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Boualem Sansal: "Le pouvoir ne craint vraiment que les émeutes populaires"

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L'écrivain algérien Boualem Sansal publie "Rue Darwin", l'histoire d'une famille prise dans la guerre d'Algérie. Il s'est décidé à écrire ce roman très personnel trois mois après la mort de sa mère. Dans Rue Darwin, le romancier algérien brosse le formidable portrait d'une famille et d'un pays aux prises avec la fureur des hommes. Rencontre avec un esprit libre.

Fin juin, dans les merveilleux jardins de Gallimard,

 

Boualem Sansal s'offre un moment de répit. L'occasion, avant de repartir dans sa ville de Boumerdès, en Algérie, d'évoquer Rue Darwin, son sixième et beau roman, peuplé de personnages étonnants qui traversent un demi-siècle d'histoire algérienne, peut-être le plus difficile à écrire. "Je suis très lié à cette histoire de famille, avoue l'auteur du Serment des barbares, alors comment raconter cela sans violer la vie des autres, sans les trahir ? C'est le genre de livre où l'on peut avoir tout faux ou tomber dans l'exhibitionnisme." Après avoir longtemps tergiversé, Boualem Sansal s'est enfin lancé, trois mois après la mort de sa mère. Tout commence là, d'ailleurs : une fratrie dispersée aux quatre coins du monde réunie autour du cercueil de la mère. C'est Yazid dit Yaz, l'aîné, qui l'a veillée jusqu'à ses derniers jours, qui est resté au pays alors que les siens fuyaient les guerres et la misère algériennes. Yaz ou Boualem ? "Il me ressemble beaucoup, en effet. Comme moi, il a vécu, enfant, dans les années 1950-1960, rue Darwin [à 100 mètres de la maison de Camus], à Belcourt, quartier populaire d'Alger. Comme moi, au fur et à mesure qu'il grandissait, il ne savait plus qui était qui, quels étaient ses frères, qui était sa mère..." Quel destin que celui de Yaz, tiraillé entre une grand-mère richissime auprès de qui il vit dans une espèce de phalanstère et deux mères qui "l'exfiltrent" à l'âge de 8 ans vers Alger ! Retour, en compagnie du courageux Sansal, sur une vie - et un pays - hors du commun.

La Djéda, l'extraordinaire grand-mère, maquerelle de haut vol à la tête d'un empire, a-t-elle réellement existé ?

Oui, mon père était son fils, ou plutôt le fils de sa soeur ou d'une cousine... Lalla Sadia était la chef du clan des Kadri, une femme très puissante, qui avait des biens partout - dont de nombreuses maisons de tolérance - en Tunisie, au Maroc, en France. Elle était très possessive, personne ne lui résistait, elle gouvernait son monde comme Saddam Hussein gouvernait l'Irak. Habile, elle a su naviguer à travers tous les régimes : l'administration française, puis le FLN et, à l'indépendance, elle est devenue une héroïne. Alors que l'Algérie est en faillite, Ben Bella lance une grande opération de solidarité nationale. Tout le monde y va de son écot, la Djéda, elle, donne des quintaux d'or. Du coup, elle a l'honneur de recevoir à déjeuner le président Ben Bella et Nasser, alors en visite en Algérie. Tout cela est passé au journal télévisé. Même sa mort fut homérique : elle a fini assassinée dans des conditions obscures...

Vous écrivez : "Le temps des femmes était venu." C'est une formule ?

Non. Quand je fouille mon histoire, je ne vois que des femmes, Djéda, Faiza, Farroudja, Karima... Dans nos milieux traditionnels, les hommes et les femmes échangeaient peu, appartenaient à deux univers disjoints. Elles, elles étaient en conciliabule permanent, savaient plein de choses mystérieuses, leur monde était compliqué, actif. Tandis que les hommes n'étaient que des ombres. Depuis, je suis resté sur cette impression de la vacuité des hommes. Ils m'ont toujours paru falots, inutiles. A part s'asseoir, prendre du café, manger, dormir, que font-ils ?

