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Réseau des Démocrates

A la demande de mes nombreux amis, je publie ci-après le texte de l'hommage, rendu au chahid AISSAT IDIR, à l'occasion du 60ème anniversaire de son assassinat par les forces coloniales françaises.
60ème Anniversaire de l’assassinat du Chahid Aïssat Idir

"Qu’il me soit permis avant toute chose, de saluer l’heureuse et pertinente initiative de l’Association Mechaal Echahid et son animateur, Mohamed Abad grâce à qui nous sommes rassemblés aujourd’hui pour rendre hommage et honorer la mémoire du Chahid Aïssat Idir, homme politique révolutionnaire et leader syndicaliste, assassiné par l’armée coloniale il y a 60 ans, le dimanche 26 juillet 1959.

Je salue également tous les frères et sœurs ici présent, venus commémorer avec nous une date qui a marquée profondément le mouvement ouvrier algérien, trois ans après sa création.

Qui est Aïssat Idir ?
N’étant ni historien ni chercheur pour répondre à cette question, je vais cependant tenter de faire pour le mieux et vous dire ce que j’ai appris de Aïssat Idir, à travers le témoignage de ses compagnons, dont la plupart nous ont quitté.
Aïssat Idir est né le 11 juin 1915 à Djemâa-Sahridj, commune de Mekla wilaya de Tizi Ouzou. Il va parcourir le cycle d’étude, abordables par les jeunes ruraux de l’époque. Par chance, il va pouvoir, dès l’âge de la scolarisation, fréquenter l’école primaire, laquelle doit son existence au don d’une pièce que fait son père Akli à la commune afin d’y installer une classe primaire. Il fréquentera l’école française, tout en apprenant la langue arabe et le Coran à la mosquée toute proche du domicile paternel.
En 1921, survient un événement qui marquera profondément le jeune adolescent. Sa mère décède après une courte maladie. Son père ne tarde pas à se remarier. Pour surmonter sa douleur, Aïssat Idir redouble d’ardeur en classe. Sans difficultés, il obtient son certificat d’Etude primaire et réussit au concours de la Bourse, sans pour autant bénéficier de l’internat.
Il subit avec succès le concours d’entrée à l’école primaire supérieure de Tizi-Ouzou. Sa bourse lui permet de se restaurer en ville mais, pour le gîte, la mission protestante accepte de l’héberger gratuitement, avec une trentaine de camarades, aux conditions de travailler sérieusement et de bien se tenir en internat.
Après l’examen du Brevet élémentaire, Aïssat Idir franchit l’obstacle sans difficulté, ce qui n’est pas étonnant, puisqu’on disait de lui qu’il était un bûcheur patenté hors catégorie. Il avait pratiquement dans la poche le billet lui permettant d’entrer à l’Ecole Normale, le rêve de beaucoup d’algériens à l’époque. Sur l’insistance d’un de ses voisins il laisse tomber son brouillon du sujet de mathématique. Son geste est surpris par le surveillant. Conséquence il sera, comme son voisin, prié de quitter immédiatement la salle d’examen : S’en était fini de son rêve de devenir enseignant, un rêve, davantage une obsession pour son père qui voulait voir son fils devenir instituteur et pourquoi pas revenir à Djemâa Sahridj pour enseigner, lui qui, malheureux, ne savait ni lire ni écrire.
Les relations entre le père et le fils devenaient difficiles. Il fallait qu’ils se séparent, pour un temps au moins. Son oncle installé en Tunisie l’aime bien, il l’accueil chaleureusement. Il retrouve ainsi son équilibre et reprend ses étude avec toujours la même persévérance, prépare le concours d’entrée à l’université de Tunis et s’inscrit aux cours de droit et de sciences économiques.
Appelé par l’armée il accomplit sa période de servie militaire. Armé de ses diplômes, il rentre en Algérie. A la recherche d’un emploi il apprend que les Ateliers industriels de l’AIA ouvrent un concours pour le recrutement de cadres qualifiés. Il se présente et est admis dans les fonctions de comptable. Enfin, il travaille et dispose d’un bon salaire. Il s’installe à Alger dans le quartier de Belcourt, aujourd’hui Mohamed Belouizdad.
