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Evocation. Dda L’Mouloudh Mammeri : un homme, une colline, une histoire, une identité

 

 
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le 28.02.13 | 10h00 Réagissez

| © D. R.

De par sa dimension, à la fois nationale et internationale, Dda l’Mouloudh  revient parmi nous aujourd’hui pour nous dire de prendre davantage soin de ce précieux trésor qu’est notre identité amazighe, socle d’une Algérie plurielle, où les Algériens parlent aux Algériens en assumant tout un chacun, à sa façon, avec ses différences qui font la richesse d’un pays. 

Dda l’Mouloudh était et restera à jamais cet homme à la fois simple, humaniste, mais très proche de ses racines millénaires pour lesquelles, en sa qualité d’enseignant, écrivain et chercheur, il a consacré toute sa vie pour faire revivre une civilisation et une culture qu’on voulait à tout prix laisser dans de poussiéreux tiroirs de l’oubli. Chantre de l’amazighité, comme il le soulignait si bien dans sa réponse à un quotidien de la presse unique de l’époque  qui le traitait de réactionnaire, Dda l’Mouloudh ne cessera jamais de s’insurger contre les interdits et la culture de l’oubli qui toléraient tout juste des manifestations folkloriques cantonnées essentiellement dans des régions berbérophones à l’occasion de certains événements.

Contre cette volonté affichée d’effacer des millénaires d’histoire, Mouloud Mammeri, toujours aussi déterminé et résolu, prend son bâton de pèlerin pour aller par monts et par vaux en quête d’une civilisation et d’une culture chaque jour menacée de disparition, parce que transmise oralement simplement. Conscient des conséquences désastreuses que cela pourrait engendrer sur les générations futures privées ainsi de leurs repères, Dda l’Mouloudh, qui considérait que l’unique source d’approvisionnement se trouvait dans la mémoire de nos aînés, se lance alors dans une course effrénée aux quatre coins du pays pour puiser dans ces bibliothèques vivantes tout ce qui pouvait être sauvé avant que le silence de la mort ne vienne tarir à jamais cette source de la continuité.

L’anecdote qui va suivre est un exemple de cette frénétique quête d’identité à laquelle, en plus de ses multiples activités professionnelles, Dda l’Mouloudh a décidé de s’atteler malgré son âge et toutes les embûches et difficultés. Un l’été des années 1970, alors que j’étais en vacances dans le village qui nous a vu naître, Taourirt Mimoun, je sortis avec mes camarades pour profiter de la fraîcheur de l’après-midi. A Toulmatine, une des djemaâ du village, j’eus l’agréable surprise de trouver Dda l’Mouloudh assis sur le banc de pierre, aux côtés d’un vieux cultivateur, Da Ferhat Ath Ouferhat.

Après les avoir salués, je me mis à l’écart avec l’idée de demander à Dda l’Mouloudh son dernier ouvrage dédicacé traitant des Aztèques, introuvable sur le marché à cause d’une forme de censure qui ne disait pas son nom, mais pourtant présente. Pendant près d’une heure, la discussion tourna autour de la charrue kabyle, ses différents composants, la façon de la fabriquer et son utilisation. Da Ferhat, malgré son air un peu tendu, apportait à chaque fois des réponses aux questions de plus en plus précises de cet homme insatiable de connaissances.

Finalement, au bout d’une heure environ, Dda l’Mouloudh vissa son chapeau de paille sur sa tête, jeta son éternel burnous sur son épaule et se leva en s’excusant auprès de son interlocuteur, invoquant un rendez-vous qu’il ne pouvait rater. Une autre mémoire sans doute à exploiter, me suis-je dit en voyant des ailes pousser au livre que je désirais tant. Da Ferhat, qui semblait un peu moins tendu, suivit Dda l’Mouloud du regard jusqu’à ce qu’il ait disparu de son champ de vision avant de me faire signe de le rejoindre. «Dis-moi, toi qui connais certaines choses, pourquoi l’Mouloudh s’adresse à moi pour me demander comment on fabrique une charrue et les noms de chacune de ses parties ?» Simplement, lui répondis-je, qu’il voulait apprendre.

