Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Espace conçu pour les Démocrates de tous bords.

Réseau des Démocrates

Les médias américains participent à la fabrication du phénomène Trump

un certain drabki est passé par là!
un certain drabki est passé par là!

19 DÉCEMBRE 2015 | PAR IRIS DEROEUX

Donald Trump, candidat à l’investiture du parti républicain, n’en finit pas d’occuper l’espace médiatique. Dominant ses concurrents dans les sondages, brouillant le débat avec ses déclarations à l’emporte-pièce, il a imposé son rythme aux médias, qui gonflent le phénomène.

De notre correspondante à New York (États-Unis).- Commençons par donner un chiffre. Entre janvier et novembre 2015, les trois réseaux hertziens historiques des États-Unis – ABC, CBS et NBC – ont dédié 234 minutes de leurs émissions d’information du soir à Donald Trump, c’est-à-dire plus de temps d’antenne pour le candidat à l’investiture du parti républicain que pour tous les candidats démocrates confondus.

C’est ce que nous apprend le Tyndall report, qui analyse régulièrement le contenu de ces trois programmes télévisés phare dans le paysage médiatique américain. On y lit encore que les trois réseaux ont déjà accordé à la campagne pour les élections présidentielles de novembre 2016 un total de 857 minutes d’antenne en onze mois, un record. Le camp républicain est celui qui bénéficie le plus de cette couverture extensive et, on l’aura compris, tout particulièrement le candidat Donald J. Trump. Certes, on compte quatorze candidats dans le camp républicain contre trois chez les démocrates. Ce temps d’antenne n’est donc pas illogique. Mais une telle mise en avant d’un seul candidat et de ses idées interroge sur la responsabilité des médias dans la fabrication du phénomène Trump.

Bien sûr, le personnage fait d’excellents titres avec ses déclarations à l’emporte-pièce, sa gouaille, son ego surdimensionné, bref son style. Ce n’est pas nouveau. Cela dure depuis les années 1980, quand l’homme d’affaires d’origine new-yorkaise commence à amasser une fortune avec ses opérations immobilières, la construction d’immeubles portant son nom et étiquetés « luxe » ou « super luxe », ses investissements dans des hôtels, des golfs et des casinos dont la décoration fait honneur à la décennie. C’est kitsch, de mauvais goût, diront les mauvaises langues.

Donald Trump ou l'art de la communication à l'américaine

La presse people fait ses choux gras de ses mariages et divorces, de sa grandeur et sa décadence. Frôlant la faillite au tournant des années 1990, Donald Trump remonte la pente, infatigable. Le magnat de l’immobilier se diversifie, ouvre une agence de mannequinat, crée des produits dérivés (deux parfums à son actif : Success et Empire), investit dans l’industrie du divertissement… Son émission de téléréalité, lancée en 2004 – « The Apprentice » (L’Apprenti), où l’on suit les mésaventures de candidats à un poste d’assistant au sein de son groupe – en est à sa quinzième saison. Quant à sa fortune, elle est désormais estimée par Forbes à 4,5 milliards de dollars.

Donald Trump, 69 ans, est devenu une célébrité, ce qui lui permet de mettre son grain de sel un peu partout, notamment en politique. Admirateur de Ronald Reagan, il tourne autour du parti républicain, s’en éloigne parfois avant d’y revenir (lors des élections présidentielles de 2000, il tente d’obtenir l’investiture du petit parti indépendant de Ross Perot, sans succès).

En 2008, il fait partie de ceux qui digèrent mal l’élection de Barack Obama. Quatre ans plus tard, il est donc tenté par une candidature dans le camp républicain, avant de se ranger finalement derrière Mitt Romney. Il fait surtout parler de lui en reprenant à son compte la théorie du complot nativiste autour de la nationalité de Barack Obama et lui redonne une vigueur inattendue. Autrement dit, il est de ceux qui doutent de la nationalité du président et donc de son éligibilité. L’affaire prend une telle ampleur que la Maison Blanche en vient à publier le certificat de naissance de Barack Obama.

