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Réseau des Démocrates

Arrose les fleurs, une fois par semaine…

Lydia Martins Viana
Lydia Martins Viana

Il y a cinq ans. Cinq ans déjà. Ce foutu 6 mai 2011. Depuis, je t’écris. Comme un impérieux rituel, malgré l’impossibilité de mettre en mots l’ineffable. «Arrose les fleurs une fois par semaine…» La chanson d’Allain Leprest m’accompagne cette année. Sans doute aurais-je aimé que tu ais le temps de me laisser une lettre pour me dire «de prendre soin de moi et d’arroser les fleurs, une fois par semaine…» A bien y réfléchir, non. Tu n’as pas su tes derniers instants arrivés, et c’est probablement mieux ainsi. A moi de me débrouiller avec ces souvenirs qui remontent, inlassablement.

De mes yeux joyeux lorsque ton nom s’est affiché sur mon écran de téléphone, à mes yeux incrédules, à peine 30 secondes se seront écoulées. De cette incrédulité, emplie d’un fol espoir, tant l’issue fatale n’était pas imaginable, à la terrible nouvelle, 20, peut-être 30, longues et si courtes minutes, durant lesquelles des hommes et des femmes ont tout tenté pour te ramener à la vie. En vain. As-tu eu le temps de comprendre ? Qu’as-tu ressenti ? Ces questions me tarauderont à jamais. «Arrose les fleurs une fois par semaine.» Il faisait beau, comme aujourd’hui, un de ses premiers beaux jours où le printemps ose s’afficher sans vergogne. J’imagine le vent caresser ton visage, la douce et si singulière sonorité des roulements à billes de tes roues, comme des grillons chantant, te bercer. Et puis plus rien. Ou plutôt si, ton vélo qui quitte sa trajectoire.Tu étais heureux, je le sais. Enfin, pas totalement.

La société, la vie politique te minaient. C’est de cela que j’aimerai te parler aujourd’hui. Tu sais, le Front de Gauche, celui auquel j’ai cru, pour lequel je me suis battue, ils et elles l’ont tué. En fait, j’ai compris bien tardivement, que nous n’étions pas sur les mêmes longueurs d’ondes. Lorsqu’ils et elles parlaient d’élargir ou de dépasser le Front de gauche, je ne comprenais pas : ne fallait-il pas en tout premier lieu l’ancrer solidement ? Hélas, nous ne parlions pas le même langage, malgré l’emploi des mêmes mots. Ils et elles allaient s’enfermer dans un cartel de partis, je pensais à une nouvelle forme d’organisation politique capable de dépasser les approches partidaires, fussent-elles cartellisées. Certain-e-s de mes proches avaient compris cela bien avant, moi j’ai voulu m’accrocher, pensant que les contradictions seraient levées, tant l’enjeu suprême de bâtir une autre société se devait de l’emporter sur toute autre considération. Je ne suis pas restée passive, je me suis engagée, j’ai alerté, j’ai même candidaté.

Quelle idée. Ils et elles parlaient de programme à vocation majoritaire. Je ne comprenais pas cette formule. Je n’osais le dire, tant elle semblait lumineuse pour celles et ceux qui l’exprimaient, et l’expriment encore aujourd’hui. Je comprends désormais ma résistance. Je ressens qu’elle comporte la nécessité de penser dès le départ des compromis, qui, inéluctablement, conduiront à de la compromission.

Un seul enjeu devrait nous guider : travailler à des propositions réellement disjointes du système capitaliste.

Comment s'y prendre pour les mettre en œuvre à partir de l'état des réalités actuelles, et sans prendre les armes, quel processus, quelles étapes, tout cela doit venir dans un second temps, enfin, selon moi. Attention, comprends-moi bien, la pensée neuve est déjà en marche dans une multitude de lieux, dans un tas de domaines de la vie, elle est à extraire du réel, et des pensées d’un tas de personnes actuellement isolé-e-s, orphelin-e-s d’un idéal commun, d’un imaginaire transcendant l’ordre établi.

