Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Espace conçu pour les Démocrates de tous bords.

Réseau des Démocrates

"Etude sur la Grèce et la sortie de la zone euro."

 

 
Chronique du 26 mai
samedi 26 mai 2012
Auteur : par Jacques Nikonoff

La présente étude montre que la Grèce, inéluctablement, sortira de l’euro avant la fin de l’année 2012. L’humiliation subie par le peuple grec, cette honte pour l’Union européenne et les pays qui la composent doivent cesser. La Grèce, comme les autres pays, n’a aucun avenir en restant dans la zone euro et dans l’Union européenne.

Augmenter police Diminuer police impression envoyer l'article par mail
 
Accueil du site > Analyses et propositions > Europe > Textes d’origines diverses > Chronique du 26 mai "Etude sur la Grèce et la (...)
 
  Sommaire  
 ÉTUDE SUR LA GRÈCE ET LA SORTIE DE LA ZONE EURO

Le peuple grec aide tous les autres peuples à abattre la tyrannie monétaire de l’euro

Par Jacques Nikonoff

Porte-parole du Mouvement politique d’éducation populaire (M’PEP), professeur associé à l’Institut d’études européennes de l’université Paris 8, auteur de « Sortons de l’euro ! Restituer au peuple la souveraineté monétaire », Mille et une nuits, 2011. Ex- président d’Attac, Jacques Nikonoff est ancien élève de l’école nationale d’administration (ENA), il a été Attaché financier à New York.

Le 26 mai 2012.

 Résumé introductif

La présente étude montre que la Grèce, inéluctablement, sortira de l’euro avant la fin de l’année 2012. L’humiliation subie par le peuple grec, cette honte pour l’Union européenne et les pays qui la composent doivent cesser. La Grèce, comme les autres pays, n’a aucun avenir en restant dans la zone euro et dans l’Union européenne.

Les résultats des élections législatives du 6 mai 2012 en Grèce n’ont fait qu’accélérer un processus dont l’issue est déjà déterminée. Quel que soit le rapport des forces qui sortira des nouvelles élections convoquées le 17 juin 2012, la Grèce n’aura toujours pas les moyens de rembourser sa dette. Elle se trouvera, tôt ou tard, dans l’obligation de sortir de la zone euro. Si les Grecs se donnent une nouvelle fois à leurs bourreaux - le PASOK et Nouvelle Démocratie -, ces derniers appliqueront le « mémorandum » qui prévoit la poursuite d’une politique d’austérité effarante dont on connait le résultat : écrasement de la croissance économique, diminution des recettes fiscales, montée du chômage, délitement de la société et impossibilité de rembourser la dette. À un moment ou à un autre, même ceux qui ont mené la Grèce au précipice seront tenus de sortir leur pays de l’ornière en revenant à la monnaie nationale. Si une coalition de gauche dirigée par SYRISA l’emporte, et que celle-ci reste ferme sur son objectif de rejeter le « mémorandum », la Grèce ne pourra plus rester dans la zone euro. L’arrêt des « aides » de l’Union européenne et du FMI pourra être décidée, au motif que la Grèce ne « respecte pas ses engagements ». Il serait naïf de croire que l’absence de clauses dans les traités européens autorisant l’expulsion d’un pays de la zone euro sera un obstacle. Une situation exceptionnelle peut être invoquée pour, d’une manière ou d’une autre, contraindre la Grèce à décider de quitter la zone euro même si elle ne le souhaite pas.

Les classes dirigeantes européennes sont en train de changer de stratégie vis-à-vis de la Grèce. Jusqu’à présent, les oligarques européens avaient insisté sur le fait que la sortie de la zone euro était impensable, impossible, que la question ne se posait même pas. Maintenant, pour la première fois, ils disent que c’est envisageable, car une sortie de la Grèce de la zone euro poserait moins de problèmes qu’auparavant. Les milieux d’affaires, les banques en particulier, se préparent depuis des mois à l’explosion de la zone euro. Les logiciels informatiques sont prêts à accueillir les nouvelles monnaies nationales. La société britannique De La Rue PLC est prête à imprimer les billets en drachme. L’Union européenne elle-même a élaboré dans le plus grand secret un plan « B » au cas où la Grèce devrait quitter la zone euro. Il n’y a que les partis et syndicats pour continuer à refuser de penser à ce qui va arriver : la sortie de la Grèce de la zone euro. Comme s’il était plus efficace de réagir à chaud et dans l’improvisation, plutôt que de réfléchir à l’avance aux différentes hypothèses qui peuvent se présenter. L’euro, à gauche, reste un tabou.

L’Union européenne apparaît encore plus nettement comme un système tyrannique. Si nous étions vraiment en démocratie, ce qu’ont dit les Grecs par leur vote devrait être entendu et respecté : ils veulent mettre un terme à l’austérité tout en restant dans l’euro et l’Union européenne. C’est pour cette raison qu’ils ont fait exploser leur ancien système politique. Mais pour l’instant, les oligarques européens proposent aux Grecs le tout ou rien : accepter le « mémorandum » signé par l’ancien gouvernement, ou sortir de la zone euro, et peut-être aussi de l’Union européenne.

En procédant de la sorte, les oligarques européens encouragent eux-mêmes la sortie de la Grèce de la zone euro. D’autant que les élections du 17 juin 2012 sont l’objet d’une véritable guerre idéologique. L’establishment, terrorisé par la perspective de la sortie de la Grèce de la zone euro, veut transformer ces élections en un référendum pour ou contre la sortie de la Grèce de la zone euro.

Sur le plan technique, des modalités doivent donc être trouvées pour répondre au sens du vote du 6 mai 2012 : abandonner l’austérité tout en restant dans la zone euro.

À la fin du mois de juillet ou du mois d’août 2012, la Grèce risque de ne plus avoir d’argent en caisse puisque SYRISA, si elle gagne les élections, aura refusé le « mémorandum » (l’exigence de 11,6 milliards d’euros de nouvelles économies sur les dépenses publiques) tout en refusant de sortir de la zone euro. Parallèlement, les revendications de SYRISA ont un coût immédiat : remboursement de la taxe foncière, augmentation des salaires et des retraites... comment les financer ? Seule solution dans le cadre de l’euro : que les 26 autres pays soient d’accord pour que la BCE ou un autre mécanisme particulier porte le stock de la dette publique en le sortant des comptes de la Grèce. Et que les 26 autres pays de l’Union européenne, en plus, acceptent d’imposer à la BCE de prêter sans intérêt ou à taux faible à la Grèce. Tout ceci ne pose strictement aucun problème technique.