Pas longtemps, il est vrai, la deuxième guerre mondiale éclate, il est mobilisé en Tunisie, là où il accompli son service. La capitulation de la France, après quatre semaines de combats, lui permettra d’être rapidement démobilisé et de revenir de nouveau à Alger où il reprend ses fonctions à l’AIA de Maison Blanche.
Il a vingt-cinq ans. C’est la France qui a perdu la guerre et pourtant c’est l’Algérie qui va le plus souffrir. La disette, les maladies sont à l’origine de milliers de morts dans les régions les plus pauvres. Le rationnement, particulièrement des denrées alimentaire, frappe surtout les jeunes.
Notre pays, sous le régime de Vichy, est représenté en Algérie par des officiers supérieurs, dont la mission est de veiller à ce que rien ne bouge, et tous les moyens leur sont donnés pour écraser toute tentative de rébellion. Aïssat Idir vit et souffre comme tous les algériens des causes profondes de notre tragique situation. Le PPA clandestin, dirigé par Mohamed Lamine-Debaghine et Mohamed Taleb, en dépit de l’arrestation de ses principaux dirigeant est présent à Belcourt.
Aïssat Idir évolue dans un milieu où les jeunes, souvent privés d’emploi, rongent leurs freins. C’est sans doute à cette époque que Aïssat Idir mûri par ses multiples expériences, dans le civil, dans l’armée, en Algérie et en Tunisie s’affirme.
Le 8 Novembre 1942, les anglo-américains débarquent au Maroc et en Algérie. Après une résistance symbolique, les français déposent les armes. Désormais, ils sont éclipsés par les américains qui prennent les pouvoirs en Algérie.
Le bouillon de culture que constituent certains quartiers de la capitale, tels que la Casbah, Belcourt, Clos Salembier, El-Harrach, Kouba etc.., le retour des militants emprisonnés ou détenus dans les camps, annonceront les débuts d’une révolution en ce sens que, pour la première fois, c’est l’ensemble de l’Algérie qui connaîtra un enthousiasme auquel peu des nôtres échapperont. 
Aïssat Idir avec sa discrétion de parfait clandestin se rapproche de ceux qu’il devine être parmi les têtes pensantes du PPA et des Amis du Manifeste et de la Liberté. Lui et Mohamed Belouizdad, responsable de la section jeune de Belcourt, étaient fait pour s’entendre. Il rencontre souvent Lakhdar Rebbah qui possède une échoppe où il vent du lait, pas loin de la demeure.
Le mouvement des AML, constitué le 14 mars 1944, a pour programme politique un document qui s’inspire du Manifeste, dont l’auteur de la première mouture est Mohamed Lamine-Debaghine. Revu, il est présenté aux autorités alliées et françaises par Ferhat Abbas et Abdelkader Sayah. La colonne vertébrale des AML est assurée par les militants clandestins du PPA. Aïssat Idir, en contact de plus en plus fréquent avec les jeunes de Belcourt, s’intéresse à leur situation sociale, niveau intellectuel, emploi, le nombre de frères et sœurs que compte la famille, a-t-il un emploi, dans ce cas le montant du salaire, les avantages sociaux.
Voilà de quoi engager la bataille, sur le front social. Il n’oublie pas ce qu’il a appris en Tunisie et l’expérience enrichissante des leaders syndicalistes du pays voisin de l’Algérie, sous protectorat français. Mohamed Ali El Hammi, l’un des pères du syndicalisme arabe, présentait aux yeux des lettrés de Tunis deux étrangetés.
D’origine populaire et comble d’infamie, originaire d’un village du sud, il se permet de revenir, en 1924 de Berlin, avec un Doctorat en économie politique et des idées socialistes. Avec le concours de Tahar El Haddad ils constitueront le premier syndicat Tunisien. La CGT dispose d’une organisation qui est rattachée à la maison mère à Paris.
Les tunisiens du Destour et le leader socialiste Bothereau uniront leurs efforts pour faire interdire la CGTT nationaliste. Après une éclipse de plus de dix ans, la CGTT reprend vie sous la conduite, cette fois, d’un homme du sérail, le jeune avocat Hédi Nouira. La guerre réduira son organisation au silence. Ferhat Hached, que nous connaissons mieux, sera le fondateur, le 20 janvier 1948, de l’UGTT.
