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Réseau des Démocrates

Kaki parle d'Alloula

alloula                                                                                                                                                                                          Alloula
LE THEATRE AU CŒUR DU PROBLEME

Hors de sa présence, les artistes le nomment Alloula, de façon familière.
Mais dès qu’ils s’adressent à lui, ils l’appellent Si Abdelkader.
Lorsqu’on le rencontre, on ne peut manquer de lui donner du Monsieur.
C’est que l’homme impose le respect d’autant que sa courtoisie et sa
modestie n’ont d’égales que son immense talent.

L’auteur de « El Ajouad », lui-même généreux, n’est plus à présenter.
Y-a-il lieu de rappeler qu’il est comédien, metteur en scène et auteur
dramatique à succès ?

Mais s’il est vrai que le grand public connaît ses pièces – ce sont celles qui ont le plus tourné – qu’en est-il de son théâtre et de son itinéraire artistique ?

Il a aujourd’hui 54 ans dont 30 passées au théâtre en tant que professionnel. Exactement depuis un 1er janvier 1963 où il est appelé à faire partie de l’effectif du Théâtre National Algérien (T.N.A.) en tant que comédien alors qu’il avait 24 ans. Mais c’est à l’âge de 17 ans qu’il est pris dans le tourbillon de l’art théâtral, lorsque des camarades de lycée l’entraînent dans une pièce où il incarne un personnage féminin : « j’ai pris beaucoup de plaisir à camper ce personnage. Il se trouve que j’adorais – plus maintenant – plaisanter, et puis cela me permettait de couper avec une certaine timidité. Les amis qui avaient plus d’expérience que moi avaient tous peur. Pas moi. Il était évident que je n’avais aucune connaissance réelle en matière de théâtre ».

La partie de plaisir n’en finit pas là. Elle l’entraîne dans des stages, les exercices de formation, les lectures et les débats non-stop. « On voulait tout casser. On voulait se distinguer de ce qui se faisait à l’époque. Avec d’autres troupes, celles de Kaki à Mostaganem, de Saïm Lakhdar à Sidi Bel Abbès… ». On s’ouvre au théâtre universel. On lit et on étudie Stanislavski, Brecht, Rabindranatagor et d’autres pères du patrimoine universel. Dans le mouvement de jeunesse, où il y avait aussi les associations de Français qui montaient des spectacles, régnait une dynamique culturelle qui engageait à travailler, à mieux faire. Les formations se faisaient, se défaisaient, des éléments quittaient, d’autres rejoignaient au gré des enthousiasmes, des amitiés et des inimitiés ou des conflits. Cela a duré jusqu’en 1960.

En 1962, création, avec des amis, de « l’ensemble théâtral oranais ».

« Cette fois avec une nouvelle vision des choses. Avec l’indépendance d’une part et d’autre part la volonté de passer à une étape supérieure tant sur les plans artistique, esthétique et même professionnel ». On se met en chantier mais fin 1962, quelques membres du groupe dont Alloula sont sollicités pour intégrer le T.N.A. : « Il fallait absolument faire partie de ce théâtre national, de ce théâtre professionnel naissant, un théâtre qui se faisait sur la base de la première nationalisation intervenue. Bien avant celle des banques et du pétrole ».
Mais il y avait un inconvénient que Alloula s’efforcera de lever au plus tôt. « Dans le théâtre amateur, tous les éléments touchent à toutes les disciplines, aussi bien au décor, qu’à la mise en scène, à la musique… Et là, au T.N.A., il y avait une hiérarchie à respecter ».

Il fait son métier de comédien et puis parallèlement, il assiste Allel El Mouhib pour « la Mégère apprivoisée » et « Roses rouges pour moi » dans lesquelles il est d’ailleurs distribué. En 1965, il met en scène « El ghoula » de Rouiched. C’est un succès. C’est au tour de « Es soltane el haïr » de Tewfik El Hakim qu’il monte. Il prend en charge la première promotion de Bordj El Kiffan dans sa première adaptation « Monnaies d’or », à partir d’une pièce du répertoire chinois ancien. « Ca a marché très fort, d’autant que les comédiens – fraîchement formés – étaient plein d’enthousiasme, et avaient de réelles capacités d’interprétation ». Puis pendant une courte période, il est appelé à diriger Bordj El Kiffan.

