Lettre d’une jeune amie partie en Europe:

Ce que vous avez dit : "je ne suis pas de gauche, je suis de la révolution" est pratiquement ce que je dis depuis quelques temps déjà pour vous dissocier d’autres personnes que je connais.
Sur l'idée même de cet article sur un Israël démocratique intégrant les palestiniens, je n'aurai jamais partagé un article pareil. Vous m’écrivez ; "l'idée même d’un État colonial démocratique est une aberration et tant qu'à prendre pourquoi ce concept d'Etat israélien démocratique et pas d'un État palestinien démocratique où c'est le juifs qui seraient intégrés" est exactement ce que défendent mes amis depuis longtemps s'attirant à chaque fois les foudres des gauchistes.
Je crois que l'extrême gauche algérienne a réussi un exploit extraordinaire: elle a créé une extrême-gauche caviar ! Faut le faire! Elle est à l'image de son environnement, une structure rentière qui attend qu'une révolution éclate par magie et propulse ses figures au rang de héros pour la simple raison qu'elles se disent d'extrême gauche! Elle n'a jamais rien fait de sa vie. Elle n’a jamais rien à apprendre de nouveau. Elle sait tout. Qu'est ce qui l'empêche d’apprendre aux jeunes les luttes, l'exemple de Chavez, la position de la Chine aujourd'hui ... Je sais pourquoi. Parce que cela ne lui rapporte rien. Elle l’avoue elle-même. Cela n’intéresse pas les médias. ça ne donne pas de visibilité médiatique... Des petits gamins des ONG financés par le NDI l’ont infiltrée et ont réussi à créer des implosions en son sein !
Quant à ceux qui font de l’information alternative qu’on critique, j'ai pu visiter leur rédaction. C’est l'ancien appartement de la campagne de l’un d’entre eux. Minuscule. Et la rédaction est d'une dizaine de personnes qui font un travail fou. J’ai assisté à leur réunion et à la confection du site et je sais ce que ça leur coûte. Tous font ça bénévolement à côté de leur travail!
Ici, j'ai l'occasion de rencontrer des personnes sincères. A l'université, j’ai rencontré des membres de la jeunesse communiste, c'est le mouvement des jeunes du parti d'extrême gauche ici. Chaque été, le parti envoie un groupe de ses jeunes pendant un mois à Cuba travailler dans les fermes. Ils ont l'occasion de rencontrer les jeunes là-bas. Et Ils apprennent le fonctionnement de la médecine et de l'école gratuite. Une fois de retour ici, ils organisent des conférences à l'université pour raconter leur expérience et expliquer aux autres jeunes qu'un autre système est possible, malgré l'incroyable propagande et chasse aux sorcières que les médias mènent contre eux. Qu'est ce qui empêche les partis algériens de faire la même chose? Les jeunes ne payent que le prix de l'avion et encore. Je connais une tonne de jeunes capables de payer une fortune pour aller à Cuba.
Je reprends ici ce que j'avais écrit à un ami journaliste après mon arrivée ici:
Ces jeunes continuent de croire en une société juste et rêvent d’importer les systèmes de santé ou d’éducation cubains et vénézuéliens. Ils sont très mal vus et malgré cela ils s’assument pleinement. Un soir, pendant des révisions de groupes d’étudiants, nous avons reçu un élu de leur parti politique, qui travaille dans une « maison de la médecine », un concept créé par ce parti-là, qui rend la médecine totalement gratuite. Une sorte de secteur public. Les patients s’inscrivent et s’engagent à ne consulter que dans ces maisons-là, il l’y a un accord entre ces maisons et les mutuelles de façon à accorder des salaires au médecin. Les maisons sont victimes de leur succès et la crise économique a aggravé la situation. Le nombre de patients explose. Bien que les consultations soient en grande partie remboursées ici, la population n’a plus d’argent à avancer au médecin !
Le pays vit au rythme des grèves et manifestations nationales ! La dernière manifestation nationale, qui a donc réunit les syndicats de tous les secteurs, ainsi que toutes les communautés date d’il y a 60 ans ! C’est dire le climat social plus que tendu. Le gouvernement, en place depuis mon arrivée ici, annonce un recul de l’âge de la retraite à 67 ans d’ici 2025, le gel de toute augmentation de salaire en cas d’augmentation du coût de la vie … mais interdiction de parler de « grogne sociale » dans les médias ! Tout va bien ! Pire, toute la presse est ouvertement contre la grève ! Elle a inventé un nouveau concept, le droit au travail ! On n’a pas le droit de bloquer l’accès au travail aux non-grévistes. Elle ne se rend pas compte qu’en inventant un tel droit, l’Etat est mis en cause face à l’impressionnant taux de chômage.
Pendant la discussion sur cette « médecine du peuple », on a appris que la loi interdisait aux médecins de cumuler un travail dans ces maisons là et dans le privé, pour lutter contre d’éventuelles manœuvres des médecins qui donnent RDV aux patients dans leur cabinet. Pour certains étudiants, en majorité en droit, sciences po, et assistance sociale (!!!), il était très difficile de comprendre le concept de ces maisons, l’équivalent du public chez nous, et qui aspirent à généraliser la pratique, afin de rendre la médecine gratuite dans le futur. Les jeunes trouvaient légitime que les médecins aspirent à s’enrichir et ont même appelé cela le droit à faire des profits.