Voilà où se ressourçait Aïssat Idir lorsque son activité professionnelle, ou ses visites à son oncle, motivaient sa présence à Tunis. Les circonstances vont amener Aïssat Idir à rencontrer Ferhat Hached. Voici ce que rapporte, à ce sujet, l’Ouvrier algérien édité en juillet 1959 à Tunis, en pleine guerre de libération :
« au cours du mois de février 1952, deux hommes dont le destin commun fut tragique, se rencontrèrent à Tunis
La Tunisie était en pleine lutte de libération nationale. La bataille faisait rage ; les militants et les dirigeant des mouvements nationaux, Néo-Destour et UGTT, étaient en prison ou traqués par le police française. Ferhat Hached se trouvait dans un local situé dans la rue Sidi Ali Azouz et tout un cordon policier encerclait le lieu. Aïssat Idir, malgré cette surveillance étroite, arriva à rentrer dans le local pour rencontrer son frère de combat.
Entrevue historique. Pendant plus de deux heures, ces deux hommes se penchèrent sur les problèmes que posait déjà le syndicalisme maghrébin et le rôle que doit jouer la classe ouvrière dans chaque pays, pour la lutte de libération nationale et l’édification d’un ordre nouveau dans le domaine économique et social. Une sympathie profonde et spontanée naquit entre eux et leur identité de vues sur tous les problèmes évoqués fut parfaite. 
Quelques mois plus tard et ce fut le vendredi 5 décembre 1952, à l’aube au moment où Ferhat Hached s’apprêtait à reprendre sa place dans le combat quotidien qui devait se terminer par ‘indépendance de la Tunisie, il fût lâchement assassiné par les agents du colonialisme » fin de citation.
Ainsi, nous comprenons beaucoup mieux le grand intérêt que portait Aïssat Idir aux problème touchant au politique, sans doute mais aussi, ce qui était le point faible du PPA, l’économie, le social, la culture.
La fin de la guerre mondiale, les manifestations du 1er mai et du 8 mai 1945 en Algérie mettent un terme à une situation de plus en plus insupportable pour les Européens d’Algérie, car le renforcement des organisations nationalistes n’auguraient pas pour eux, qui rejetaient tout changement, des lendemains qui chantent. La capitulation de l’Allemagne est en vue lorsque les travailleurs sont autorisés, pour la première fois depuis 1939, à célébrer la fête du travail.
La participation, à travers les grandes villes d’Algérie, des travailleurs organisés au sein de la CGT, mais ce qui est nouveau des militants des AML, encadrés par ceux du PPA pour éviter tout dérapage, sera l’occasion choisie par l’ordre colonialiste pour avertir que la récréation avait pris fin maintenant que les troupes alliées n’étaient plus là, pour se mêler de ce qui ne les regardait pas.
La répression violente, déclenchée lors des manifestations du 1er mai, sera sanglante à partir du 8 mai 1945. Plus de 45.000 morts chez les algériens, un millier peut-être chez les Européens. Cependant, les nationalistes reprennent le dessus et, progressivement, les algériens pansent les multiples blessure qui restent vivaces aujourd’hui encore.
Aïssat Idir, et ceux qui seront ses compagnons, jusqu’à ce que la mort les sépare, enregistre avec douleur le prix payé pour une simple participation à des manifestations et en tirent la leçon, car l’ensemble des Européens, à peu de chose près, adhérant ou dirigeants des organisations syndicales et politiques, se retrouvent dans la vague raciste qui déferle sur l’Algérie, rappelant lugubrement les premières années de la conquête.
Ces événements, révélateurs à plus d’un titre, mettent en évidence la nécessité impérative de préparer très sérieusement l’Algérie au combat libérateur et en mesurer le prix. Ce sera la tâche des politiques. Quant à ceux qui ajoutent à leur activité, au sein des partis politiques, une présence active dans les syndicats, il devient urgent de mettre en place les fondations d’un mouvement ouvrier algérien indépendant de toute tutelle française.
