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CITOYENNETÉ ET IMPASSE NATIONALE Révolution populaire : mémoire, identité et avatars constitutionnels

Le pays est entré depuis le 9 juillet dans un état de fait qui échappe à la jurisprudence et à la doxa constitutionnelle. Le spectre du vide constitutionnel combattu par l’attachement au légalisme béat conduit l’Algérie à se confronter, de nouveau, à ses démons initiaux qui l’engloutissent dans la foulée de l’espoir volé en 1962. Il s’agit de ces équations insolubles : la légalité et la légitimité.

La crise d’éthique politique, multidimensionnelle, a implosé à ciel ouvert durant la Révolution pacifique en cours.
L’évidence est désormais implacable : la solution est, d’abord, la redéfinition du pacte social. Le renouvellement de l’exercice institutionnel, à l’appui d’un nouveau socle constitutionnel, à l’issue de la transition démocratique.
Radicale et globale, l’issue politique à la crise profonde ne peut se concevoir sans la satisfaction de la demande principale de la dynamique nationale : refonder l’État. Et asseoir les mécanismes démocratiques de la République. 
Partant, le préalable à tout dénouement passe par l’inéluctable apaisement. Immédiat et sans condition : remise en liberté des manifestants et détenus d’opinion, aération de la scène politique et des espaces autonomes : la justice, les médias, les syndicats, les partis…

Crise de l’État : confusions originelles
La problématique de l’État et la pratique constitutionnelle sont mises à nu de façon ontologique à travers l’insondable impasse actuelle et la société de rupture réclamée par le mouvement populaire.
En cela, la célébration récente de l’indépendance en période révolutionnaire fut un moment unique dans l’histoire de la nation. C’est toute la dialectique de la crise de l’État, né du coup de  force contre le théoricien de la Révolution libératrice, Abane Ramdane, à l’été 1957, qui s’affirme avec d’autant plus d’acuité. Depuis le 22 février.
La rue algérienne est désormais dépositaire d’un mode d’expression souverain inédit. Par les suffrages des vendredis, les manifestations massives s’inscrivent dans la lignée de la démocratie directe athénienne, théorisée par Rousseau. Le 20e vendredi — la symbolique est on ne peut plus historique —, des millions d’Algériens ont investi les artères du pays. Quoi de plus démocratique, de plus pacifique, de plus généreux qu’une telle démonstration joyeuse, unanime et soudée ?
Le contexte immédiat invite à clarifier un acquis constitutionnel. Aux antipodes de toute concurrence avec l’emblème national, signe d’unité nord-africaine, conçu dans la clandestinité durant les années 70, propulsé par l’Académie berbère et la mouvance d’Avril 80, le drapeau amazigh a été rapidement adopté par les autres régions berbérophones d’Afrique du Nord. Irriguant les meetings, les rencontres culturelles, envahissant l’euphorie des stades du monde. La culture, la langue, la mémoire sont assumées. Célébrées. 
Depuis la crise de 1949, le sentiment anti-berbère s’est accompagné de réactions de mystification, de diabolisation de la conscience collective. Le subterfuge est rodé, mais promis à son effet contraire. Le front culturel de réappropriation identitaire aboutira à la constitutionnalisation du fait amazigh. Et la consécration de sa dimension millénaire. Unificatrice. Intangible. 

Sens et signification de l’emblème nord-africain
Les militants de la cause identitaire sont indélébilement marqués par les années de Lambèse, la traque de la langue prohibée et de tout signe distinctif de l’identité amazighe.
Son sens authentiquement démocratique, c’est d’abord l’idée du combat pacifique, opposé à la terreur et à la violence, initié par les vétérans de Tafsut Imazighen. Marqueur de filiation générationnelle : la lutte pacifique et disciplinée est la caractéristique première de la révolution en cours.
Les 24 détenus d’Avril 80 encouraient de lourdes peines. C’est sous l’effet de l’immense mobilisation populaire, déterminée, que les prisonniers d’opinion seront libérés.
Le drapeau amazigh brandi à côté de l’emblème national consacre la victoire heureuse de la tolérance ; une audacieuse utopie : l’union des peuples de l’Afrique du Nord. Telle valeur transnationale n’est d’ailleurs pas unique. L’Union européenne, l’Union des nations sud-américaines sont des exemples à méditer.
Qui plus est, l’emblème flottant de Siwa jusqu'aux îles Canaries est saisissant de par ses couleurs. Le bleu représentant la mer, le vert faisant référence à la vie et le jaune illustrant l’immensité du désert. Le tout barré par le “Z” en tifinagh : rouge sang symbolisant la langue, la liberté des Hommes. 
La fraternité. Et le sacrifice des martyrs de la libre pensée, des causes justes et inabouties : Benaï Ouali, Amar Ould Hamouda, Mbarek Aït Menguellat…
Charge historique et non des moindres : l’union des peuples de l’Afrique du Nord fait par ailleurs partie intégrante des objectifs que s’est assignés la Plateforme de la Soummam. Extrait : “L'Algérie libre et indépendante… développera sur des bases nouvelles l'unité et la fraternité de la Nation algérienne dont la naissance fera rayonner sa resplendissante originalité. Mais les Algériens ne laisseront jamais leur culte de la Patrie, sentiment noble et généreux, dégénérer en un nationalisme chauvin, étroit et aveugle. C'est pourquoi, ils sont en même temps les Nord-Africains sincères, attachés, avec passion et clairvoyance, à la solidarité naturelle et nécessaire des trois pays du Maghreb. L'Afrique du Nord est un tout par la géographie, l'histoire, la langue, la civilisation, le devenir. Cette solidarité doit donc se traduire naturellement dans la création d'une Fédération des trois États nord-africains.” 
L’adoption par les régions du pays du drapeau amazigh achève un anathème historique : tamazight consolide autant qu’elle enrichit la cohésion nationale. D’autant que les combats portés par la cause berbère se confondent avec l’exigence démocratique : les droits de l'Homme, l’égalité homme-femme, les libertés individuelles et collectives, la référence aux fondements de l'État soummamien : État démocratique civil, laïque, social, structuré sur la base des spécificités régionales.
À l’échelle mondiale, il est établi que l’admission des pluralités linguistiques et socioculturelles, sur le fondement du droit à la différence, norme universelle, à l’apaisement de la collectivité s’est avérée pérenne — source d’épanouissement et de stabilité. La consécration des éléments de la citoyenneté devient, de fait, le socle de l’émancipation sociale.
Indéniablement, le rêve d’une Algérie tolérante, plurielle, démocratique, résolument moderne, adossée aux standards démocratiques universels, est repris dans l’ensemble du territoire. La solidarité de la révolution citoyenne avec ses détenus est l’expression unanime de la rue, de la presse libre, des avocats, des étudiants, des corporations...
In fine, l’exigence du mouvement populaire d’une République démocratique fait désormais de la libération des champs politique, médiatique et judiciaire des préalables immédiats. 

