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Allemagne: le candidat Martin Schulz s’attaque au totem Schröder

 

24 FÉVRIER 2017 PAR THOMAS SCHNEE

Porté par une vague de popularité sans précédent, le candidat social-démocrate critique le sacro-saint « Agenda 2010 » de Gerhard Schröder. Le symbole est suffisamment fort pour réconcilier le SPD avec lui-même et rouvrir le jeu politique. Schulz est-il crédible dans cette dénonciation ?

 

Berlin, de notre correspondant.- « Cher Martin, t’en souviens-tu encore ? 5,3 millions de chômeurs, 12,5 % de jeunes au chômage et 1,8 million de chômeurs longue durée. L’Allemagne était l’homme malade de l’Europe. Aujourd’hui, nous allons bien grâce à l’Agenda 2010. » Adressée au nouveau « candidat-miracle » du parti social-démocrate Martin Schulz, cette apostrophe a été imprimée pleine page dans les éditions de mardi de deux grands quotidiens allemands.

 

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Le tout aux frais d’une officine libérale (INSM), faux nez politique de la Fédération des patrons de la métallurgie (Gesamtmetall), qui s’inquiète du récent « virage à gauche » de M. Schulz. Cette initiative arrive en parallèle avec des interrogations sur la substance des propositions de Schulz ou encore sur son bilan bruxellois lorsqu'il présidait le parlement européen… La réaction s’organise, à droite mais aussi à gauche, contre celui qui semble vouloir jouer au nouveau « cador » de la politique allemande.

 

Nommé tête de liste sociale-démocrate pour les élections législatives en remplacement de l’encore président du SPD Sigmar Gabriel, le 24 janvier, Martin Schulz continue à surfer sur une vague de popularité dont l’ampleur a surpris tout le monde. Depuis que cet ancien libraire, désormais surnommé le « Chuck Norris » ou encore le « Robin hood » (http://imgur.com/W43LsAk) de la politique allemande,  a débarqué de Bruxelles, le SPD a effectué un bond dans les sondages, au point de talonner les conservateurs de Mme Merkel. Le parti a enregistré pas moins de 4 500 nouvelles adhésions en quelques jours. Du jamais vu depuis la candidature de Willy Brandt. Enfin depuis l’apparition de « St. Martin Schulz », le parti démago-xénophobe Alternative pour l’Allemagne a fortement reculé dans les intentions de vote.

Pour beaucoup, Schulz proposerait l’espoir d’une Allemagne sans Merkel ni Schäuble, et avec une politique européenne différente. Classé à la droite du SPD et chargé de son bilan bruxellois, Martin Schulz saura-t-il répondre à ces espoirs ? Sera-t-il en mesure de tenir tête à des adversaires qui, une fois la surprise passée, aiguisent leurs arguments ?     

S’exprimant dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung, le sociologue munichois Armin Nassehi estime que le succès de Martin Schulz vient du fait qu’il apparaît « comme un nouveau visage qui amène un vent nouveau dans la politique allemande ». « Mais il y a un moment où être le nouveau ne suffit plus pour gagner », poursuit le sociologue qui estime que Schulz ne réussira que s’il parvient à réaliser l’alliance entre charisme et compétence. Et c’est précisément cette difficile mutation qui a démarré lundi lors d’une conférence du SPD sur le travail à Bielefeld.

 

 

Jusqu’à présent, l’ancien président du Parlement européen avait annoncé qu’il plaçait sa campagne sous le signe de l’égalité sociale. À Bielefeld, il a monté d’un cran en intensité comme en précision en expliquant que le temps était venu de corriger l’Agenda 2010 de Gerhard Schröder. « Nous aussi avons commis des erreurs. Et là où il y a des erreurs, il faut les corriger », a-t-il déclaré en dévoilant quelques éléments d’un programme qui ne sera présenté dans ses grandes lignes que le 19 mars prochain, lors du congrès qui doit le porter à la tête du SPD.