Le premier congrès du PPA, qui se réunit en 1947, donnera naissance au MTLD et à l’Organisation Spéciale l’OS, et met en place la cellule chargée de créer, dans les meilleurs délais possibles, une Centrale ouvrière indépendante de toute tutelle. Qui mieux que Aïssat Idir pouvait en prendre les rênes ? Sa tâche sera facilitée lorsqu’il s’agira de communiquer avec l’ensemble des militants travailleurs affiliés au parti. C’est par ce canal que le contact sera toujours maintenu.
Dans la capitale et les agglomérations les plus proches, il peut compter sur le concours de camarades qui occupent des responsabilités assez importantes dans les rouages de la CGT. Ils sont la source d’informations précieuses à l’élaboration des articles, que rédigera Aïssat Idir, pour la rubrique qui lui est réservée à l’hebdomadaire du MTLD « l’Algérie Libre ». 
C’est ainsi que se constituera la Commission centrale des affaires sociales et syndicales où siègeront : Aïssat Idir, Rabah Djermane, Mohand Ramdani, Benaïssa Attalah, Bachir Bachiri de Blida, Ali Bensmaïl, Ahmed Zitouni etc…
Le combat que mènent les syndicalistes nationalistes au sein de la CGT, ont un côté positif. Leur action parvient à modifier la politique inspirée par les responsables droitiers. Mais les crises successives que connaît le PPA/MTLD, ne favorisent pas l’accélération de la démarche. Créer une Centrale nécessite beaucoup de moyens financiers au départ, des locaux, des permanents à la charge de l’organisation syndicale, c’est pourquoi tout ce qui affaiblissait ce parti, retardait inexorablement sa réalisation. Aïssat Idir et ceux qui collaborent avec lui le savent, le comprennent.
La saisie de la presse, les amendes qui sont infligées, les perquisitions, le harcèlement, conduisent à consacrer les finances du parti, à payer les avocats qui défendent les militants, à secourir leurs familles dans le besoins.
Enfin, une possible éclaircie à l’horizon, la tenue du 2ème congrès du MTLD. Ses assises se proposent de préparer et de faire adopter un programme politique, économique et social, capable de sortir le mouvement de son enlisement. Pour sa réussite, il fait appel à un rang nouveau, à des intellectuels, dont l’absence est cruellement ressentie dans un parti qui compte vingt mille militants. Aïssat Idir, Rabah Djermane et Boualem Bourouiba assiste à sa tenue.
Le consensus réalisé au cours de son déroulement ne tarde pas à être remis en question. Lorsque la crise du MTLD abouti à la scission, après les congrès des deux tendances : à Hornu (Belgique) pour les partisans de Messali (juillet 1954), à Alger pour les centralistes, la situation se clarifie lentement. Le parti est divisé par la crise politique qui l’affaiblit. Ce climat, de plus en plus empoisonné, va durer jusqu’au 31 octobre 1954. 
Ce premier novembre, c’est la surprise, l’étonnement chez la plupart des militants. Les arrestations se multiplient. Les autorités françaises ne savent pas d’où vient l’ordre de déclencher ces opérations. Ce sera pour Aïssat Idir et de nombreux responsables, quel que soit leur niveau, la désorientation totale.
L’engagement au FLN s’opère individuellement après le 1er novembre 1954. L’option n’est ni collective ni décidée par les anciens partis. Boualem Bourouiba nous parle de cette époque : « Nous suivions avec beaucoup d’inquiétude le déroulement de la crise politique au sein parti… Aïssat Idir, Djermane Rabah, Benaïssa Attalah, etc.., et plusieurs membres de la commission centrale des affaires syndicales du MTLD, resteront partisans du comité central. Cela ne nous empêchera pas de nous retrouver, au siège du parti, malgré la crise qui se confirmera depuis le deuxième congrès en 1953. A partir du mois d’août 1954, les clans se démarqueront nettement.