Il est peu vraisemblable, pourtant, que les oligarques européens acceptent de mettre un terme à l’austérité en Grèce. Les obstacles politiques paraissent insurmontables et nécessitent que SYRISA et ses partenaires élaborent un plan « B » au cas, le plus probable, d’un refus de l’Union européenne d’accéder à leurs demandes. Ce plan « B » ne peut pas faire autrement que de prévoir la sortie de la zone euro. Il faudrait, pour l’éviter, que la suspension des économies de 11,6 milliards d’euros prévues par le « mémorandum » soit acceptée par les 26 autres pays membres, le FMI et la BCE. Et que des fonds étrangers provenant des mêmes sources affluent pour financer du pouvoir d’achat pour les Grecs. Les oligarques européens, pour accepter un tel revirement de doctrine, peuvent toujours mettre en avant le cas particulier de la situation de la Grèce et expliquer qu’il s’agit d’une exception. Sinon comment pourraient-ils justifier de ne pas appliquer cette nouvelle politique aux pays qui connaissent eux aussi une situation proche de celle de la Grèce, l’Irlande et le Portugal en tout premier lieu, mais aussi l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, la France ?

L’Union européenne ne dispose d’aucun fonds, son budget est minuscule. Tous les fonds provenant de l’Union européenne et du FMI sont gagés par les États membres. Ces derniers devront justifier devant leur opinion publique le fait qu’ils refusent chez eux ce qu’ils font pour les Grecs. Ce n’est pas évident, et on peut raisonnablement penser que sur les 26 autres pays membres de l’UE, tous ne seront pas unanimes pour répondre favorablement à la demande de SYRISA.

On peut se demander si certains milieux des classes dirigeantes européennes n’ont pas, finalement, intérêt à sortir la Grèce de la zone euro en espérant que cela se passe mal pour dissuader les autres pays d’emprunter le même chemin. Ce sera le cas, hélas, si la gauche européenne ne se ressaisi pas et ne pense pas la sortie de la zone euro.

C’est ainsi que les médias offrent en ce moment le plaisir rare et distrayant d’un gigantesque bêtisier à propos des catastrophes que ne manquerait pas de provoquer une sortie de la Grèce de l’euro. Le plus pathétique est qu’un journal comme L’Humanité, qui a joué un rôle si éminent dans les combats contre le traité de Maastricht de 1992 et le traité constitutionnel européen en 2005 en se prononçant nettement contre la monnaie unique, ait changé aussi radicalement d’orientation en participant activement à la campagne de peur actuelle. On lira à ce propos le triste article publié dans L’Humanité du 22 mai 2012, page 9, signé par Clotilde Mathieu.

La Grèce sortira de l’euro. Mais comment : par l’extrême droite, la droite ou la gauche ? L’intérêt pour la Grèce – ou de tout autre pays – est de quitter la zone euro par la gauche. Cette étude démontre en 10 points comment y parvenir en prolongeant la réflexion débutée dans l’ouvrage « Sortons de l’euro ! Restituer au peuple la souveraineté monétaire » (Mille et une nuits) publié en mai 2011. Si la zone euro explose, comme c’est prévisible, il faudra imputer une partie de la responsabilité à l’intransigeance allemande.

Aujourd’hui, les oligarques européens considèrent que renoncer à la rigueur serait perçu comme le plus grand échec de l’histoire de la « construction » européenne. Empêcher la Grèce de sortir de la zone euro a des raisons essentiellement politiques, les mêmes, mais à l’envers, que celles qui avaient conduit à organiser la zone euro : le fédéralisme. Car avec la monnaie unique, ce qui était recherché n’était pas l’efficacité économique mais l’Europe fédérale de fait. Qu’un pays sorte, et c’est tout le projet fédéraliste qui vacille.

La sortie de la Grèce de la zone euro serait ainsi une lourde défaite politique et idéologique pour les classes dirigeantes, d’autant que ce pays représente 2% du PIB de l’UE, c’est-à-dire le PIB des Hauts-de-Seine. L’euro est un fétiche, le symbole de l’ordre eurolibéral déclinant.

Cependant, la gauche européenne rencontre quatre difficultés sur la question de l’euro.

D’abord, l’adversaire n’est pas clairement désigné. L’Union européenne, en tant que système d’aliénation, d’exploitation et de domination n’est jamais mise en cause comme tel. Certes, les marchés financiers sont largement accusés, à juste titre. Mais il n’est jamais dit que les marchés financiers ont été mis en place par les dirigeants politiques occidentaux à l’occasion de la révolution conservatrice néolibérale, et que l’Union européenne n’en est qu’un élément.

Ensuite, les origines de la crise et les moyens de la juguler ne sont pas correctement appréhendés. Les dirigeants des partis de gauche sous-estiment gravement les possibilités techniques qui s’offrent pour résoudre les problèmes. En vérité, beaucoup d’entre eux donnent l’impression de croire qu’il n’y a pas de solution, au-delà des formules rhétoriques qu’ils peuvent utiliser.

Enfin, la plupart des propositions faites par la gauche repose sur leur acceptation par l’Union européenne, rien n’est envisagé en cas de refus. Cette attitude est étrange, car pourquoi refuser d’envisager l’hypothèse – plausible – que les 26 autres pays membres de l’Union européenne, ou un certain nombre d’entre eux, refuseront d’appliquer les mesures proposées par la France ?

En dernier lieu, il existe un véritable blocage de la gauche sur la question de l’euro. La gauche ne veut pas envisager qu’un pays puisse quitter la zone euro, à plus forte raison que la zone euro explose. La gauche reprend même les arguments les plus niais diffusés par les médias pour justifier son inertie.

Un immense chantier d’éducation populaire s’ouvre afin de contribuer à pulvériser le mythe européen et sa monnaie unique.

 Étude complète

Un premier plan de « sauvetage » de la Grèce a été décidé en mai 2010, de 110 milliards d’euros, en contrepartie de mesures draconiennes d’austérité, afin de canaliser le maximum d’argent pour rembourser les créanciers. Deux ans après ce plan, un second plan a été mis au point pour une somme de 130 milliards d’euros, auxquels il faut ajouter l’annulation d’une partie de la dette publique grecque détenue par des créanciers privés pour une centaine de milliards d’euros. Total : 340 milliards d’euros. Tel est le prix, provisoire, pour maintenir artificiellement la Grèce dans la zone euro.

Pourtant, malgré ces flots d’argent, c’est la débâcle. Le PIB grec a baissé de 0,1% en 2008, 3,3% en 2009, 3,5% en 2010, 6,9% en 2011 et probablement de 5% en 2012. Le chômage est passé de 9,8% en octobre 2009 à 21,7% en février 2012, près de 50% pour les jeunes. Les salaires et les pensions ont baissé de 25% en moyenne. Les petits commerces ferment les uns après les autres, des vagues de suicides sont observées, 82 000 emplois publics ont été supprimés. De nombreux enfants sont désormais victimes de malnutrition. Tel est le bilan du « modèle social européen » que l’on avait fait miroiter aux Grecs c’est le système européen qui n’a pas respecté ses promesses envers les Grecs.

Le plus étrange, dans cette obsession de l’austérité, est que depuis la Grande Dépression des années 1930, tous les gens sérieux savent que les politiques d’austérité pour sortir des crises sont inefficaces. Ce sont des politiques du type du New Deal qui fonctionnent, accompagnés aujourd’hui de mesures protectionnistes.