Pour lutter contre l’injustice et la précarité, Martin Schulz a l’intention de rallonger la durée maximale de l’allocation chômage (12 mois contre 32 mois avant l’Agenda 2010) tout en augmentant les aides à la réinsertion des chômeurs. Ce, afin de limiter le nombre de chômeurs qui glissent trop rapidement du monde du travail vers celui de l’aide minimum, la sinistre allocation « Hartz IV » dont on se libère difficilement.

Pour les plus jeunes, Martin Schulz veut limiter la précarité des contrats de travail. Selon lui, le nombre d’emplois précaires en temps partiel a augmenté de 25 % entre 2000 et 2015, pendant que le plein emploi en CDI n’a progressé que de 8 %. 40 % des temps partiels seraient occupés par des moins de 25 ans. Le candidat du SPD, s’il est élu chancelier le 24 septembre prochain, a donc l’intention d’interdire toute embauche en CDD si celle-ci n’est pas motivée et encadrée. Enfin, le candidat social-démocrate veut stabiliser le niveau des retraites pour stopper le glissement de plus en plus sensible vers des retraites de misères. 

Pour le SPD, les syndicats et la gauche allemande dans son ensemble, cette autocritique et la promesse de corriger tout ou partie de l’Agenda 2010 sont un pas symbolique essentiel, préalable à toute réouverture du jeu des alliances et des coalitions à gauche. En effet, l’Agenda 2010 a été le grand « diviseur » de la gauche allemande depuis son entrée en vigueur en 2005. C’est aussi ce train de réformes qui explique en grande partie pourquoi la gauche allemande (SPD, Die Linke et les écologistes) est arithmétiquement majoritaire au Bundestag, mais que c’est Angela Merkel qui occupe la chancellerie.

2005 a été précisément l’année de la création d’une alternative électorale à la gauche du SPD (WASG) dans l’ex-Allemagne de l’Ouest. Deux ans plus tard, la WASF fusionnait avec le PDS est-allemand pour créer Die Linke qui allait tailler des croupières au SPD et lui voler un bon nombre de ses adhérents. Pendant ce temps, chez les sociaux-démocrates, les pro- et anti-Agenda se déchiraient. 

« Nous voulons être devant »

Il faut attendre le retour du SPD dans l’opposition (2009-2013) et la pression des syndicats pour que le grand parti commence à reconnaître que l’explosion du secteur des emplois précaires, et ce qui en découle (retraites précaires, moins-disant salarial, externalisation), est une conséquence directe de la libéralisation imposée par l’Agenda de Schröder. Dans l’opposition, puis au pouvoir à partir de 2013, le SPD et les syndicats vont désormais se battre pied à pied, loi après loi, pour imposer un salaire minimum universel ou rétablir un contrôle sur les emplois précaires.

Cette lutte donne quelques résultats et, pour pas mal de sociaux-démocrates, ressemble déjà plus à ce qu’ils attendent d’un parti qui a toujours prétendu lutter pour plus de justice sociale. Pourtant, pendant une longue période, le discours officiel du SPD refuse d’égratigner la statue du commandeur Schröder et le mythe de l’Allemagne sauvée par l’Agenda 2010. Techniquement, le « virage » amorcé par Schulz n’en est donc pas vraiment un. Mais c’est un symbole essentiel pour tous les sociaux-démocrates, une page qui devait être tournée pour se réconcilier avec soi-même et, n’en déplaise aux dirigeants très critiques de Die Linke, un signal lancé à la gauche radicale.

Avec Martin Schulz candidat, les plus âgés espèrent un retour vers plus de justice sociale, les jeunes voient en lui un rempart contre l’extrême droite et l’éclatement de l’Union européenne. Même l’aile gauche du parti se réjouit de ce candidat venu de l’aile droite mais qui lui offre une autre perspective que la réédition d’une nouvelle grande coalition avec les conservateurs. « Nous voulons être devant », résume Hannelore Kraft, ministre-présidente du Land de Rhénanie du Nord-Westphalie, une région qui doit renouveler son parlement en mai prochain.