Vous fustigez l'islam et ses imams. Cette phobie vient de loin ?

Mon premier contact avec la religion date de la mort de mon père, tué dans un accident de voiture alors que je n'ai que 5 ans. Les mystiques errants qui sont venus veiller son corps m'ont effrayé. Cela m'est resté. La religion me paraît très dangereuse par son côté brutal, totalitaire. L'islam est devenu une loi terrifiante, qui n'édicte que des interdits, bannit le doute, et dont les zélateurs sont de plus en plus violents. Il faudrait qu'il retrouve sa spiritualité, sa force première. Il faut libérer, décoloniser, socialiser l'islam.

Votre grand regret, dites-vous, est d'avoir trop longtemps fui devant l'islamisme, d'être resté silencieux...

La doctrine voulait que l'on se soit libéré du colonialisme par le sabre de l'islam. Pour cette raison et parce que c'était la religion de nos parents, on n'a jamais osé débattre de l'islam. C'était sacré, comme la révolution.

De nombreuses guerres nourrissent votre récit. On y entend notamment Boumediene, en 1973, lors d'un discours hallucinant, déclarer : "Plus il y a de morts, plus la victoire est belle." Fiction ou réalité ?

C'est du mot à mot ! Et, quand j'ai entendu l'autre jour Kadhafi tenir à peu près le même discours, j'en ai eu la chair de poule, je me suis revu, dans cette caserne des environs d'Alger, devant Boumediene nous parlant de la "soif de sang de la terre arabe". Finalement, j'ai l'impression d'avoir passé toute ma vie à parler de guerre. Cela ne s'arrête jamais.

Vous allez recevoir en octobre, lors de la Foire du livre de Francfort, le prestigieux prix de la Paix des libraires allemands. Cela vous ravit-il et vous protège-t-il ?

C'est un grand honneur, en effet ; les seuls francophones à l'avoir reçu sont Assia Djebbar et Jorge Semprun... Un tel prix protège, bien sûr, comme la notoriété de manière générale. Tant que je serai sous les feux de la rampe, je serai épargné. Les journaux francophones le sont eux aussi, qui traitent Bouteflika de nabot, de nain, de voyou. En fait, cela me met mal à l'aise, car tout cela cautionne le discours du régime sur la démocratie. Cela arrange le pouvoir, qui ne craint vraiment que les émeutes populaires.

Justement, comment expliquez-vous l'"apathie" algérienne ?

Il y a plusieurs raisons. D'abord, les Algériens ont tenté leur révolution en 1988 et l'ont ratée. On reste sur cet échec cuisant qui a causé 200 000 morts, une guerre civile, un pays détruit, dispersé, atomisé. Le régime algérien a écrabouillé les révoltés jusqu'au dernier et, en guise de démocratie, a donné le FIS, les islamistes. Par ailleurs, le régime, qui est immensément riche, avec plus de 150 milliards de réserves de change placés dans le monde, a ouvert les vannes de l'importation. Ainsi, on trouve de tout en abondance, et, dès que les syndicats haussent la voix, les salariés sont augmentés. Enfin, la répression est très forte. Les quelque 1 000 à 2 000 personnes qui manifestaient le samedi sur la place du 1er-Mai à Alger étaient encerclées par 35 000 policiers au centre de la ville, tandis qu'autant de forces armées bloquaient toutes les entrées d'Alger.

Vos ouvrages sont-ils censurés ?

Presque tous mes livres, oui, notamment Poste restante : Alger et Le Village de l'Allemand. Ce dernier a été très mal perçu par la presse, qui s'est indignée : comment oser dire qu'un nazi a participé à la révolution ? Qu'est-il allé se mêler de la Shoah alors que les Palestiniens subissent la même chose aujourd'hui ? Je ne m'attendais pas à cette offensive systématique, aux accusations les plus invraisemblables. Personne ne m'a soutenu. Ma femme, qui est professeur, a été quasi obligée de démissionner. Moi, c'est en 2003 que j'ai été limogé du ministère de l'Industrie en raison de mes déclarations contre Bouteflika et le régime.