Cependant, au sein de la commission centrale des affaires sociales et syndicales du MTLD, les relations des militants des deux clans furent amicales. Après le début de la lutte armée, les instances nationales et régionales du MTLD se disloqueront sous les coups des arrestations et de l’apparition du FLN. Aux premiers mois de l’année 1955, il y eu des libérations. Nous reprîmes nos contacts individuellement, d’une façon informelle. Nous retrouvâmes les camarades de la tendance messaliste. C’est ainsi que nous apprîmes qu’ils tentaient de remettre en activité l’ex-commission des affaires sociales et syndicales du MTLD, dans le but de lancer le vieux projet d’une centrale autonome nationale. L’initiative nous intrigua, d’autant plus que nous étions en guerre et que la répression ne ménageait aucune tendance. Les communistes et les syndicalistes cégétistes subirent le même sort. Nous fîmes part du projet à nos responsables politiques du FLN de la zone d’Alger. L’intention des messalistes, qui constituèrent un nouveau parti, le MNA, dès novembre 1954, distinct du FLN, était de créer une base sociale élargie en organisant les travailleurs et en contrôlant les syndicats.
En réalité, ils se proposaient de lutter contre l’influence grandissante du FLN et des syndicats de la CGT. Ceux-ci avaient une nette avance sur les projets des syndicalistes nationalistes. La majorité des travailleurs algériens militaient depuis des décennies dans les rangs de la CGT. Nous estimons, en 1956, qu’il fallait prendre en considération la menace qui s’annonçait sur le secteur des syndicats. Abane Ramdane et Benkheda nous recommandèrent de garder le contact avec les messalistes, de suivre discrètement leurs démarches et de retarder leurs préparatifs. 
Nous prîmes part à une visite de la confédération des syndicats libres en Belgique, en décembre 1955. Le but recherché fut de sonder cette centrale internationale sur une éventuelle affiliation. Les messalistes avaient également des relations suivies de longue date avec la CGT-Force ouvrière, en France, membre fondateur de la CISL.
Notre première rencontre resta sans suite. La CISL préféra tergiverser et s’informer plus amplement sur le déroulement et l’engagement armé algérien. A Paris, nous rencontrâmes des responsables du MNA. Moulay Merbah, membre du comité directeur et trésorier, promit de faire une avance de fonds remboursables. L’évolution de la lutte et surtout la cassure définitive entre le FLN et le MNA, après de multiples tentatives de conciliation tout au long de l’année 1955, ne laissa plus de place à une réconciliation et à l’unité. Une lutte fratricide violente opposa les frontistes aux messalistes ».
Le contact est repris entre Aïssat Idir, Benaïssa Attalah, Rabah Djermane et Boualem Bourouiba. Les rencontres ont lieu à la sortie des bureaux, où il sont employés, pour échanger de maigres informations. Restait pour Aïssat Idir et tous ceux qui voulaient bâtir la Centrale de se remettre à l’ouvrage et de préparer les hommes à la tâche. Les moyens humains sont disponibles, le matériel peut être acquis. Les alliances il faudra les conclure avec ceux qui dirigent le FLN.
Mais le FLN, organisation structurée à travers le territoire national n’existait pas, tout du moins pas encore. Pas question non plus d’aller à la bataille, sans le feu vert de ceux à l’origine du 1er novembre 1954.
Au cours de cette période qui précède le 24 février 1956, Aïssat Idir et ses compagnons se retrouvent souvent. Les réunions se tiennent à Saint Eugène, chez les parents de Boualem Bourouiba, chez Rabah Djermane au climat de France ou au café El Kamal à Nelson, à Bab El Oued, pour mettre au point un plan de mobilisation de tous les militants nationalistes qui, bientôt, seront à l’origine de la naissance de l’UGTA. Le Constantinois, l’Algérois et l’Oranie, aucune région ne doit rester en dehors de l’organisation syndicale. Le contact est maintenu avec Benyoucef Benkheda, lequel s’est lui-même mis au service de Abane Ramdane.
La nouvelle année vient d’être entamée. Est-ce que 1956 sera la bonne pour l’Algérie, c’était encore du domaine du possible. D’autant que les français avaient envoyé à leur Assemblée Nationale une majorité favorable à la conclusion de la paix en Algérie. Mais rapidement, sous l’action des activistes français, la situation, notamment à Alger, se dégrade.
Le départ de jacques Soustelle, le 2 février 1956, dont le mandat n’est pas renouvelé, sera pour les algérois, partisans de l’Algérie française, de faire une démonstration de force qu’ils renouvelleront, le 7 février, lorsque Guy Mollet, président du Conseil vient installer le général Catroux comme Ministre résident. Ils ne veulent pas d’un monsieur taxé de bradeur.