J’ai tenté d’expliquer cela dans une réunion. J’ai dit que la gratuité des soins était un droit sacré comme celui de l’éducation en Algérie et que les autorités, afin de garantir ce droit, tout en prenant en considération l’envie « légitime » de s’enrichir, ont mis en place le système du service civil. Le droit à faire des profits n’existe pas. Le droit à la santé, si ! Et le deuxième prévaut largement au premier. Ainsi, les médecins doivent exercer dans le public pour une période de 9 mois à 4 ans, selon l’endroit où ils décident de travailler. Au-delà de cette période, ils peuvent travailler dans le privé et s’enrichir. Mais cela n’est possible qu’avec l’introduction de la notion de l’intérêt général. Un individu n’a pas réussi sa vie parce qu’il possède beaucoup de choses matérielles, mais parce qu’il est utile à la société. Et ce service qu’il rend à la société est rémunéré de façon à lui permettre de vivre décemment. Mais dans une société aussi matérialiste que la société ultra-libérale, se contenter de vivre décemment n’a pas de sens. Posséder une grande maison, 5 voiture et 3 iPhone pendant que d’autres ne peuvent pas se soigner est tout à fait concevable.
A la fin de mon explication, le conférencier est venu me saluer. Il leur a expliqué que les choses se passaient comme ça au Venezuela et que Cuba avait un système de santé encore meilleur. Ces pays-là, « sous-développés et autoritaires » ont adopté de meilleurs modèles de société et ont encore de vraies valeurs. Je ne vous raconte pas leur surprise quand j’ai mentionné la gratuité des études supérieures et des œuvres universitaires. La meilleure réaction était quand ils ont su qu’en plus, nous avions droit à une bourse! Et que de ce fait, il serait on ne peut plus égoïste de la part des médecins de ne pas faire leur service civil.
Une jeune fille, à moitié marocaine, agacée m'a lancé: « au fait, pourquoi t’es venue ici si c’est gratuit chez toi ?» ! J’ai répondu que face à l’étouffoir de la pensée unique dans ma filière de formation, il est clair que j’ai fait un très mauvais calcul, mais un départ à l’étranger m’a permis de mieux connaitre l’autre. Je n’aurais jamais pu voir la colère sociale de ce pays à travers les médias. Jamais je n’aurais pris conscience de l’ampleur de la crise. Et surtout, jamais je n’aurais vu à quel point les médias sont des menteurs et au service du pouvoir. Jamais je n’aurais pensé que ces civilisés pouvaient « offrir » des formations à plus 800 euros aux citoyens, qui n’en valent absolument pas la peine. Ni savoir à quel point vous êtes surs de vous-mêmes, de votre bon niveau, du fait que vous soyez bien informés, alors que ce n’est absolument pas le cas. Matérialistes, individualistes, et totalement moqués par vos politiques !
A la fin, j’ai eu une petite discussion avec cet élu communal. Il était content que l’Algérie, qui était pourtant donnée comme la prochaine à tomber après la Tunisie et l’Egypte, ait résisté. Il a apporté la moitié de la réponse en disant qu’il était agréablement surpris de savoir que l’Etat continue d’allier économie de marché et politique sociale. Il n’avait pas conscience de cela, ni du fait que la grève soit un droit sacré auquel on a recours beaucoup trop souvent et qui est soutenu par toute la presse. Mais il a fait une remarque intelligente sur les organismes de promotion de la démocratie et des droits de l’homme, présents de manière ostentatoire dans certains pays désormais. Et c’est cela qui m’inquiète le plus.
Le NDI travaille officiellement chez nous. Mais il n’a pas de bureau officiel. Il doit donc faire des demandes de salles à chaque fois par exemple. La loi sur les associations de 2012 a beaucoup changé les choses. La fondation Friedrich Ebert a dû plier bagage parce qu’elle refusait de se conformer à la loi. Mais en même temps, mes derniers échanges sur Facebook commencent à me faire peur.
Ma génération est perdue. L’intérêt général, elle ne connait pas. C’est une génération qui prend le meilleur du capitalisme et du socialisme. Pur produit de la société de consommation où le but de la vie est de posséder encore et encore, elle estime qu’il est du rôle de l’Etat de l’assister. Elle est pourrie gâtée ! Aussi, la crise identitaire est de plus en plus perceptible. Le repli communautaire et le complexe du colonisé ont rarement été aussi forts. On a honte d’être Algérien. On accepte l’humiliation à l’étranger. Cela m’inquiète. Le terreau de l’ingérence est là.
Comme le dit un ami journaliste, qui est, actuellement en France, tous ces jeunes devraient vivre en Occident quelques temps. Ils sauront qu’il faut travailler pour tout payer. Qu’ils ne peuvent pas faire grève car ils sont contractuels et seront licenciés. Et que la presse accordera des entretiens aux patrons leur permettant de se justifier. Qu’ils ne pourront pas vivre du tapage qu’ils font sur les réseaux sociaux. Que les ONG ne les aideront pas car leur action n’est tolérée que quand elle vise les « sous-développés ». Que la presse ne voudra plus d’eux car ils ont beau parler français et boire de l’alcool, ils ne seront que des bougnoules, à moins qu’ils n’en décident autrement. Mais pour cela, il faudrait qu’ils en décident autrement …

Baghdadi Si Mohamed

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• Lotfi Bll Ce que dit votre amie est très juste, bien que je ne sois pas communiste, je partage parfaitement ses points de vue, ce qu'elle dit sur sa génération est tout aussi vrai que inquiétant!!

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• Redouane Semar la gratuité des soins et de l'éducation c'est magnifique , mais le problème se pose au niveau de la qualité et du sérieux , je crois que la lutte doit porter non pas sur la gratuité mais sur la qualité et le sérieux qui font particulièrement défaut .

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