Tout cela ne vous a pas poussé à partir ?

Tous les matins ! Tous les matins, je me dis : "C'est fini, je suis fatigué, la vie est trop dure." J'ai eu des opportunités extraordinaires, mais je n'osais laisser ma mère seule. Partir est un bienfait, on sort du théâtre de la guerre, on entre dans une vie normale, mais, après la phase de joie, vient la culpabilité puis arrive le rejet. L'émigré s'emporte : "Sortez de votre fatalisme, battez-vous !" Certains, enfin, reviennent au pays et deviennent plus algériens que les Algériens, plus musulmans que les musulmans, donnant des leçons à ceux qui n'ont pas bougé ! Finalement, aujourd'hui, je pense que c'est aux hommes du pouvoir de partir. On a trop cédé, il ne faut plus céder.

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Kacem Madani Il ya 23 heures 59 minutes
Merci au Matin d'avoir repris cette interview de notre Boualem national ! Ça revigore le cerveau de le lire, car en ce qui me concerne, après avoir lu l'intervention de Benbitour (qui aspire à une relève intelligente à ce pouvoir d'abrutis) dans Le Soir d'Algérie d'il y a 2 ou 3 jours, je commençais à perdre espoir et déprimer tout seul dans mon coin.
Nous convergeons tous vers le même constat Boualem ! La religion occupe une place étouffante dans nos sociétés formatées, matin, midi et soir à demeurer primitivement naïves dans leurs croyances. S'il ne s'agissait que de naïveté, passe encore, mais quand cette naïveté se transforme en violence aveugle, les dépassements en tous genres deviennent règle générale au lieu de demeurer exception marginale comme c'est le cas dans tout pays civilisé!

D'ailleurs, il ne s'agit pas de libérer, de décoloniser et de socialiser l'islam, mais de libérer, de décoloniser et de socialiser.les porteurs de l'islam, c'est à dire les musulmans. Et cela ne peut se faire que via un seul canal: l'école. Ce lieu de connaissances que l'on a transformé, au fil des ans, en usines à faire muter des cerveaux vierges et innocents en fiers cavaliers du Coran !
On parle souvent d'islamisme pour en démarquer les contours par rapport à un Islam soft, mais montrez moi donc un musulman qui ne désigne tout autre humain non musulman par le dénominatif de kafer, voué à tous les enfers d'Allah ?

Comment diable parler de liberté au sein d'une société cantonnée dans une coquille qui ne permette aucun degré de liberté de pensée ?

Il y a tant à dire et redire sur le message de la grotte, mais intéressons nous plutôt à quelques facettes pernicieuse des autres messages prétendus divins et qui aliènent l'intelligence de l'homme depuis des millénaires et dont les sociétés occidentales ont réussi, qu'on le veuille ou non, à cantonner dans l'enceinte de l'église : Les noces de Cana par exemple, telles que rapportées par les évangiles selon Saint Jean et au cours desquelles eu lieu le premier miracle de Jésus, celui de transformer l'eau en vin. Jésus fût invité en compagnie de sa mère, la Vierge marie (une vierge enceinte de Dieu ! Oua ya-vava dhachouch wagui??) à un mariage chez une famille si pauvre qu'il n'y avait pas le moindre verre de vin à offrir aux convives. Intervient le miracle de Jésus pour transformer l'eau en vin. Jusqu'ici rien d'anormal à ce qu'un envoyé de Dieu puisse accomplir un miracle pour démarquer ses pouvoirs de ceux du commun des mortels (quoique de nos jours le prestidigitateur David Copperfield peux faire bien mieux que cela). Mais là ou les choses deviennent ridicules, c'est qu'il ne s'agit pas d'une ou plusieurs carafes, mais de Six fûts de 100 litres chacun !!!!
Quelle générosité et quel miracle que d'offrir quelques litrons de vin à chaque convive ! Combien donc étaient-ils à ces noces célébrées par une famille de pauvres ?
50 à 100 tout au plus ? Ce qui représente 6 à 12 litres de vin par convive ! Même 100 Gainsbourg n'auraient pu ingurgiter telles quantité de vin en une soirée !
A moins que le miracle consiste aussi à boire 12 litres de vin tout en restant lucide !?

