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Espace conçu pour les Démocrates de tous bords.

Réseau des Démocrates

Par Arezki Metref
arezkimetref@free.fr
Je
crois bien que je viens de choper la déprime. Juste là, à l’instant ! Tu veux savoir le pourquoi du comment ? Eh bien, en découvrant l’incroyable, l’inouï. Massinissa, notre grand aguellid, celui qui unifia et agrandit son pays, était aussi et surtout un OPhE.
C’est quoi ça, un OPhE ? C’est de l’Umberto Ecco. Ça désigne un Objet Physiquement Existant, une entité qui a vécu comme être et qui survit comme représentation à travers les textes. De ce point de vue et pour rester avec Ecco, Massinissa est aussi un objet sémiotique. Il concentre un ensemble de caractéristiques renvoyées par des mots et des noms précis.
Eh oui, toute une phraséologie, tout ce baratin, tout ce pathos pour en venir à dire une chose toute simple. Massinissa, on en parle, on écrit, on tartine même à tire-larigot sur lui, mais il demeure aussi flouté qu’un personnage de fiction dont la réalité est modulable selon le zoom de chaque auteur.
L’autre expression désignant ce type de personnage est : entité fluctuante.
Quand j’ai découvert le cinéma, et plus spécialement ce genre que je place au-dessus du western, à savoir le péplum, je me suis demandé ce que donnerait une représentation du guerrier Massinissa au cinéma. Je croyais qu’il n’existait aucun film dans lequel aurait apparu notre bon vieux mythique roi. D’ailleurs, on sait que la seule représentation qui nous soit parvenue se résume à un vague profil de monnaie.
Inutile de te dire ma sidération en mettant la main, bien involontairement du reste, sur un film que l’Italien Carmine Gallone réalisa en 1937. L’acteur Fosco Giachetti y prête ses traits à Massinissa, et Francesca Braggiotti les siens à Sophonisbe laquelle avait inspiré à Pierre Corneille une tragédie jouée pour la première fois en 1663 à Paris. Sophonisbe était la fille du général carthaginois Hasdrubal Gisco qui épousa sur ordre de son père, Syphax, le roi massaesyle. Cette union était motivée par l’alliance politique entre Carthage et Siga. Fiancée à Massinissa avant d’épouser Syphax, elle se maria au premier après la défaite du second. Désavouée par Scipion l’Africain, l’union ne dura guère car Sophonisbe préféra se donner la mort plutôt que de tomber entre les mains de ses ennemis.
Massinissa a donc eu un visage au cinéma. Et quel visage ! Peau sombre, traits anguleux du comploteur, profil de traître, il n'est pas présenté comme un allié de Rome mais plutôt comme un vassal. On dirait aujourd'hui un harki. On ne peut nier son alliance avec Rome à la tête de la cavalerie numide pendant la bataille de Zama, mais, dans le contexte de l’époque, c’était dans l’ordre des choses. Syphax chercha à annexer le royaume massyle, dirigé par Gaia, le père de Massinissa. Syphax s’allia d’abord à Rome et se tourna contre Carthage puis un renversement d’alliance se fit qui conduisit le jeune prince Massinissa à défendre sa patrie en s’alliant à l’ennemi commun.
Poussant le besoin de satisfaire cette curiosité née de la découverte, j’allai vers un étonnement plus grand qui me fit comprendre pourquoi celui que nous tenons pour le fondateur du premier Etat numide unifié y est si piteusement présenté.
C'est que le film en question, intitulé Scipion l'Africain, a une histoire très particulière. Commandité par Benito Mussolini en personne, il avait pour message sous-jacent de célébrer l'expansion du fascisme italien jusqu'en Ethiopie envahie cette année-là. Le rappel d'un passé considéré comme glorieux par le fascisme italien, la victoire sur Carthage par Scipion l'Africain lors de la deuxième guerre punique vers 205 av. JC, mise en parallèle avec la vision impériale de Mussolini, conférait à ce film une mission ostentatoire de propagande.
D’autres éléments confortent cet aspect. Vittorio Mussolini, fils du Duce, en était le producteur. Le Duce lui-même aurait coaché les figurants pour la séquence de la bataille de Zama. Les moyens énormes mis au service du film par le régime fasciste prouvent aussi son intérêt pour la propagande : 6 scénaristes, 350 jours de tournage, plusieurs milliers de figurants dont 6 000 rien que pour la bataille de Zama. Et pour boucler la boucle, le film reçoit la même année le 1er prix du Festival de Venise, lequel prix était surnommé La Copa de Mussolini.
Par la suite, le film est resté dans l’histoire comme le premier à avoir servi de champ d’expérimentation au zoom optique, procédé technique qui allait enrichir les ressources créatives du 7e art.
Arrêt sur image : un film dans lequel apparaît pour la première fois au cinéma le personnage de Sophonisbe a été réalisé en 1914 par Giovanni Pastron. Intitulé Cabria, il est considéré comme l’un des premiers péplums du cinéma et fut le lieu d’un autre progrès technique, le premier long métrage à utiliser le travelling.
Revenons à Scipion l’Africain puis à Massinissa. On reprocha à Annibal Ninchi, l’acteur incarnant Scipion, d’avoir été la caricature de Mussolini en reprenant dans son interprétation les tics, intonations et mouvements du menton du Duce. D’ailleurs ce dernier, dit-on, demeura atterré par cette prestation. Un critique malicieux alla jusqu’à imaginer un film sur Vercingétorix dont l’acteur aurait repris le discours et les mimiques de De Gaulle.
Un film de propagande est toujours binaire. Dans celui-ci, les Romains sont rutilants, volontaires, courageux, patriotes, hommes d’honneur, tandis que les Carthaginois et leurs alliés les Numides sont eux, cruels, brutaux, en un mot, barbares. Au milieu, Massinissa qui n’est pas un Romain mais qui n’est déjà plus un Numide, cumule les tares des siens avec celles, universelles, de la traîtrise. Voilà ce que devient Massinissa à travers les lunettes de Mussolini.
A. M.

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