émissaires français, qu’il pense être Bernard Tricot – à moins qu’il s’agisse de Mathon, qui était habillé en civil quand les rencontres n’avaient pas lieu à la préfecture de Médéa, les a accompagnés en voiture jusqu’à ce qu’ils quittent la route goudronnée pour prendre les sentiers de montagne en direction des maquis du Mongorno [9]. Lakhdar Bourèga a conduit Si Mohamed à Draa Tmar où les attendait le sous-lieutenant Bousmaha, en compagnie d’un groupe de djounouds sûrs. Cela se passait vers le 12 ou le 13 juin, d’après les souvenirs de Bourèga dont la chronologie des faits se réfère plus aux missions successives (dont la durée variait) qu’aux dates exactes.

 

Revirement de Si Mohamed

 

Né en 1926 à Molière, de son vrai nom Djilali Bounaama, Si Mohamed a été mineur à Bou Caïd et, un moment, dans le nord de la France. Il avait fait la Deuxième Guerre mondiale dans les tirailleurs algériens. Devenu chef syndicaliste, il avait adhéré au MTLD. Il avait participé au congrès d’Hornu de l’été 1954 au cours duquel ce parti s’était scindé en deux tendances rivales, les « Centralistes » et les « Messalistes ». Il a rejoint l’ALN en 1956 dans l’Ouarsenis. Promu capitaine, il est devenu le chef de la zone 3 où il a eu à combattre le faux maquis de Kobus. Il a été également mêlé aux campagnes d’épuration consécutives aux troubles provoqués dans les maquis par la proposition d’une « Paix des braves » faite par de Gaulle en septembre 1958. D’importantes opérations ont été menées contre lui, comme « Matraque » en mars 1960, et « Cigale » en juillet, celle-ci ayant eu pour but de l’éliminer personnellement. Prévoyant cette offensive dans l’Ouarsenis, il a été avisé de rester dans le Titteri. Mohamed Téguia ne dissimulait pas son admiration pour son ancien chef et estimait qu’un livre biographique mériterait de lui être consacré.

 

Les deux jeunes officiers ont expliqué à Si Mohamed qu’il n’y avait pas de Tareq et qu’ils voulaient le séparer du groupe pour qu’il leur dise ce qui se passait exactement. Après un moment de crainte, Si Mohamed leur a appris que Si Salah, Si Lakhdar et lui venaient d’être reçus, le 10 juin, à l’Élysée par le général de Gaulle. Il leur a révélé les différentes rencontres consécutives au premier entretien qu’avait eu Abdelatif avec le cadi de Médéa à la mi-mars.

 

Consternés par cette nouvelle, Bouregaa et Bousmaha ont rappelé à Si Mohamed que c’est lui qui avait toute leur confiance et qu’il devait prendre ses responsabilités pour mettre fin au « plan de l’Élysée ». « Nous aurions pu vous arrêter tous », lui ont-ils précisé, en lui indiquant qu’ils étaient prêts à appliquer les ordres qu’il jugeait nécessaire de leur donner pour contre-carrer cette tentative de paix séparée et reprendre les combats. Celui qui jouissait d’un prestige considérable auprès de ses officiers, et qui était considéré comme étant le « chef le plus dur dans la région, et peut-être dans toute l’Algérie », et qui passait, aux yeux de Challe, pour être « le premier du point de vue militaire », ne pouvait rester indifférent à l’interpellation de deux parmi ses plus valeureux subordonnés. Leur leçon de fermeté et de patriotisme lui a donné mauvaise conscience au point d’avoir une crise de larmes, lui le chef implacable et apparemment insensible. Il n’y a pas eu de menace de la part de Bourèga et de Bousmaha [10]. Si Mohamed a été un moment décontenancé parce qu’il ne connaissait pas leurs intentions réelles. Mais leur détermination l’a aidé à se ressaisir vite, car il n’avait adhéré au plan de Lakhdar Bouchama que du bout des lèvres lorsqu’il s’était trouvé, début juin, dans une maison des faubourgs de Médéa, dont on lui a dit qu’elle était « neutralisée », c’est-à-dire sous la protection de l’armée française. Selon Mohamed Téguia, qui était son secrétaire, Si Mohamed a dit plus tard que s’il avait refusé de partir à Paris, il aurait été arrêté. Il dira également qu’il aurait mieux fait de mourir que d’accepter l’idée de paix séparée. C’est donc cet état d’esprit qui a facilité son revirement. Il a tenu à donner un caractère solennel et religieux à son changement d’attitude par un serment sur le Coran de fidélité à la révolution et d’obéissance à la direction de celle-ci. Bourèga et Bousmaha l’avaient déjà mis à l’aise en lui déclarant qu’ils ne mettaient pas sa participation aux négociations sur le compte de la trahison. Là-dessus, Si Mohamed décide de contre-carrer l’initiative de ses pairs et ordonne la destitution de Si Salah du commandement de la wilaya, l’arrestation de tous ceux qui ont été impliqués dans l’ « affaire de l’Élysée » et l’intensification des opérations militaires dans les villes, dans les djebels et sur tous les fronts.