 

Martin Schulz le 1er juillet à Strasbourg, après sa réélection à la présidence du parlement. © Reuters.

 

Dans le camp d’en face, l’effet Schulz a porté. Les deux partis conservateurs CDU et CSU, ainsi que la chancelière Merkel, ont vu leurs cotes de popularité s’effondrer dès l’entrée en lice du nouveau matamore. L’ex-Bruxellois est perçu comme un adversaire redoutable. C’est un stratège expérimenté qui excelle dans les joutes oratoires et séduit par son accès facile et son caractère jovial. Il est à l’aise aussi bien sur le parquet diplomatique que dans les visites d’usine. Enfin, il ne fait pas partie du gouvernement et n’a pas les mains liées pour attaquer la chancelière.

La droite n’est pas encore remise de sa profonde division sur la politique des réfugiés. Mais l’Union conservatrice a compris qu’elle devait resserrer les rangs. « Déjà avant, il fallait éviter de marquer contre son camp. Mais maintenant, il va falloir faire encore plus attention », reconnaît le Bavarois Horst Seehofer qui a cessé d’un coup sa guérilla anti-Merkel pour la soutenir aux élections. Mais l’ambiance de la rencontre Merkel-Seehofer censée sceller la réconciliation était absolument glaciale. « En une heure, Merkel n’a pas souri une seule fois et les deux se sont à peine regardés », confirme un correspondant de presse, présent ce jour-là. Depuis la chancelière est restée discrète au point que le quotidien Bild se demande si « elle est encore capable d’attaquer ».

Les conservateurs se mettent à attaquer le candidat « de gauche » sur son parcours bruxellois. Par exemple en rappelant son soutien apporté aux projets d’accords de libre-échange ou la politique de compromis qu’il a menée avec la droite au Parlement européen. Au programme également, ses arrangements avec l’ami Jean-Claude Juncker, qu’il a protégé lors de l’affaire des LuxLeaks. La droite compte par ailleurs insister sur ses contradictions en ce qui concerne la politique des réfugiés. À Bruxelles, Martin Schulz a chaudement soutenu les positions de Mme Merkel… qu’il critique depuis sa nomination.

La méconnaissance supposée de la politique intérieure allemande par le candidat du SPD devrait aussi être un chapitre à part entière dans le bréviaire anti-Schulz. Déjà, les revendications de « Saint Martin » en faveur d’une hausse générale des salaires pour lutter contre la pauvreté sont taxées d’amateurisme par les milieux économiques, qui rappellent que ces hausses ont déjà eu lieu. De son côté, le ministre des finances Wolfgang Schäuble l’accuse de travestir les données économiques, le traite de populiste et le compare à Trump.

 

 © Flickr - Parlement européen.© Flickr - Parlement européen.

Pourquoi Martin Schulz veut-il revenir sur les réformes de Schröder alors qu’il évoque dans ses discours la bonne santé du pays et les succès de l’économie allemande ?, se demande ainsi le grand argentier allemand. Pour sa part, le secrétaire général du Medef allemand (BDA), Stefan Kampeter, refuse le discours sur la fracture sociale grandissante : « Ce conte a déjà été servi aux électeurs en 2013. Les retraites n’ont jamais autant augmenté depuis 20 ans, tous comme les salaires d’ailleurs. De plus, il n’y a jamais eu autant d’actifs en Allemagne, et nombre d’entre eux ont un emploi à plein temps en CDI », s’insurge-t-il.

