Avec le changement de ministre, le discours officiel sur l’éducation nationale peut trouver une opportunité pour se renouveler. Mais on peut
difficilement espérer davantage dans les limites de l’actuel système politique. Ce qui n’est pas sans liens avec la manière dont le débat sur l’école a constamment été parasité. La
question du statut des langues, la lutte idéologique pour le pouvoir et les impasses du système se répercutant de plein fouet sur l’école. De réformes dénoncées en réformes projetées puis
en réformes contrariées, le problème de l’aptitude à réformer s’est avéré, là comme ailleurs, être celui de tout le système. Un système qui, là encore, s’est suffit de biaiser, gaspillant
temps et ressources, transformant les carences en handicaps structurels et aggravant les fractures.
Le débat sur les dysfonctionnements de l’école publique algérienne a baissé en intensité le jour où le pouvoir a cédé aux critiques, en acceptant de reconnaître l’existence
d’un secteur d’enseignement privé. Les parents d’élèves, qui en avaient les moyens financiers, se sont jetés sur l’offre privée pour y trouver, sinon leur bonheur, du moins un palliatif.
La voix des autres s’est retrouvée d’une part, affaiblie, et d’autre part, noyée dans le brouhaha des revendications salariales, du mécontentement des élèves (et de leurs parents parfois)
réclamant la réduction des programmes et des sujets d’examens sur mesures, et si nul n’a revendiqué un taux précis de réussite aux examens, le ministre s’est empressé de le garantir. Tout
ce que l’on pourrait dire sur l’école algérienne reste cependant tributaire de la capacité à procéder à son évaluation. Or, c’est à ce niveau que la résistance du système se fait la plus
dure. Le cinquantenaire de l’indépendance nationale aurait pu être une opportunité pour faire un bilan, ouvrir un débat sur ce que pourrait être une école algérienne rénovée. Les pouvoirs
publics ne l’ont pas fait. D’abord, parce qu’il ya longtemps que dans pouvoirs-publics les dirigeants ne retiennent que le « pouvoir » et dans des limites draconiennes: Pouvoir de
désignation, pouvoir de révocation, pouvoir d’affectation des ressources. Restent hors compétences tous les autres pouvoirs qui riment avec organisation, innovation, concertation,
évaluation, négociation, interactions et qui nécessitent une ouverture sur la société.
Côté société, une partie ne veut plus entendre parler « public ». Comme s’il pouvait exister un système privé autarcique. Comme si l’école n’était pas le sujet autour duquel une société
se définit elle-même, se trace des objectifs et signifie dans quel type d’avenir elle se projette.
Une autre partie de la société, n’ayant ni les relais nécessaires ni les moyens de se rendre visible, se replie sur elle-même, prend l’école comme elle la trouve, et mise tout sur
l’acharnement de ses enfants et sur « les cours particuliers », tandis qu’une troisième abandonne précocement les études.
L’école algérienne, symbole majeur des promesses de l’Indépendance nationale, a formé des centaines de milliers de bacheliers de niveau international
avant d’entrer en crise, reproduisant les contours de la crise-mère nationale dans toutes ses dimensions.
Pourtant, les algériens qui ont supporté leur exclusion du champ politique, ne sont pas tous prêts à accepter que leurs enfants soient dépouillés du droit à une véritable scolarité. Même
avec des revenus modestes, ils se saignent pour offrir à leur progéniture les chances d’une vie meilleure. Ce qui, malgré la bruyante apparition du phénomène de l’argent facile, continue
de signifier pour des millions d’algériens, une bonne éducation.
Mais, visiblement, une société à plusieurs vitesses s’est installée. Certains estimant qu’ils n’ont plus besoin de l’état, ou en tous cas qu’ils n’ont plus rien à en attendre se donnent
les moyens de s’en passer. D’autres, livrés à eux-mêmes dans l’indifférence générale, considèrent que l’état les a oubliés. Comment penser autrement quand l’école est loin, que le
transport n’est ni sûr ni assuré, qu’il n’ya pas de cantine, que les enfants sont mis à la rue entre les heures de cours ou en cas d’absence des professeurs. Quand les classes sont
surchargées, que la violence se propage au sein des établissements, que les châtiments corporels sont monnaie courante et qu’un personnel débordé, pas toujours qualifié, n’ayant plus,
lui-même, qu’une piètre opinion de sa fonction, vit sa condition comme une punition. Entre les deux, une troisième catégorie arrive à allier secteur public et performances en s’appuyant
sur le dynamisme des équipes pédagogiques, l’implication vigoureuse des parents et un dialogue permanent avec la tutelle.
Comment dès lors parler d’UNE école algérienne quand les conditions de vie et d’études des algériens ont tellement changé ? Se sont tellement différenciées. Quand leur pouvoir de
négociation est aussi inégal ? Ceux qui n’ont, dans le meilleur des cas, que la possibilité de couper la route, sont-ils réellement les égaux de ceux qui s’organisent pour harceler
l’administration ou de ceux qui ont les moyens de mener des campagnes de presse, de faire du lobbying pour obtenir de multiples avantages et de payer cash si nécessaire ? La mesure est
comble quand seuls ces derniers sont invités à faire connaître leur point de vue. La tentation est grande alors de faire coïncider école de qualité avec rareté et gratuité avec
médiocrité.
Un débat sur l’école doit porter sur les missions à assigner au secteur de l’éducation en tenant compte des attentes de la société, de l’avis des experts,
des divers personnels du secteur, des syndicats, des associations de parents d’élèves, des ressources disponibles et des limites de chacun. Autant dire qu’il s’agît d’un débat politique.
Et le système est férocement anti- politique.