Algérie. Aller à la plage, un parcours du combattant
18 Août 2017
Rédigé par Nour et publié depuis
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Bikini ou burkini ?
“En réponse à certaines pages Facebook, administrées par des activistes islamistes, invitant leurs sympathisants à prendre des photos de femmes se baignant en bikini et les publier sur les réseaux sociaux, des militantes féministes d’Annaba appellent à une‘baignade républicaine’”,relatait début juilletAlgérie-Focusen signalant que ces militantes ont obtenu le soutien “de plus de 3 000 femmes d’Annaba. Cette initiative, une réponse au voyeurisme islamiste, est déjà largement relayée sur les réseaux sociaux”. Cette information a fait le buzz, notamment dans les médias occidentaux, etun mois plus tard le siteTSA-Algérierelève :“La ‘révolte du bikini’ en Algérie passionne les médias étrangers”, français, italiens ou britanniques. Cette révolte a-t-elle eu lieu ? Il semblerait que l’initiative d’une “baignade républicaine” a bien eu lieu, sans avoir de suite. En tout cas, début août, sur les plages d’Oran, le journaliste deTSA-Algériea pu constater que“le burkini côtoie le bikini”. Toutefois,TSA-Algériesignale que par rapport aux“années 1990 et 2000, le nombre de filles qui portent le bikini sur cette plage tend à baisser”, en évoquant l’influence des“discours religieux conservateurs”sur le comportement des femmes et sur“leurs choix sociétaux.”
Depuis l’ouverture officielle de la saison estivale, la situation des plages de plusieurs villes côtières du pays ne cesse de faire polémique et de susciter le mécontentement de nombreux estivants. Yasmine, 28 ans, raconte son expérience sur une plage à Zéralda [banlieue ouest d’Alger] :“Ils nous taxent dès notre arrivée au parking, alors qu’il y a une circulaire qui l’interdit formellement. Mais si par malheur on refuse de payer, ils peuvent facilement s’en prendre à notre voiture. Arrivés sur le sable, on vient nous facturer un parasol, même cas de figure que pour le parking.”Pourtant, comme l’année dernière, le wali d’Alger, Abdelkader Zoukh, a insisté sur la gratuité totale de l’accès aux plages de la capitale et celle de 14 parkings d’une capacité de 12 000 véhicules.
À l’est d’Alger, les baigneurs ont déserté presque toutes les plages, fuyant les eaux polluées. Certains malchanceux ont même été victimes de maladies de la peau.“La plage des Canadiennes ou encore El-Kadous ne sont plus fréquentables. C’est très sale et on voit même les eaux usées dégagées sur le rivage”,se désole un habitué des lieux.
Autre point négatif, le harcèlement de la gent féminine. En effet, nombreux sont ceux qui déplorent ce problème. Les femmes ne peuvent plus aller à la plage seules, nager comme elles le veulent ou porter ce qu’elles désirent. Pour elles, pas moyen de nager sans se faire aborder. Quand elles sont accompagnées de leur mari, frère ou père, la situation risque de dégénérer et finit souvent par des disputes et accrochages.“Dans presque toutes les plages d’Alger, on ne peut pas nager librement. Il y a toujours des voyous qui viennent nous embêter. Pour éviter tout débordement, on préfère se réfugier sous le parasol”, affirme Yasmine. Ajoutant :“De là, on remarque l’incivisme des Algériens. Je n’en fais pas une généralité, mais ils sont quand même nombreux. Y a ceux qui mettent de la musique dont les paroles sont inécoutables quand on est en famille. D’autres jettent leurs déchets sous le sable. Nos plages ne sont plus ce qu’elles étaient. On préfère alors aller à la piscine. On paye plus cher, mais on gagne en tranquillité.”
Pourtant, selon les déclarations du wali d’Alger, plus de 1 600 agents saisonniers sont mobilisés pour veiller à la propreté et à la surveillance des plages de la capitale pour cet été.“Outre 800 agents de la protection civile, 1 650 agents saisonniers seront mobilisés pour entretenir et surveiller les plages de la capitale durant la saison estivale 2017”, a-t-il annoncé.
Fléau des voitures sur les plages
Vers l’ouest, à Tipasa, les familles algériennes ne peuvent plus supporter la cherté des services et leur médiocrité. Et cela ne se limite pas aux plages publiques. Amina, 30 ans, est une amoureuse de la plage privée La Corne d’or de Tipasa. Seulement, elle ne peut plus se permettre d’y aller, estimant le prix d’accès très élevé. Elle explique :“J’adore cet endroit, il est magnifique ! La plage est très propre et calme, malheureusement je n’y vais pas souvent, car fixer l’accès à 2 500 dinars algériens (DA) [19 euros] par personne est exagéré et je ne peux pas me le permettre. Côté cuisine, la bouffe est une vraie catastrophe…”Leila, une habituée des lieux, partage cet avis et affirme qu’elle n’y retournera plus jamais.“C’est de l’arnaque ! Les services qu’ils proposent ne sont pas à la hauteur. On a rencontré plusieurs problèmes durant notre séjour. Par exemple, dès notre arrivée à la plage, la personne qui loue les parasols s’est octroyé le droit de prendre toutes les meilleures places sous prétexte qu’elle a loué l’endroit ! Quelque temps plus tard, la plage, censée être privée, a été envahie par des groupes de jeunes et s’est transformée en espace public, plus sale et plus cher.”