 I.- LES CLASSES DIRIGEANTES EUROPÉENNES SONT EN TRAIN DE CHANGER DE STRATÉGIE VIS-À-VIS DE LA GRÈCE

C’est ce que relève très justement le Wall Street Journal qui fait remarquer que « ces deux dernières années, les responsables politiques de la zone euro ont insisté sur le fait que la sortie de la monnaie unique était impensable. Maintenant ce n’est pas seulement pensable, mais une possibilité réelle » (Wall Street Journal, 16 mai 2012). Leur argument principal est de dire que la sortie de la Grèce de la zone euro ne pose pas aujourd’hui les mêmes risques qu’il y a quelques temps. Par exemple, grâce à l’accord conclu avec la Grèce, les banques européennes sont moins exposées à la dette publique de ce pays. Certes, du coup, c’est la BCE et les banques centrales des pays de la zone euro qui se trouvent exposées puisqu’elles ont racheté une partie importante de ces dettes, mais elles peuvent faire face à un défaut grec.

Les oligarques européens semblent néanmoins divisés sur le maintien ou l’expulsion de la Grèce de la zone euro.

 A.- Les oligarques européens évoquent désormais pour la première fois la possibilité que la Grèce sorte de la zone euro

On trouve d’abord, pour évoquer cette hypothèse, un certain nombre de dirigeants des banques centrales de la zone euro, dont le premier d’entre eux, Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne. Ce dernier, lors d’un colloque à Francfort le 16 mai, a dit que « notre préférence est que la Grèce continue à rester dans la zone euro ». C’était une façon d’admettre, pour la première fois, que la sortie de la Grèce de la zone euro était une question qui désormais se posait. De son côté, le directeur de la banque centrale de Belgique, Luc Coene, a évoqué un « divorce à l’amiable » avec la Grèce (Le Monde, 15 mai 2012). Pour Jens Weidmann, président de la Bundesbank : « il n’y a plus de raison de la soutenir financièrement » (Le Figaro, 14 mai 2012). Quant à Patrick Honohan, gouverneur de la banque centrale d’Irlande : « la Grèce se retrouverait ipso facto hors du bloc monétaire » si elle renonçait à la parole donnée (Le Figaro, 14 mai 2012). Il ajoute que le divorce avec la Grèce ne serait pas « fatal » pour l’union monétaire, et que la sortie de la Grèce de la zone euro peut être techniquement « gérée » (Wall Street Journal, 15 mai 2012).

Qui peut croire qu’un tel tir groupé des hommes en noir du Système européen des banques centrales (SEBC) résulte du hasard ? Il existe bel et bien une stratégie en cours d’élaboration à l’échelle des instances européennes. L’enjeu est de se préparer à la sortie de la Grèce de la zone euro et aux conséquences que cela va entraîner. Des hauts dirigeants du système de Bruxelles alimentent cette idée dans les médias pour créer un climat de peur chez les Grecs afin qu’ils soutiennent les partis favorables au « mémorandum » lors du scrutin du 17 juin 2012.

Pour Jan Kees de Jager, ministre des Finances des Pays-Bas : « le risque de contagion est loin, beaucoup plus petit qu’il y a un an et demi » (Wall Street Journal, 15 mai 2012). C’est une façon de reconnaître que la sortie de la Grèce de l’euro n’est pas un problème aussi insurmontable qu’on pouvait le penser. Même discours chez Olli Rehn, commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires, qui explique que « la zone euro est aujourd’hui en meilleure posture pour encaisser le choc » (Le Figaro, 14 mai 2012). Même chose encore pour Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances pour qui la zone euro « peut supporter une sortie de la Grèce » (Le Figaro, 14 mai 2012).

Il existe toutefois un autre discours chez les oligarques européens, fait de fermeté et d’intransigeance, sur le modèle de madame Merkel pour qui « il est de la plus haute importance que le programme agréé avec la Grèce continue à être appliqué » (Le Monde, 9 mai 2012). Ou encore José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne qui persiste à dire qu’il « vaudrait mieux que la Grèce quitte le club monétaire si elle ne veut pas en respecter la loi » (Le Figaro, 14 mai 2012) ; « la Grèce n’a pas d’autre choix que d’appliquer la rigueur, sinon c’est la faillite  » (Le Figaro, 9 mai 2012). On retrouve cette ligne « dure » chez George Provopoulos, gouverneur de la banque centrale de Grèce : « L’ajustement doit être poursuivi avec détermination. Ce qui est en jeu est le choix entre un douloureux effort de reconstruction de l’économie dans la zone euro, avec le soutien de nos partenaires, ou une régression sociale et économique désordonnée qui projettera le pays plusieurs décennies en arrière, avec la sortie de l’euro et de l’Union européenne » (Wall Street Journal, 24 avril 2012).

C’est Jean-Claude Trichet, l’ancien président de la BCE, qui fait preuve de la plus grande intransigeance. Il a inventé un nouveau concept : « Le fédéralisme d’exception ». Ce dernier lui semble « non seulement nécessaire pour garantir une solide union économique et monétaire, mais il pourrait aussi s’adapter à la véritable nature de l’Europe sur le long terme. Je ne crois pas que nous aurons un grand budget centralisé de l’Union européenne » (Les Échos, 22 mai 2012). Traduction : le système de Bruxelles doit être capable de mettre les États sous tutelle complète de la Commission européenne. le système de la troïka n’était qu’un premier test.

La ligne politique majoritaire est claire : acclimater les esprits à une sortie de la Grèce de la zone euro en minimisant les conséquences que cela pourrait avoir, faire peur aux Grecs et aux autres peuples.

 B.- Les milieux d’affaires se préparent à l’explosion de la zone euro

Depuis plusieurs mois des informations filtraient au compte goutte sur les préparatifs des milieux d’affaires face au risque réel ou supposé d’explosion de la zone euro. Elles n’ont suscité que le silence dans les médias, les gouvernements, les syndicats et les partis politiques. Les patrons se préparaient, mais pas les organisations représentant les salariés qui ‘ont pas pris d’initiatives sur le sujet. Aujourd’hui les digues commencent à craquer, les choses commencent à être mises sur la table.

Pour Hans-Werner Sinn, le président de l’institut allemand de conjoncture économique IFO, « la Grèce ne retrouvera pas de compétitivité en tant que membre de la zone euro et d’autres pays européens en difficulté auront également du mal à baisser les salaires dans les proportions nécessaires […] Je suis personnellement d’avis que la Grèce n’a aucune chance d’être compétitive en restant dans la zone euro » (Reuters, 23 avril 2012).

Pour d’autres raisons, « à la City on se prépare à la possible sortie de la Grèce de la zone euro » (Le Monde, 19 mai 2012). En novembre 2011, la Financial Services Authority (FSA) a demandé aux banques de réfléchir dans le plus grand secret à un plan d’urgence « dans la perspective d’un départ désordonné de certains pays de la zone euro ». Les banques qui participent au marché des changes comme Citigroup, Barclays ou HSBC « ont adapté leurs systèmes informatiques à une possible réintroduction de la drachme  ». Des séminaires sont régulièrement organisés pour les clients en vue « d’explorer ensemble les différents scénarios pour la Grèce, leur coût financier et les canaux de contagion ». De son côté, le président de la Fédération européenne des banques a laissé entendre qu’une sortie de l’euro de la Grèce ne mettrait pas en danger le système bancaire européen (Le Monde, 15 mai 2012).

