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Réseau des Démocrates

Par Khedidja Baba-Ahmed
Au départ, notre volonté était d’interroger Monsieur Abdelmadjid Tebboune, ministre de l’Habitat, de l’Urbanisme et de la Ville, sur la seule opération d’éradication des bidonvilles et pourquoi l’arrivée, du 18 au 20 mai, d’une délégation de l’ONU pour assister à cette opération. Au fil de la rencontre, l’entretien a pris des chemins plus larges pour aborder les nombreuses questions sensibles que se pose aujourd’hui le citoyen sur le logement et ses craintes de voir ses chances disparaître si les difficultés financières que vit aujourd’hui le pays impactaient les programmes du département de l’habitat. C’est à toutes ces questions que Monsieur Tebboune a répondu, comme il l’a fait aussi pour les questions liées au projet de la Grande Mosquée d’Alger qui continue à susciter beaucoup d’interrogations.

Le Soir d’Algérie : Vous recevez, avec le wali d’Alger, du 18 au 20 mai, une délégation onusienne de l’habitat qui vient assister à la 21e opération de relogement dans la wilaya d’Alger et s’enquérir, dit le communiqué officiel APS, de l’expérience «inédite» dans le domaine de l’éradication de l’habitat précaire. En quoi cette opération est «inédite, unique dans le monde»?
Abdelmadjid Tebboune : Cette délég
ation vient suite à ce que l’on avait dit, lorsque Monsieur Ban Ki-moon est venu et qu’on lui avait remis un magazine spécial élaboré à l’occasion de cette visite et reprenant tous les efforts faits dans le cadre de l’éradication des villes. La capitale, la plus grande concentration, puis viennent Oran, Annaba et Constantine. Pour Alger, cela touche à sa fin. C’est pourquoi l’on a annoncé que 2016 sera l’année d’éradication des bidonvilles et de l’habitat précaire.

Excusez-moi, mais il y a eu l’intervention, il y a quelques jours, de M. Zoukh, wali d’Alger, qui a annoncé qu’il allait y avoir encore les 22e, 23e et 24e opérations du genre, donc ce n’est pas terminé.
Oui, vous savez pourquoi ? Il y a d’abord les bidonvilles et il y a le logement précaire.

La différence entre les deux ?
Le logement précaire a toujours été un logement légal, ancien. Vous prenez Bologhine, à la Pointe-Pescade, à chaque séisme, l’on se tient le ventre. Avec La Casbah aussi, les habitations sont vieilles et subissent les affres de l’âge. On va aller vers les quartiers précaires où il y a toutes les commodités, électricité, eau, gaz, écoles, etc. mais ce n’est plus habitable, au sens sécurité du terme. Donc, c’est pour ça que le wali parle de cela. Puis, il y a aussi les mal logés : ceux qui habitent un appartement correct mais qui sont à 2 ou 3 familles dans le logement. Alors ce sont des priorités qu’on se fixe d’abord pour enlever ce spectacle désolant qui existe d’ailleurs dans d’autres villes comme Johannesburg, par exemple. Les bidonvilles sont pratiquement la maladie du siècle. Nous, nous ne voulons pas de cette situation tout simplement. C’est indigne de l’Algérie parce que tout le monde doit en bénéficier, c’est constitutionnel et plus affirmé encore dans la nouvelle Constitution et puis c’est conforme aux principes de Novembre. Un Etat doit prendre en charge les problèmes sociaux de ses citoyens. Il y a eu, par ailleurs, la décision prise par le président de la République dans son discours en 99 quand il a affirmé qu’il fallait faire disparaître tous les paysages de misère. Vous savez, pour nous, les bidonvilles, c’est un peu le reflet de tous les grands événements douloureux qu’a connus l’Algérie. C’en est la résultante. Il y a eu un exode terrible vers les villes au point qu’il y a eu inversion de la donne. A l’indépendance, il y avait 35% de la population dans les villes et 65% dans les campagnes. Aujourd’hui c’est l’inverse. 65% dans les villes et 35% dans les campagnes. Alger, à l’indépendance c’était 450 000 habitants. Il y avait des terrains, des constructions individuelles, l’Etat était tellement occupé à d’autres choses, c’est pourquoi il y a eu construction partout. Il y a eu également la période où pratiquement toute la population rurale est venue s’abriter dans Alger, plus sécurisée. Maintenant, nous essayons de faire le chemin inverse. Si l’on ferme les yeux et qu’on laisse les choses se poursuivre, comme ils le font ailleurs, à Casa, par exemple, où un seul bidonville fait 2 millions d’habitants, ça deviendra insoluble. Vous prenez Johannesburg, c’est impossible, au Cap aussi ; et au Nigeria, ils ont essayé de fuir Lagos et créer une ville à Abuja mais ça n’a pas pris. Et puis ma conviction, certainement avec celle du président de la République, est que les gens qui ont combattu pour l’indépendance ont droit à ça. Le plus dangereux pour le pays, c’est qu’il y ait deux Algérie qui se côtoient, une Algérie de l’opulence, avec une vie correcte et décente, et une Algérie de la misère. Ces deux Algérie auraient fini par s’affronter. Et puis Alger est une belle capitale si ce n’est la plus belle capitale de la Méditerranée avec sa configuration géographique. Elle ne mérite pas ce qu’elle a subi, il fallait du courage.

