2 Juin 2014
''La meilleure force''
« Je n’écris pas pour me distraire ou distraire ». Il
« Le fait poétique ne dépend pas du lieu où nous vivons, mais de la charge poétique accumulée par le poète dans le passé et parfois dans le présent (…) On ne naît pas poète, on le devient par le contact avec le monde, par le refus de tout ce qui heurte notre conscience ». A
EN GUISE DE PRÉSENTATION
Par Abdelmadjid Kaouah
Le 20 mars dans le sillage du Printemps des poètes 2012, on a entendu la journaliste bien connue, Audrey Pulvar, lire sur France Inter le fameux poème de Messaour Boulanouar « J’écris », (extrait de La meilleure force,tiré de l’anthologie de la poésie algérienne « Quand la nuit se brise », parue aux éditions Points (2012). Evènement m médiatique, peu ordinaire, dans le cadre d’un billet politique que la journaliste signait sur les ondes d’une grande radio française, France Inter. Réactions immédiates des auditeurs, tel cet avis posté sur le site de l’émission : « Merci au seuil millimétré du printemps (6h14 ...Wow) de lire ce poème magnifique réécouté … », ou tels autres : « Merci … pour ce choix, cette ouverture vers la lumière… » ; « La poésie fait fondre le cœur du plus endurci et réconcilie avec la vie ». Et en écho au poème la chanson ‘’Les mots’’ de Claude Nougaro, enfant de Toulouse bien connu en Algérie où il donna plusieurs récitals.
Messaouar Boulanouar définit ainsi le « fait poétique « dans un entretien avec le regretté Tahar Djaout, : « Le fait poétique ne dépend pas du lieu où nous vivons, mais de la charge poétique accumulée par le poète dans le passé et parfois dans le présent (…) On ne naît pas poète, on le devient par le contact avec le monde, par le refus de tout ce qui heurte notre conscience ». A partir de quel moment historique Messaour Boulanouar est-il devenu a-t-il pris la parole, est-il devenu poète ? Leitmotiv chez lui : « Je n’écris pas pour me distraire ou distraire ». Il s’est voulu sans détour « semeur de conscience ». La poésie, selon, lui serait-elle en permanence un exercice de combat ? Ne peut-elle au détour de ses devoirs en société, buissonner et gambader dans l’imaginaire, voir habiter des paysages oniriques ou s’adonner à des jeux sémiologiques ? Nous n’avons pas une connaissance complète de l’œuvre de Messaour Boulanouar pour être catégorique. Certains critiques littéraires n’hésitent pas à lancer l’anathème ou à déclarer « finie » la poésie des grands engagements.
Qui lit aujourd’hui Eluard ? répète-t-on avec malice.
Messaour, est né quelques années au lendemain du centenaire de la Conquête. Il a donc grandi, vécu sa jeunesse sous la colonisation. Et très tôt pris conscience de l’injustice qui était faite aux Algériens .Quelques personnes et des lectures surtout ont ponctué son cheminement dans la vie et la création, telle la sœur de Maurice Audin rencontrée à Sour el Ghozlane, ex Aumale, où elle enseignait en compagnie de son mari. Il eut pour condisple la plus jeune. De temps à autre Maurice Audin faisait le voyage à Aumale.
Malgré le temps, l’âge, les épreuves, Messaour Boulanouar peut encore réciter de mémoire jusqu’à ce jour les « récitations » apprises à l’école. Victor Hugo, il le connaît mieux que certains chercheurs. En tous cas dans son rapport d’Algérien à lui, de colonisé surtout. Il m’a confié, ce n’est pas un secret, qu’il avait été à la fois déçu et fasciné par Hugo. Ce dernier n’était-il pas ainsi emblématique de tous ces écrivains du XIXe siècle qui avaient applaudi à la Conquête de l’Algérie sans savoir ce que cela signifiait comme sang et servitude ?
