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Comment Audrey Azoulay a été élue directrice de l’Unesco

 PAR 

Battu sur le fil par l’ancienne ministre française de la culture, le candidat du Qatar doit surtout sa défaite à la division du monde arabe et à l’isolement diplomatique de son pays. Mais le retrait spectaculaire des États-Unis de l’organisation, qui la prive d’une bonne partie de son budget, ne va pas faciliter la tâche de la nouvelle directrice.

Au terme de six tours de scrutins fertiles en rebondissements et renversements d’alliances, l’ancienne ministre de la culture de François Hollande, Audrey Azoulay, 45 ans, a été élue vendredi soir directrice générale de l’Unesco. La veille, alors que les délégués des 58 pays du Conseil exécutif étaient engagés dans des tractations intenses, voire acerbes au sein du groupe arabe, pour désigner les deux finalistes de la consultation, les États-Unis puis Israël avaient porté un rude coup à l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture en annonçant leur retrait, invoquant notamment ses « partis pris anti-israéliens persistants ».

 

Audrey Azoulay, nommée à la tête de l'Unesco, à Paris, le 13 octobre 2017. © ReutersAudrey Azoulay, nommée à la tête de l'Unesco, à Paris, le 13 octobre 2017. © Reuters

 

Désignée par l’ancien président de la République à la veille de la clôture des candidatures et confirmée par Emmanuel Macron après son élection, Audrey Azoulay l’a emporté lors du vote final par 30 voix contre 28 à son adversaire, l’ancien ministre de la culture du Qatar, Hamad al-Kawari, qui avait fait la course en tête depuis le premier tour de scrutin. Malgré une campagne électorale entamée il y a deux ans et demi, alors qu’aucun autre pays n’avait encore décidé d’entrer en lice et encore moins désigné le moindre candidat, et malgré les moyens financiers exceptionnels que lui offrait sa fortune personnelle, respectable, et le trésor de l’émirat, Hamad al-Kawari a été battu sur le fil, victime des multiples soutiens patiemment engrangés par Paris. Victime surtout de la division profonde du monde arabe, en particulier depuis que l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Égypte, Bahrein, leurs alliés et obligés ont rompu, en juin dernier, leurs relations diplomatiques avec le Qatar, accusé de soutenir des groupes extrémistes, dont les Frères musulmans, et d’entretenir des rapports de bon voisinage avec l’Iran, que Riyad considère désormais comme l’ennemi n1.

 

Déclarée bien avant l’explosion de la discorde arabe, la candidature de Hamad al-Kawari, bon connaisseur du système des Nations unies, et notamment de l’Unesco, où il a représenté son pays entre 1974 et 1984, s’inscrivait dans la stratégie de diplomatie globale de l’émirat, destinée à lui offrir une influence et une image en conformité avec ses moyens et ses ambitions, malgré une superficie à peine supérieure à celle de la Gironde et une population de 2,6 millions d’habitants dont les travailleurs immigrés constituent l’écrasante majorité. Les espoirs de Doha, entretenus par une coûteuse campagne de visites, d’invitations et de dons – 10 millions de dollars versés en 2014 au Fonds mondial de l’Unesco pour le patrimoine –, reposaient aussi sur un constat simple : jamais depuis sa création, en novembre 1945, l’Unesco n’avait eu un directeur issu du monde arabe.

 

L’isolement diplomatique imposé depuis trois mois à l’émirat par l’Arabie saoudite et ses alliés avait encore alourdi l’enjeu de cette compétition pour la direction de l’Unesco. Si cela n’aurait rien changé au rapport de force sur le terrain, une victoire aurait offert au Qatar une sorte de revanche symbolique aux yeux de la communauté internationale. La défaite ne changera rien, non plus, au fond de la querelle, mais elle laisse le monde arabe dans un état de discorde et de dispersion qu’un diplomate libanais jugeait vendredi « indigne ». « Si le Qatar l’avait emporté, avançait une diplomate du Golfe, une négociation en vue d’une tentative de réconciliation avec Riyad aurait été difficile. Après la défaite, cela est plus difficile encore. Car ce qui vient de se passer montre que Doha avait surestimé son influence et ses moyens. »