Pour le géant bancaire américain Citigroup, une sortie de la Grèce de la zone euro serait un « évènement contrôlé pour le reste de l’Europe », selon Hamid Biglaric, vice-président en charge des marchés émergents de Citigroup Inc. Les effets sur Citigroup seraient « faibles, nous avons une exposition négligeable » (Bloomberg, 11 mai 2012). « La probabilité de sortie de la Grèce de la zone euro se situe entre 50% et 75% » selon Richard Cookson, responsable des investissements chez Citi Private Bank (Wall Street Journal, 7 mai 2012), alors que la banque J.P. Morgan donne « 50% de chances » (Wall Street Journal, 8 mai 2012).

Au fil de la lecture de la presse on apprend par exemple que Kuoni (voyageur suisse) discute avec ses partenaires grecs du retour à la drachme ; que pour l’agence de notation Fitch la sortie de la Grèce de la zone euro « ne signifierait pas la fin de la monnaie unique » (Le Figaro, 9 mai 2012), etc.

Bref, les grandes entreprises et les banques sont prêtes à gérer la sortie de la Grèce et d’autres pays de la zone euro.

 C.- La presse liée aux milieux d’affaires relaie les préoccupations des classes dirigeantes européennes

Ces deux dernières années, les grands médias ont organisé un silence absolu – sauf rares exceptions – sur la situation réelle de la zone euro et ses risques d’explosion. Les journalistes « chiens de garde » et les économistes « à gages » ont fait barrage à toute pensée critique qui pouvait remettre en cause le fétiche de la monnaie unique. Des auteurs comme Jacques Cotta, Jean-Luc Gréau, Frédérique Lordon, Jean-Jacques Rosa, Jacques Sapir ont été ignorés quand ce n’est pas traînés dans la boue ou insultés en les comparant aux positions de l’extrême droite. Pour ne prendre que mon cas personnel, mon ouvrage « Sortons de l’euro ! Restituer au peuple la souveraineté monétaire » (Mille et une nuits), publié en mai 2011 et qui, pour la première fois, mettait notamment en débat des modalités précises de sortie de l’euro par la gauche, a été littéralement jeté aux oubliettes par les médias. Seuls 5 médias français ont bien voulu en faire un commentaire ou m’inviter sur un plateau : France 24, France Culture, Le Monde Diplomatique, Radio Africa n° 1, Radio Beur. Le boycott et la censure ont joué à plein, y compris dans des journaux de gauche comme Alternatives Économiques, L’Humanité, Politis qui ont participé à l’interdiction de ce débat. Le même ostracisme a concerné les autres auteurs.

Aujourd’hui les grands médias font un virage à 360°, mais persistent dans leur ostracisme à l’égard de ceux qui ont eu le tort d’avoir raison avant tout le monde. Il n’en reste pas moins que la réalité est la plus forte et que ces médias sont désormais obligés de parler de ce qui maintenant saute aux yeux : l’agonie de la monnaie unique.

Voilà un florilège :

Wall Street Journal, 7 mai 2012 : « Sans assistance, la Grèce manquera de liquidités en quelques semaines, obligeant le pays à réintroduire son ancienne monnaie, la drachme ».

• Wall Street Journal, 8 mai 2012 : « les électeurs grecs veulent rester dans l’euro, mais si l’Europe débranche la prise du financement, la Grèce n’aura pas d’autre choix que de sortir de l’euro ».

• Le Figaro, 9 mai 2012 : « Et si la Grèce rompait avec la monnaie unique ? La question se pose dans les rues d’Athènes comme sur les places boursières ».

• Les Échos, 9 mai 2012 : « Grèce : le risque de sortie de l’euro s’intensifie ».

• Le Figaro, 10 mai 2012 : « la Grèce n’échappera pas à une cure d’austérité drastique si elle souhaite rester dans l’euro ».

• Le Monde, 11 mai 2012 : « le plan de restructuration de la dette grecque qui a permis d’effacer 100 milliards d’euros, semble avoir fait disparaître la menace d’une implosion de tout le système financier européen ». Il ne reste que 70 milliards d’euros de dette grecque aux mains des créanciers privés.

• Les Échos, 15 mai 2012, sur toute la Une, « Grèce : le spectre d’une sortie de l’euro alarme les marchés ». Le chapô précise « L’impasse politique qui se prolonge en Grèce rend de plus en plus crédible le scenario d’une sortie du pays de la zone euro ».

• Le Figaro, 15 mai 2012 en Une : « Et si la Grèce sortait de la zone euro… » ; sous-titre : « Les économistes et les États commencent à évaluer le coût d’un abandon de la monnaie unique par Athènes ».

• Le Figaro, 15 mai 2012, sur toute une page en large « Zone euro : la sortie de la Grèce n’est plus taboue ».

• Le Monde, 16 mai 2012, titre sur toute la page « Le scénario d’une zone euro sans Grèce s’installe ».

• Der Spiegel, 18 mai 2012 : « La Grèce ne peut plus différer sa sortie de la zone euro ». Le journal affirme que « les meilleurs espoirs de la Grèce se trouvent désormais dans un retour à la drachme […] Seul un retrait grec de la zone pourra donner au pays une chance de se remettre sur pieds à long terme ».

Puisqu’il s’agit ici de parler de la presse, il est difficile de ne pas évoquer le rôle particulièrement déplorable joué par Le Monde. Se voulant européiste parmi les européistes, ce journal s’est encore distingué ces derniers jours. Le 10 mai il titre un article « Un pays peut-il quitter la zone euro ? ». Jusque là ça va. C’est ensuite que cela dérape car le journal ne fait parler qu’un seul interlocuteur, évidemment farouchement opposé à la possibilité de sortir de l’euro. Il s’agit d’un illustre inconnu de la banque Natixis qui explique très sérieusement que cela provoquerait « un bain de sang social puisque l’État devra immédiatement stopper certaines dépenses comme les allocations ou le traitement des fonctionnaires ». Les dirigeants de cette banque devraient s’inquiéter d’avoir dans leur effectif des agents aussi peu compétents. Le lendemain 11 mai, Le Monde convoque son chouchou, Daniel Cohn-Bendit, coprésident du groupe des Verts au Parlement européen. Pour ce factotum rémunéré par le système de Bruxelles, « il faut trouver une porte de sortie avec les Grecs, non pas pour qu’ils quittent l’euro, mais pour qu’ils respectent leurs engagements […] Il doit y avoir un moyen de se mettre d’accord sur un agenda plus court afin d’accompagner la mise en œuvre du mémorandum, quitte à l’amender un peu ». Et l’ex-gauchiste d’ajouter : « je ne crois pas qu’une sortie de la Grèce de la zone euro soit possible. »