C’est la nouvelle de la création, le 14 février 1956, de l’Union syndicale des travailleurs algériens (USTA), qui ouvre les yeux aux dirigeants du Front, non seulement à Alger mais aussi au Caire. Trois à quatre précieux mois ont été perdu. La encore, Abane Ramdane fera preuve d’une lucidité remarquable. L’annonce faite par les journaux d’Alger de la création de l’USTA par le MNA, d’obédience Messaliste, sonne le branle-bas de combat dans les rangs syndicalistes, mais également dans ceux des responsables du FLN. La réaction est à la hauteur de la nouvelle.
Le lendemain la réunion se tient à Saint Eugène, chez les parents de Boualem Bourouiba, la première du genre. Elle approuvera le rapport qui avait été préparé. Abane Ramdane et Benyoucef Benkheda, au nom du FLN, appuient totalement la démarche des syndicalistes et alloue, pour démarrer, une somme de un million de francs. Dès l’arrivée de ses hôtes, qui passeront la nuit à son domicile en raison du couvre-feu, Boualem Bourouiba va chercher Aïssat Idir pour le ramener et entamer avec lui tous les détails de l’opération UGTA. 
Dès le lendemain, se tient la réunion du groupe qui formera le secrétariat, auquel se joindra Abdelmadjid Ali Yahia, le 20 février. Les tâches sont réparties, les militants avisés, la déclaration préparée, c’est Aïssat Idir qui s’en occupe. Lettres à en tête, logo, titre du journal, correspondance avec la CISL, élaboration des statuts, recherche d’un siège. Ferhat Abbas accepte de céder le Nadi Saâdane, place Lavigerie.
Aïssat Idir est transfiguré depuis que la liberté leur fut accordée, la liberté et la confiance des dirigeants du Front. Un entretien de 2 heures entre les quatre du groupe a suffi pour démarrer à la vitesse grand V leur chevauchée.
Tous ceux qui rejoignent le groupe, et ils sont de plus en plus nombreux, se retrouvent au siège de la Centrale. Aïssat Idir, habituellement réservé, s’adresse aux groupes de militants venus prendre la documentation, afin de constituer leur syndicat avec chaleur et conviction. Les jeunes sont enthousiasmés de la création de l’UGTA, mais aussi du soutien que tous doivent apporter au Front. Ils se renseignent : qui est cette personne à qui nous avons parlé ?. Lorsqu’ils apprennent que c’est le chef de file de l’UGTA, ils sont heureux et fières.
Le groupe, conduit par Aïssat Idir, va vivre trois mois, certainement les plus chargés de son existence. Beaucoup de travail sera réalisé, le journal lancé, plus de cent mille adhérents, une trésorerie florissante. L’adhésion à la CISL en bonne voie. Les syndicats naissent dans le constantinois où les syndicalistes ne manquent pas. Rabah Djermane et Abdelkader Amrani se rendent en Oranie et feront, durant leur séjour, un excellent travail de recrutement et de structuration.
Sans le soutien formidable, la coopération, la générosité, le patriotisme de militants et militantes hors du commun, jamais ils n’auraient pu réussir. Et l’UGTA vivra bien après le 24 mai 1956. Quatre autres équipes suivront le premier secrétariat nationale. Les unes après les autres se retrouveront à l’étranger, dans les prisons ou les camps, soient dans les maquis d’Algérie.
Un autre combat allait commencer pour tous. La prétention des administrations, des camps et des prisons, croyait briser les émules Mohamed Larbi Ben M’hidi, Mostefa Ben Boulaïd, Abane Ramdane, Aïssat Idir. Combien ils se trompaient ? Jamais il n’y avait eu, en Algérie, une formation de militants de cette qualité, de cette importance en si peu d’années.
Les souffrances multiples endurées furent productives d’hommes, mais aussi de femmes exemplaires, prêts à construire la patrie dont ils rêvaient, qu’ils espéraient. Ce sera la génération d’après-guerre.
