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Après Mossoul, la crainte d'une recrudescence des attentats en Occident

Après Mossoul, la crainte d'une recrudescence des attentats en Occident
26 OCTOBRE 2016 | PAR PIERRE PUCHOT

Hollande a appelé mardi à « anticiper les conséquences de la chute de Mossoul », mettant en garde contre « le retour des djihadistes étrangers ». La chute de Mossoul puis du califat entraînera tôt ou tard l’avènement de la stratégie d’internationalisation de la terreur de l’État islamique, tenté de se concentrer contre l’Occident.

 

Engagée depuis le début de l’année, la bataille pour la reprise en main de l’Irak est loin d’être terminée, mais la question est posée depuis plusieurs mois déjà : que fera l’État islamique (EI) après la prise par la coalition internationale de Mossoul, deuxième ville du pays tenue par l'EI ? Dans son discours d’ouverture de la réunion regroupant à Paris les ministres de la défense de treize pays de la coalition internationale antidjihadiste, le président français François Hollande a appelé, mardi 26 octobre, à « anticiper les conséquences de la chute de Mossoul », mettant en avant le problème posé par « le retour des djihadistes étrangers » dans leurs pays d'origine. « Il y aura aussi des terroristes qui se cacheront et qui tenteront aussi d'aller vers Raqqa[capitale de l’État islamique en Syrie – ndlr]. Nous devons donc clairement les identifier. Cela passe par un large partage de nos informations et de nos renseignements. C'est une absolue nécessité », a affirmé François Hollande. Cette réunion se tenait une semaine après le début de l'offensive par l'armée irakienne et les combattants kurdes contre Mossoul. 

Selon des sources françaises citées par l’AFP, il y aurait quelque 300 Français à Mossoul, et autant à Raqqa, en Syrie. Que vont-ils devenir ? Et comment leur sort va-t-il s’insérer dans la future stratégie de l’EI ? Ce week-end, le quotidien britannique The Independenta tenté d’apporter des éléments de réponse à la question des djihadistes étrangers en citant deux citoyens belges, interrogés en Turquie, après avoir quitté Daech. « Les dirigeants de l’État islamique ont été forcés d’accepter qu’ils allaient perdre le califat en Syrie et en Irak et de voir les attaques terroristes en Occident comme le moyen de poursuivre le djihad », affirme l’auteur de l’article  sur la base des témoignages recueillis.

Le journaliste est toutefois allé un peu vite en besogne. L’armée de la coalition progresse certes régulièrement vers Mossoul, et se trouve à cinq ou six kilomètres de la ville. « Notre coalition est aujourd'hui aux portes de Mossoul, une ville de 2 millions d'habitants, dont Daech s'est emparé en 2014, et qui l'avait organisée comme une capitale de son impossible califat », a déclaré mardi François Hollande, se projetant ensuite vers « l'enjeu » de la prise de Mossoul, à savoir « l'avenir politique de cette ville, de la région et de l'Irak », a-t-il ajouté en insistant sur la nécessaire représentation de « tous les groupes ethniques et religieux » dans l'administration future de la ville, à majorité sunnite. Le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian a estimé mardi que l'offensive de Mossoul se déroulait « de manière tout à fait conforme à la planification ».« Tous les axes ont fait les progrès que nous attendions à ce stade de l'opération, certains sont même en avance sur le calendrier », a ajouté Brett McGurk, l'émissaire américain auprès de la coalition.

Mais l’EI, qui a fait venir des combattants de Syrie, a organisé une défense efficace, et la bataille pourrait se prolonger autour des tranchées remplies de pétrole, des camions piégés, des tunnels creusés par l’EI pour surprendre les assaillants dans leur dos. Et si les quelque 5 000 hommes postés par l’organisation djihadiste se battent jusqu’au bout sans abandonner leurs positions, la ville sera difficile à prendre.

 

Carte de l'Irak en 2016 © Donatien Huet/MediapartCarte de l'Irak en 2016 © Donatien Huet/Mediapart

 

S’il anticipe un renoncement contredit par ces derniers éléments venus du terrain, l’article de The Independent traite sans faux-semblant de la question qui préoccupe tout ce que la planète compte de journalistes, chercheurs, experts et membres des services de renseignement du monde : comment l’EI va-t-il réagir après la chute de Mossoul, ville hautement symbolique où il a proclamé le califat en juin 2014 ? Et quelle sera dès lors sa stratégie ?

Trois hypothèses se posent, l’une n’excluant pas nécessairement l’autre :

  1. Une recrudescence des attaques de l’EI dans une technique de guérilla pour reprendre tout ou partie de son territoire.
  2. Une concentration de l’effort de l’organisation djihadiste sur les attentats en Occident.
  3. Un affaiblissement de l’EI, désormais incapable de susciter et/ou coordonner des attentats à l’étranger.

La première hypothèse est actuellement à l’œuvre. Lundi, les autorités irakiennes ont annoncé que l'attaque surprise menée par l’État islamique à Kirkouk, une ville distante de 170 kilomètres de Mossoul, s’est soldée par la mort de 74 djihadistes et l’arrestation du chef de l’opération. C’était une tentative de diversion lancée vendredi par l’EI. Avec 100 combattants, l’EI a occupé la moitié de Kirkouk pendant une demi-journée.