Pour vous, cette opération est donc une opération unique ?
Elle est unique. Au moment où je vous parle, il n’y a pratiquement plus de bidonvilles à Alger. Au Grand-Alger, la 21e opération va éradiquer un peu plus large et nous sommes actuellement la seule capitale africaine, arabe, peut-être même méditerranéenne, sans bidonvilles. Ça n’existe pas ailleurs, nous en sommes fiers.

Au-delà de cet aspect, est-ce que la délégation de l’ONU, que vous recevrez du 18 au 20 mai, n’est pas venue pour contrôler la manière avec laquelle vous opérez et s’il n’y a pas de travers, de brutalité ?
Oui mais ils sont libres. Il y a eu déjà d’autres délégations qui sont venues, le Pnud sait très bien que cela se fait dans la sérénité, dans la joie, les youyous. Ailleurs, il est vrai que ça ne se passe pas comme cela, on rase et puis au revoir.

Et une fois leurs bidonvilles rasés, ils vont où ? Ils sont logés ? Et dans quelles conditions ?
Dans les très nouveaux et très beaux logements avec toutes les commodités.

Mais il y en a beaucoup qui ne sont pas contents, parce qu’ils n’ont pas bénéficié de l’opération.
Oui, bien sûr, mais il y a le fichier informatisé qui entre en ligne. Vous savez, l’on a découvert, il y a un an, que dans 3 quartiers de bidonvilles, il y avait des détenteurs de villas R+2, louées. Nous les avons traduits en justice, et par le wali aussi. Le fichier nous permet aujourd’hui, comme à Remli par exemple, de trouver qu’il y en avait 400 qui avaient leur logement. Parce que le fichier ressort n’importe quel logement que vous détenez sur n’importe quelle région du territoire.

Mais en amont, est-ce que vous avez une méthode pour éviter que ce genre de problèmes ne se répète pas ?
Oui, bien sûr, des instructions ont été données aux walis. A Alger, c’est une coordination parfaite avec la Wilaya. Chaque fois qu’il y a éradication, l’utilisation du terrain peut se faire de 3 façons différentes. Si c’est dans une zone très dense, sur le plan de la construction, le terrain est utilisé pour aérer, pour créer des espaces publics, un lycée par exemple s’il en manque, un CEM, des policliniques et beaucoup d’espaces verts, de jeux, notamment au cœur d’Alger. Au Val d’Hydra, par exemple, les kiosques rasés vont servir uniquement d’embellissement et de services publics. Lorsqu’il s’agit d’un quartier un peu excentré, on reprend le terrain, soit pour un logement AADL, soit pour un logement social et à ce moment-là, la passation se fait le jour même entre la Wilaya et notre entreprise. On clôture, on amène une société de gardiennage pour une ou deux semaines, le temps que le marché soit traité avec l’entreprise qui doit construire et elle s’installe définitivement sur le chantier. L’on ne nous a pas signalé de réapparition sur les lieux. Maintenant, les services de police et de gendarmerie sont très vigilants là-dessus. Il y a eu des tentatives, même en plein déménagement à Remli, à Gué-de-Constantine. Il y a des gens qui venaient d’être logés à Diar Echems qui ont pris leur logement et qui étaient revenus, ignorant que le fichier mis en place allait les détecter. C’est une bataille et rien n’est facile.
Pour revenir à l’objet de la visite, il y a un programme de l’ONU sur le développement humain. Tous les pays doivent faire un minimum. Je pense que l’Algérie est un des rares pays qui est pratiquement entré dans la normalité pour tout ce que demandait l’ONU. Aussi bien sur le droit, l’enseignement, la prise en charge médicale, l’eau et le logement ; celui-ci étant très difficile, l’on a éradiqué les bidonvilles. L’Algérie est classée parmi les tout premiers pays en matière d’investissements humains. C’est un peu ça leur mission.