Témoignage éloquent de cette division du monde arabe, trois autres pays arabes, en plus du Qatar – l’Égypte, le Liban et l’Irak –, figuraient sur la liste originelle des pays candidats, avec l’Azerbaïdjan, le Vietnam, la Chine, le Guatemala et la France. Sur ces neuf pays, sept seulement se sont disputé les voix du premier scrutin, après le retrait des candidats irakien et guatémaltèque. Et jusqu’aux heures qui ont précédé le dernier scrutin, vendredi, le Qatar pouvait légitimement croire à la victoire. « Dès le premier tour, constatait un délégué arabe, le Qatar était en tête avec 19 suffrages sur les 58 du Conseil exécutif, devant la France avec 13 voix et l’Égypte avec 11 voix. En additionnant les voix des trois pays arabes candidats, on obtenait un total de 36 voix. En d’autres termes, si le groupe arabe de l’Unesco avait été capable de dépasser ses querelles et de s’entendre sur un candidat commun, la victoire d’un candidat arabe était acquise dès le deuxième tour avec une majorité confortable. Mais loin de s’entendre, le groupe s’est montré plus divisé que jamais. »

Au deuxième tour, alors que le candidat de l’Azerbaïdjan avait jeté l’éponge, le Qatar confortait son avance avec 20 voix, devant la France (13 voix) et l’Égypte (12 voix). La Chine (5 voix), le Vietnam (5 voix) et le Liban (3 voix) se partageant le reste des suffrages. Dispersé, le groupe arabe conservait une majorité théorique de 35 voix. Témoignage de l’activité des diplomates français et des manœuvres saoudiennes pour diriger vers l’Égypte – au détriment du Qatar – les voix en déshérence, au tour suivant, alors que le candidat vietnamien s’était retiré, le Qatar restait en tête mais tombait à 18 voix, à égalité avec la France, alors que l’Égypte progressait d’une voix. Le représentant de la Chine et la candidate libanaise se partageaient le reste des suffrages avec 5 et 4 voix.

Le soutien décisif de l’Égypte

Aucun des principaux candidats n’ayant obtenu après trois tours la majorité absolue, un quatrième était nécessaire entre le Qatar, la France et l’Égypte. La question était alors de savoir comment allaient se répartir les voix obtenues au tour précédent par la Chine et le Liban, qui venaient de jeter l’éponge. Au sous-sol du siège de l’Unesco, où se trouve la salle de délibération du Conseil exécutif, régnait ce soir-là la fièvre des moments historiques. Les tasses et les gobelets de café vides s’empilaient sur les tables basses du salon des délégués tandis que, téléphone à l’oreille, liste des votants à la main, les diplomates faisaient et refaisaient leurs additions, dans une atmosphère saturée de rumeurs d’alliances inavouables et de volte-face imprévues. « Pour nous, confiait à Mediapart l’ambassadeur d’Arabie saoudite, Ibrahim al-Balawi, le Qatar porte et portera longtemps la responsabilité de la division du camp arabe. Mais la bataille n’est pas perdue. Il nous faut rassembler le maximum de suffrages sur la candidate de l’Égypte. »L’ambassadeur de France, Laurent Stefanini, se déclarait quant à lui « assez tranquille », pour participer à une réunion scientifique sur les enseignements livrés par les profondeurs de la glace polaire, malgré la tension qui régnait parmi les délégués et leurs collaborateurs.

Ce soir-là, alors que les États-Unis et Israël venaient d’annoncer leur retrait de l’Unesco, le vote des délégués livrait un résultat surprenant : la candidate de l’Égypte, Moushira Khattab, 73 ans, ancienne ministre de la famille de Moubarak, avait rattrapé son retard sur la candidate française et obtenu, comme elle, 18 voix, alors que le candidat du Qatar confortait son avance avec 22 voix.