 

Le rôle moteur de Lakhdar Bouchama

 

Ces ordres écrits ont été remis au lieutenant Lakhdar qui s’est rendu immédiatement, en compagnie de Bousmaha et de son groupe de djounouds, au domicile du cadi où ils ont trouvé le commandant Lakhdar Bouchama. Celui-ci a été arrêté et conduit au milieu de la nuit auprès de Si Mohamed. Le cadi a été prié de dire que Si Lakhdar est parti en mission de toute urgence et qu’il allait revenir pour la suite des contacts.

 

Un rapport rédigé par Si Lakhdar Bouchama et envoyé au GPRA le 22 mars 1960, et que L. Bourèga a mis parmi les documents annexes de son livre, renseigne sur l’état d’esprit de cet officier supérieur et sur les raisons qui l’ont amené à vouloir traiter directement avec de Gaulle. Après avoir rappelé que le peuple s’était engagé aux côtés de l’ALN pour « la reconquête de sa dignité », « la résurrection de l’Islam » et « la renaissance de la langue arabe », le commandant chargé des Renseignements et liaisons énumère ses reproches à l’armée des frontières et au GPRA qu’il accuse d’être indifférent aux souffrances de la population. Il parle du « ramassis d’aventuriers » incapables de satisfaire les besoins des combattants de l’intérieur. Il accuse certains dirigeants du FLN de l’extérieur d’être à la solde du « nouvel impérialisme athée » (alias l’URSS), et s’étonne de voir le commandant Omar Oussedik en tournée en Chine pour le compte du FLN, « alors qu’il est convaincu de trahison. » [11] Le commandant Lakhdar Bouchama s’en prend également à Boussouf et à Boumédiène qu’il incrimine nommément à propos des difficultés créées par la wilaya V et l’armée des frontières aux « brigades d’acheminement des armes de la wilaya IV ». L. Bouchama pourfend le matérialisme idéologique et l’embourgeoisement attribués au FLN de l’extérieur pour mieux les opposer à l’ « élan mystique » qui a permis au peuple de soutenir l’ALN.

 

Après avoir été chargé des opérations d’épuration décidées par le colonel Si M’hamed à la suite des défections provoquées par l’offre de la « Paix des braves » par le général de Gaulle en septembre 1958, le commandant Lakhdar Bouchama était devenu à son tour un partisan d’une solution négociée directement avec le pouvoir français, et non pas avec les militaires d’Alger. Il considérait que le discours sur l’autodétermination du général de Gaulle était une reconnaissance des droits politiques du peuple algérien dont les souffrances devraient être abrégées par la conclusion d’un arrêt des combats. Il faisait confiance à de Gaulle pour la mise en œuvre de cette solution politique et envisageait une Algérie indépendante, entretenant une étroite coopération avec la France. Le commandant Lakhdar Bouchama était l’âme de ce qui est devenu l’opération « Tilsit » pour les Français, que Lakhdar Bourèga appelle l’ « affaire de l’Élysée » et que les historiens de la guerre d’Algérie nomment l’ « affaire Si Salah ». Le capitaine Abdelatif a exécuté ses ordres en prenant contact avec le cadi Mazighi et en assurant les liaisons avec les chefs de la wilaya IV et les interlocuteurs français.