 

Quant aux corrections que Schulz veut apporter à l’Agenda 2010, les mises en garde pleuvent. Telle celle de Bernd Rürup, économiste renommé, expert en politique sociale et inspirateur du fameux agenda qui prévient Schulz : « Personne n’a de garantie que la situation exceptionnelle de notre marché de l’emploi se maintienne ainsi éternellement », estime-t-il.

En réalité, la droite joue sur les statistiques. Ainsi, l’Allemagne connaît effectivement de belles augmentations salariales depuis trois ans. Mais cette courte période a été précédée d’une période de recul et/ou de stagnation des salaires pendant… 14 ans ! M. Kampeter ne rappelle pas non plus qu’un emploi allemand sur quatre est un emploi précaire.

Par ailleurs, l’agence fédérale de statistiques (Destatis) constate la progression permanente de la part de la population menacée par la pauvreté. En 2015, le taux est de 15,7 % de la population, soit le plus haut niveau depuis la réunification. Enfin, ce sont toujours les chiffres de Destatis, qui montrent qu’entre 1998 et 2013, la richesse des 10 % d’Allemands les plus riches est passée de 45,1 % à 51,9 % du patrimoine national net, pendant que celle détenue par les 50 % les moins riches a baissé de 2,9 % à 1 % !

Le retour de l’union de la gauche

Dans les autres partis de gauche, l’arrivée fracassante de Martin Schulz est accueillie avec un mélange de scepticisme narquois et d’espoir. Les promesses d’égalité fiscale du social-démocrate font sourire Sven Giegold, vice-président des Verts européens, tout comme son collègue de Die Linke Fabio de Masi : « Je ne peux pas croire au combat de Schulz pour l’égalité fiscale, alors que dans l’affaire Luxleaks, il a passé son temps à freiner. Et je n’ai jamais entendu de sa part une critique claire sur les règles fiscales au Luxembourg », explique M. de Masi.

La co-présidente du groupe parlementaire de Die Linke, également co-tête de liste du parti, Sarah Wagenknecht, se demande pourquoi elle devrait croire les promesses de justice sociale d’un parti « dont la politique a produit une situation que Martin Schulz déplore aujourd’hui à juste titre ». Également méfiante, la présidente du parti Die Linke Katja Kipping estime que Schulz doit aller plus loin : « L’allongement du temps de versement de l’allocation chômage n’est qu’un des nombreux éléments nécessaires pour corriger l’Agenda 2010 », explique-t-elle. Elle demande la suppression du régime très strict de sanctions appliquées aux chômeurs et une augmentation sensible du salaire minimum. Pour leur part, les écologistes et les jeunes sociaux-démocrates demandent à en savoir plus sur ses propositions écologiques, éducatives et pour un meilleur accès au logement social.

 

Martin Schulz à son arrivée au conseil européen, le 27 juin, après avoir donné son accord de principe sur le budget.

 

Malgré tout, l’arrivée de Martin Schulz a rouvert le jeu électoral et politique allemand. Il offre, pour la première fois depuis douze ans, une « nouvelle orientation » aux électeurs. C’est-à-dire la perspective d’une alternance à gauche. Déjà les candidats des Grünen, Cem Özdemir et Katrin Göring-Eckardt, estiment que « même une coalition rouge-verte pourrait être possible » et que les positions du SPD et des écologistes « se recoupent en de nombreux points ». Chez Die Linke, on ne note pas encore de revirement comme chez les Verts qui, il y a peu, pariaient encore sur le ticket Merkel. Cependant, on sait que le parti milite depuis sa création pour une union de la gauche et rêve d’être partie prenante d’une coalition gouvernementale.

Il est donc possible que Die Linke soit au rendez-vous fixé par le SPD. Remplacer Merkel et Schäuble et offrir une alternative politique qui ferait aussi changer la ligne politique européenne de l’Allemagne, c’est à cause d’une telle perspective, et dans l’attente d’un programme électoral solide, que M. Schulz mobilise même ceux qui le trouvent trop libéral ou trop compromis par son action au Parlement européen.

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