Cette tactique de guérilla subsistera après la chute de Mossoul, et même de Raqqa, sa capitale en Syrie. L’EI a toujours fonctionné ainsi, en tentant des coups de poker, dont le plus spectaculaire a été l’offensive pour la prise de Mossoul en 2014, avec quelques milliers d’hommes face à une armée irakienne en déroute. À l’image de sa tentative de prendre Kirkouk, ou des raids menés contre les villes syriennes de Kobané ou de Tal Abyad en Syrie, il y a plusieurs mois, cette stratégie de guérilla ne requiert que peu de combattants et peut être maintenue par l’EI à moyen terme, après la chute de ses bastions et l’arrêt des bombardements de la coalition par l’interméd

Quand l'EI menace de reprendre l'ancienne statégie d'Al-Qaïda

Nous n’en sommes toutefois pas encore là. Aujourd’hui, tous les regards sont focalisés sur Mossoul. L’attente internationale est énorme. Le Pentagone a notamment dépêché plusieurs dizaines d’analystes sur place pour tenter, une fois Mossoul tombée, de tirer profit au maximum du matériel de renseignement pris à l’État islamique. Ce butin permettra-t-il de prévenir le passage de l’EI à l’étape 2 (le recours massif aux attentats suicides en Europe) ? Les services de renseignement l’espèrent.

 

 

L’État islamique a-t-il de son côté anticipé la perte de Mossoul, et même de Raqqa, et souhaite-t-il se rabattre vers une stratégie massive d’attentats en Europe ? Plusieurs signes le montrent. Dès la proclamation du califat en 2014, l’État islamique est passé d’une stratégie locale (celle de son « ancêtre », l’État islamique en Irak, fondé en 2006 après avoir absorbé la branche locale d’Al-Qaïda) à une stratégie internationale (pour cette description des deux rhétoriques ennemi proche/ennemi lointain, revoir notre débat « Irak, aux origines du djihad moderne »). En juin 2014, al-Baghdadi a en effet appelé tous les groupes djihadistes du monde à faire allégeance à l’État islamique. Pour l’EI, l’époque des organisations était révolue avec l’avènement du califat. Présent à une échelle globale, intégrant des groupes qui ont déjà menacé ou attaqué l’Europe et les États-Unis, l’EI entre nécessairement en conflit avec l’Occident dès cette période. Difficile de croire dans ces conditions qu’al-Baghdadi et ses lieutenants n’aient pas anticipé la mise en place d’une coalition contre eux et la chute, tôt ou tard, de leurs bastions face aux moyens militaires très importants mis en place par les Occidentaux.

C’est d’ailleurs le grand paradoxe de la période et de la mutation à venir du mouvement djihadiste incarné par l’État islamique : après avoir prononcé le califat et être entré en conflit avec Al-Qaïda, l’EI risque de revenir à une forme proche de celle de l’organisation de feu Oussama Ben Laden : une organisation déterritorialisée, mobile et capable de frapper sur tous les terrains du monde, notamment en Occident.

À l’inverse, les concurrents au sein de la mouvance djihadiste s’inscrivent davantage dans une stratégie d’intégration locale. L’exemple le plus frappant est le front Fatah Al-Cham en Syrie (ex-Al-Nosra, qui a rompu son affiliation à Al-Qaïda cet été, lire notre précédent article qui détaille sa stratégie), en mettant de côté sa rhétorique anti-Occident. Entre les deux, celle d’Al-Qaïda dans la péninsule Arabique (AQPA) demeure incertaine. Toujours visé par les drones américains, AQPA a cependant déjà plusieurs fois changé de nom (se faisant appeler un temps Ansar Al-Charia au Yémen), et semble également décidé à s’insérer dans une stratégie principalement régionale. 

 

 © Wikipédia/Mediapart/CC-BY-SA© Wikipédia/Mediapart/CC-BY-SA
Dans cette perspective, l’EI continuera à attirer la majeure partie des djihadistes occidentaux, intéressés par sa stratégie globale de frappes tous azimuts contre leurs propres pays. « Pour les quelques musulmans en colère contre la France, contre l’Occident, le discours de l’EI sera toujours plus séduisant que celui d’une organisation régionale », estime Romain Caillet, consultant spécialiste de la mouvance djihadiste. Une stratégie internationaliste de la terreur que l’EI souhaitera intensifier pour maintenir son attractivité.

 

Reste la troisième hypothèse : après la chute de ses bastions, l’EI aura-t-il conservé sa force de frappe et sa capacité à coordonner des attentats d’ampleur ? Partisan de frapper l’Occident dès que possible, Al-Qaïda a mis plus d'une décennie à mettre en place des réseaux lui permettant de commettre les attentats que l'on sait (11 septembre 2001, Madrid, etc.). La chute du califat entraînera-t-il une diminution des capacités de nuisance de l’État islamique ? Rien n’est moins sûr.

François Hollande a déjà appelé mardi, lors de la réunion à Paris, les ministres de la coalition à travailler pour « fixer les étapes des prochaines opérations », et particulièrement la reprise de Raqqa. « Si Mossoul tombe, [Raqqa] sera le dernier bastion de Daech. Nous devons faire en sorte que Daech soit détruit et éradiqué partout », a-t-il insisté. La semaine passée, le premier ministre Manuel Valls avait appelé à frapper Raqqa après Mossoul. Les États-Unis, eux, ont annoncé que les préparatifs pour isoler la capitale de l'EI en Syrie avaient commencé.

Mais l’affaiblissement militaire de l’EI ne résoudra pas la question des militants djihadistes natifs des pays occidentaux : « Vous devez bien savoir que beaucoup de ces attaques [les attentats de Paris, Saint-Denis, Bruxelles… – ndlr] ont été planifiées en Europe, aux États-Unis, avec des personnes ayant simplement fait allégeance au Cheikh[Abu Bakr al-Baghdadi, qui dirige l’État islamique – ndlr], rappelle l’ancien djihadiste cité par The Independent. Ils n’ont pas demandé d’instruction à Raqqa […]. Rien ne prendra fin avec la prise de Raqqa. »

viation américaine.

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