Pour rester dans le vin, il y a quelques jours, je suis tombé sur une émission de questions réponses concernant l'Islam, sur la chaine Iqraa : Une téléspectatrice pose la question directe suivante : Un homme qui boit du vin est-il condamné à ne pas franchir les portes du paradis ? Réponse magistrale de notre cheikh : Non, le paradis ne lui est pas interdit, par contre il n'aura plus droit à la moindre goutte de vin chez Allah !
Voilà le genre de sornettes qui constituent l'édifice de toutes les religions : des conneries à n'en plus finir !

C'est pour cela que le seul moyen d'arriver à libérer les hommes de l'emprise de ces virus spirituels, car il s'agit bien de virus (lesquels, au contraire des virus physiques qui s'attaquent à la personne atteinte, se donnent comme objectif d'empoisonner la vie des autres), se doit de commencer par l'école. Je ne suis pas croyant, en quoi donc cela empêchera-t-il mon voisin croyant de mériter sa place tant convoitée au paradis d'Allah? Allez donc expliquer ce postulat si simple au commun des musulmans!

Quant au fait de partir ou de rester dans son pays, je crois que ce qui est déterminant dans le choix est le seuil de tolérance, dont est doté chaque individu, à de nombreux paramètres: seuil de tolérance à la bêtise humaine, seuil de tolérance à la peur, seuil de tolérance à la hogra environnante, seuil de tolérance à ces décibels nocturnes qui vous réveillent en pleine phase de sommeil paradoxal pour vous transformer en zombie le jour, etc...

De toutes façons, l'homme a toujours été poussé à fuir un environnement hostile à sa survie. Jusqu'à Il y a quelques milliers d'années c'étaient des facteurs géographiques. De nos jours, ceux sont des facteurs de pollution intellectuelle. Où est la différence en termes d'hostilité ?

De plus, imaginons un peu que notre ancêtre le singe ne soit jamais descendu de son arbre pour aller explorer les savanes environnantes, ne serions-nous pas tous agglutinés les uns sur les autres, quelque part en Éthiopie ?
Partir c'est mourir un peu, certes, mais dame nature ne nous-a t-elle pas formaté pour sacrifier un peu de nos vies pour celles de nos enfants ? N'est ce pas ainsi que toutes les espèces animales fonctionnent depuis la nuit des temps ?

Quant au régime, qu'il parte ou qu'il reste ne changera rien au Schmilblick, car la relève fonctionne sur le même rythme d'imposture: Il n'y a qu'à lire la contribution de l'ancien premier ministre Ahmed Benbitour pour s'en convaincre A un discours confus, une conclusion stérile : "Cependant le peuple algérien... saura surmonter toutes les épreuves et vivre sa modernité dans la sérénité et la liberté ! «Et qui atteints par l’injustice, ripostent.» Coran 39-42.

Mais Pourquoi donc mêler le Coran à toutes sortes de sauces insipides bonté divine ? A moins que Monsieur Benbitour ne s'extrapole déjà dans un référentiel de la Daoula Islamiya qui se profile et se construit en se faufilant habilement dans les rangs du FIS, dont on annonce un retour prochain ?

Si c'est le cas, Que Abdelkader Dehbi qui se proposait, sur la chaine Al-Djazira, de faire la sallat el-djanaza de l'Algérie dans l'éventualité d'une succession de Abdelaaziz 1er par son frère Saïd, commence déjà à faire la Sallat -el djanaza du Maghreb tout entier !

Alors, pour rester au même niveau de conclusion que Benbitour, citons un autre verset du Coran: "Oua arsalna chayatines lil kaffirines !" En d'autres termes, Allah nous a envoyé les chayatines Bouteflika, Belkhadem, Ouyahia, etc. pour empoisonner nos vies de Kaffirines ! Quoi rajouter de plus à cette rhétorique Mahométane ?

Ah si Koreish avait vaincu !
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