Aïssat Idir, durant son séjour dans les camps de Saint Leu, Bossuet, Arcole, Sidi Chami restait branché et au fait des informations glanées auprès des uns comme des autres, particulièrement les jours de visite. Il en eut très peu. Seule sa fille aînée, une fille intelligente, courageuse, remplaçant de son mieux son papa absent. Ahmed l’aîné des garçons s’efforce de faire honneur à son père.
La bataille d’Alger et les pleins pouvoirs accordés à l’armée, seront à l’origine d’une saignée sans précédent dans les rang de la révolution. Le congrès de la Soummam et la formation du CCE et du CNRA, seront suivis de ce que l’on appelait à l’époque, les rebondissements d’affaires. Aïssat Idir en sera la victime. Il fera malgré lui la connaissance du général Bigeard.
Des documents découverts au cours de perquisitions, ou peut-être les aveux possibles d’une victime de tortures, laissent à penser que Aïssat Idir aurait été désigné membre du CCE ou du CNRA. Il est torturé, mais sans résultat. Fortement ébranlé par cette douloureuse expérience, il gardera de sa rencontre avec Bigeard un sinistre souvenir. Une mécanique conçue pour faire la guerre et la gagner, quel qu’en soit le prix à faire payer à l’adversaire. Il est vrais qu’il n’avait pas digéré la défaite de ses troupes en Indochine. 
Aïssat Idir est ramené en Oranie et, après quelques semaines passées au camp de transit de Sidi Chami, le 15 août 1957, il est de retour où tous les anciens de l’UGTA se retrouvent, parmi eux, Hassen et Mahieddine Bourouiba. Tout le monde au camp pensaient que son cauchemar était, maintenant, du domaine du passé. Erreur, Aïssat Idir n’en avait pas fini avec les interrogatoires pratiquées par les émules de la Gestapo et des SS. Les dirigeants du Front, sentant sa vie en danger, avaient envisagé de le faire évader du camp de Bossuet, mais la tournure prise par les événements, depuis l’assassinat de Mohamed Larbi Ben M’hidi et la dislocation du CCE, contraint de quitter l’Algérie, conduit les successeurs de la direction du front à annuler le sauvetage de Aïssat Idir.
Les manifestations qui éclatent, le 13 mai 1958 à Alger, renforcent le pouvoir de l’armée. Elle voit là l’occasion rêvée d’en finir avec le FLN et l’ALN. Les tribunaux frappent dur et les exécutions, des condamnés à la peine de mort, se multiplient.
On monte de toute pièce un dossier contre l’UGTA. Il est vrais qu’à partir de Tunis, les membres de la délégation extérieure, des syndicalistes mènent une activité débordante à travers le monde. Les dénonciations des crimes, commis par l’armée et les civils, contre la population finissent par exaspérer l’Etat-major à Alger.
Aïssat Idir est mêlé à une affaire cousue de fil blanc. Peu de temps après le 13 mai, au camp zéro de Bossuet, là où sont réunis les irrécupérables pour la 3ème force rêvée de Robert Lacoste, lorsque ses compagnons ont entendu l’appel invitant Aïssat Idir à se présenter de toute urgence, avec tous ses bagages, près de la porte qui conduit au bloc administratif, ils ont compris qu’il ne s’agit pas d’une libération mais d’une nouvelle affaire.
Quelques jours après, il est à Barberousse, avec nombre de militant UGTA et FLN. L’inquiétude baissa, d’autant qu’un nombre important d’avocats avait été chargé de défendre son dossier qui est celui de Ali Remli, Mustapha Cheikh, Abdelkader Allal, Noureddine Skander et bien d’autres. Le verdict tombe, des condamnations à des peines de prison et deux libérations sont prononcées. Mustapha Cheikh et Aïssat Idir.
Le colonel Godard, responsable d’Alger-Sahel, Algérie Française jusqu’au bout des ongles, refuse la libération du 1er responsable de l’UGTA et fait envoyer des gendarmes mobiles avec ordre de conduire Aïssat Idir, dès sa libération, le 13 janvier 1959, au centre de tortures de Birtraria, à El-Biar, où il subit les pires sévices pendant quatre jours, à la suite de quoi, il fut transféré à l’hôpital militaire Maillot à Bab-El-Oued, dans un état désespéré. 
