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Réseau des Démocrates

LE NÉOLIBÉRALISME Destruction du collectif et atomisation de l’humain

 

DOSSIERS


27 Mai 2010 - Page : 15
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 Chitour Chems

«Le discours capitaliste, c’est quelque chose de follement astucieux (...), ça marche comme sur des roulettes, ça ne peut pas marcher mieux. Mais justement ça marche trop vite, ça se consomme. Ça se consomme si bien que ça se consume.» Lacan (Philosophe)

 

 

En ces temps de «délitement des valeurs» que l’on pensait immuables, beaucoup de certitudes ont été ébranlées par le néolibéralisme.

Le capital symbolique qui a été sédimenté par pans entiers sous les coups de boutoir du marché du libéralisme, fruit d’une mondialisation sans éthique. Même les sociétés qualifiées il n’y a pas si longtemps de «primitives», sont en train de perdre leur identité sous la pression d’un Occident néolibéral qui série, catalogue et dicte la norme. Elles sont en danger du fait d’une disparition rapide d’un capital symbolique au profit d’une macdonalisation de la culture. Nous allons examiner comment l’Occident veut à travers le libéralisme sauvage imposer une vision du monde qui fragilise les sociétés et les laisse en proie à l’errance. Margareth Thatcher avait l’habitude de dire qu’elle ne connaissait pas de citoyens, elle ne connaissait que des consommateurs.


Fethi Gherbi tente de nous expliquer les fondements du néolibéralisme, écoutons-le: C’est dans l’histoire contemporaine des États-Unis, berceau du néolibéralisme, qu’il faut chercher les origines de cette idéologie. (...) Après le démantèlement de l’empire soviétique, le dernier des empires européens, il s’attelle fiévreusement à mettre la main sur le reste du globe ou si l’on préfère, à imposer sa globalisation. (...) Comme le soulignent Laurent Bonelli et Willy Pelletier, on est face à un «État manager», un État de plus en plus réduit dans sa surface mais de plus en plus renforcé dans ses structures de commandement. L’État Providence est mort de sa belle mort. Tous les acquis que les travailleurs ont arrachés aux démocraties libérales grâce à leur lutte et à la pression qu’exerçait le camp socialiste sur le «monde libre», se réduisent comme une peau de chagrin. (...) Empires disloqués, nations éclatées, voilà l’orientation que le néolibéralisme veut imposer au sens de l’histoire. Le capital a horreur des frontières comme il a horreur des solidarités. Lorsqu’on parle de la mondialisation il faut entendre par là une mondialisation de la fragmentation.(...) Le précariat affecte actuellement plus de 40% des salariés des secteurs public et privé....)(1)


«Le monde économique, s’interroge Pierre Bourdieu, est-il vraiment, comme le veut le discours dominant, un ordre pur et parfait, déroulant implacablement la logique de ses conséquences prévisibles, et prompt à réprimer tous les manquements par les sanctions qu’il inflige, soit de manière automatique, soit - plus exceptionnellement - par l’intermédiaire de ses bras armés, le FMI ou l’Ocde, et des politiques qu’ils imposent: baisse du coût de la main-d’oeuvre, réduction des dépenses publiques et flexibilisation du travail? Le mouvement, rendu possible par la politique de déréglementation financière, vise à mettre en question toutes les structures collectives capables de faire obstacle à la logique du marché pur: nation, dont la marge de manoeuvre ne cesse de décroître; groupes de travail, avec, par exemple, l’individualisation des salaires et des carrières en fonction des compétences individuelles et l’atomisation des travailleurs qui en résulte. (...) Ainsi s’instaurent le règne absolu de la flexibilité, avec les recrutements sous contrats à durée déterminée ou les intérims et les "plans sociaux" à répétition, et, au sein même de l’entreprise, la concurrence entre filiales autonomes, entre équipes contraintes à la polyvalence et, enfin, entre individus, à travers l’individualisation de la relation salariale.»(2).