 D.- Les mensonges des oligarques européens enfin dévoilés

Selon Le Monde du 16 mai 2012, depuis 2011 une « task force » secrète a été mise en place par le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, chargée d’élaborer des scénarios au cas où la Grèce devrait sortir de la zone euro. Elle aurait élaboré une stratégie de sortie de crise avec les conséquences possibles d’un retrait de la Grèce de la zone euro à la fois pour le reste de la zone et pour la Grèce elle-même. Conclusion de cette « task force » : une part importante de la dette grecque est désormais détenue par des créanciers publics, et notamment la BCE. La situation deviendrait dangereuse si la Grèce cessait de rembourser ses dettes. La « task force » propose la création d’un compte spécial en dehors du budget grec où les aides européennes seraient versées pour rembourser le capital et les intérêts des débiteurs publics. En contrepartie la BCE reprendrait son programme d’achat de titres grecs sur le marché secondaire auprès des autres pays détenteurs de dette grecque. Pour confirmer cette information le journal du soir ajoutait que « les Pays-Bas ont d’ailleurs reconnu, mardi 15 mai, avoir étudié l’hypothèse d’une sortie de la Grèce de l’euro ».

L’effet boule de neige se produisant, L’Expansion.com du 18 mai 2012 reprenait le sujet et annonçait que « la sortie de la Grèce de l’euro n’est non seulement plus taboue, elle fait désormais l’objet d’études préparatoires de la part des institutions européennes ». Le commissaire européen au Commerce Karel De Gucht a reconnu vendredi 17 mai dans une interview au quotidien néerlandophone belge De Standaard, l’existence de tels plans d’urgence. Il s’agit de la première déclaration en ce sens d’un haut responsable européen : « Il y a un an et demi, un risque d’effet domino aurait pu exister. Mais aujourd’hui, il y a, à la fois au sein de la Banque centrale européenne et de la Commission européenne, des services qui travaillent sur des scénarios d’urgence dans le cas où la Grèce n’y arrive pas. » Ces propos ont donné lieu à une sèche mise au point du commissaire européen aux Affaires économiques, Olli Rehn : « Karel De Gucht est responsable du commerce, je suis responsable des affaires économiques et financières et des relations avec la BCE. Nous ne sommes pas en train de travailler à un scénario de sortie de la Grèce, nous travaillons sur la base d’un scénario où la Grèce reste dans la zone euro », a-t-il déclaré au cours d’un déplacement à Londres. La Commission européenne avait déjà tenté d’éteindre toute polémique après les propos de M. De Gucht : « La Commission européenne dément fermement étudier un scénario de sortie de la zone euro pour la Grèce. La Commission souhaite le maintien de la Grèce dans l’euro », avait déclaré sur Twitter l’un de ses porte-paroles, Olivier Bailly. Le président de la Commission, José Manuel Barroso, et M. Rehn « disent depuis deux ans que la Commission veut que la Grèce reste dans la zone euro, cela reste vrai ! Il n’y a aucun plan de sortie de la Grèce  », a-t-il insisté, toujours sur Twitter.

Le Monde du 21 mai 2012 est revenu sur le sujet dans une pleine page titrée « La sortie de la Grèce de l’euro étudiée à Bruxelles ». Le journal, malgré les démentis des autorités bruxelloises, confirmait que « l’hypothèse d’une sortie de l’euro de la Grèce est bel et bien examinée de près à Bruxelles, comme dans les capitales européennes, ainsi qu’à Washington. » Qui pouvait en douter ? Le Monde rapporte que pour les dirigeants européens le scrutin du 17 juin en Grèce « s’apparente à un vote pour ou contre l’euro ». D’ailleurs, la chancelière allemande aurait « suggéré » aux autorités grecques d’organiser une telle consultation « en parallèle des élections ». François Hollande – et c’est très inquiétant pour la suite – a déclaré qu’ « il appartient aux Grecs de démontrer leur attachement à l’euro ». C’est clairement une manière d’appeler à voter pour les bourreaux du peuple grec que sont le PASOK et Nouvelle Démocratie.

La directrice générale du Fonds monétaire international, Christine Lagarde, avait elle-même évoqué mardi 14 mai à Paris la possibilité d’une « sortie ordonnée » de la Grèce de la zone euro, dans un entretien accordé à la chaîne de télévision France 24 : « si les engagements budgétaires de ce pays n’étaient pas tenus, il y a des révisions appropriées à faire et cela ça veut dire soit des financements supplémentaires et du temps supplémentaire soit des mécanismes de sortie qui devraient être une sortie ordonnée dans ce cas », a-t-elle déclaré.

À son tour le Wall Street Journal du 20 mai 2012 a mis les pieds dans le plat. Pour le journal de la finance « l’Europe a commencé à se préparer pour une possible sortie de la Grèce de la zone euro en anticipant les élections du mois prochain qui sont devenues un référendum pour l’appartenance de ce pays à la monnaie unique ». Le journal dévoile en outre que la société De La Rue PLC, installée au Royaume-Uni, qui fait partie des quelques rares imprimeries autorisées à imprimer des billets de banque (150 devises) serait en train de se préparer à imprimer des billets dans une nouvelle monnaie pour la Grèce au cas où le pays quitterait la zone euro. Il s’agirait d’une initiative de cette société qui n’aurait reçu aucune commande de qui que ce soit. La banque centrale de Grèce a refusé de répondre aux questions des journalistes de The Times et du Wall Street Journal sur cette affaire.

Le Figaro du 24 mai 2012 confirmait tout cela : « le comité de préparation de l’Eurogroupe a demandé, lundi, par téléphone, aux États membres de préparer, chacun de leur côté, un plan d’urgence dans l’éventualité d’un abandon de la monnaie unique par la Grèce ». De son côté, l’agence de presse Reuters a consulté une note de travail, rédigée par un État membre, détaillant le coût pour chaque pays d’une sortie de la Grèce de la zone euro. Le document évoque « un divorce à l’amiable » avec un soutien de l’Union européenne et du FMI pour accompagner la sortie de la Grèce.

Au total, on remarquera que les oligarques européens et les milieux d’affaires font preuve d’une redoutable efficacité et de continuité dans la défense de leurs intérêts. Ils savent être pragmatiques et prendre les virages stratégiques quand la réalité économique et les rapports de forces politiques changent. On ne peut pas en dire autant de nombreuses forces de gauche à l’échelle européenne – associatives, syndicales, politiques – qui restent sclérosées et pétrifiées devant le cadavre de l’ « Europe sociale » à laquelle certains avaient cru. Un monde est en train de s’écrouler, appelant à l’imagination, et pourtant cette gauche reste engluée dans cet univers déjà dépassé par la réalité. C’est, de manière pathétique, le cas de L’Humanité du 15 mai 2012, qui sous la plume du journaliste Fabien Perrier, reprend les arguments classiques de la droite et du patronat : « la seule arme invoquée est celle d’une sortie de l’euro, menace brandie de plus en plus ouvertement alors que chacun sait bien les conséquences désastreuses qu’elle aurait sur une population déjà terriblement appauvrie par deux années et demi d’austérité ». Ah bon, « chacun sait » ? Mais c’est exactement l’inverse ! C’est en sortant de la zone euro que la Grèce pourra reprendre son destin en main. Heureusement que Dean Baker est là, du journal de gauche britannique The Guardian du 18 mai 2012 : « sortir de l’euro et revenir à la drachme est une solution alternative, aussi perturbant que cela puisse être ». C’est lui qui a raison !