 

Abdelatif arrêté et défendu par L. Bourèga

 

C’est pourquoi le lieutenant Lakhdar Bourèga est chargé par Si Mohamed de retrouver son chef de zone dans le courant de la deuxième quinzaine de juin. Le nouveau chef de wilaya lui donne comme consigne, en français, de le désarmer, de l’arrêter et de le lui ramener. « En cas de résistance, il ne faut pas hésiter à faire parler les armes », lui précise-t-il.

 

Après une nuit de marche, le lieutenant Lakhdar trouve Abdelatif au douar Choua’tia, au sud de Chréa. Le capitaine se rendait, dans le cadre de l’opération « Tilsit », dans la Mitidja et dans le Sahel pour y convaincre les chefs locaux. Le grand respect qu’il avait pour son supérieur a empêché le lieutenant Lakhdar d’exécuter à la lettre les ordres du nouveau chef de la wilaya. Il a eu recours à nouveau à un mensonge pieux quand Abdelatif a été étonné de le voir arriver. Il lui a dit que Si Mohamed prépare une grande offensive dans la Mitidja et le Sahel et a besoin de lui pour cela. « J’ai déformé la réalité pour la deuxième fois, afin d’éviter d’humilier un compagnon d’armes dévoué et sincère », explique Bourèga. Étonné de ce revirement, Abdelatif demande à aller voir Lakhdar Bouchama. « Car si Bounaama a changé d’avis, c’est que Si Lakhdar l’a fait aussi », dit Abdelatif. « Les deux hommes sont partis vers une destination inconnue dans l’Ouarsenis, et il est impossible de les rattraper », lui répond Bourèga. « Il nous faut les rejoindre, même en allant jusqu’à la frontière ouest », insiste Abdelatif. L’ancien chef de la katiba Zoubiria a accepté de le conduire au nouveau siège de la wilaya, après avoir passé deux jours avec lui, ce qui lui a permis de compléter le récit donné par Si Mohamed de l’affaire par la version du capitaine. Celui-ci lui a confirmé que Lakhdar Bouchama en a été le cerveau et que Si Mohamed a été très réticent jusqu’à la fin. La bonne foi de Si Mohamed est ainsi confirmée aux yeux de Bourèga.

 

Le lieutenant et le capitaine, accompagnés par Bousmaha, rejoignent Si Mohamed à Boudha, à l’est de Médéa. Si Mohamed a manifesté sa grande inquiétude de voir Abdelatif arriver avec son arme, au point de croire à un nouveau retournement de la situation contre lui. Il a fait signe à Lakhdar Bourèga de le voir en tête-à-tête et lui a demandé pourquoi Abdelatif n’était pas désarmé. « Qu’est-ce que ça veut dire ? », a demandé Si Mohamed à Lakhdar. Si Mohamed s’est montré très sévère à l’encontre d’Abdelatif, qu’il accuse d’avoir joué un rôle important dans les préparatifs de la rencontre avec de Gaulle. L. Bourèga a pris la défense du capitaine. Il a rappelé son passé de combattant dans le commando Ali Khodja ainsi que le choc provoqué en lui par son emprisonnement arbitraire en 1957. Il a fait état de son évasion héroïque en compagnie du docteur Farès. Il a témoigné qu’Abdelatif est très aimé (mahboub) de tous afin de convaincre Si Mohamed de l’effet désastreux qu’aurait son exécution. « Je connais Abdelatif très bien et je peux affirmer qu’il est récupérable », plaide Bourèga avant d’ajouter : « Je te l’ai amené sans le désarmer parce qu’il a voulu voir le commandant Lakhdar et se mettre sous tes ordres. » Si Mohamed interrompt le lieutenant Lakhdar : « Si Lakhdar n’est plus parmi nous. Il a été jugé et exécuté ! » Le lieutenant Lakhdar dit avoir été consterné d’apprendre la nouvelle de cette exécution qui semble avoir été décidée juste après son départ à la recherche de Abdelatif, pour lequel il a eu soudain peur.