 

Ce texte écrit il y a plus de douze ans n’a pas pris un pli, il est plus que jamais d’actualité. Mieux, il s’applique sans peine aux pays du Sud et l’on constate que les rares acquis des travailleurs disparaissent inexorablement au nom du marché, de la mise à niveau des normes Iso et d’une mondialisation que l’on nous présente comme inéluctable «Lamafara minha». On ne peut pas y échapper. Le but étant d’arriver à une armée de réserve de main-d’oeuvre docilisée par la précarisation et par la menace permanente du chômage. Cela amène à des situations de détresse extrême qui donne lieu à un stress irréversible qui peut amener à l’autodestruction, il n’est que de se souvenir du feuilleton des suicides de France Télécom. Pour Pierre Bourdieu, le libéralisme est à voir comme un programme de «destruction des structures collectives» et de promotion d’un nouvel ordre fondé sur le culte de «l’individu seul mais libre». Le néolibéralisme vise à la ruine des instances collectives construites de longue date par exemple, les syndicats, les formes politiques, mais aussi et surtout la culture en ce qu’elle a de plus structurant et de ce que nous pensions être pérennes.(3)

Une nouvelle religion


De plus, nous vivons une époque où le plaisir est devenu une priorité, où les carrières autrefois toutes tracées se brisent sur l’écueil de la précarité, la vie à deux ressemble de plus en plus à un CDD amoureux. Par ailleurs, on peut citer comme autre perturbation inédite, le développement de l’individualisme, la diminution du rôle de l’Etat, la prééminence progressive de la marchandise sur toute autre considération, le règne de l’argent, la transformation de la culture en modes successives, la massification des modes de vie allant de pair avec l’individualisation et l’exhibition des paraître, l’importante place prise par des technologies très puissantes et souvent incontrôlées, comme l’Internet et ses dérivés l’allongement de la durée de vie et la demande insatiable de grande santé, la désinstitutionnalisation sont en définitive, autant d’éléments qui contribuent à l’errance de l’individu -sujet qui devient, de ce fait, une proie et partant une victime du néolibéralisme. Dans Le Divin Marché, la révolution culturelle libérale, Dany-Robert Dufour tente de montrer que, bien loin d’être sortis de la religion, nous sommes tombés sous l’emprise d’une nouvelle religion conquérante, le Marché ou le money-théïsme. Il tente de rendre explicites les dix commandements implicites de cette nouvelle religion, beaucoup moins interdictrice qu’incitatrice - ce qui produit de puissants effets de désymbolisation, comme l’atteste le troisième commandement: «Ne pensez pas, dépensez!». Nous vivons dans un univers qui a fait de l’égoïsme, de l’intérêt personnel, du self-love, son principe premier. Destructeur de l’être-ensemble et de l’être-soi, il nous conduit à vivre dans une Cité perverse. Pornographie, égotisme, contestation de toute loi, acceptation du darwinisme social, instrumentalisation de l’autre: notre monde est devenu sadien. Il célèbre désormais l’alliance d’Adam Smith et du marquis de Sade.


