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Paul Copeland: «Le Royaume-Uni va découvrir qu’il est une nation insignifiante»

Paul Copeland: «Le Royaume-Uni va découvrir qu’il est une nation insignifiante»

25 JUIN 2016 | PAR THOMAS CANTALOUBE

Selon Paul Copeland, de la Queen Mary University of London, le Brexit est d'abord une sanction des élites politiques britanniques. Et il va enclencher une double désunification : celle de l’UE et celle du Royaume-Uni.

Londres, de notre envoyé spécial. - Paul Copeland est le directeur du centre d’Études européennes de la Queen Mary University of London. Européen convaincu bien que critique, il était favorable au maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne (UE). Nous l’avions déjà interrogé à la fin du mois de mars 2016, alors que la campagne référendaire sur le Brexit démarrait. Déjà, à l’époque, il estimait que l’UE allait servir de bouc émissaire à des Britanniques qui, en fait, n’en peuvent plus de la manière dont le pays est gouverné, depuis Westminster, par des élites politiques coupées de la population.

Mediapart : Quel est votre sentiment au lendemain du référendum qui a décidé de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ?

Paul Copeland : Il était évident depuis longtemps que le résultat de ce scrutin serait serré. Je me doutais que l’on serait dans l’ordre du 52 %–48 %, mais je ne savais pas qui l’emporterait du « Remain » (« Rester ») ou du « Leave » (« Quitter »). Mais ce résultat a moins à voir avec l’Union européenne qu’avec l’insatisfaction des Britanniques vis-à-vis du système politique et de Westminster. C’est un sentiment qui traverse de nombreuses démocraties occidentales : le rejet des élites politiques et de leur façon de gouverner. L’Union européenne est un bouc émissaire commode : on a donné aux gens l’opportunité de s’exprimer et ils l’ont saisie pour punir l’élite politique.

Dans ce contexte, les artisans de la campagne pour le « Leave » ont mené une bien meilleure campagne que ceux en faveur du « Remain » : ils ont surfé sur cette rébellion populaire alors que le camp du premier ministre promettait de poursuivre encore plus comme avant.

Paul Copeland.

Oui, c’est un changement monumental pour le Royaume-Uni. Il dessine deux perspectives : le première, c’est une récession historique qui risque d’atteindre le pays ; la seconde, c’est que le futur du Royaume-Uni est véritablement dans la balance. Le résultat de ce référendum, c’est une double désunification : celle de l’Union européenne et celle du Royaume-Uni.

Sur le plan politique, c’est plus difficile à mesurer. Tout dépend de qui va devenir le leader des conservateurs. Si c’est quelqu’un qui reprend les affaires où elles en sont restées et qui continue, « business as usual », et se contente de négocier tranquillement avec Bruxelles la sortie du Royaume-Uni, alors l’électorat restera insatisfait et aura l’impression de ne pas avoir été entendu. Il faut que le prochain gouvernement entreprenne des changements significatifs dans sa manière de conduire la politique. Bien entendu, la question sur laquelle personne n’est d’accord, pas même les électeurs en faveur du Brexit, c’est : quels changements ?

Peut-on imaginer qu’avec la division qui s’est manifestée entre l’Écosse et l’Irlande du Nord, très favorables au maintien dans l’Union européenne, et l’Angleterre et le Pays de Galles, défavorables, le Royaume-Uni tel qu’il existe depuis près d’un siècle, ne soit plus dès 2020 ?

C’est en effet une très forte possibilité. La situation de l’Irlande du Nord est plus complexe, mais pour ce qui est de l’Écosse, je pense qu’elle va quitter le Royaume-Uni. Le démantèlement du Royaume-Uni est une vraie réalité. Si je devais parier, je miserais mon argent là-dessus. Lors du référendum sur l’indépendance de l’Écosse en 2014, certains ont évoqué la probabilité d’un « neverendum » (jeu de mots sur never end : jamais terminé, et référendum, autrement dit un référendum qui reviendrait sans cesse jusqu’à ce que l’indépendance soit obtenue).

Ce qui est en jeu maintenant pour l’Écosse, c’est la relation que le pays entend nouer avec l’Union européenne : comment est-ce que le pays adhère, à quelles conditions, quand ? La vraie question sous-jacente, c’est l’acceptation ou non de l’euro. Beaucoup d’Écossais nationalistes, même favorables à l’UE, restent très attachés à la livre sterling.

Est-ce que les électeurs du « Leave » avaient en tête l’éclatement du Royaume-Uni lorsqu’ils ont glissé leur bulletin dans l’urne ?

Non, ils n’ont clairement pas prêté beaucoup d’attention à cette possibilité. Les électeurs favorables au Brexit sont avant tout des gens en colère. Ils sont préoccupés par plein de choses : la crise du logement, qui n’a rien à voir avec l’Union européenne, l’immigration, les emplois sous-payés… Toutes ces questions se sont entremêlées et les explications n’ont servi à rien.