Tel Lamartine qui se déclarait « oriental » à tout jamais et applaudissait cependant à la conquête de l’Algérie. Mais Hugo a évolué, d’autres non…Il suffit de lire dans « Les Châtiments », le poème qu’il consacre à l’Emir Abdelkader.
A 17 ans, le futur auteur de « La meilleure force », pauvre et malade, interrompt ses études secondaires. Et des années plus tard, éveillé au nationalisme et aux exactions de la puissance coloniale française (Cf. le 8-mai1945) et de ses vaines promesses au lendemain de la seconde guerre mondiale : élections trafiquées par le gouverneur Naegelen qui se soldera notamment dans la région de Sour El Ghozlane, à Dechmiya par la mort de plusieurs algériens qui les contestaient localement. Nourri des poères de la Résistance française et des camps de la seconde geuerre mondiale ( dont il connaît encore par cœur certains poèmes), il passera au militantisme actif, connaîtra la prison de Serkadji entre 1956-1957.Est-ce en prison qu’il conçoit dans sa tête « La meilleure force « qui s’ouvre sur jsutement par ce poème cité plus haut ,« J’écris ». Un passage qui est devenu très connu, voire « anthologique », repris sur Internet par les amateurs de poésie à hauteur d’homme…
Premières années de l’indépendance. Années d’enthousiasme après la guerre, et déjà les premières divisions fratricides. C’est le fameux cri,’’sebaa sssine barakat !‘’, « 7ans, ça suffit ». Messaour s’engages dans l’action culturelle et poétique. L’église de Sour El devient un centre culturel. Jean Sénac se déplace pour un récital. De cette époque, date son texte : Poésie de Sour El Ghozlane où il écrit : « Comment Messaour Boulanouar n’aurait-il pas écrit « La meilleure force », la seule grande épopée de notre « libération » ? N’est-ce pas le meilleur hommage qui lui ait été été rendu ? Or, après l’élan des premières indépendances, la poésie ne sera-t- elle pas sacrifiée sur l’autel de la toute puissante technocratie. « La meilleure force », comme « Algérie, capitale Alger d’Anna Gréki ne connaîtront pas une diffusion publique. Juste une recension dans Algérie-Républicain de la veille du 19-Juin qui vaudra aux deux poètes une certaine réclusion en matière d’édition. Anna Gréki mourra jeune (« je ne sais plus aimer qu’avec la rage au cœur »)et son second recueil , Temps forts, paraîtra de manière posthume aux éditions Présence Africaine, en 1967.
Messaour Boulanouar aura lui droit à une série d’avanies durant longtemps. « Dame Sned » ne voudra pas de lui .On a même écrit sous le couvert de l’anonymat dans certaines notes de lectures de comité de lectures qu’il écrivit de la « poésie journalistique ». IL en fut malade, déstabilisé. Comment expliquer des jugements aussi lapidaires. Jalousie, envie, vanité, volonté de puissance. Combien de Mozarts algériens assassinés ? écrivit Bachir Hadj Ali ou Mohammed Khadda, je ne sais vraiment lequel, car dans mon esprit ils sont inséparables. Mais n’est-ce pas, avec le recul, paradoxalement un hommage à sa poésie en prise sur la vie, les gens, leurs peines et joies, tandis que, celle des laboratoires narcissiques est en péremption ? Messaour , éprouve-t-il de l’amertume ou de la colère quant aux déboires qu’il a dû subir en matière d’édition. Loin de la capitale et de ses vernis, il est resté fidèle à sa ville natale. ‘où il a écrit l’essentiel de son œuvre. D’ailleurs, l’un de ses recueils s’intitule : « Je vous écris de Sour El Ghozalane ». Sour, Le rempart des Gazelles où non loin se trouve le tombeau de Takfarinas en déséhérence ( lire la chronique de notre ami Arezki Metref que nous reproduisons dans ces pages spéciales consacrées à Messaour Boulanouar).C’est à l’honneur de Michel Georges-bernard, lui-même poète, artiste-peintre et critique de grand talent, que d’avoir consacré à Messaour Boulanouar plusieurs de ses publications des éditions L’Orycte lorsqu’il se trouvait en poste d’enseignant dans les années 70 à Sour El Ghozlane .Ces recueils restent le vivant témoignage d’une époque où la poésie avaient encore de brillants défenseurs sans frontières.