Ils viennent donc pour vérifier cela...
Bien sûr, et peut-être aussi pour mettre en valeur et faire profiter de cette expérience d’autres pays.

C’est ce que vous espérez ?
Ça nous ferait plaisir, bien sûr, de voir nos efforts couronnés par une reconnaissance de ce niveau. C’est bien mais ce n’est pas l’essentiel pour nous. L’objectif est de dire que l’Algérie est un pays des défis.
Cette Algérie que certains veulent détruire alors que près de 250 000 universitaires sortent de l’université chaque année. Nous sommes le seul pays qui a réglé en 20 ans ses problèmes d’eau. 17 barrages en réserve. Nous sommes leaders en dessalement de l’eau de mer. Oran buvait de l’eau saumâtre. Alger bénéficie aujourd’hui de l’eau 24 sur 24... L’habitat s’intègre dans ce développement global : eau, routes, enseignement, etc. Nous avons fait témoigner l’UE, le Pnud et ils sont très élogieux de ce qui se passe ici. Sans flagornerie, sans flatterie. Il y a des gens qui se sentaient obligés de dire «ils n’ont rien fait», c’est leur problème. Le peuple sait ce qui se passe... Un jour tout cela apparaîtra.

Des formules mises en place (AADL, Agence pour l’amélioration et le développement du logement, LSP, logement social participatif, LPP – logement public promotionnel), quelle est celle qui a reçu le plus d’engouement des souscripteurs et celle qui a eu peu ou pas d’intérêt auprès de la population et pourquoi ?
Le plus d’engouement a été pour le logement social. L’Algérien est habitué à cette formule. Au départ, il y a eu beaucoup de problèmes, notamment les doubles attributions dues alors à l’absence de fichiers. Depuis qu’il y a le fichier informatisé, vous avez sûrement constaté par vous-même qu’il n’y a plus de coupures de route, parce que les citoyens savent très bien que ne prennent un logement social que ceux qui n’en ont pas et qui répondent aux critères. La nouveauté, c’est le fichier. L’engouement vient de la classe moyenne, c’est-à-dire pour la formule AADL. Un pays ne peut être stabilisé par les extrêmes, les très très pauvres et les très très riches. Il y a une classe moyenne en Algérie et l’Algérie a toujours été un pays de classe moyenne. Lorsque j’ai introduit l’AADL en 2002, cela est parti d’une discussion avec Monsieur le Président sur le fait qu’il n’y avait que le logement social. Les critères d’accès à ces logements devenaient de plus en plus durs et, à côté, rien d’autre pour une grande partie de la population constituée de la classe moyenne. Or, cette tranche de la population a été laminée par la crise de 86-87. Beaucoup de cadres ont été licenciés conséquemment aux restrictions du FMI ; il y a eu ensuite la période noire dont le plus fort prix a été payé par la classe moyenne et la population des zones rurales : journalistes, enseignants, chercheurs… De cette période , l’on est sorti avec la volonté et la liberté de faire des promoteurs. La rareté aidant la spéculation, la classe moyenne ne pouvait prétendre au logement alors que c’est elle qui gère le pays à tous les niveaux et tant dans le secteur public que privé. C’est de ce constat que le programme AADL a été lancé avec, au départ, 22 000 logements, puis 55 000 et puis un hiatus. Le programme s’est arrêté, pour reprendre quelque temps après parce qu’il n’y avait pas d’autres solutions : un logement plus que décent ; vous versez un minimum et vous avez 25 ans pour régler. C’est la formule idoine. Mon souhait est de perpétuer cette formule. C’est vrai que les ressources de l’Etat…

