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Fanon refait le match !

Fanon refait le match !

Il était une fois un toubib/militant footballeur nommé El Hakim.

Loin de la ''commentarite'' et de la lecture terre-à-terre du sport roi, le périodique ''Les Cahiers du Football'' refait le match avec un style et un regard décalés. Ce magazine pas comme les autres s'empare des vécus de trois entraîneurs très médiatiques. Et en lis les imaginaires au miroir du ''hakim'' Frantz Fanon. Dans un de ces articles qui en font sa marque de fabrique, le périodique se livre à une lecture de l'actualité footballistique sous un angle ''Fanonien'' ! Une autre lecture du foot ! Je fais un copier/coller et je partage !

FRANTZ FOOTBALL FANON
In ''Les Cahiers du Football'' du 9 mai 2016

L’œuvre de Frantz Fanon, qui aborde le sport, peut éclairer d'un regard différent les phénomènes du football actuel que sont Marcelo Bielsa, Jürgen Klopp ou Diego Simeone.

Blida, 1956. Un stade du Nord de l'Algérie accueille des matches un peu particuliers dont les arbitres sont des blouses blanches. L'hôpital psychiatrique Blida-Joinville possède en effet son propre terrain de foot, entre autres annexes formant une véritable petite cité parallèle à la "Ville des Roses". Le football fait partie de la thérapie que propose cet hôpital qui accueille Algériens et Européens. Frantz Fanon, psychiatre déjà auteur de l'essai Peau noire, masques blancs en 1952, est un observateur attentif de ces oppositions thérapeutiques.

Ainsi, le 20 décembre 1956, en pleine Guerre d'Algérie, il écrit dans Notre Journal, organe de presse de l'hôpital, ces lignes sur l'arbitrage: "Il apparaît déjà qu'un arbitre à l'hôpital psychiatrique n'a pas les mêmes sanctions qu'un arbitre sur le stade du F. B. ou du stade Saint-Eugène [1]. Je dois avouer que je suis gêné quand je constate l'arbitrage de certains infirmiers. Ils font comme s'ils n'étaient pas infirmiers, comme si le sifflet dans la bouche leur enlevait la qualité d'infirmier. Ils oublient quelquefois que leur fonction est d'être infirmier arbitre, mais non pas arbitre officiel. Il y a donc plusieurs façons d'être arbitre, mais il y a une seule façon d'être bon arbitre à l'hôpital psychiatrique quand on se propose de faire du sport un élément thérapeutique de l'atmosphère générale de l'établissement." Mots de Fanon qui apportent un témoignage précieux sur la puissance du sport et du football, apparaissant ici avec une réflexion sur la dérive disciplinaire d'arbitres infirmiers emportés par le jeu, qui existe bel et bien, même au milieu d'une guerre d'indépendance.

Gare au commercialisme

On retrouve le sport chez Fanon cinq ans plus tard. En 1961, dans la dernière année de sa vie romanesque [2], atteint d'une leucémie, Fanon écrit Les Damnés de la terre. Il y analyse notamment la mise en marche du processus de libération nationale, son parcours de la campagne vers la ville à partir de son vécu algérien et du rôle d'intermédiaire de "l'intellectuel colonisé". Il y parle encore de sport, d'une façon que l'on retrouve chez certains entraîneurs aujourd'hui, celle qui veut échapper au"commercialisme" en étant pratiqué par des "hommes conscients" de l'importance du lien qu'ils entretiennent avec le peuple qui les regardent:

"La conception capitaliste du sport est fondamentalement différente de celle qui devrait exister en pays sous-développé. L'homme politique africain ne doit pas se préoccuper de faire des sportifs mais des hommes conscients qui, par ailleurs, sont sportifs. Si le sport n'est pas intégré dans la vie nationale, c'est-à-dire dans la construction nationale, si l'on construit des sportifs nationaux et non des hommes conscients, alors rapidement on assistera au pourrissement du sport par le professionnalisme, le commercialisme. Le sport ne doit pas être un jeu, une distraction que s'offre la bourgeoisie des villes. La plus grande tâche est de comprendre à tout instant ce qui se passe chez nous. Nous ne devons pas cultiver l'exceptionnel, chercher le héros, autre forme du leader. Nous devons soulever le peuple, agrandir le cerveau du peuple, le meubler, le différencier, le rendre humain."