Donald Trump a réussi son coup, il séduit ainsi une partie de l’électorat républicain et peut préparer sa prochaine sortie. Cette fois-ci, en juin 2015, il se déclare officiellement candidat à l’investiture républicaine et dévoile un slogan qui tient lieu de programme, « Make America great again » (Redonner sa grandeur à l’Amérique). Il donne rapidement le ton : antisystème, il est en révolte contre l’ordre établi, contre l’élite de Washington à la solde des lobbies (auxquels il dit rester imperméable grâce à sa richesse personnelle), contre les politiques économiques du moment (ce qui est pour le moins osé étant donné sa fortune) et contre l’immigration.

« Tout fout le camp », semble-t-il crier à chaque fois qu’il s’exprime. Il promet donc de rétablir la situation en ciblant essentiellement les immigrés, les étrangers, les musulmans. Depuis juin, il a, en vrac, proposé de construire un mur le long de la frontière mexicaine, d’interdire aux musulmans d’immigrer aux États-Unis, de fermer l’Internet pour lutter contre l’islamisme radical, ou encore de ne pas hésiter à avoir recours à la torture contre des djihadistes présumés, puisque « ça marche ».

LIRE AUSSI

Le tout en se targuant de ne jamais faire dans le politiquement correct : sexisme, blague à l’encontre d’un journaliste handicapé, Mexicains comparés à des trafiquants et des violeurs, propos violents à l’encontre d’un militant afro-américain venu interrompre l’une de ses réunions de campagne, injure au héros de guerre John McCain quand ce dernier critique ses propositions en matière d’immigration… À chaque nouvel écart, un éditorialiste croit bon d’annoncer la fin de la campagne de Mr. Trump. Mais rien n’y fait. À en croire les enquêtes d’opinion, son style plaît. Depuis juillet, il arrive quasiment systématiquement en tête des sondages sur les intentions de vote des électeurs républicains.

Cela s’explique entre autres par le fait qu’il relaie au mieux la colère et les griefs d’une portion de l’électorat conservateur : celle, ultra conservatrice, qui a donné naissance au mouvement populiste du Tea Party et qui tire le parti républicain à droite voire à l’extrême droite. Mais cette analyse nous ferait presque oublier que les sondages plaçant Donald Trump en tête ne révèlent l’opinion que d’une portion réduite de l’électorat.

Il prend la parole en permanence sur les réseaux sociaux sans craindre d’être contredit

« La majorité des sondages sont effectués auprès des électeurs républicains encartés. Seuls 23 % des électeurs américains sont inscrits au parti républicain, 32 % le sont au parti démocrate, et presque tous les autres se considèrent comme indépendants. À ce jour, Donald Trump est le favori pour 38 % de l’électorat inscrit au parti républicain. (…) Cela signifie que seuls 6,7 % des Américains soutiennent le candidat Trump », expliquait ainsi l’économiste Robert Reich sur sa page Facebook mercredi 16 décembre, pour tenter d’aider ses lecteurs à décoder le phénomène Trump.

Ce qui est finalement peu quand on analyse la manière dont l’électorat est abreuvé de sujets et d’articles sur Donald Trump, au point qu’il lui est difficile de s’intéresser aux autres candidats, comme le démontrait dès juillet le politologue John Sides dans les pages du Washington Post. À grand renfort de statistiques et de graphiques, le chercheur conclut simplement ceci : « Donald Trump fait une percée dans les sondages parce que les médias n’ont cessé de concentrer leur attention sur lui depuis qu’il s’est déclaré candidat. » Plus loin, « quand un sondeur interrompt la vie des gens et leur demande leur avis sur des élections primaires qui ne commenceront pas avant des mois, un nombre important d’entre eux va répondre en nommant le candidat qui arrive en tête des sondages à ce moment-là. C’est une version parmi d’autres de ce qu’on appelle en psychologie l’heuristique de la disponibilité [le fait de raisonner en se basant principalement sur les informations immédiatement disponibles – ndlr].»

