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Réseau des Démocrates
19 h

" Le tourisme, c'est d'abord un état d'esprit"
Mon interview à Horizons, lundi 5 août 2019
Propos recueillis par Rachid Hammoudi

Il fut à sa manière un globe-trotter. Notre confrère nous a fait connaître des villes aussi différentes que Le Caire et New York.
Reporter à Algérie Actualités, il n’hésitait pas dans les années 1980 à prendre le bus ou le taxi pour tâter le pouls de la société. Il écoutait ce qui se disait et repérait ce qu’on cachait ou dont on voulait moins parler. Cet enfant de Biskra, dont il rappelle qu’elle fut «une destination touristique mondiale de 1881 jusqu’aux années 1940», parle de tourisme, de ce qu’il apporte et de ce qu’il fait perdre.

1-Etes-vous déjà en congé ?

La notion est relative. On peut travailler d’arrache-pied et profiter du week-end pour faire un saut quelque part. L’infrastructure
routière aide, mais il y a encore de sérieux efforts à faire pour encourager le tourisme national avant de penser à ramener les étrangers. A un moment donné, il n’y avait pas d’espaces de repos sur l’autoroute et des automobilistes faisaient leurs besoins derrière les glissières de sécurité au su et au vu de tout le monde. Il manque aussi des auberges de jeunes, des hôtels et des motels, des camps de vacances. C’est le Sheraton ou des bouis-bouis, il n’y a pas de catégories intermédiaires.
Il y a des endroits magnifiques, mais sans signalisation, sans guides ni communication sur le web. L’Algérien ne sait pas communiquer. Le tourisme doit fonctionner, pas seulement en été. En une journée, d’Alger, tu peux faire une virée à Yakourène ou Béni Yenni ; tu peux aussi, en un week-end, prendre l’avion et aller à El Oued. Mais cette mentalité manque. Le congé est un état d’esprit, avant d’être un mois payé. Durant toute l’année, qu’il vente ou qu’il pleuve, il y a un temps pour le repos et le loisir. L’Algérien, même s’il fait des progrès, ne découvre les plaisirs de la mer qu’en été ! Pourquoi ne le ferait-il pas aussi en plein hiver ou en automne? Le pays doit fonctionner en toute saison pour que le citoyen puisse trouver un espace et un moyen permettant de décompresser, déstresser, «inahi a3la el khatar». Partout, il doit trouver des boutiques ouvertes, l’accueil qu’il faut, des prix convenables et des toilettes propres.

2- Y a-t-il un été qui vous a marqué ?

Parmi les plus beaux souvenirs, d’abord un moment exceptionnel pour moi et des personnes de ma génération, le 1er Festival panafricain en juillet 1969 à Alger ! J’étais avec un cousin venu de Lyon. A l’époque, pour moi, un tel événement, c’était dans l’ordre des choses, et ce n’est que maintenant que je réalise l’ampleur et l’impact du Panaf sur notre imaginaire. Cette Algérie-là, tolérante et avide de fêtes, relève du rêve. L’Algérie aurait dû préserver ce Panaf et l’entretenir, comme le festival de Rio. Un événement multiracial, multiculturel, à portée de tous, aux portes de l’Europe. Imaginez un peu le Panaf fêté chaque mois de juillet à Alger, et le nombre impressionnant de touristes que cela attirerait ! Nous avons fait beaucoup de politique, sans penser aux retombées économiques. 
L’été est la saison du farniente, du plaisir, de la sieste, de la drague et de la lecture. A chacun son époque et ses fantasmes. Il est clair que j’ai une culture du contact et du voyage. De par son climat doux en hiver et très chaud et sec en été, Biskra aurait pu davantage développer cette image de marque qui faisait sa réputation. Mais tout a été cassé ! Des élus avaient même interdit à ce qu’il y ait des calèches dans les artères de la ville sous prétexte que les crottes des chevaux salissaient la voirie. Ces mêmes calèches, qui sont une attraction à Louxor, Florence et Marrakech ! Non loin de Biskra, des élus du FLN à Batna, infiltrés par les gens du FIS, avaient interdit en 1992 la tenue du Festival méditerranéen de Timgad suite à un spectacle d’une troupe ukrainienne qui interprétait Spartacus. Le motif de cette levée de boucliers : «Les danseurs étaient nus !» (en fait, ils étaient en bodys). Zeroual ordonnera la réouverture du festival en 1994. Je ne comprends pas pourquoi, par ailleurs, le festival de Djemila est appelé «Festival arabe de Djemila» ? C’est de la pure démagogie. Le Festival de Timgad avait dès sa création un caractère méditerranéen où l’on voyait des représentations fabuleuses sur scène. Puis, il a périclité, largement concurrencé par le Festival de Carthage. Ce Festival doit redevenir un très grand événement culturel. Au milieu des
années 1970, on pouvait voir Léo Ferré, le Marocain Tayeb Seddiki, Alloula, le Tunisien Ali Ben Ayed, Maria Callas…
Cette ouverture a été cassée. Par la culture, la société acquiert des réflexes de tolérance.
Donner des orientations politco-idéologiques, «Festival arabe», c’est infructueux puisque aucun touriste arabe ne vient encore visiter l’Algérie. Les Tunisiens concoctent leur programme pour le Festival de Carthage en ciblant en priorité le touriste algérien, pourvoyeur de devises. Un festival est conçu pour cibler une catégorie de spectateurs, alors qu’en Algérie, on dépense de l’argent sans retour d’investissement.