 

Après deux heures de discussions auxquelles Bousmaha a été admis à participer à la fin, Si Mohamed a fini par être convaincu de la bonne foi d’Abdelatif et a décidé de changer d’emplacement après avoir prononcé la dissolution du Conseil de la wilaya qu’il a remplacé par le Comité militaire d’exécution et de coordination, composé des chefs de zone. Abdelatif en est membre avec le titre de chef de plusieurs zones (du fait des intérims imposés par la mort au combat des chefs de mintaka). Les chefs de zones sont convoqués à la première réunion de ce comité à Sabbah, près de Berrouaghia.

 

Abdelatif jugé et exécuté

C’est au moment des préparatifs de cette réunion que le lieutenant Lakhdar a été surpris par une opération héliportée à Tabouza près de Champlain. Il a eu à peine le temps de prendre sa carabine et de s’enfuir avec les rescapés parmi la dizaine de djounouds qui l’accompagnaient, sans pouvoir prendre ses affaires dans lesquelles il y avait les ordres écrits de Si Mohamed. Il semble que l’armée française ait eu connaissance pour la première fois du revirement du commandant Bounaama après la découverte de ces documents. Après cet épisode, il y eut l’affaire du faux tissal qui transportait une lettre destinée à Abdelatif pour lui annoncer le revirement de Si Mohamed et dont des agents du BEL ont fait remettre des copies aux chefs de zone. Ceux-ci ont appris par le biais de ces mystérieux documents qu’Abdelatif avait été arrêté le 6 mai lors d’un combat près de Médéa, au cours duquel ses compagnons ont péri ou ont été emprisonnés. Seul lui a été libéré [12]. C’est cette nouvelle qui a été à l’origine de la condamnation à mort d’Abdelatif par le Comité militaire d’exécution et de coordination et a rendu vaines les tentatives de Bourèga d’obtenir son acquittement. Pendant ces délibérations, Si Mohamed s’est enfermé dans un mutisme pesant, alors que, selon le lieutenant Lakhdar, une prise de position tenant compte des arguments déjà exposés aurait peut-être pu infléchir l’attitude des chefs de zones, troublés par la fausse évasion du valeureux capitaine. « Si Mohamed avait sans doute peur que cette séance ne tourne à la condamnation sans appel de tous ceux qui étaient impliqués dans l’ “affaire de l’Élysée” », estime L. Bourèga.

 

Abdelatif a été exécuté et son exécution a été suivie par la reddition de son tissal, nommé Samet, ce qui a permis à l’armée française d’en savoir plus sur ce qui se passait réellement dans les maquis de l’Atlas blidéen depuis les interrogations suscitées par l’absence de Si Mohamed au premier rendez-vous fixé aux chefs de la wilaya IV par le colonel Mathon et Bernard Tricot après le retour de Paris le 11 juin. L’exécution d’Abdelatif a eu lieu juste après la réunion des chefs de zone début août près de Sebbah. De faux tissal se déplaçaient dans les maquis à la recherche de Bourèga et de Bousmaha, ainsi que de la date et du lieu de la fameuse réunion des chefs de zone. Juste après cette réunion qui a pu avoir lieu dans le secret, Si Mohamed et L. Bourèga ont été pris, près de Sebbah, dans une très dure opération de réserve générale dont ils ont pu échapper par miracle.