Loin de le satisfaire, ma réponse a plutôt réussi à déclencher en lui une réaction de colère que je ne lui ai jamais connue : «Si tu n’étais pas le fils de mon ami, j’aurais caressé tes côtes avec mon bâton» qu’il avait brandi ! «Et sois sûr qu’aucun médecin ou rebouteux ne saurait te soigner pour t’apprendre à ne pas te moquer de moi en affirmant que Mouloud Ath Maâmar, qui enseigne dans les grandes écoles et qui écrit des livres, a du temps à perdre pour venir apprendre auprès d’un simple paysan comme moi !» Malgré toutes mes tentatives pour convaincre Da Ferhat de la sincérité de mes propos, je ne contribuais qu’à attiser sa colère qui n’était nullement feinte.

Devant cette situation, je pris sur moi de quitter les lieux sur les conseils du brave homme et de ne plus évoquer devant lui cette histoire ou même de demander un quelconque pardon qui ne serait jamais accordé. Durant des années, à chaque fois que je le rencontrais, jamais je ne fis allusion à cet incident et jusqu’ à sa mort il n’a jamais admis que Mouloud Mammeri, «chikh l’chiakh» (celui qui enseigne aux enseignants), n’était pas seulement celui qui écrivait des livres, mais aussi un chercheur jaloux de son identité ayant un grand souci qui était d’arracher à l’oubli cet inestimable patrimoine pour ensuite le fixer par l’écriture, l’image et le son pour l’éternité, afin que les générations à venir puissent le découvrir, l’étudier, le fructifier et le préserver.

Mais Da Ferhat n’avait pas compris cela et n’a jamais voulu admettre que Dda l’Mouloudh ne puisait pas son savoir dans les livres, mais auprès de ces gens simples formés et forgés par l’école de la vie et qui, génération après génération, ont contribué à faire vivre une culture, une histoire qu’il appartient à chacun et à chacune de sauvegarder parce qu’elle est la nôtre.
Repose en paix, Dda l’Mouloudh. Le premier sillon que tu as tracé pour semer cette graine, chaque jour de jeunes pousses en tracent des milliers qui donnent de si belles récoltes faites de nombreuses pages où, désormais, ton rêve peut se lire avec fierté parce que la colline oubliée n’est plus oubliée et ne le sera plus jamais grâce à tous ceux et celles qui ont à cœur de perpétuer ton message.

 

Ali Ousliman Bach
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lien vers http://www.dailymotion.com/video/xl0lyn_hocine-le-combat-d-une-vie_news<br /> En 1975, quatre hommes cagoulés et armés pénètrent dans la mairie de Saint Laurent des arbres, dans le département du Gard. Sous la menace de tout faire sauter à la dynamite, ils obtiennent après<br /> 24 heures de négociations la dissolution du camp de harkis proche du village. A l'époque, depuis 13 ans, ce camp de Saint Maurice l'Ardoise, ceinturé de barbelés et de miradors, accueillait 1200<br /> harkis et leurs familles. Une discipline militaire, des conditions hygiéniques minimales, violence et répression, 40 malades mentaux qui errent désoeuvrés et l' isolement total de la société<br /> française. Sur les quatre membres du commando anonyme des cagoulés, un seul aujourd'hui se décide à parler.<br /> <br /> 35 ans après Hocine raconte comment il a risqué sa vie pour faire raser le camp de la honte. Nous sommes retournés avec lui sur les lieux, ce 14 juillet 2011. Anne Gromaire, Jean-Claude<br /> Honnorat.<br /> <br /> <br /> Sur radio-alpes.net - Audio -France-Algérie : Le combat de ma vie (2012-03-26 17:55:13) - Ecoutez: Hocine Louanchi joint au téléphone...émotions et voile de censure levé ! Les Accords d'Evian<br /> n'effacent pas le passé, mais l'avenir pourra apaiser les blessures. (H.Louanchi)<br /> <br /> Interview du 26 mars 2012 sur radio-alpes.net
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