Conformément à la procédure, un cinquième tour devait donc opposer vendredi, en début d’après-midi, la France à l’Égypte pour désigner la candidate qui serait opposée, lors du scrutin final, au candidat du Qatar. Au sein du groupe arabe, réuni sous la présidence de l’ambassadeur du Liban, l’affrontement verbal était à deux doigts de tourner au pugilat lorsque le délégué saoudien accusait les représentants du Yémen et du Koweït d’avoir trahi la cause arabe en ne se mobilisant pas plus énergiquement en faveur de l’Égypte. Tandis que les délégations des Émirats et de l’Arabie saoudite menaçaient, après les États-Unis et Israël, de quitter l’Unesco pour manifester leur fureur et leur dépit, le scrutin livrait son verdict : 31 voix pour la France et 25 pour l’Égypte. « Les Saoudiens et les Émiratis ont fait voter pour la France, assurait un diplomate arabe. Ils ne veulent à aucun prix d’une victoire du Qatar et estiment que la candidate française est mieux placée que celle de l’Égypte pour l’emporter. »

Restait, quatre heures plus tard, le vote final. L’issue en était si incertaine que, dans l’après-midi, Emmanuel Macron, qui voulait à tout prix éviter une défaite de la candidature française pour la direction d’une institution prestigieuse, dont le siège est à Paris, tentait de négocier le retrait du candidat qatari, en vain. En revanche, l’Égypte, par la voix de son ministre des affaires étrangères, avait offert son soutien – et celui de certains des pays qui avaient voté pour la candidate égyptienne – à Audrey Azoulay. Soutien qui n’a pas dû être pour rien dans la victoire sur le fil – 30 voix contre 28 – obtenue dans la soirée de vendredi, face au candidat du Qatar.

Si, comme c’est l’usage, les 195 membres de la Conférence générale de l’Unesco, réunis le 10 novembre, confirment le vote du Conseil exécutif, la nouvelle directrice prendra ses fonctions fin novembre à la tête d’une institution qui traverse, de son propre aveu, « un moment de crise profonde ».

Cette crise découle certes de la gestion très personnelle, mais défaillante, de la directrice sortante, la Bulgare Irina Bokova, plus préoccupée de son destin personnel que de celui de l’institution. Mais elle a aussi été provoquée par l’attitude « punitive » des États-Unis. Si elle est intervenue à un moment décisif de la vie de l’Unesco – en pleine élection de sa nouvelle directrice –, l’annonce du retrait des États-Unis, suivie de celle du retrait d’Israël, n’est pas une véritable surprise. Depuis l’admission de la Palestine à l’Unesco, par 107 voix « pour », 14 voix « contre » et 52 abstentions, le 31 octobre 2011, Washington, qui assure 22 % du budget de l’organisation, avait suspendu ses contributions, mais maintenu sa participation au Conseil exécutif. Sa dette s’élève aujourd’hui à près d’un demi-milliard de dollars. Au fil des décisions de l’Unesco concernant l’église de la nativité à Bethléem – inscrite au patrimoine mondial en 2012 –, puis en 2016 lors de l’adoption d’une résolution condamnant la politique d’Israël à Jérusalem-Est, et en juillet dernier, sur la vieille ville de Hébron déclarée « zone protégée » du patrimoine mondial, Washington n’a cessé de multiplier, dans le sillage d’Israël, les dénonciations de l’Unesco, accusée d’être anti-israélienne.

Trump étant parvenu au pouvoir armé de la « doctrine du retrait », qui lui tient lieu de politique étrangère et qui lui a déjà fait quitter – ou menacer de quitter – l’accord de la COP21, le partenariat transpacifique (TPP), l’accord nord-américain de libre échange (NAFTA) et l’accord sur le nucléaire iranien, il n’était pas surprenant de le voir décider de quitter aussi une organisation à laquelle les États-Unis doivent beaucoup d’argent, et que son ami Netanyahou tient pour une ennemie d’Israël. Conformément aux statuts de l’Unesco, leur retrait ne sera effectif qu’a partir du 31 décembre 2018 et ils entendent y conserver un statut d’observateur.

La nouvelle directrice, énarque, passée par la Cour des comptes et le Centre national du cinéma avant de rejoindre l’Élysée comme conseillère de François Hollande, saura-t-elle mettre à profit cette longue période de transition pour convaincre Trump et Netanyahou de revenir sur leurs décisions ? L’expérience de son père, journaliste et banquier juif marocain devenu conseiller de Hassan II et Mohammed VI, et artisan discret du dialogue entre Israéliens et Palestiniens, pourrait lui être précieuse. « La première chose à laquelle j’entends m’attacher, a-t-elle déclaré après son élection, sera de restaurer la crédibilité de l’organisation et la confiance des États membres. » Rude besogne. Même pour une directrice élue un vendredi 13…

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