 

Rôle de Bencherif dans l’exécution de Halim

 

Le 21 juin, Si Salah et Halim avaient été déposés en voiture par le colonel Jacquin à Tizi-Ouzou pour leur permettre d’aller mener leur campagne d’explication auprès du chef de la wilaya III, Mohand Ou Al Hadj. Les deux commandants sont revenus au siège de la wilaya IV le 16 septembre 1960, à Tagintoun près de Chréa. Leur arrivée a coïncidé avec celle du commandant Ahmed Benchérif qui mit près de six mois pour se rendre de la frontière tunisienne aux maquis de l’Algérois. Benchérif a eu un tête-à-tête avec Si Mohamed qui lui a exposé les tenants et aboutissants de l’affaire. Le commandant dépêché par l’état-major s’est alors adressé à Si Salah en ces termes : « J’aurais voulu te donner l’accolade comme me l’a demandé ton frère Ferhat que j’ai laissé de l’autre côté de la frontière. Mais après avoir entendu ce que m’a dit Si Mohamed, je ne te serre même pas la main ! » Le lieutenant Lakhdar l’interrompt en lui disant : « S’il fallait absolument juger Si Salah, ce ne sera certainement pas toi le juge parce que tu ignores tout de l’affaire dont tu es très éloigné, comme tu es éloigné de nous ! » Si Mohamed a désapprouvé cette intervention et a pris à part le lieutenant Lakhdar, croyant qu’il défiait tout le monde. « Tu es le seul habilité à prendre des décisions dans cette affaire et nous ne sommes que des djounouds prêts à exécuter tes ordres », a expliqué Lakhdar en colère contre Benchérif à Si Mohamed.

 

Mais à la tombée de la nuit, Halim a été arrêté brutalement et exécuté, sans que Lakhdar sache si c’était sur un ordre de Si Mohamed ou de Benchérif. Selon Jacquin, Benchérif a avoué, lors de son interrogatoire à la suite de son arrestation près d’Aumale, avoir été à l’origine de l’exécution de Halim. « Au moment où Halim était ligoté, Si Salah m’a adressé un regard implorant quelques instants mon intercession. Puis il a regardé devant lui en disant à haute voix : “C’est selon la volonté de Dieu…” » Halim a été exécuté sans que lui soit donné le temps de rédiger un rapport, comme l’avaient fait Lakhdar Bouchama et Abdelatif [13].

 

Lakhdar a plaidé en faveur de Si Salah avec le même souci de sauver des vies humaines et de donner leurs chances à des supérieurs qui bénéficiaient tous d’un grand prestige auprès de leurs subordonnés. Il a rappelé à Si Mohamed que Si Salah a participé au 1er novembre 1954. Il a attiré son attention sur les risques de réactions d’ordre régionaliste que comporterait l’exécution d’un chef originaire de Kabylie. C’est ainsi que Si Salah n’a pas été exécuté. Si Mohamed a chargé Lakhdar Bourèga de s’occuper de Si Salah avec lequel il est resté près de Tamezguida, à l’ouest de Chréa, environ deux mois. Ce qui lui a permis d’avoir le récit détaillé de l’affaire de la bouche du successeur de Si M’hamed qui ne semble avoir été mis au courant que début juin par les commandants Lakhdar et Halim.

 

Pendant ces deux mois, Si Salah a gardé son arme et son grade de commandant, sans attributions. Il s’était enfermé dans un mutisme stoïque, se contentant de répondre par écrit à Si Mohamed qui sollicitait ses avis sur les décisions à prendre [14].

 

L’ancien chef de katiba Zoubiria a été promu capitaine pour être nommé successeur d’Abdelatif à la tête de la zone 2. Il a été mêlé à la reprise des offensives destinées à prouver la mise en échec définitive de la tentative de paix séparée. Cette intensification de la guerre, qui servait à démentir les appréciations hâtives sur la défaite de l’ALN, s’est manifestée notamment lors de l’attaque, le 31 juillet 1960, de la plage du Chenoua où beaucoup d’officiers passaient leurs vacances en famille. Il y eut également l’opération menée par le lieutenant Bousmaha contre un officier de gendarmerie au centre de Berrouaghia. Le capitaine L. Bourèga a attaqué un centre de télécommunications près de Chréa, avec l’accord de Si Salah. Il est « descendu », pour la première fois depuis 1956, dans la Mitidja pour préparer, dans la ferme d’un colon de Birtouta favorable au FLN, les manifestations des 10 et 11 décembre à Alger. Bousmaha venait d’être nommé à la tête de la zone 6 (Alger-Sahel). Un de ses adjoints, le lieutenant Si Zoubir (alias Boualem Rouchaye), a été tué à Belcourt où il prenait la tête des manifestations.