 II.- L’UNION EUROPÉENNE APPARAÎT ENCORE PLUS NETTEMENT COMME UN SYSTÈME TYRANNIQUE

Le mot « tyrannie » n’est-il pas trop fort quand on l’applique à l’Union européenne ? Une tyrannie est un « gouvernement autoritaire qui ne respecte pas les libertés individuelles et sur lequel le peuple n’a aucun contrôle » (Le Petit Larousse, 1999). L’Union européenne, selon cette définition, est-elle un système tyrannique ? Assurément ! Depuis quand ? Depuis toujours ! Voilà ce que la gauche devrait clamer haut et fort pour orienter les luttes vers le démantèlement de cette tyrannie, condition nécessaire à la construction d’une véritable union des peuples et des nations du continent européen débarrassée de son emprise libérale.

Ces quelques dernières années, le caractère tyrannique de l’Union européenne était mieux apparu à de larges fractions de l’opinion publique européenne. Le refus des oligarques européens de reconnaître les résultats des référendums en Irlande, aux Pays-Bas et en France en 2005 sur le traité constitutionnel européen en avait été le révélateur. Le cas grec, aujourd’hui, devrait finir de convaincre ceux qui restent persuadés que le système de Bruxelles constitue une perspective d’émancipation et que, même s’il est critiquable par certains aspects, il reste transformable de l’intérieur.

Ce que montre l’attitude des oligarques européen est précisément que ce système ne peut pas être transformé positivement de l’intérieur. Il faut l’abattre, c’est bien son explosion qu’il faut rechercher, condition nécessaire à la reconstruction d’un tout autre système : on ne bâtit pas du neuf avec du vieux.

 A.- Sur le plan des principes démocratiques, le vote du peuple grec doit être respecté par les oligarques européens

Si nous sommes en démocratie, ce qu’ont dit les Grecs par leur vote doit être entendu et respecté : ils veulent mettre un terme à l’austérité tout en restant dans la zone euro.

 1.- Les Grecs ont fait exploser leur ancien système politique

En novembre 2011, après la démission du Premier ministre George Papandreou (PASOK), ce parti a formé une coalition intérimaire avec le parti de droite Nouvelle Démocratie. C’est un oligarque européen, Lucas Papademos, qui a été nommé Premier ministre. Ancien vice-président de la Banque centrale européenne, gouverneur de la banque centrale hellène entre 1994 et 2002, il a joué à ce titre un rôle non encore élucidé dans l’opération de maquillage des comptes publics grecs perpétré avec l’aide de la banque américaine Goldman Sachs. Cette opération avait pour but de faire entrer la Grèce de toute force dans la zone euro. Lucas Papademos a ainsi au moins un point commun avec Mario Monti (ex-conseiller international de Goldman Sachs de 2005 jusqu’à sa nomination à la tête du gouvernement italien en 2012) et avec Mario Draghi (ancien vice-président de Goldman Sachs International pour l’Europe entre 2002 et 2005), actuel président de la BCE. Rappelons que jusqu’aux élections du 6 mai 2012 la Grèce était en réalité gouvernée par la « troïka » composée de la Commission européenne, la BCE et le FMI. La Grèce n’était alors plus un pays démocratique.

Les élections législatives du 6 mai 2012 ont remis les pendules à l’heure. Les deux partis politiques autour desquels la vie politique s’était organisée depuis la chute du régime des colonels en 1974 – le PASOK (Mouvement socialiste panhellénique) et la Nouvelle Démocratie – ont été écrasés. Ils sont passés, à eux deux, de 65% en 2009 à 32% en 2012. Si on prend l’ensemble des partis favorables au « mémorandum » signé avec la troïka, ils recueillaient 77% en 2009. Ainsi les deux tiers des électeurs ont rejeté le « mémorandum », ils ne pardonnent pas la trahison de ces politiciens corrompus.

Le grand vainqueur de l’élection du 6 mai 2012 est la Coalition de la gauche radicale (SYRISA), qui passe de 4,6% en 2009 à 16,8% en 2012 en devenant ainsi le 2e parti en Grèce. Elle ressemble au Front de gauche français à deux différences près : le Parti communiste grec n’en fait pas partie ; la coalition accueille en son sein des forces hostiles à l’euro.

Quel est le sens politique de ce vote ? Il est clairement contre l’austérité, contre le « mémorandum », mais dans le cadre du maintien de la Grèce dans la zone euro et l’Union européenne. Personne, à droite ou à l’extrême droite, ne parle en Grèce de sortir de la zone euro et de l’UE. Ce n’est pas non plus le cas de SYRISA et des autres forces de gauche. Seul le Parti communiste grec (KKE) évoque de temps à autre la sortie de la zone euro, mais il ne met pas ces questions en avant et ne prend aucune initiative à leur sujet pour en faire une revendication de masse. D’autres dirigeants du KKE se déclarent farouchement hostiles au retour de la drachme. Au total les Grecs sont entre 15% et 30%, selon les sondages, à vouloir sortir de la zone euro. Selon un sondage de l’institut Marc, ils seraient néanmoins 47% à envisager possible une sortie de leur pays de la zone euro.

À la suite de l’émiettement des scores des différents partis (voir annexe 1), et conformément à la Constitution grecque, de nouvelles élections sont convoquées le 17 juin 2012. Les sondages, pour ces nouvelles élections législatives, donnent de 20 à 28% pour SYRISA qui est placée en tête de tous les partis par les sondages et qui pourrait conduire le futur gouvernement. La question du respect du vote des Grecs se posera donc dès le lendemain de cette élection.

 2.- Les oligarques européens proposent pour l’instant aux Grecs le tout ou rien

Le « tout », c’est l’acceptation, par le nouveau gouvernement grec, du « mémorandum » signé par l’ancien gouvernement. Cette position des oligarques européens, si elle reste la même, est totalement inacceptable du point de vue démocratique. Si telle était la situation après les élections législatives du 17 juin 2012, le nouveau gouvernement grec n’aurait pas d’autre choix que de s’aligner sur les exigences des oligarques européens et de trahir, lui aussi, le peuple. Ou de sortir de l’euro, et peut-être aussi de l’Union européenne, directement ou après un référendum s’il est gagné.

Le « rien », c’est la proposition désormais faite aux Grecs de sortir de la zone euro et de l’Union européenne s’ils ne veulent pas « respecter leurs engagements ».

