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Réseau des Démocrates

Le Caire navigue dans l'incertitude

 

reportage 20 Commentaires (20)Partager 30 Janvier 2011

Par Thomas Cantaloube

 

Est-ce à cela que ressemble la révolution? En ce dimanche 30 janvier après-midi, les rues du Caire sont désespérément vides. C'est normalement le début de la semaine dans la capitale égyptienne, mais tous les magasins sont fermés, et le trafic, normalement frénétique, réduit à quelques voitures au compte-gouttes. Des commerçants du centre-ville badigeonnent à la hâte leur vitrine de peinture blanche, dans l'espoir de masquer le contenu de leur boutique à d'éventuels pillards. D'autres scotchent des cartons dans le même but un peu dérisoire.

 Rue-du-Caire.jpg

Les rues du Caire, dimanche© TC/Mediapart

 

À une poignée d'intersections, des hommes font semblant de réguler le trafic de quelques véhicules occasionnels. À l'entrée de certaines ruelles, d'autres sont assis avec des bâtons entre les jambes, là encore dans le but de protéger leur quartier des voleurs. Mais y en a-t-il vraiment? Dans le centre du Caire, où se sont déroulées le plus gros des manifestations de ces derniers jours, il n'y a guère que quelques véhicules de police calcinés pour témoigner de la violence des affrontements. Sinon, pas de vitres brisées, pas de voitures endommagées, pas de bâtiments brûlés, à l'exception du siège du Parti National Démocratique, le parti omnipotent du président Hosni Moubarak, qui continue encore de fumer près de 48 heures après son incendie.

Il faut aller sur la grande place Tahrir pour découvrir de l'animation. Là, à l'approche du couvre-feu, plusieurs milliers de manifestants se sont rassemblés pour le sixième jour consécutif. À un bout de l'esplanade, un groupe stationne en face des tanks rutilants de l'armée et discute avec les soldats, à l'autre bout un autre groupe scande des slogans appelant au départ de Moubarak. Entre les deux, un va et vient constant. Beaucoup brandissent des pancartes rédigées à la main, quelques-uns, plus rares, ont imprimés un message sur une feuille au format A4. Une jeune homme, solitaire, perché sur un muret, tient un bout de papier avec un seul mot écrit dessus : «Pars». Beaucoup brandissent un drapeau égyptien ou se sont drapés dedans. Comme en Tunisie, la révolte s'approprie les symboles nationaux, manière de dire que les gouvernants qui les utilisaient jusqu'ici à tort et à travers n'en sont plus dignes.

Malgré le couvre-feu, des téméraires toujours en place

Il y a de tout parmi les manifestants: des jeunes en vêtement sportswear avec des cheveux gominés, des adultes en costume qui ne dépareilleraient pas à la City de Londres, des hommes d'âge mur qui discutent entre eux, d'autres en habits traditionnels portant la barbe, des jeunes filles voilées, des femmes plus âgées... Tout le monde erre sans but, conscient qu'être là sert un objectif, celui de mettre la pression sur les institutions pour forcer un départ de Moubarak, mais sans vraiment savoir comment.

 

Sur le coup de 16 heures, au moment où débute le couvre-feu, il y a encore des milliers de gens rassemblés, et tous clament n'avoir aucune intention de partir. Un jeune homme a bien résumé la situation sur sa pancarte en anglais: «Moubarak, tu dégages, je rentre à la maison. Fin de l'histoire.»

Des jets de l'armée de l'air font plusieurs passages à basse altitude, dans un vacarme assourdissant. Cela ne rime pas à grand chose, sauf à rappeler aux protestataires qu'ils bravent le couvre-feu. Quelques minutes plus tard, c'est un hélicoptère qui vole au dessus de la foule, à une trentaine de mètres du sol. Les gens lui font signe de se poser, comme une moquerie.

À un moment, une clameur monte, des applaudissements fusent, les gens s'embrassent. «Moubarak est parti, Moubarak est parti!», crient des manifestants avec le téléphone portable vissé à l'oreille. Quelques personnes, généralement plus âgées, haussent les sourcils avec scepticisme. Cinq minutes plus tard, tout le monde semble avoir oublié cette information, qui aurait été capitale si elle avait aussi été vraie. L'essentiel semble se passer ailleurs.

Dans les coulisses, entre les chancelleries. L'ancien patron de l'AIEA, Mohamed el-Baradei, a apparemment été mandaté par cinq groupes d'oppositions, dont les Frères Musulmans, pour négocier un gouvernement de salut national. Peu de gens ont l'air au courant. Par contre, beaucoup blâment les Etats-Unis pour ce qui est perçu comme un soutien à Moubarak. «Tout cela aurait pu être terminé dès vendredi», suggère Mohamed Labana, un gérant d'hôtel. «Mais les Américains ont choisi de défendre Moubarak. Ils veulent maintenir l'Egypte sous l'eau.» Un autre homme intervient dans la conversation: «Les Etats-Unis ont peur pour Israël et ils ont peur des Frères Musulmans. Mais on n'a aucun problème avec Israël, nous avons un traité de paix avec eux, et nous n'allons pas revenir dessus. Quant aux Frères Musulmans, ils ne représentent même pas 1% de la population. Ce sont des fausses excuses pour protéger le pouvoir en place.»

 

 

 le-Caire--place-Tahrir.jpg

Dimanche, au caire© TC/Mediapart

 

Mais le principal problème des manifestants reste l'inconnu dans lequel ils naviguent. Les réseaux de téléphone portables ont été rétablis, mais pas internet qui demeure coupé intégralement dans tout le pays. La chaîne Al-Jazira, principale source d'information indépendante est désormais interdite de diffusion. Des barrages militaires ont aussi été installés sur de nombreuses artères menant au Caire, empêchant les habitants des banlieues de converger sur le centre pour venir grossir le rassemblement de la place Tahrir. Des rumeurs ne cessent de courir sur des bandes de pillards dans les quartiers aisés ou dans d'autres villes. La télévision nationale passe et repasse en boucle des images d'arrestation de deux groupes de jeunes : l'un avec des vêtements de sport volés, l'autre avec des armes de type machettes. Le but semble être clairement de faire peur aux citoyens. Un responsable d'un ONG égyptienne estime que Moubarak pourrait tenter de semer le chaos dans le pays grâce à des milices dévouées, afin de faire revenir la majorité de la population dans les bras du pouvoir. La police a en effet complètement déserté les rues du Caire depuis vendredi, laissant l'armée, en petit nombre, gérer la situation.

 

Ce qui ressemblait vendredi à une révolution a pris un tour curieux. Au Caire, ce n'est plus vraiment la rue qui semble dicter l'agenda, mais plutôt les tractations dans les couloirs. D'ailleurs, en soirée, alors que l'heure du couvre-feu était déjà bien dépassée, Mohamed el-Baradei s'est rendu place Tahrir pour galvaniser les manifestants. Il leur a promis des changements dans les prochains jours et que ce qui avait été entamé ne pourrait plus être défait. Mais il leur a aussi demandé de la patience, sous-entendant que le processus est désormais politique. Tout le monde semble convaincu que les jours de Moubarak à la tête de l'Egypte sont désormais comptés, mais personne ne sait comment se dessine sa succession.

 

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