À l’ancien ordre moral qui commandait à chacun de réprimer ses pulsions et ses désirs, Dufour tente de montrer que s’est substitué un nouvel ordre incitant à les exhiber, quelles qu’en soient les conséquences. Il analyse le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui comme le résultat du renversement de la métaphysique occidentale qui s’est effectué en un siècle entre la philosophie «puritaine» de Pascal et la philosophie «pu(ri)taine» de Sade.(4) Dans la société occidentale actuelle. La résistance à ce délitement moral symbolisé entre autres par la burqa, est combattue par le pouvoir lui-même au nom d’autres impératifs moraux. «Les formes de la destitution subjective qui envahissent nos sociétés se révèlent par de multiples symptômes: l’apparition de défaillances psychiques, l’éclosion d’un malaise dans la culture, la multiplication des actes de violence et l’émergence de formes d’exploitation à grande échelle. Tous ces éléments sont vecteurs de nouvelles formes d’aliénation et d’inégalité. (...) La fameuse "perte de repères chez les jeunes" n’a alors rien d’étonnant: ceux-ci expérimentent une nouvelle condition subjective dont personne, et sûrement pas les responsables de leur éducation, ne possède les clés. Et il est illusoire de croire que quelques leçons de morale à l’ancienne pourraient suffire à enrayer les dommages. (...) En ce sens, l’état apparent de liberté promu par le néolibéralisme est un leurre. La liberté comme telle n’existe pas: il existe seulement des libérations (...) La condition subjective issue de la modernité est menacée. Pouvons-nous laisser l’espace critique, si difficilement construit au cours des siècles précédents, se volatiliser en une ou deux générations?»(4)
Mieux encore, le néolibéralisme fait de l’homme «bionique» un jeu de mécano et de pièces détachées. «Un nouvel "homme nouveau" écrit Dany Robert Dufour, voilà ce que le marché est en train de fabriquer sous nos yeux. En détruisant toute forme de loi qui représenterait une contrainte sur la marchandise, la dérégulation néolibérale provoque des effets dans tous les domaines.(...) Dépressions, troubles de l’identité, suicides et perversions se multiplient. Au point que le marché ne veut plus de l’être humain tel qu’il est. A l’aide du clonage et de l’ingénierie génétique, il exige désormais, carrément la transformation biologique de l’humanité. La démonstration était relativement simple: le marché récuse toute considération (morale, traditionnelle, transcendante, transcendentale, culturelle, environnementale...) qui pourrait faire entrave à la libre circulation de la marchandise dans le monde. C’est pourquoi le nouveau capitalisme cherche à démanteler toute valeur symbolique au profit de la seule valeur monétaire neutre de la marchandise. Puisqu’il n’y a plus qu’un ensemble de produits qui s’échangent à leur stricte valeur marchande, les hommes doivent se débarrasser de toutes ces surcharges culturelles et symboliques qui garantissaient naguère leurs échanges. On peut voir un bon exemple de cette désymbolisation produite par l’extension du règne de la marchandise en examinant les billets de banque établis en euros. On remarquera que ces billets ont perdu les effigies des grandes figures de la culture qui, de Pasteur à Pascal et de Descartes à Delacroix, indexaient, hier encore, les échanges monétaires sur les valeurs culturelles patrimoniales des Etats-nations. Il n’y a plus sur les euros que des ponts et des portes ou des fenêtres, exaltant une fluidité déculturée. (...) Cette désymbolisation du monde intervient à un moment décisif dans l’aventure humaine: c’est la première fois dans l’histoire du vivant qu’une créature en arrive à lire l’écriture dont elle est l’expression. (...) Nous entrerons dans une cruauté inconnue consistant à vouloir modifier ce corps humain vieux de cent mille ans pour tenter d’en bricoler un autre.»(5)
«La valeur symbolique, écrit le philosophe Dany-Robert Dufour, est ainsi démantelée au profit de la simple et neutre valeur monétaire de la marchandise de sorte que plus rien d’autre, aucune autre considération (morale, traditionnelle, transcendante...), ne puisse faire entrave à sa libre circulation. Sous les coups de boutoir de la post-modernité, la civilisation telle que nous l’avons connue risque de disparaître rapidement. On ne devrait cependant jamais oublier que des civilisations millénaires peuvent s’éteindre en quelques lustres. Le néolibéralisme est en train de se défaire de toutes les formes d’échanges qui subsistaient par référence à un garant absolu ou métasocial des échanges. Pouvons-nous laisser l’espace critique, si difficilement construit au cours des siècles précédents, se volatiliser en une ou deux générations?»(6) Dany Robert Dufour pense que le formatage de l’individu sujet consommateur sous influence, commence très tôt: «Déjà écrit-il, la télévision généralise dès l’enfance la confusion entre le réel et l’imaginaire, le moi et l’autre, la présence et l’absence. Le néolibéralisme ne vise pas seulement la destruction des instances collectives construites de longue date (famille, syndicats, partis, et plus généralement culture), mais aussi celle de la forme individu-sujet apparue au cours de la longue période moderne. Le laminage des enfants par la télévision commence très tôt. Ceux qui arrivent aujourd’hui à l’école sont souvent gavés de petit écran dès leur plus jeune âge. (...) Tout d’abord, avec la télévision, c’est la famille, comme lieu de transmission générationnelle et culturelle, qui se trouve réduite à la portion congrue. (..) Les institutions scolaires, université incluse, accueillent donc des populations flottantes, dont le rapport au savoir est devenu une préoccupation très accessoire. Un type nouveau d’institution molle, dont la post-modernité a le secret, à mi-chemin entre maison des jeunes et de la culture, hôpital de jour et sillage social, assimilable à des sortes de parcs d’attraction scolaire, est en train de se mettre en place. (...) La fabrique d’un individu soustrait à la fonction critique et susceptible d’une identité flottante ne doit donc rien au hasard: elle est parfaitement prise en charge par la télévision et l’école actuelles. Le rêve du capitalisme n’est pas seulement de repousser le territoire de la marchandise aux limites du monde où tout serait marchandisable (droits sur l’eau, le génome, les espèces vivantes, achat et vente d’enfants, d’organes...), mais aussi de faire rentrer les vieilles affaires privées, laissées jusqu’alors à la disposition de chacun dans le cadre de la marchandise. Plus rien alors ne pourra endiguer un capitalisme total où tout, sans exception, fera partie de l’univers marchand: la nature, le vivant et l’imaginaire.»(7)