 

Promu commandant, L. Bourèga est devenu membre du nouveau conseil de la wilaya chargé des questions militaires. Ce qui lui a permis de jouer un rôle de premier plan dans la crise de l’été 1962 qui a opposé la wilaya IV à l’armée des frontières. Celui qui avait su relativiser ses griefs contre celle-ci pour mettre en échec la paix réparée de 1960 et rester solidaire de la direction extérieure du FLN, a dû participer aux tentatives de la wilaya IV de barrer la route d’Alger aux troupes de Boumédienne. Cet épisode sanglant est également relaté avec précision dans les mémoires de Bourèga et mériterait un article à part.

 

Tel est le résumé des révélations sur l’affaire Si Salah qui permettent d’éclairer les zones d’ombre de cette mystérieuse opération. Ces indications sont d’autant plus utiles qu’elles concernent la phase où « l’historien tâtonne. Tel le non-voyant qui de sa canne recherche le sol ferme, il chemine, hésitant, en quête de certitudes. Il n’en trouve pas d’absolues » (P. Montegnon). Contrairement à ce qui a été écrit par plusieurs auteurs, l’ « affaire Si Salah » n’a pas donné lieu à d’autres condamnations à mort que celles du commandant Lekhdar Bouchama, du commandant Halim et du capitaine Abdelatif.

 

L’ensemble du livre de L. Bourèga éclaire sur la vie dans les maquis et sur les grandes figures de la wilaya IV, comme Si Lakhdar Mokrani, le héros de l’oued El Maleh, mort avec son frère en mars 1958 près de Maginot, Abdelaziz (un ancien de l’université islamique de la Zitouna de Tunis qui convoyait les contingents de la wilaya IV vers l’ouest en 1957) ou Boualem Oued Fell (un ancien condisciple de Lakhdar Bourèga dans les écoles coraniques de l’Atlas blidéen devenu chef de la katiba Omaria avant de trouver la mort en 1959 près de Larba), etc. La masse de données contenues dans ces mémoires fournit une référence dont ne pourront pas se passer ceux qui auront à cœur d’écrire l’histoire de l’AN que les historiens ont négligée au profit de celle du FLN.

 

BIBLIOGRAPHIE

·  Mohamed Harbi, Le FLN, mirage et réalités, Éd. Jeune Afrique, 1979.

·  H. Jacquin, Opération « Tilsit » dans l’Algérois, Historia-Magazine, no 311.

·  P. Montagnon, L’affaire Si Salah, Éd. Pygmalion, 1987.

·  M. Téguia, L’Algérie en guerre, OPU, 1990.

·  Bernard Tricot, Les sentiers de la paix, Julliard,1972.

 

NOTES

[1] Pour sa part, Téguia estimait à 5 000 djounouds les effectifs de la wilaya IV au moment de l’affaire Si Salah.

[2] N.d.l.R. — Voir dans le no 191 de la revue, septembre 1998, l’article de Jacques Valette, « Le maquis Kobus, une manipulation ratée durant la guerre d’Algérie (1957-1958) ».

[3] Lucien Neuwirth a révélé l’existence de ces contacts dans une déclaration faite au Figaro-Magazine à l’occasion du 40e anniversaire du 13 mai.

[4] Selon L. Bourèga, qui a bien connu Halim, Boumédiène n’a pas fait l’académie militaire. Par ailleurs, le mémorialiste juge que Halim était très affecté par les pertes subies par la wilaya IV juste avant l’affaire Si Salah.