Brûlé sans doute au chalumeau, ses blessures s’infectent et c’est le Coma. Les soins pratiqués par l’hôpital, géré par l’armée, sont sans effet. Mais peut-on penser sérieusement que les autorités d’Alger étaient disposées à accepter que Aïssat Idir survive et parle un jour et dévoile ce qu’il avait subi ? Mohamed Larbi Ben Mhidi a été supprimé, Ali Boumendjel précipité du 6ème étage d’un immeuble à El-Biar, Maurice Audin échappé au cours d’un transfert. La méthode avait du bon, pourquoi y renoncer ?
Lorsque Ahmed, le fils aîné de Aïssat Idir est enfin autorisé, avec sa mère, à voir son père, il le trouve enveloppé de pansements telle une momie, seul le visage apparaît. Il éclate en sanglot et accuse violemment le personnel médical et les policiers présents d’avoir assassiné son père. Il raconte : « Lorsque nous sommes informés du décès, le 26 juillet 1959, ma mère et moi sommes autorisés à voir le corps. Nous trouvons mon père enveloppé d’un drap. Seul son visage est visible. Il est méconnaissable. Je suis bouleversé. Je manifeste une violente colère, je profère des injures à l’égard des tortionnaires… Mon père est couvert de plaques de brûlures sur le visage, comme si un fer à repasser lui avait été appliqué ».
Le corps est enfin remis à la famille dans un cercueil plombé. Le lieu où devait être enterré le premier Secrétaire de l’UGTA souleva une controverse avec les autorités militaires qui voulaient à tous prix imposer le cimetière d’El-Alia, le plus éloigné de la capitale. Il ne fallait pas que la tombe d’Idir reçoive l’hommage de tous ses proches et de ses camarades de lutte.
Une lutte sourde, d’où sortit vainqueur la famille, permit à cette dernière de l’enterrer à Sidi M’hamed, tout près de l’ex-Boulevard Cervantès. Les Aïssat ne possédaient pas de concession, mais ils l’obtinrent grâce à la générosité patriotique d’un habitant de Belouizdad. Son geste lui valut de nombreux interrogatoires de la part de la DST. Il séjourna pendant une dizaine de jours entre leurs mains.
Assistent à la cérémonie Akli père de Idir, Ahmed qui à cette date avait 16 ans, ainsi que Guedouar, un collègue et ami de Idir, ainsi que son oncle Hassen et Hamid Nezzar.
La réaction dans le monde à ce crime, se traduit par une vague de déclaration condamnant violemment les autorités françaises. Les syndicats, les partis, les associations s’impliquent. Jamais la guerre d’Algérie n’avait été aussi durement dénoncée. Les initiatives, prises par la délégation extérieure de l’UGTA, par le GPRA, auront un grand retentissement.
Par son sacrifice suprême, Aïssat Idir a contribué grandement à porter plus haut le prestige des algériens, de leur guerre de libération et de la juste cause défendue par le GPRA, représentant incontesté de notre mouvement de libération.
Grâce à sa détermination, Aïssat Idir a su convaincre et s’entourer de milliers de militants, artisans de la formation de l’UGTA. C’est son exemple qui fait que nous soyons réunis ce jour anniversaire de sa disparition.
N’est-ce pas parce qu’il était parmi les meilleurs que Aïssat Idir a été assassiné ? N’est-ce pas pour la même raison que Abdelhak Benhamouda, secrétaire général de l’UGTA, a été assassiné, comme le fut Belaïd Meziane et Ahmed Kasmi. 
Grâce à votre sacrifice frères Aïssat, Drareni, Zioui, Kouadri, l’UGTA forte de l’appui des centaines de milliers de travailleurs, contribuera au renforcement de l’Algérie par une prise en charge réelle et efficace de tous les problèmes auxquels elle est confrontée aujourd’hui, car comme l’a écrit Aïssat Idir le 15 mars 1956, dans l’ouvrier algérien :
«Notre centrale est née de la volonté des travailleurs algériens de mettre fin à l’exploitation, dont ils sont victimes, par l’abrogation de l’ordre colonialiste, et par l’instauration d’un régime démocratique et social ».

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