La Voie


D’où viendrait le salut? Edgard Morin avec sa lucidité coutumière écrit: «Il ne s’agit pas de concevoir un "modèle de société" voire, de chercher quelque oxygène dans l’idée d’utopie. Il nous faut élaborer une Voie, qui ne pourra se former que de la confluence de multiples voies réformatrices, et qui amènerait la décomposition de la course folle et suicidaire qui nous conduit aux abîmes. La voie nouvelle conduirait à une métamorphose de l’humanité: l’accession à une société-monde de type absolument nouveau. Elle permettrait d’associer la progressivité du réformisme et la radicalité de la révolution. (...) Il serait également utile de multiplier les universités populaires qui offriraient aux citoyens initiation aux sciences politiques, sociologiques, économiques. Il faudrait également adopter et adapter une sorte de conception néoconfucéenne, dans les carrières d’administration publique et les professions comportant une mission civique (enseignants, médecins), c’est-à-dire promouvoir un mode de recrutement tenant compte des valeurs morales du candidat, de ses aptitudes à la "bienveillance" (attention à autrui), à la compassion, de son dévouement au bien public, de son souci de justice et d’équité. La résistance à tout ce qui dégrade l’homme par l’homme, aux asservissements, aux mépris, aux humiliations, se nourrit de l’aspiration, non pas au meilleur des mondes, mais à un monde meilleur. Cette aspiration, qui n’a cessé de naître et renaître au cours de l’histoire humaine, renaîtra encore.»

(*) Ecole nationale polytechnique
(*) enp-edu.dz


1.Fethi Gharbi: L’émiettement de l’humain Site Bellaciao 20 mai 2010
2. Pierre Bourdieu: L’essence du néolibéralisme. Le Monde Diplomatique Mars 1998
3.Chems Eddine Chitour: L’Occident et la désymbolisation du monde 23/12/2006
4.Dany-Robert Dufour: Les désarrois de l’individu-sujet. Le Monde Diplomatique 02 2001
5.Dany-Robert Dufour: L’homme modifié par le libéralisme. Le Monde Diplomatique 04 2005
6.Dany Robert Dufour: L’Art de réduire les têtes, Editions Denoël, Paris. 2003.
7.Dany-Robert Dufour: La fabrique de l’enfant «post-moderne». Le Monde Diplom 11.20.01
8.Edgard Morin: Ce que serait ´´ma´´ gauche. Le Monde. 22.05.10

Pr Chems Eddine CHITOUR (*)

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