Victoire de la mémoire
Les combats historiques qui s’inscrivent dans l’accomplissement des luttes du passé sont voués à des lendemains enchanteurs. La force de la révolution en cours, c’est incontestablement la mobilisation massive, pacifique et les référents historiques et universels réclamés. En cela, la revendication des origines amazighes et la banalisation de la problématique identitaire signent des acquis historiques de l’Algérie nouvelle.
L’impasse nationale a sclérosé les ressources créatrices depuis 57 ans. La chape de plomb est d’une férocité aliénante ; le processus d’édification des libertés et le règne du droit vers lequel la patrie lorgnait se sont retrouvés étouffés. Brisés. Coupés de ses concepteurs. Mais le désir du renouveau est, depuis presque cinq mois, le leitmotiv de la cité. L’insurrection populaire exemplaire a su trouver les ressorts de la résistance face aux manœuvres et aux pressions intenables.
Vaillant, le peuple du 5 juillet 2019 a été unanime et résolu à parachever l’indépendance confisquée dans le sillage de “l’été de la discorde’’ de 1962. Empêchée, l’Algérie plurielle n’a pu enfanter l’État à la mesure des espérances de l’indépendance. Face à l’insondable réflexe de gestion fait d’opacité, la jeunesse, les femmes, le peuple en lutte ont redonné leurs lettres de noblesse au sacrifice de Ben M’hidi et aux valeurs des combattants de la glorieuse Révolution : dignité, dévouement, émancipation.

Souveraineté et libertés : conquêtes permanentes
Plus que jamais menacée, la résurrection spectaculaire de la nation est de nouveau face à son destin depuis le 9 juillet. Le maintien de la dynamique nationale dans sa trajectoire vers la démocratie républicaine implique abnégation infaillible et mobilisation intacte.
À l’exemple de l’union nationale autour du cap révolutionnaire tissée par Abane, faisant adhérer toutes les sensibilités du mouvement national au combat libérateur, la mission de la seconde Révolution doit se hisser à sa mission historique : réhabiliter la mémoire emprisonnée, libérer l’opinion, instaurer les libertés, reconstruire la confiance, former le dirigeant. Inscrire définitivement l’Algérie de tolérance et de créativité dans le giron de la modernité.
Quand la vitalité de respiration démocratique soulève la collectivité, la tentative autoritaire est, mécaniquement, génératrice d’unité et d’enthousiasme mobilisateur. Généreuse et politiquement avertie, l’insurrection populaire résolument arrachée à la léthargie et au fatalisme, par la force de son caractère pacifique et l’unité de ses rangs, relayée par des propositions de transition aussi innovantes que réalisables, ralliera immanquablement d’autres voix. De nature à amplifier encore plus les forces d’élévation républicaine.

Une dette à l’égard des martyrs de la libération et la longue nuit de l’avènement démocratique
Par son élan, la révolution initiée à Kherrata est de la même veine que celle de Novembre 1954 : elle est sa nécessaire composante incarnant la citoyenneté et la liberté. Le visage du destin national qui s’écrit. Celui de la mémoire collective : l’héritage de “l’éternel Jugurtha’’, les repères symboliques qu’évoque, entre autres, le mois de juin — mois de la République : les jeunes assassinés du Printemps noir, le rebelle Matoub, le sage Boudiaf, les infatigables marcheurs du 14 juin 2001, les détenus d’opinion de la révolution pacifique…
Depuis Mammeri, l’Histoire semble comme figée, sa prophétie — écho aux turbulences actuelles — résonne terriblement.
“Quels que soient les obstacles que l'histoire lui apportera, c'est dans le sens de sa libération que mon peuple — et avec lui les autres — ira. L'ignorance, les préjugés, l'inculture peuvent un instant entraver ce libre mouvement, mais il est sûr que le jour inévitablement viendra où l'on distinguera la vérité de ses faux semblants. Tout le reste est littérature.” 

Par : Mohammed kebir (*)
(*) Avocat - Chargé d’enseignements. France
Contact : ktransition57@gmail.com

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