On retrouve là des éléments de l'approche de Diego Simeone. Après la qualification de son Atlético contre le Barça en Ligue des champions, l'Argentin disait ainsi "croire beaucoup en les valeurs de la vie", au-delà du football, et "essayer de les intégrer sur le terrain": "Je suis fier d'avoir trouvé un groupe de gamins fantastiques qui répondent à ce qu'il y a dans la vie: le respect, ne jamais arrêter d'essayer, la persévérance, savoir se relever dans la difficulté, insister pour que l'autre soit meilleur que soi, se battre..."Des valeurs qui dépassent le simple cadre du terrain, un jeu porté par les"hommes conscients" décrits par Fanon.

Marseille 2014/15, terre en transe

Autre parallèle, avec un autre technicien argentin. Lorsque Fanon évoque la colonie prête à se libérer ("C'est le sol national, c'est l'ensemble de la colonie qui entrent en transes"), l'OM de Marcelo Bielsa vient à l'esprit. El Loco a fait de Marseille une terre vibrante la saison dernière. Au besoin de légitimer un peu plus ce rapprochement entre deux hommes si éloignés en apparence, la folie et le caractère révolutionnaire que l'on prête à l'un ont été étudiés par l'autre.

La force de Bielsa est de faire jouer son équipe selon sa conviction intime de la nature du jeu (marquer un but de plus que l'adversaire). La construction du caractère d'une équipe qui se jette vers l'avant dessinait, d'une part, la personnalité de Bielsa et correspondait, d'autre part, à un Vélodrome prêt à se survolter pour une telle équipe et devenir ainsi l'épicentre de la transe de sa ville. "Ce que j'admire le plus dans cette institution est le mélange entre le stade et les supporters, et personne ne peut ne pas recevoir le fantastique effet que produisent les supporters et l'écusson", disait-il l'an dernier. Ou encore: "Je n'aime pas faire de comparaison (avec l'Argentine) et être démagogique mais ce qui se passe au Vélodrome se reproduit dans très peu d'endroits au monde." Il suffit de regarder des images d'OM-PSG de la saison dernière pour être persuadé de la force avec laquelle Bielsa a établi une croyance et une fierté du stade et de la ville à l'égard de son équipe. On peut identifier le même phénomène lors du passage de Rudi Garcia à Rome, par l'évocation de la grandeur de l'histoire du club notamment, ce qui a créé une dynamique de confiance pour l'équipe et d'espoir pour son public.


Les "liaisons organiques"

Comprenant son arrivée dans une ville dotée d'une culture footballistique, Bielsa a adopté une communication liante avec celle-ci, tournée vers les supporters, qu'il place au cœur du football: "Il ne s'agit pas de comparer les intérêts qu'ont les supporters ou les interprètes (joueurs, entraîneurs) mais de savoir que le travail du footballeur tient dans le fait de prendre en charge les espoirs et les émotions des supporters."

Dans Les Damnés de la terre, Fanon expose la notion de "liaison organique", dont l'absence entre les élites et les masses serait l'une des causes de la faillite de certaines indépendances africaines. Il semble que ce terme, évacué du contexte des luttes de libération nationale, peut désigner avec une certaine justesse le rôle endossé par certains entraîneurs entre un club et ses supporters. Outre Bielsa, deux techniciens ont marqué les esprits ces dernières semaines, de par la fusion qu'ils ont su créer entre leur stade et leur équipe: Diego Simeone et Jürgen Klopp.

Voir l'Allemand choisir l'autre club "qui ne marche jamais seul" n'est d'ailleurs pas un hasard. Il incarne parfaitement ce que Bill Shankly, coach légendaire des Reds, considérait comme une qualité première chez un homme à l'occasion du recrutement de Kevin Keegan en 1971, en l'occurrence "l'enthousiasme naturel". Une passion de la transmission et une transmission de la passion sous les yeux des supporters, dans le stade comme lieu de la vérité.

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