[5] La wilaya IV avait un représentant permanent dans les Aurès, du fait de l’importance accordée par le colonel Si M’hamed à cette wilaya. Si Tayeb Djoghlali a été un de ces représentants de la IV dans les Aurès en 1957. Après la réunion des chefs de wilayas tenue en décembre 1958 à Djidjelli, la wilaya IV a dépêché des renforts auprès de la wilaya I (Nememchas-Aurès) pour lui permettre de venir à bout d’une dissidence. Elle a également mis trois sections à la disposition de la wilaya VI qui était en proie à des difficultés qui coûtèrent la vie à deux de ses chefs, Ali Mellah et Si Tayeb Djoghlali. À la veille de l’affaire Si Salah la wilaya IV continuait de pratiquer la solidarité avec les wilayas en difficulté en leur envoyant des contingents. Les zones de Tiaret-Frenda et de Relizane-Mostaganem de la wilaya V, qui se plaignait de l’éloignement de leur commandement basé à Oujda, bénéficiaient également de l’aide militaire de la wilaya V.

[6] La maison du cadi Mazighi était un refuge de l’ALN de la zone depuis longtemps. Lakhdar Bourèga y a été soigné par un médecin de Médéa quand il a été blessé dans un combat en 1959.

[7] La katiba Zoubiria portait le nom du lieutenant Zoubir qui est mort en mars 1957 à Sbaghnia, près de Bouinan, avec un groupe d’étudiants qui venaient de rejoindre les maquis de la wilaya IV. La plupart des katibas étaient dénommées en référence à un officier mort au combat. Ainsi la Omaria portait le nom du lieutenant Omar, la Krimia, celui d’Abdelkrim, la Hassania celui de Hassan.

[8] Le commandant Tareq (Kerzazi) a été nommé commandant par intérim de la wilaya V sur proposition de Si Mohamed. Il est mort au combat fin août 1961.

[9] Il est possible que ce soit Jacquin qui ait accompagné Si Mohamed et Lakhdar Bourèga en direction du Mongorno.

[10] Contrairement à ce qu’a écrit Yves Courrière à qui Lakhdar Bourèga et Mohamed Bousmaha ont refusé d’accorder des entretiens à Alger, quand il préparait ses livres dans les années 1960.

[11] Le commandant Si Tayeb (Omar Oussedik) était soupçonné d’avoir comploté contre Si M’hamed, en même temps qu’il était classé parmi les communistes. Le chef de la wilaya IV avait préféré l’envoyer à Tunis, en même temps que le commandant Azzedine (qui avait promis de faire adhérer d’autres officiers à la « Paix des braves » après son arrestation, suivie de sa libération, en novembre 1958), plutôt que d’avoir à les juger lui-même. « Si M’hamed n’aimait pas l’effusion de sang, même en cas de culpabilité », estime Lakhdar Bourèga.

[12] Abdelatif, qui avait un frère dans les CRS à Alger, a été dénoncé par Sid Ali qui s’est rendu et est devenu un officier de l’armée française après un stage à l’École de Cherchell. Il a ensuite épousé la fille d’un général français.

[13] M. Téguia, à qui l’on doit la version la plus précise de l’affaire Si Salah, se trompe sur la date du retour de Si Salah et de Halim qu’il situe au début du mois d’août. Le récit de Lakhdar Bourèga la complète en apportant des indications précises qui faisaient défaut. L’auteur conteste le rôle que s’attribue Ahmed Benchérif dans son livre L’aurore des mechtas.

[14] On sait que Si Salah est mort le 20 juillet 1961 près de Bouira après un accrochage avec une unité de Chasseurs alpins. Si Mohamed est mort le 8 août 1961 encerclé par le 11e Choc dans une maison de Blida. « En se rendant à Blida en août 1961, il a pris une initiative contraire à l’habitude selon laquelle un chef de wilaya ne se rend jamais en ville. Il voulait sans doute mourir au moment où les négociations venaient de progresser à Lugrin. Il ne voulait pas survivre alors que tous ses compagnons de l’ “affaire de l’Élysée” avaient tous disparu », m’a dit le commandant Lakhdar Bourèga récemment.



 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article