Comme l’a dit je ne sais qui, l’Algérie se serait mieux portée si les poètes avaient été au entendu ou au pouvoir. Est-ce bien réaliste. Peut-être, en tous cas, n’auraient-ils pas fait pire que ceux qui ont géré le destin de ce pays ?
Le malheur en danger ? Les années 90 vont conduire Messaour Boulanouar à sonder un autre malheur, cette fois- fratricide en « terre triste en l’espoir ou nous parlons de suie/ de mort sauvage en terre ignoble nuit de salpêtre ». Comment a- t-il- résisté au « long chagrin de fleur ternie de pierre amère » ? Par le poème ? C’est son secret. Il a longtemps connu et échanger avec Kateb Yacine et d’autres poète contemporains, voyagé mais n’as jamais quitté ta ville. C’est sa meilleure force. Sa vie a été vouée à l’écriture poétique. De la bonne et vieille Japy à l’ordi en passant de cette écriture calligraphique dont qui dstingue toute une génération , , il a affirmé dans un entretien en 1981 avec feu Tahar Djaout « La poésie se trouve en danger, dans ce pays même où la magie du verbe accompagnait partout le peuple dans son travail et dans ses fêtes : chansons de moissonneurs, chansons de la tonte des moutons, chansons du tissage de la laine, chansons de toutes les touiza ancrées au plus profond de notre paysannerie. »
Cri de vigie inquiète. As-tu été entendu ? La solution n’est-elle pas dans la réconciliation de l’école algérienne avec ses poètes quelle que soit « la graphie » qu’ils empruntent pour rendre vivant l’évidence poétique algérienne ?A cet égard, Malek Haddad , qu’il a connu , a considéré - après une œuvre brillante et encore prometteuse- que la langue française était devenue a, après l’indépendance, une manière d’exil. La question de la langue a-t- elle taraudé Boulanaour ? A-t-il été tenté d’arrêter d’écrire en français ? Aujourd’hui que le problème semble transcendé les déchirements sur la langue semblent relever d’un mauvais psychodrame imposé à toute une génération. Messouar a une connaissance fine des cultures du terroir. Il peut réciter de mémoire du chir el melhoun à tous vents. N’est-il pas le petit-fils d’une poétesse du terroir. Ainsi, il a grandi entre le verbe de sa grand-mère, d’ailleurs qu’il a méthodiquement enregistrée au magnétophone pour sauver de l’oubli une poésie sans pareille qui a nourrit en profondeur ce que l’on nomme maintenant la littérature algérienne contemporaine dans toutes ses expressions linguistiques. Du berbère au français en passant par l’arabe académique. Cultures populaires, cultures savantes, il fut un temps où elles se donnaient la main sans complexe et sans procès d’intention. En témoignent les œuvres de Si Mohand ou Mohand, des Bencheneb père et fils, de Mostéfa Lacheraf, de Moufdi Zakaria, de Jean Sénac et de Mouloud Mammeri. Et de tant d’autres…
Messaour Boulanouar est de cette école enracinée dans le patrimoine national et ouverte sans complexe sur l’universel.
Mais la poésie à exister dans l’édition. Aujourd’hui, le genre dominant en littérature d’expression arabe ou française est le roman. Des romanciers algériens sont reconnus et distingués internationalement. Pour la poésie, c’est fort différent, à quelques exceptions près. La poésie, plus généralement, a-t-elle encore un rang dans le destin de la planète ? Par quel miracle ? Messaour y répond à sa façon. En persistant à écrire tout simplement des poèmes !
A.K.
Toulouse, le 12 octobre 2012
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