Arrive 1968. Fin 1967, il quitte le T.N.A. pour se lancer dans une tournée d’études. Il s’inscrit à la Sorbonne pour le diplôme d’études théâtrales. Quelques mois et il part pour l’Université de Nancy où Jack Lang enseignait et était le directeur du Festival. Mais c’est toujours un enseignement lent, académique qui ne correspondait pas à ce qu’il cherchait. Ses appétits n’étaient pas satisfaits. Et puis il y avait mai 68 qui couvait et qui éclate. Une formidable ambiance de remise en cause et de grande contestation : « ce que je cherchais, c’était une vision synthétique de l’art théâtral notamment sur la question esthétique, sur la fonction sociale, les aspects idéologiques plutôt que les recettes… ».

Retour à Oran. Ce n’est pas encore le Théâtre Régional d’Oran (T.R.O.) mais le Théâtre National de l’Ouest Algérien (T.N.O.A.) que dirige Kaki. Alloula est recruté comme metteur en scène. Il met en scène « Numance ». Début 1969, il fait sa première proposition de texte qu’il monte ; c’est la pièce théâtrale « EL ALLEG » et dans laquelle il est aussi comédien.
C’est avec « EL ALLEG » que s’achève la période de gestation. C’est un succès qui consacre Alloula comme metteur en scène à part entière et nouvel auteur dramatique. « J’ai refait jonction avec mon passé d’amateur où il était permis d’être à la fois comédien, metteur en scène, etc… »

Il récidive avec « El khobza » qui révèle Adar Mohamed dont ce sera le meilleur rôle. Autre succès qui confirme Alloula comme metteur en scène d’un théâtre des humbles, un théâtre à l’opposé de la comédie légère.

Puis, pour une peu innocente question de réfection de la bâtisse du T.N.O.A., tout le monde est licencié. Période de chômage.

Alger où il fait des émissions de radio, quelques figurations au cinéma. Il se rapprocha du T.N.A. où il monte et interprète « Homk salim », le premier monologue du théâtre algérien. Là, c’est l’excellent comédien qu’il est qui émerge aussi.

En novembre 1972, le T.N.O.A. avec la décentralisation est devenu T.R.O. Alloula en est le premier directeur. « J’ai accepté à contre cœur. Je n’avais pas de formation. Rien ne me destinait à gérer une entreprise ».

Cela a duré trois (3) ans. Il ouvre les portes aux amateurs.
Il crée des ateliers de théâtre, des ateliers de création où l’on étudie aussi le théâtre. Son objectif est de rapprocher le théâtre et la population, de « le porter au cœur du problème ». Il adhère à l’idée d’écriture collective. C’est la période de « El meïda », « El mentouj » ; ce qu’on peut appeler du théâtre-action.

Lorsqu’on l’interroge à propos du reproche qu’on lui fait d’avoir fait de la politique, il répond avec un rire presque sardonique : « mais la politique, j’en ai fait tout le temps… Comme tout un chacun ! » Et de rappeler que la décentralisation du théâtre est intervenue en même temps que ce qu’on appelait les grandes transformations sociales. « Nous avons estimé qu’il fallait obligatoirement traiter de ces transformations qui avaient une dimension historique. D’une part, je ne regrette rien. D’autre part, je reste profondément attaché aux idées fondamentales liées à ces grandes transformations sociales qui, en fait, peuvent se résumer par la justice sociale. Il est évident que si cela se répète différemment, j’y participerai ». Alloula monte « Hammam rabi » où un comédien encore inconnu s’illustre de fort belle manière : c’est Sirat Boumédiène.

La tutelle le nomme à la tête du T.N.A. mais il a quelques problèmes avec elle. Cela ne dure pas longtemps. Au bout d’une année, il est relevé de ses fonctions. C’était en 1976, juste après la Charte Nationale. Dans la correspondance qu’il reçoit, il est dit qu’il entraînait l’entreprise dans un sens en inadéquation avec la conception du ministère ; ministère où régnait Ahmed Taleb Ibrahimi.

La période de chômage dure deux ans. Cependant, il ne restera pas inactif. Il participe à l’écriture de scénarios et s’accroche à l’activité artistique. En 1978, pendant huit mois, il est nommé comme adjoint à la direction des arts et des lettres du ministère de la culture pour ensuite rejoindre le T.R.O. où il est réengagé comme metteur en scène. Il monte les « Bas-fonds » à Alger.

C’est pendant cette dernière période qu’il engage un travail de réflexion, d’étude et d’observation et il en vient à « une rupture épistémologique avec ma pratique antérieure, avec ma conception théâtrale antérieure ». Cette rupture donnera naissance à la fameuse trilogie : « Lagoual », « Lajouad » et « Litham ».

« Lajouad » qui sera représentée 400 fois – c’est plus qu’un record – vaudra à Sirat le très envié prix de l’interprétation masculine au Festival de Carthage en 1985.

M. Kali
(El Watan du 9 février 1994)
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