Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Espace conçu pour les Démocrates de tous bords.

Réseau des Démocrates

FUKUSHIMA (50) SAYONARA GENPATSU AU REVOIR LE NUCLEAIRE

20.03.2012

 

« Je regardais le ciel quand je vis un nuage transparent, très particulier - une lourdeur le lestait. » Ultérieurement, l’écrivain Kenzaburô Ôé a su que le nuage en question « avait charrié une grande quantité de matières radioactives » et il dit aujourd’hui que « c’est précisément sur le mouvement, la texture de ce nuage » qu’il veut écrire.


Invité du Salon du livre (qui a fermé ses portes lundi), le prix Nobel de littérature 1994 y a raconté dimanche (1) avoir abandonné le livre sur lequel il travaillait depuis huit ans (au grand dam de son éditeur !). Car « Fukushima m’a confronté à la catastrophe générale ». Depuis le 3/11, il a décidé que son « œuvre porterait sur ce que je vois, sur ce que je découvre et sur l’époque. C’est ce que m’a imposé Fukushima ».

Sous l’égide du Centre national du livre (CNL (1)), il avait été invité à dialoguer sur la question de « La littérature de la catastrophe » avec le journaliste Satoshi Kamata (2), connu pour son engagement dans les luttes sociales. Tous deux se retrouvant aujourd’hui à jouer les fers de lance du mouvement antinucléaire Sayonara Genpatsu (Au revoir le nucléaire).

A la question « que peut faire l’écrivain ? » (après la catastrophe (3)), K. Ôé répond sans détour : « Il peut faire pression et contribuer à faire arrêter les centrales. Ou empêcher leur redémarrage ». Dans l’assistance à la porte de Versailles, nombreux sont les Japonais qui ont applaudi et dit « merci » !

Dans une conférence antérieure, Satoshi Kamata, arborant petit chapeau et humble posture, avait rappelé d’une voix suave qu’il était en train de faire campagne pour réunir « 10 millions de signatures » s’opposant au nucléaire. Pour l’instant, il serait « à la moitié du chemin », en ayant collecté 5 millions. Et il est bien décidé à poursuivre, animé – comme il l’a exprimé à plusieurs reprises, par un « fort sentiment de culpabilité », dû à ce qu’il juge une trop faible mobilisation dans son pays : « C’est le Japon qui est à l’origine de cette catastrophe. Cette réalité m’a fait ressentir une grande honte ». D’où son appel à « l’engagement. Il faut s’indigner ! »

Chacun à sa manière, Kenzaburô Ôé et Satoshi Kamata ont donné la vision si particulière qu’ils avaient de la situation actuelle. Au premier, auteur des célèbres « Notes de Hiroshima » publiées en 1965, il avait semblé que la question du nucléaire – la bombe atomique – « allait devenir de l’histoire ». Or, un mois après le début de la catastrophe de Fukushima, un médecin est venu le voir, raconte-t-il, et lui a dit qu’il s’était trompé lorsqu’il avait écrit il y a plus de quarante ans sur Hiroshima. Ce médecin, avec qui il continue de travailler, lui a fait comprendre que les individus n’avaient pas seulement été « irradiés de l’extérieur », que le drame « n’était pas du tout fini ». Il y avait aussi l’irradiation de l’intérieur (contamination) et « la même chose était en train de se produire à Fukushima. Dans quarante ans, les enfants seront malades ». Autrement dit « ce n’est pas la fin de l’histoire, elle continue », s’étonne douloureusement Ôé.

Quant à Kamata, il fait une comparaison étonnante. La période actuelle lui fait penser à celle « entre les deux bombes » (Hiroshima le 6 août 1945 et Nagasaki le 9 août). Et de rappeler que « le gouvernement japonais n’a rien fait pour que la deuxième bombe ne soit pas lancée. Il n’a pas ordonné la reddition. Ce qui comptait alors, c’était la préservation du système impérial ». Selon lui, ce qui compte aujourd’hui pour le gouvernement, « c’est la préservation du « système nucléaire » et des intérêts des opérateurs ». Du coup, ce qui obsède Kamata, c’est la survenue de la prochaine catastrophe au Japon : « Nous devons soulever la problématique de la prévention d’une deuxième catastrophe nucléaire », insiste-t-il.

Pour mettre concrètement leurs idées à exécution (et réunir les fameuses signatures), il annonce ainsi deux rassemblements à Tokyo : samedi 24 mars, pour « maintenir l’archipel sans nucléaire ». Et aussi le 16 juillet, avec l’objectif de réunir au moins 100 000 personnes afin d’infléchir, si nécessaire, la politique énergétique du gouvernement japonais qui devrait être publiée cet été.

« C’est un miracle que Kenzaburô Ôé, prix Nobel » s’implique, insiste Satoshi Kamata. Ce dernier, 77 ans, se révèle de plus en plus en verve, les yeux perçants derrière ses lunettes rondes. Il cite Milan Kundera qui prône pour l’écrivain la « morale de l’essentiel » (4). Et ajoute que, pour lui, aujourd’hui « il y a une seule question. C’est de savoir ce qu’il faut faire pour ne pas empêcher les futures générations de vivre. De vivre humainement ».

Curieux, à l'occasion d'un pareil débat, nous n'avons aperçu aucun écrivain français connu dans l'assistance.

 

1)  http://www.centrenationaldulivre.fr/?Kenzaburo-OE Un enregistrement du débat, animé par Antoine de Gaudemar, devrait être mis en ligne sur ce site.

2)   Auteur de Toyota : l’usine du désespoir, préface de Paul Jobin, Démopolis, 2008. Il a écrit près de 120 ouvrages sur les victimes de la pollution, les bases américaines à Okinawa, l’exploitation des ouvriers…

3)   En résonance avec la phrase de Theodor Adorno (écrire un poème après Auschwitz est barbare…)

4)   Dans son livre Le rideau, Gallimard, 2005

 

22:03 Lien permanent | Commentaires (6) | Envoyer cette note | Tags : fukushima, kenzaburo oe, satoshi kamata, radioactivité, japon, salon du livre, hiroshima, nagasaki, genpatsu | |  Facebook

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article