Reste donc à comprendre les raisons de cette couverture médiatique disproportionnée. D’abord, il ne faut pas négliger la puissance de frappe de Donald Trump sur les réseaux sociaux. Obsédé du tweet ou du post sur Instagram, Donald Trump a réussi à se constituer un public defollowers tel qu’il a finalement à peine besoin des médias traditionnels pour faire passer ses messages. Cela ne s’est pas fait en un jour : dès 2011, il s’est entouré d’un jeune spécialiste du marketing digital, Justin McConney. Celui-ci lui a conseillé de tout miser sur les réseaux sociaux, en son nom et avec son franc-parler habituel. De 300 000 abonnés sur Twitter à l’époque, il parvient ainsi à dépasser la barre des 5 millions. Fier de son succès, il déclare en juillet :« C’est génial ! C’est comme de posséder un journal sans être déficitaire. »

Il en profite pour prendre la parole en permanence sans craindre d’être contredit, au contraire. Il va même jusqu’à relayer des propos non vérifiés et se révélant faux, apparus sur la Toile, publiés d’abord par ses abonnés, comme lorsqu’il affirme que « 81 % des Blancs victimes d’homicide ont été tués par des Afro-Américains » (selon le site FactCheck.org, ce chiffre serait de l’ordre de 15 %). Et le voilà ensuite repris et commenté par les médias traditionnels, tentant bon gré mal gré de comprendre ce qu’il a voulu dire.

« Soyons clairs, ce phénomène est du pain bénit pour de nombreux médias d’information ! Donald Trump permet de faire de l’entertainment et donc de faire grimper l’audimat autour d’un événement d’ordinaire plutôt ennuyeux. La campagne des primaires est extrêmement longue et complexe à couvrir. Trump la rend tout simplement plus intéressante, et c’est bon pour les affaires », analyse Eric Boehlert, de l’ONG d’analyse des médias Media Matters for America. Il nous rappelle que les deux premiers débats télévisés entre candidats républicains ont été regardés par 25 millions de téléspectateurs. Mardi dernier, pour le troisième débat, 18 millions d’Américains ont allumé le poste. « Il y a quatre ans, ce type de débat attirait 4 millions de spectateurs tout au plus », précise-t-il.

Eric Boehlert note encore que des médias à la réputation sérieuse en viennent eux aussi à « parler beaucoup de Trump, de peur d’être accusés d’avoir une ligne trop à gauche », c’est-à-dire d’être considérés comme penchant en faveur des démocrates s’ils ne s’intéressent pas à lui. Ils tentent – notamment les grands quotidiens – de faire un travail sérieux d’analyse de son message, de souligner les erreurs factuelles grossières que contiennent ses interventions. Mais les fact-checkers ont beau scruter Donald Trump, ils ont du mal à suivre le rythme effréné de ses prises de parole et, au bout du compte, à se faire entendre.

Trump, invité au Today Show, une des émissions faisant le plus d'audience aux Etats-Unis

« Nous en sommes arrivés à un point où on peut même se demander si les faits ont une quelconque importance », s’interroge ainsi Al Tompkins, professeur de journalisme au Poynter Institute, ajoutant « c’est inquiétant. » « La responsabilité de la presse reste immense bien sûr pour révéler les erreurs et mensonges d’un Donald Trump. Mais s’il y a une institution qui subit une crise de confiance encore plus grande que la classe politique aux États-Unis, ce sont les médias. Le message a donc du mal à passer », poursuit-il. Cette enquête annuelle de l’institut Gallup indique en effet que depuis 2007, une majorité d’Américains n’a plus confiance dans les médias d’information.

Faut-il donc s’attendre à toujours plus de Donald Trump dans les semaines à venir ? « Le débat se rééquilibrera à partir du moment où l’on sortira de la bulle des sondages pour s’intéresser aux votes réels », pronostique Al Tompkins, d’expérience. Les urnes, nous y sommes presque : les élections primaires des partis démocrate et républicain commenceront dans l'Iowa et le New Hampshire dès février.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
P
Le bonhomme est assez inquiétant avec sa paille sur la tête et ses déclarations à l'emporte pièce.Peut-il sérieusement accéder à la Maison Blanche ? Rien ne serait plus grave pour le monde actuel déjà suffisamment instable comme cela.Est-il un cousin de Mickey ou bien un dangereux imposteur ? Il s'agit pour les Américains de désigner le principal représentant de la 1ère puissance du monde...
Répondre