Les partis politiques grecs, essentiellement SYRISA et le KKE, subissent une énorme pression des oligarques européens, des médias, des milieux patronaux pour que la Grèce « respecte ses engagements », malgré le vote contraire des Grecs. Rappelons que ce ne sont pas les « engagements » des Grecs qu’il s’agit de respecter, mais ceux de la classe politique pourrie qu’ils viennent de chasser. En quoi les Grecs seraient-ils comptables des « engagements » des truands qu’ils viennent d’éjecter ?

Selon le « mémorandum » signé en mars 2012 avec la troïka par les anciens dirigeants grecs, le pays doit décider 11,6 milliards d’euros de nouvelles mesures d’austérité d’ici fin juin 2012 s’il veut bénéficier de nouvelles « aides » de l’Union européenne et du FMI. Pour Alexis Tsipras, le leader de SYRISA, « les partis qui ont signé le mémorandum représentent désormais une minorité. Leur signature a été délégitimée par le peuple » (Wall Street Journal, 6 mai 2012). Ces « aides », il faut le rappeler, représentent 130 milliards d’euros, plus celle des créanciers privés qui ont accepté un effacement de 100 milliards de leurs créances. Une cinquantaine de milliards viennent de la BCE qui a acheté des titres grecs sur le marché. Plus 100 milliards d’avances de la BCE aux banques grecques.

 3.- Une partie des oligarques européens encouragent eux-mêmes la sortie de la Grèce de la zone euro

Les élections législatives du 6 mai 2012 avaient déjà été présentées comme ayant pour enjeu le maintien ou la sortie de la Grèce de la zone euro. Ainsi Le Monde (2 mai 2012), s’inscrivant parfaitement dans cette perspective, considérait que les législatives du 6 mai « ressemblent au référendum sur l’Europe que voulait organiser M. Papandréou en novembre 2011 ».

On a changé d’échelle avec la préparation des élections du 17 juin 2012. Elles sont l’objet d’une véritable guerre idéologique déclenchée par l’establishment grec et européen qui est terrorisé par la perspective d’une sortie de la Grèce de la zone euro. Les classes dirigeantes grecques et européennes veulent transformer ces élections en un référendum pour ou contre la sortie de la Grèce de la zone euro. Leur calcul est simple. Comme quasiment personne, en Grèce, ne mène de bataille frontale pour la sortie de la zone euro, les électeurs devraient aisément repousser cette idée et se prononcer pour les partis favorables au « mémorandum ». Il faut faire entrer dans les têtes, de gré ou de forces, que le rejet du « mémorandum » équivaut à la sortie de la Grèce de la zone euro. Le problème est que c’est vrai !

Pour le président de la Chambre de commerce et d’industrie de la région d’Athènes, Constantine Michalos, à la pointe de ce combat, « il faut faire des prochaines élections un référendum pour ou contre l’euro comme on aurait dû déjà faire en mai 2010 et, peut-être, en novembre 2011 quand George Papandréou en avait lancé l’idée ». Il ajoute « les élections passées ont été placées sous le signe de la colère ; les prochaines doivent l’être sous ceux de la peur de l’abandon de l’euro ». Pour Nicolas Vernicos, président de la branche grecque de la Chambre internationale de commerce, « un climat de guerre civile se produira en cas de retour de la drachme », le tout étant aimablement diffusé par Le Monde (16 mai 2012), évidemment sans donner la parole à d’autres points de vue.

Monsieur Barroso, de son côté, toujours prompt à saisir le vent qui passe, a déclaré que « la Grèce fait partie de notre famille. Nous ne voulons pas diviser notre famille, nous voulons qu’elle reste avec nous. Dans le même temps, nous espérons que les autorités grecques respecteront les engagements donnés » (Wall Street Journal, 20 mai 2012). C’est une manière de dire que si les Grecs refusent le « mémorandum, ils auront pris la responsabilité de ne pas respecter leur parole. Ils pourront donc être exclus de la zone euro, le motif sera tout trouvé.

 B.- Sur le plan technique, des modalités doivent être trouvées pour répondre au sens du vote du 6 mai 2012 : abandonner l’austérité tout en restant dans la zone euro

Le sens du vote du 6 mai 2012 était simple à interpréter : les Grecs veulent annuler l’austérité, tout en restant dans la zone euro et l’Union européenne. Celui du 17 juin de la même année sera très différent. Un déluge médiatique est en train de s’abattre sur les partis politiques remettant en cause le « mémorandum » (essentiellement SYRISA et le KKE), sur le thème « voter pour eux revient à voter pour la sortie de l’euro ». Dès lors, même si ce n’est pas le cas pour nombre de leurs électeurs, une partie de ces derniers aura voté pour la sortie de la zone euro. C’est excellent ! Si SYRISA et le KKE sortent victorieux de cet affrontement, l’idée de la sortie de la zone euro et de l’Union européenne aura fait un bond en avant grâce… aux oligarques européens ! Car sur place, à part quelques groupes minoritaires membres de SYRISA et le KKE qui évoque la question de temps à autre, personne ne mène la bataille frontalement pour la sortie de la zone euro et de l’Union européenne.

À ce propos, ceux qui se réjouissent des mauvais sondages recueillis par la sortie de l’euro en Grèce devraient mieux étudier les enquêtes d’opinion. Selon Okea News du 8 février 2012, faisant état d’un sondage réalisé par Skai, 15% des Grecs pensent que la situation va s’améliorer s’ils sortent de l’euro, 70% pensent le contraire. Mais 79% rejettent le « mémorandum » qui préconise encore plus d’austérité, et 54% ont une vision « négative » de l’Union européenne. Nous ne sommes pas loin d’une acceptation majoritaire de la sortie de la zone euro et de l’Union européenne…

Sur le plan des principes démocratiques, cette expression de la volonté populaire grecque doit être respectée par le système européen et par les dirigeants des autres pays. Il faut donc étudier les conditions de réussite de cette orientation : abandonner l’austérité tout en restant dans la zone euro et l’Union européenne.

On fait l’hypothèse, ici, que les oligarques européens se sont convertis à la démocratie, et qu’ils respecteront le choix du peuple grec. Ce sont donc les possibilités techniques et juridiques de répondre à la demande des citoyens grecs qui sont étudiées.

Le programme de SYRISA proposé aux autres partis pour gouverner après le 6 mai 2012 prévoyait les mesures suivantes, toujours dans le cadre de la zone euro et de l’Union européenne :

  • Remboursement de la taxe foncière imposée en 2011.
  • Augmentation des salaires et des retraites.
  • Renationalisation des banques.
  • Gel des licenciements et des privatisations en cours.
  • Développement de l’économie nationale.
  • Abrogation des lois sur la remise en cause du droit du travail et sur l’immunité pénale des parlementaires.
  • Audit international de la dette publique et moratoire sur son remboursement et le paiement des intérêts.

On peut imaginer, en cas de victoire de SYRISA le 17 juin 2012, que ses revendications resteront les mêmes.

