Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Espace conçu pour les Démocrates de tous bords.

Réseau des Démocrates

Judith Butler: pourquoi «Trump est un phénomène fasciste»

Judith Butler: pourquoi «Trump est un phénomène fasciste»

AMÉRIQUE DU NORD

 

ENTRETIEN

Judith Butler: pourquoi «Trump est un phénomène fasciste»

18 DÉCEMBRE 2016 PAR CHRISTIAN SALMON

Que représente Donald Trump ? Judith Butler, philosophe américaine, professeure à l’Université Berkeley, vient de publier un essai, Rassemblement. Elle explique pourquoi Donald Trump incarne une nouvelle forme de fascisme. « Beaucoup se réjouissent de voir cet être dérangeant et peu intelligent parader comme s'il était le centre du monde, et gagner du pouvoir grâce à cette posture », dit-elle.

 

Beaucoup d'écrivains et d'intellectuels aux États-Unis et en Europe se sont exprimés sur le phénomène Trump, la plupart du temps pour exprimer leur consternation ou leur réprobation, condamner ses excès de langage ou s'alarmer de ses propositions, la construction d'un mur avec le Mexique ou l'expulsion de millions de sans-papiers. Mais pour tenter de comprendre ce qui se joue avec « Trump », le phénomène « Trump », il faut avoir en tête les analyses que Judith Butler a développées depuis la fin des années 1990 avec Excitable speech, a politics of the performative jusqu'à son dernier livre qui vient d'être traduit en français sous le titre de Rassemblement – Pluralité, performativité et politique.

Mediapart.- Est-ce qu'on peut dire que Donald Trump est une sorte d'« image dans le tapis » des analyses que vous avez produites depuis une vingtaine d'années ? Trump serait-il un « objet butlérien » par excellence ?

 

Judith ButlerJudith Butler

Judith Butler.- Je ne suis pas sûre que Trump soit un très bon objet pour les analyses que j’ai l’habitude de mener. Je ne pense pas qu’il y ait, par exemple, une fascination pour Trump en tant que personne. Et si nous considérons ses discours, alors nous devons considérer plus particulièrement les effets qu’ils ont sur une frange du peuple américain. Souvenons-nous qu’il a été élu par moins d’un quart de la population, et que c’est uniquement en raison de l’existence d’un collège électoral archaïque qu’il est sur le point de devenir président.

Nous ne devrions donc pas imaginer que Trump bénéficie d’un large soutien populaire. Il y a une désillusion générale vis-à-vis du champ politique et un certain mépris vis-à-vis des deux principaux partis étasuniens. Mais Hillary Clinton a engrangé plus de suffrages que Trump. Donc, lorsque nous nous posons la question du soutien à Trump, nous nous demandons comment une minorité d'Américains a été en mesure d'amener Trump au pouvoir. Nous nous interrogeons sur un déficit de démocratie, pas une lame de fond populaire. Le collège électoral devrait être aboli afin que nos élections représentent plus clairement la volonté du peuple. Je crois aussi que nos partis politiques devraient être repensés afin d'accroître la participation populaire au processus démocratique.

Donc, la minorité qui a soutenu Trump, la minorité qui lui a permis ce succès électoral, a pu atteindre son objectif, non seulement à la faveur de son propre rejet du champ politique, mais également du fait de la désaffection qu'ont exprimée près de 50 % des électeurs en n'allant pas voter. Peut-être devrions-nous parler de la chute de la participation démocratique aux États-Unis.

Selon moi, Trump a déclenché une rage qui a plusieurs objets et plusieurs causes, et nous devrions probablement être sceptiques vis-à-vis de ceux qui prétendent en connaître la véritable cause et l’objet exclusif. L’état de dévastation économique et de déception, la perte d'espoir quant à l'avenir née de mouvements économiques et financiers qui déciment des communautés entières ont certainement joué un rôle important. Mais au même titre que l’accroissement de la complexité démographique des États-Unis et les anciennes et nouvelles formes de racisme… Le désir de « fermeté » s'exprime, d’une part, dans le renforcement du pouvoir de l'État contre les étrangers, les travailleurs sans papiers, mais s'accompagne aussi d'un désir de se libérer du poids du gouvernement, slogan qui sert tout à la fois l'individualisme et le marché.

 

Trump à la convention républicaine de Cleveland en juillet 2016Trump à la convention républicaine de Cleveland en juillet 2016


Si le phénomène Trump peut être comparé au fascisme, c'est surtout en ce qui concerne le rapport du leader aux masses qui le produisent. Au fond les grands leaders fascistes ne seraient en rien les inventeurs du fascisme mais ils se seraient emparés d'un scénario, celui d'une petite bourgeoisie ou d'une moyenne bourgeoisie qui vivait très mal son déclassement causé par la défaite et par la crise des années vingt et dont la frustration a trouvé à se défouler dans la haine pour le prolétariat. J'ai retrouvé par hasard récemment un vieux texte de Trotsky qui évoque le chef fasciste, et qui me semble bien décrire le phénomène « Trump ».« Ses idées politiques étaient le fruit d'une acoustique oratoire. C'est ainsi qu'il choisissait ses mots d'ordre. C'est ainsi que son programme s'étoffait. C'est ainsi que d'un matériau brut se formait un chef. Le chef nazi s'est ainsi formé, à l'écoute et à la remorque de ses auditoires enragés »… Ne peut-on pas en dire autant de Trump ?

LIRE AUSSI

Donald Trump explore la galerie des monstresPAR PHILIPPE COSTE

Trump ou l'OPA de la téléréalité sur le politiquePAR CHRISTIAN SALMON

Trump ou la nuit des sorcières de l’AmériquePAR CHRISTIAN SALMON

La «nouvelle droite» américaine: enquête sur la pensée TrumpPAR LAURA RAIM

Dossier: Trump, le 45e présidentPAR LA RÉDACTION DE MEDIAPART

 

C'est peut-être le moment de faire la distinction entre les anciennes formes de fascisme et les nouvelles. Ce que vous avez décrit relève du fascisme européen du milieu du XXe siècle. Avec Trump, nous faisons face à une situation différente, mais que je qualifierais néanmoins de fasciste. D'une part, Trump est riche, tandis que la majorité de ceux qui ont voté pour lui ne le sont pas. Et pourtant, les travailleurs se sont identifiés à lui – il s'est servi du système et il a réussi.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article