Par ailleurs, personne ou presque n’a débattu de l’explosion du Royaume-Uni lors de la campagne. Pourtant, c’était un enjeu crucial notamment du fait d’un certain ressentiment des Anglais. Il n’y a pas de parlement anglais, alors qu’il y a des parlements écossais et gallois avec un certain niveau d’autonomie. Il y a 4 à 5 millions d’Écossais dans le Royaume-Uni, qui possèdent un statut particulier avec un certain nombre d’aménagements (en terme de fiscalité, de législation locale, etc.), alors que les 50 millions d’Anglais n’en ont pas. La question du nationalisme anglais a clairement été sous-estimée lors du débat référendaire.

Le Royaume-Uni est en passe de découvrir qu’il est une nation insignifiante

Sur le plan politique, que va-t-il advenir du parti conservateur qui s’est déchiré sur la question européenne ?

Je suis très sceptique quant à l’unité des Tories. Le principal argument de campagne des tenants du « Leave » a été la question de l’immigration et les Britanniques ont clairement montré qu’ils n’aimaient pas la liberté de mouvement associée à l’appartenance à l’UE. Dans le cadre des négociations sur la sortie de l’UE qui vont s’ouvrir sous l’égide du prochain premier ministre, le véritable enjeu pour le gouvernement va être d’obtenir l’accès au marché unique européen. Mais cela s’accompagne inévitablement de l’acceptation de la liberté de mouvement des personnes. C’est un des piliers de l’Europe et c’est un dilemme insoluble. On ne peut pas préserver son gâteau et le manger en même temps. Si les négociations maintiennent la libre circulation en échange de l’accès au marché unique, alors le parti conservateur continuera d’être divisé et pourrait exploser.

De l’autre côté, comment se fait-il que les travaillistes, qui ne voulaient pas de ce référendum, mais qui ont accepté de faire campagne aux côtés de David Cameron en faveur du « Remain », soient de nouveau en train de se déchirer, et qu’une motion de défiance ait été déposée par des parlementaires contre leur leader, Jeremy Corbyn ?

D’une certaine manière, le Labour est encore plus chamboulé que les conservateurs par ce résultat. Les travaillistes ont échoué à faire voter massivement leurs électeurs en faveur du maintien dans l’UE. Jeremy Corbyn a été incapable d’adopter une position claire et de projeter une image nette. Ce n’est un secret pour personne que Corbyn, au fond de lui, est opposé à l’Union européenne telle qu’elle existe aujourd’hui. Lors d’une interview durant la campagne, il a répondu qu’il était « favorable à 70 % à l’UE ». Dans un référendum où la seule alternative est oui ou non, ce genre de réponse n’est pas satisfaisante.

Les travaillistes ont complètement sous-estimé l’attitude anti-immigration de leurs électeurs traditionnels, notamment la classe ouvrière, déstabilisée par des emplois mal payés qui sont occupés par des immigrés. De nombreux électeurs travaillistes ont été séduits par le discours de l’UKIP [le parti europhobe et anti-immigration de Nigel Farage, principal artisan du référendum sur le Brexit – ndlr]. De ce point de vue, les travaillistes se sont retrouvés bien plus déconnectés de leur électorat habituel que les conservateurs.

D’habitude, lors d’un référendum perdu, c’est le parti au pouvoir qui subit les plus grosses conséquences. Mais, dans cette situation, je ne suis pas sûr que ce ne soit pas les travaillistes qui paient un plus gros prix que les conservateurs.

Est-ce que l’UKIP, ce parti qui s’est créé sur le sentiment europhobe et la sortie de l’Union européenne, est amené à disparaître maintenant qu’il a remporté ce combat ?

Cela dépendra des négociations sur la sortie de l’UE. Si l’accès au marché unique européen est maintenu en échange de la liberté de circulation, alors l’UKIP continuera de pouvoir se plaindre. Si, en revanche, une véritable dissociation de l’Union européenne et le rétablissement des frontières sont négociés, alors le parti sera sur un terrain bien moins favorable pour récriminer et il pourrait disparaître ou devenir marginal.

Est-ce que, contrairement à ce que promettaient les tenants du Brexit, le statut du Royaume-Uni n’est pas diminué avec la sortie de l’Union européenne ?

Certainement. Le Royaume-Uni est en passe de découvrir qu’il est une nation insignifiante. Il a choisi de se couper d’un bloc de 27 pays, qui représente le plus grand marché au monde et dont l’un des quatre piliers fondateurs est le liberté de circulation. 40 % des échanges commerciaux du Royaume-Uni se font avec l’Union européenne. C’est très important pour le Royaume-Uni, mais cela est mineur pour l’Union européenne. L’économie britannique va accuser le coup.

La campagne en faveur de la sortie n’a cessé de vanter le statut de grande puissance du Royaume-Uni, mais on a vu qu’en quelques heures, à cause de la dégringolade de la livre, vendredi 24 juin, le pays est passé de cinquième puissance économique mondiale à sixième. Juste parce qu’on a réévalué la valeur de l’économie relativement au poids de sa monnaie. Je crains que d’ici deux ou trois mois, les Britanniques ne réalisent que les promoteurs de la sortie de l’UE ont raconté beaucoup de mensonges.

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