Le constat n’est pas meilleur dans les autres régions du pays. Plus loin vers l’ouest, dans l’Oranie, le nouveau fléau des voitures sur les plages, quasiment en mer, fait ravage et chasse les estivants qui déplorent l’incivisme de certains. Les familles se retrouvent obligées de renoncer à leur programme de détente face au non-respect de certaines personnes. Sur place, impossible de se détendre avec toute la musique qui fuse de partout, et encore moins de s’allonger sur une serviette sans se prendre un ballon ou une balle de beach ball en pleine figure.
“Nos plages étaient cosmopolites”
Selon l’expert en tourisme Saïd Boukhelifa, la situation des plages est catastrophique depuis le début des années 2000.“Durant les années 1970, quand la population était moins nombreuse, il existait une réelle volonté politique adossée à une culture touristique prégnante sur une adhésion citoyenne. Nos plages étaient cosmopolites, pleines d’étrangers, résidents et non-résidents, qui respectaient les notions d’hygiène ! De nos jours, c’est l’apocalypse”, explique l’expert.
Pour lui, si les plages étaient jadis un lieu de détente et de thérapie, elles sont devenues aujourd’hui des lieux rédhibitoires et répugnants.“La saleté s’y conjugue avec l’incivisme d’une jeunesse sans repères, mal éduquée. Au lieu de se reposer au bord de mer, la famille algérienne stresse davantage !”constate Saïd Boukhelifa. Pour améliorer cette situation, à moyen et long termes, tous les secteurs doivent mettre la main à la pâte. L’expert propose une mise en tourisme des 14 wilayas [gouvernorats] côtières.
Retombées financières et sociales
En haute saison, le tourisme est un poumon qui fait travailler plusieurs secteurs annexes.“Les wilayas, les daïras [subdivision administrative regroupant plusieurs communes] et les communes côtières gagneraient beaucoup économiquement si elles se mettaient à apprendre le tourisme et ses retombées financières et sociales. Cependant, dans leur majorité, depuis longtemps, elles ont désappris à faire et à parfaire des activités touristiques attractives et attrayantes. Elles ne savent pas communiquer ni faire la promotion de leurs villes ou régions”, se désole l’expert.
Et il cite l’exemple de Cherchell [ville côtière située à 90 kilomètres à l’ouest d’Alger], qui dans les années 1960 et 1970 faisait, grâce à son syndicat d’initiative de tourisme (office local de tourisme), la promotion de la ville en collaboration avec la Poste, qui faisait apposer un cachet rectangulaire“Visitez Cherchell, son musée, ses plages, son phare, ses ruines”,sur chaque courrier qui partait vers une autre destination.
Pour conclure, Saïd Boukhelifa affirme que la situation catastrophique que connaissent les plages algériennes n’est pas seulement une question de parasol ou de parking, mais un problème de fond. Pour lui,“c’est aussi l’inconscience collective adossée à l’impunité et au laxisme de l’État. Car pour la majorité des gouvernants, leur progéniture est à Club des Pins ou passe des vacances superbes ailleurs, à Santorin, Mykonos, Ibiza ou aux îles Maldives ! Avant de changer la couleur des maillots de bain, il faudrait aussi songer à faire changer les mentalités !”
“En réponse à certaines pages Facebook, administrées par des activistes islamistes, invitant leurs sympathisants à prendre des photos de femmes se baignant en bikini et les publier sur les réseaux sociaux, des militantes féministes d’Annaba appellent à une‘baignade républicaine’”,relatait début juilletAlgérie-Focusen signalant que ces militantes ont obtenu le soutien “de plus de 3 000 femmes d’Annaba. Cette initiative, une réponse au voyeurisme islamiste, est déjà largement relayée sur les réseaux sociaux”. Cette information a fait le buzz, notamment dans les médias occidentaux, etun mois plus tard le siteTSA-Algérierelève :“La ‘révolte du bikini’ en Algérie passionne les médias étrangers”, français, italiens ou britanniques. Cette révolte a-t-elle eu lieu ? Il semblerait que l’initiative d’une “baignade républicaine” a bien eu lieu, sans avoir de suite. En tout cas, début août, sur les plages d’Oran, le journaliste deTSA-Algériea pu constater que“le burkini côtoie le bikini”. Toutefois,TSA-Algériesignale que par rapport aux“années 1990 et 2000, le nombre de filles qui portent le bikini sur cette plage tend à baisser”, en évoquant l’influence des“discours religieux conservateurs”sur le comportement des femmes et sur“leurs choix sociétaux.”