Nous reviendrons, si vous le voulez bien, à la question des ressources de l’Etat. Vous avez dit, il n’y a pas longtemps, que seulement 155 000 logements sociaux locatifs sur les 571 000 mis en service avant 2004 ont été cédés à leurs occupants. Où en est l’étude que vous auriez entreprise pour tenter de régler ce problème ?
C’est une opération que nous avons initiée aussi en 2002 sur instruction du président de la République. Avec le concours du ministère des Finances, nous avons lancé cette opération par la mise à disposition d’une partie du parc locatif de l’Etat. 580 000 logements de l’époque. Il y a eu ensuite des péripéties. Certains des décrets émis alors par mes prédécesseurs n’étaient pas réalistes. Les prix notamment étaient prohibitifs. Nous avons alors rétabli les prix à leur valeur normale en déduisant de ce prix les loyers perçus jusqu’alors. Nous avons ensuite établi des réductions en fonction des zones. Notre souhait était alors de faire des opérations de revolving sans toucher au Trésor public. Ça ne marchait toujours pas. Un nouveau diagnostic nous a fait découvrir qu’il y avait une confusion entre cession de biens de l’Etat et cession de biens locatifs OPGI et qu’une seule et même commission traitait des deux. Nous avons rectifié le tir il y a 4 à 5 mois avec un nouveau décret qui supprime la commission de daïra et nous avons laissé une relation directe entre le locataire, l’OPGI et les Domaines qui établissent le prix de cession selon la typologie existante de ces biens et délivrent alors l’acte de cession. Le programme s’est ralenti parce que certains n’étaient pas les primo-acquéreurs ; beaucoup avaient des actes notariaux illégaux alors que les notaires n’ont absolument pas le droit de fournir de tels actes.

Vous avez beaucoup de cas de ce type ?
Le recensement exact est très difficile à faire dans certaines cités où les membres de la commission OPGI se font agresser. Nous sommes toutefois arrivés à 140 000 cas avérés mais nos estimations sont plus élevées, de l’ordre de
250 000. Nous avons étudié cette question au gouvernement qui a installé une commission formée par le ministre de l’Intérieur, celui des Finances, de la Justice et de moi-même.
Nous sommes arrivés au fait que si, antérieurement, en cas de décès du bénéficiaire, le logement revenait aux parents directs, ascendants ou descendants, il fallait aujourd’hui l’étendre et l’élargir au lien familial large. Toutefois, et dans ces cas d’élargissement, les concernés n’étant pas les primo-occupants, ils ne bénéficieront pas des déductions des loyers payés. Dans d’autres cas, il s’agit de logements cédés en sous-main.
Légaliser dans ce cas, c’est légaliser la triche, la spéculation… Ne pas légaliser, c’est ne plus jamais vendre ces logements. Même les petits-enfants de ces citoyens pourraient être expulsés à terme.
Nous en sommes là et je pense que d’ici la fin du mois, le gouvernement aura pris une décision. Pour ce qui me concerne, très sincèrement, je souhaite que l’on tranche en faveur de la cession, du moment que c’est un occupant qui l’occupe avec ses enfants et quand il achète le logement, on aura réglé le problème.

Vous venez d’être interpellé par un député d’Ennahdha sur les problèmes d’ascenseurs nombreux en panne depuis longtemps et qui contraignent les citoyens à l’ascension à pied de souvent plus de dix étages. L’on vous reproche d’avoir opté dans l’achat de ces équipements pour une entreprise espagnole, la moins-disante, et ainsi de privilégier le coût, au détriment de la sécurité des citoyens. Que répondez-vous ?
Je reconnais effectivement ce problème dont j’ai hérité. C’est une vieille histoire. Ce sont des ascenseurs achetés il y a 15 ans. Le marché a été confié à un assembleur. Toujours est-il que lorsque j’ai repris le ministère, il y avait 900 ascenseurs en panne sur un total de 1 400 existants. L’on s’est tout de suite mobilisés pour résoudre ce problème difficile parce qu’il n’y avait pas un seul interlocuteur, pas une seule marque. Nous avons trouvé des palliatifs en remplaçant certains ascenseurs. Il y a eu certains cas d’incivisme aussi. L’ascenseur n’est pas fait pour transporter des meubles, des briques, du ciment…

Des cas d’incivisme il y en a certainement, mais n’y a-t-il pas une tendance au sein de l’exécutif et dans différents domaines à tout mettre sur cet incivisme qui expliquerait toutes les tares ? Vous avez eu à évoquer vous-même «l’absence de la culture de l’ascenseur !»
Oui, je maintiens. Nous n’avons pas cette culture.