3- L’Algérie peut-elle alors redevenir une
destination touristique ?

La question se pose de savoir si l’Algérie a déjà été une destination recherchée par les touristes étrangers. Contrairement à un pays comme la Tunisie qui avait commencé à réfléchir à une stratégie dès 1956 pour séduire une clientèle européenne, l’Algérie a opté du temps de Boumediène pour une industrie industrialisante qui accordait peu d’intérêt au tourisme, même s’il faut retenir que l’Etat avait fait appel à l’architecte Fernand Pouillon pour la construction d’une quarantaine d’hôtels et complexes touristiques, s’ajoutant à ce qui existait avant 1962, notamment les hôtels transatlantiques qui se trouvaient un peu partout dans les endroits touristiques (Biskra, Bou Saâda, Touggourt, etc.). Cela étant, les années 1970 demeurent l’âge d’or du tourisme algérien. Les choses ont commencé à se détériorer à partir de l’intrusion de l’islamisme en 1990, puis à s’aggraver tout au long de la décennie noire qui faisait fuir les étrangers. Il faut dire aussi que le tourisme n’est pas une question d’infrastructures, c’est d’abord un état d’esprit induit par un climat de tolérance et par une acceptation par le plus grand nombre du patrimoine matériel et immatériel qui fait une nation. L’idéologie du parti unique, avec ses interdits et ses carcans, sous l’emprise d’un courant conservateur et intégriste, dès 1992, a détruit toute idée de tourisme en Algérie. Le touriste cherche à se détendre, à aller vers l’autre, à vivre des moments intenses dans un milieu qui lui est différent. Evidemment, pour reprendre le slogan des années 1960, il ne veut pas «bronzer idiot». S’il ne trouve pas les espaces dans lesquels il se sent à l’aise, il choisit une autre destination. Quand des mesures contraignantes se trouvent sur le chemin du touriste (difficultés pour avoir un visa, interdiction de prendre des photos dans beaucoup d’endroits, absence de toilettes dans les musées et espaces publics, etc.), le vide s’installe et c’est une perte sèche en devises. L’étranger doit pouvoir trouver un restaurant ouvert au mois de Ramadhan, prendre une bière fraîche sans avoir à se cacher, se défouler dans une discothèque, etc. Le touriste sait aussi être respectueux des us et coutumes du pays qu’il visite, pour peu qu’il trouve des commodités qui agrémentent son séjour. Un touriste qui visite la vallée du M’zab sait qu’il doit obéir à certaines règles tacites, mais il abhorre les interdictions répétées et idiotes (ne pas se balader en bermuda en ville...) L’Algérie est un continent, avec 35 micro-climats, et c’est ce qui fait son atout. Le touriste passe allègrement du palmier au cèdre et du désert (plusieurs même) aux montagnes enneigées. S’il y a une réflexion à faire, c’est que le
pays doit cibler un tourisme de qualité et ne pas faire dans le tourisme de masse, peu rentable. Si la chasse est bien encadrée, avec le respect de la loi et de l’environnement
(interdiction de chasser la gazelle et les espèces en voie de disparition), des richissimes du Golfe peuvent être d’un grand
apport. Un tourisme de loisirs et de luxe et non de braconniers, cela s’entend. Les autres possibilités sont immenses : tourisme religieux (Saint-Augustin à Annaba, pèlerinage des juifs à Tlemcen et Constantine, sites et mausolées musulmans...), tourisme écologique, tourisme d’affaires, etc. Les enfants issus de la diaspora et des pieds-noirs sont un gisement pour aller vers des clientèles sûres. Les pouvoirs publics doivent aider le privé, mais pas les «baggarine», à investir des créneaux porteurs. Il doit aussi faire en sorte qu’il y ait inversement de tendance pour que les agences de voyages fassent la promotion du tourisme en Algérie. Des tentatives ont été faites par des promoteurs privés pour promouvoir le tourisme local, mais il y a beaucoup d’embûches (foncier, prêt bancaire, etc.). Le tourisme, c’est aussi une affaire de professionnels, donc de formation. Le tourisme ne peut se développer sans le sourire et la disponibilité permanents pour satisfaire le client.

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