Il faut ajouter le fait que la Grèce a connu un début de panique bancaire, les déposants ayant retiré 700 millions d’euros lundi 14 mai. Les retraits se sont un peu calmés les jours suivants mais la situation reste assez critique. si elle le veut, la BCE, en liaison avec la banque centrale grecque, peut compenser ces fuites sans limites. Si elle refusait, le gouvernement grec n’aurait plus d’autre recours que d’imprimer des drachmes et remplacer l’euro.

À la fin du mois de juillet ou du mois d’août 2012, la Grèce n’aura plus d’argent en caisse. Parmi les revendications de SYRISA, certaines ont un coût immédiat : remboursement de la taxe foncière ; augmentation des salaires et des retraites… L’argent nécessaire au financement de ces mesures viendra des prêts de l’Union européenne et du FMI dans le cadre des mécanismes actuels, ou dans le cadre d’autres mécanismes faciles à imaginer et à mettre en place (par exemple un fonds spécifique dédié à la Grèce). Ou de l’achat, par la BCE, directement auprès du Trésor grec, de titres de dette correspondant au financement de ces dépenses. Tout ceci ne pose strictement aucun problème technique.

Il reste le gros morceau : le moratoire sur le remboursement du capital et le paiement des intérêts de la dette publique. Là aussi c’est techniquement possible, il y a des précédents, d’autant que l’essentiel de la dette publique grecque, désormais, est entre des mains publiques. Le total de la dette publique grecque au 10 mai 2012 est de 260 milliards d’euros (Le Monde, 10 mai 2012) :

  • Fonds européen de stabilité : 58,4
  • Prêts des États européens : 55,3
  • Banque centrale européenne : 55
  • Banques non grecques : 36,3
  • Banques grecques : 25,3
  • Fonds monétaire international : 20,7
  • Investisseurs privés grecs : 9

Les gouvernements de la zone euro, le FMI et la BCE peuvent donc accepter ce moratoire et la restructuration de la dette, consentir une décote, un allongement des délais de remboursement du capital et du paiement des intérêts, une baisse de ces derniers.

Mais tout ceci n’est que de la politique fiction, car si les conditions techniques sont aisées à réunir, il en va tout autrement des conditions juridiques et politiques. Et cela même si de timides « ouvertures » ont été faites. Evangelos Venizélos, président du PASOK, propose par exemple que « les nouvelles mesures d’économie prévues en juin se fassent sur trois ans au lieu de deux. Elles seraient ainsi moins douloureuses » (Le Monde, 4 mai 2012). Pour Jean-Claude Juncker, président de l’Eurogroupe « si nous étions dans des circonstances exceptionnelles, nous n’exclurions pas un débat à propos d’une extension de la période ». Ces « ouvertures » présentent quand même de sérieuses limites !

 4.- Il est peu vraisemblable que les oligarques européens acceptent de mettre un terme à l’austérité en Grèce

Les obstacles politiques paraissent insurmontables, et un observateur extérieur méconnaissant les subtilités des relations entre les partis politiques grecs ne peut que s’appuyer sur les déclarations de leurs dirigeants et leurs textes officiels. En se livrant à cet exercice, on est conduit à s’interroger sur les raisons pour lesquelles SYRISA et ses partenaires n’élaborent pas un plan « B » au cas, le plus probable, d’un refus de l’Union européenne d’accéder à leurs demandes. Ce plan « B » devrait intégrer une réflexion approfondie sur les risques et les opportunités d’une éventuelle sortie de la Grèce de la zone euro. On ne comprend pas pourquoi ces organisations n’évoquent pas ouvertement cette question afin de participer au débat public puisque celui-ci est désormais lancé après des mois de censure dans les grands médias.

Essayons, avec beaucoup de précautions, d’imaginer les réactions possibles des autorités européennes en cas de victoire de SYRISA lors des élections du 17 juin. Commençons par la revendication formulée par SYRISA de stopper les mesures d’économies de 11,6 milliards d’euros prévues par le « mémorandum » et l’utilisation de fonds étrangers pour financer la hausse des salaires, des retraites, etc. Les oligarques européens, pour accepter, peuvent mettre en avant le cas exceptionnel de la situation de la Grèce. Comment pourraient-ils justifier, autrement, de ne pas appliquer cette nouvelle politique consistant à abandonner l’austérité dans les pays qui connaissent eux aussi une situation proche de celle de la Grèce : l’Irlande et le Portugal en tout premier lieu, mais aussi l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, la France ? Pays dans lesquels des plans d’austérité se sont également abattus. Si l’Union européenne disposait de ressources propres, la chose pourrait être vraisemblable. Mais ce n’est pas le cas, le budget de l’Union européenne est minuscule, tous les fonds qu’elle mobilise sont gagés par les États membres. Ces derniers, en cas d’abandon des plans d’austérité appliqués en Grèce, devront justifier devant leur propre opinion publique le fait qu’ils refusent chez eux ce qu’ils font pour les Grecs. Ce n’est pas évident, et on peut raisonnablement penser que sur les 27 pays membres de l’UE, tous ne seront pas d’accord pour répondre favorablement à la demande de SYRISA. Cette hypothèse, qui n’est pas totalement dénuée de fondements, renforce les interrogations sur les raisons de l’absence d’un plan « B » envisagé par SYRISA.

La situation est tout aussi complexe pour le moratoire sur le remboursement du capital et le paiement des intérêts de la dette publique grecque demandé par SYRISA. Les pays membres de l’UE, en plus d’accepter de prêter à la Grèce pour que cette dernière augmente les salaires et les retraites de ses citoyens – ce que ces pays refusent chez eux -, devront également accepter de ne pas être remboursés immédiatement sur les prêts qu’ils ont déjà consentis à la Grèce. Même chose pour les institutions publiques qui détiennent des titres de l’État grec : BCE, FMI, banques centrales des pays de la zone euro.

Cela fait beaucoup d’obstacles à surmonter.

Dans cette situation, on peut se demander si une fraction des classes dirigeantes européennes n’a pas choisi la sortie de la Grèce de la zone euro en espérant que cela se passe mal – et même en agissant dans ce but - pour reprendre la main ultérieurement et dissuader les autres pays d’emprunter le même chemin. Ce sera probablement le cas si la gauche européenne persiste dans son attitude visant à ériger la sortie de la zone euro comme un tabou ou, plus grave encore, comme une menace. Pourtant les Grecs n’auront pas d’autre choix que de sortir de la zone euro si les pays membres restent sourds à leur demande. Pourquoi ne pas reconnaître cette évidence et s’y préparer ?

Si, malgré ce qui vient d’être dit, Athènes reste dans la zone euro, la Grèce demeurera dépendante de la communauté internationale pendant des années et des années. Ce statut d’assisté permanent est-il enviable ? N’est-ce pas humiliant ? Est-il porteur d’espoir et de dignité ? Retrouver sa souveraineté monétaire et sa monnaie nationale permettra au contraire à la Grèce de choisir son propre destin et de retrouver sa fierté. Qui peut croire que les Grecs ne sont pas capables de produire eux-mêmes ce dont ils ont besoin ?

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article