Mais c’est à vous de leur apprendre, non ?
L’on essaye de leur apprendre. Pour ce qui me concerne, même si je n’étais pas là au début, je pense qu’il aurait fallu mettre des préposés aux ascendeurs, quitte à faire payer la prestation au SMIG. Maintenant, nous sommes en train de passer des contrats de réparation pour tous nos ascenseurs avec une entreprise de fabrication d’ascenseurs française qui a créé une société de réparation. En attendant, nous avons la société Immogest, une filiale de l’AADL qui avait été créée pour la gestion des cités, mais qui n’entretenait rien et, de plus, elle était budgétivore et n’entretenait qu’elle-même. Aujourd’hui, elle reprend un peu d’activité. En vérité, le problème des ascenseurs est l’arbre qui cache la forêt, car les difficultés sont plus larges et se situent dans la gestion de la cité dans sa globalité : les espaces communs, les espaces verts, etc. J’ai lancé plusieurs appels d’offres pour essayer d’avoir des personnes qui créent des entreprises de gestion. Ça s’installe, mais très timidement. J’ai promis aux jeunes de les envoyer en stage à Barcelone, Marseille ou Montpellier, dans les villes dotées de cités du genre pour qu’ils apprennent à gérer. Ces jeunes peuvent facilement assimiler les approches faites ailleurs et c’est ainsi que nous avons utilisé les jeunes de l’Ansej. A mon grand étonnement, nous avons détecté des paysagistes et noté avec satisfaction la présence de femmes qui se sont constituées en entreprises de 5 à 10 femmes qui entretenaient des bâtiments, des ministères comme nous avons aussi trouvé des jeunes employés précédemment dans des entreprises d’ascenseurs.

Quelle approche et quel programme, s’il y en a un, contre la construction anarchique par les privés ?
C’est vrai que les gens construisaient sans agrément mais d’une manière générale, ce n’était pas aussi anarchique que ça. L’anarchie était plutôt urbanistique. Il y avait des endroits où la construction de villas était interdite, mais ils ont construit avec la bénédiction de responsables. Des tours ont été édifiées alors que les règles urbanistiques l’interdisaient. Puis, si l’on prend l’exemple de quelques promoteurs tels que Chabani, Sahraoui, Hasnaoui… Ils ont fait de la promotion correcte, légale, ont payé, etc. Cela a duré 6 à 7 ans et certains ont eu alors des problèmes, ils se sont retirés. Seule la justice peut rembourser ces gens-là. Lorsque je suis arrivé dans le secteur en 2012, il y avait la loi sur la promotion immobilière mais elle était si contraignante qu’il devenait impossible d’agréer un promoteur. Certains, profitant peut-être de l’absence de nos services, ont continué et terminé leurs chantiers. Ce sont des gens qui vendent sur plan, se font verser des arrhes parfois même avant que la construction ne démarre.
Il y a eu ensuite le fameux LSP (logement social participatif), une opération orientée qui a tenté d’enterrer l’AADL. Une formule qui portait en elle les germes du contentieux, qui a permis beaucoup de fraudes, et qui a laissé des citoyens en rade. Or, pour le président de la République, l’on ne devait pas construire pour construire, mais éradiquer la crise du logement. Nous nous sommes retrouvés avec des contentieux, des gens avec plusieurs logements… L’on ne peut rien faire. Le mal est fait. Heureusement qu’il n’y a plus de LSP. Certains promoteurs ont été black-listés et sont interdits d’opérer et d’autres se sont remis et chaque chantier est un cas.

En matière de construction, votre secteur fait beaucoup appel aux réalisateurs étrangers. Envisagez-vous le remplacement, à terme, des étrangers par des nationaux et d’ailleurs avez-vous la volonté de le faire ?
C’est une question importante. Lors de ma prise de fonction, la première réunion que j’ai tenue l’a été avec les entreprises de réalisation algériennes, en présence du patronat. A cette époque, nous avions 5 800 entreprises qui travaillaient dans le bâtiment. Sur ce total, il y avait 15 entreprises de catégorie 7 à 9, équivalent à Chabani, Sahraoui… 250 en catégorie 5 à 6 et le reste, soit 80%, était de catégorie 1 et 2, en fait des tâcherons. Ce sont des gens dépourvus de moyens de levage, de bétonnières, de camions, etc. Tant qu’ils opèrent sur des zones rurales, cela peut passer, mais en zone urbaine dense, où il faut construire en hauteur, cela ne passe pas. C’était de l’artisanat en bâtiment : absence d’étanchéité, coffrage en bois, qualité médiocre… Lorsque nous avions calculé leurs capacités, l’on a conclu que l’on ne pouvait réaliser un quinquennat avec
2 millions 600 000 logements sans lancer un minimum de 250 000 logements/an et en réceptionner une partie. Or, nos capacités nationales ne pouvaient assurer que 80 000. Il y avait un manque d’investissement criant de ces entreprises qui faisaient faire le travail manuellement et c’était d’une telle pénibilité qu’en dehors de la zone rurale, les travailleurs ne venaient pas au bâtiment. Les délais de réalisation étaient de 6 ans, en moyenne pour un logement, avec une qualité médiocre, qui plus est.
Nous avons essayé de créer des sociétés mixtes, des joint-ventures ; des groupements et avons constitué une short-list de grosses entreprises nationales et étrangères et nous avons décidé d’un prix identique pour les nationaux et les étrangers. Qu’il s’agisse d’entreprise allemande, turque, chinoise ou algérienne, c’est le même prix qui est appliqué. Il a été émis des arrêtés interministériels entre les finances et l’habitat et après trois mois, nous avons sélectionné des entreprises et les avons fait agréer par le Cnerid. Nous avons alors commencé à donner des marchés après consultation restreinte, en fonction des plans de charge de chacun. Cela nous a permis de désengorger tout en poussant les Algériens à investir. Il y a, depuis, un balbutiement. Le président de la République nous a interdit les cités-dortoirs telles que Garidi 1 et 2. Aussi, nous avons mis la barre très haut. Les agréments aux entreprises étrangères n’ont été donnés qu’à celles capables de réaliser 2 000 logements et plus et qui ont de grandes références chez elles. Ce travail a été fait d’ailleurs avec le concours de nos ambassades. Ça a marché. Des projets de 500 à 600 logements ont été confiés aux nationaux dont les capacités de réalisation étaient de 400 logements et plus. Il faut vous dire que nous avons agréé 105 entreprises nationales alors que l’on devrait avoir au moins 800 à 900.
800 appels d’offres nationaux ont été infructueux malgré nos nombreuses sollicitations et rencontres avec ces entreprises. Certains conditionnent leur participation à leur mise à disposition d’une main-d’œuvre africaine. Voilà où nous en sommes arrivés ! Quant au secteur public national de réalisation, il ne participe que pour 2,2% à l’effort de construction.

Sur le plan de la conception urbanistique, quelle est l’action la plus importante qui peut être portée au bilan de votre secteur ? Et qu’est-ce que pour vous une ville idéale ?
Le premier objectif a été de créer une ville moderne et équilibrée. Sidi-Abdallah a été créée en 84/85. C’est la ville idéale. Nous pensons en faire une école pour nos architectes pour voir comment rattraper Alger et les grandes villes pour sortir des cités-dortoirs et concevoir des villes prenant en compte l’aspect culturel… A Sidi-Abdallah, il y a un pôle d’excellence en médecine, en pharmacie, des entreprises, 4 hôpitaux privés de type américain contre le cancer… L’on a même autorisé la construction de tours commerciales contenant également bureaux, cabinets d’avocats, un hôtel 5 étoiles et un pôle universitaire de 1 000 places avec ses habitations. Nous avons lancé les appels d’offres et effectué même parfois des choix. Nous procéderons ensuite de la même manière à Bouinan puis à Aïn Nahas, à Constantine. Nous allons ainsi avoir des petites villes équilibrées. Pour Alger, le travail reste à faire et il est extrêmement important.

Dans vos différentes déclarations, vous faites très peu mention de la crise que connaît aujourd’hui le pays, de la raréfaction des ressources et de l’impact de cette situation sur vos programmes futurs. Vos programmes initiaux ne vont-ils pas subir un rognage ? Vous avez évoqué l’augmentation de 20% éventuelle de la part des souscripteurs prochainement. Est-ce la solution ?
Il n’y aura pas de réduction des programmes. Sûrement un étalement, un glissement mais pas de suppression. C’est-à-dire qu’au lieu de lancer 100 000 à 120 000 logements, nous étalerons dans le temps mais tous les souscripteurs auront leur logement. Cela est très clair.

Avec les mêmes tarifs ?
L’AADL est une opération semi-sociale dans laquelle le citoyen paye environ 50% du prix de revient du logement. L’autre moitié est cédée gratuitement par l’Etat. Il se trouve aujourd’hui que le prix du logement a augmenté et qu’alors qu’il coûtait 1, 2 millions, il nous revient aujourd’hui à 5 millions sans que la part du souscripteur ait connu de hausse. Avec 20% de plus de cette part, le citoyen continuera à ne payer que 50% du coût actuel du logement et nous allons faire en sorte que cette augmentation soit étalée sur les paiements mensuels. Au lieu de payer mensuellement 5 000 DA, par exemple, le souscripteur paiera
7 500. Ceci dit, il faut un décret pour ce faire et ça n’est pas encore fait. Je dis, toutefois, que c’est de la folie de continuer de travailler avec les prix de 2002.

Sur le projet de la Grande Mosquée, beaucoup d’encre a coulé notamment sur son opportunité, mais pas seulement. Les aspects techniques et particulièrement la construction parasismique sont décriés. Les délais de livraison sont aussi contestés. Votre commentaire ?
Sur le plan technique, il est inimaginable que les Allemands qui ont conçu ; que les Canadiens qui assurent la maîtrise de l’ouvrage, que l’entreprise CEGEQ, classée première entreprise mondiale et qui réalise aux USA, au Canada et qui fait un chiffre d’affaires de 120 milliards de dollars/an, que tout ce monde-là se trompe et que 2 ou 3 enseignants de chez nous ont raison. Les études ont été faites. Le suivi est assuré actuellement par plus de 100 ingénieurs et architectes auxquels s’ajoutent le CGS algérien, le nouveau bureau d’étude français, EGIS, et les spécialistes canadiens qui disent tous qu’il n’y a rien d’anormal dans cette mosquée. Ceux qui affirment le contraire le font ici, sur les plateaux de France 24. Ils sont libres de le faire. Nous savons quelle est leur feuille de route. La mosquée dérange certains, même s’il y en a qui sont de bonne foi. Nous avons tout un dossier qui affirme que le sol sur lequel est construite la mosquée vient en 2e position (il y a 5 positions) après le sol rocheux. Ensuite, les fondations telles que réalisées dans ce projet, si elles devaient être comparées avec celles de Bordj El Malik à Djeddah, ces dernières sont de moitié moins en terme de densité de béton. La même comparaison avec Bordj El Arab de Dubaï, donne les mêmes résultats. Ils ont moins de fondations que nous. Jamais les Allemands, s’ils étaient dans leur tort, ne se seraient tus. Ils auraient repris les choses. J’ai eu à organiser un rassemblement de spécialistes en présence de toute la presse et ils ont très librement et directement répondu à toutes les questions.

Et pour ce qui est des délais ?
D’abord, je vous apprends que nous n’avons pas résilié avec les Allemands et ces derniers n’ont pas fait de remarques. Ce sont des sous-traitants algériens (sous-traitants des Allemands) qui sont en train de «pousser le bouchon» au nom des Allemands qui n’ont rien dit. Il y avait un contrat avec les Allemands et les affaires religieuses en charge alors du projet et qui portait sur 42 mois de suivi. A 42 mois échus, lorsque le projet nous a été confié, il y avait déjà 18 mois de retard et cela continuait. Nous avons pensé qu’il valait mieux faire un autre marché de 11 mois. Ils le signent mais la situation n’a pas beaucoup évolué. Le travail se faisait toujours en Allemagne. L’argent était envoyé en Allemagne. On ne savait jamais si 20 ou 30 personnes travaillaient ici mais l’on nous facturait régulièrement 15. Lorsque nous avons vu que la situation empirait, nous n’avons pas signé de 3e contrat. Nous avons lancé une consultation internationale et l’on a eu de grands bureaux d’étude dont le Chinois et le Belge qui font chacun 120 à 130 cadres ingénieurs, architectes et autres. Ils ont amené du personnel sur place ici. Lorsque le projet nous a été attribué, le retard était déjà de 18 mois, nous en avons résorbé 9. Nous nous engageons qu’à fin 2016, au plus tard le premier trimestre 2017, la mosquée aura pris sa forme définitive. Restera le travail de finitions. Nous lançons actuellement une consultation avec exigence d’intégration des artisans algériens, ce qui fera une expérience précieuse à nos artisans.
K. B.-A.

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