J’avais écrit un texte, il y a quelques temps, « le poète a toujours raison », dans lequel j’annonçais la suite « qui voit plus loin que l’horizon ». Je n’ai pas eu le cœur à l’écrire et pourtant. Quelle erreur de confondre cap et horizon. Quitter l’armure des stratèges, les costumes des tacticiens, revêtir l’habit et l’âme du poète, n’est-ce pas ainsi que jaillira une pensée réellement neuve ? Tu l’avais toi, cette capacité. C’est elle qui te rendait si clairvoyant, si incompris aussi. Mais les revoilà toutes et tous repartis de plus belle. En ligne de mire : l’élection présidentielle. 2017. Comme si, à nouveau, tout allait passer par là. Certain-e-s se jetant corps et âmes dans une primaire. Si si, je t’assure. Je ne t’en parle pas, tant cela me semble absurde. D’autres évoquant l’absolu nécessité de travailler un projet commun, avant d’évoquer un ou une éventuel-lle candidat-e. En fait, une manière de rejeter la proposition de candidature formulée par Jean-Luc Mélenchon. Le candidat tant adoubé de 2012 ne serait plus l’homme du moment, accusé de s’être déclaré unilatéralement et mis au pilori pour égo surdimensionné. Bah oui quoi, après la non reconnaissance véritable de multiples espaces Front de Gauche locaux, au sein desquels chacun comptait pour un, après la mort lente des Fronts thématiques, après les tentatives avortées des chantiers de l’espoir, après le refus de coordonner un projet politique alternatif, abracadabri, abracadabra, de vraies dispositions vont être prises pour construire avec les citoyens et citoyennes un projet partagé, et décider de la candidature la plus à même de le porter.

Je t’avoue ne pas avoir vraiment le cœur à rire de cela, et pourtant… J’ai été sollicitée. Ici pour rallumer l’étincelle du Front de Gauche, tu parles d’un programme, là pour faire partie de 100 personnalités qui en appellent à «favoriser l’irruption citoyenne pour construire l’alternative» - elle serait donc connue ? -, et préconisent des «modes d’intervention politique novateurs», tout en employant les mêmes méthodes. Rassure-toi, bien que flattée par tant de sollicitudes, j’ai refusé. Le pire c’est que dans les deux cas, je pense être assez proche, au niveau des idées, des personnes qui m’ont contactée. L’heure est à l’impuissance. J’avoue volontiers la mienne. Pendant ce temps-là, les tenants du capitalisme se frottent tranquillement les mains, oubliée la crise de ce système économique qui broient des vies chaque jour, adoptées les politiques d’austérité, tombée en désuétude la devise républicaine : liberté, égalité, fraternité… Et cætera, et cætera…

«J’ai reçu ce matin la lettre où tu m’écris, de prendre soin de moi, et je t’en remercie…»

2017 sera sans nul doute une étape importante de ma vie et de celle de notre fils. Je construis patiemment et avec joie des changements importants. Je te raconterai cela plus tard. Quant à l’élection, bien sûr qu’il ne faut pas faire l’impasse sur ce moment de la vie politique telle qu’elle existe aujourd’hui, même s’il s’inscrit dans une forme de démocratie qui n’en a que l’apparence. Elle sera l’occasion d’utiliser la fenêtre médiatique ouverte pour exprimer des idées pour une autre société, tenter de rendre à nouveau imaginable, entendable qu’un projet alternatif est non seulement souhaitable, mais possible et crédible. Qui mieux que Mélenchon pour faire ce job ?

Attention, sans illusion aucune quant au résultat. Ni nos idées, ni notre candidat ne seront au deuxième tour. Là encore, toutes fausses espérances à court terme brandies face aux souffrances, de plus en plus nombreuses, de plus en plus aigües, seraient lourdes de conséquences. Bien sûr, il sera nécessaire de faire campagne pour obtenir le meilleur résultat au premier tour. Mais point. Ne nous trompons pas nous-même. Oh, rassure-toi, je n’y mettrais pas beaucoup d’énergie, tant il me semble plus utile de construire en parallèle un travail plus profond et minutieux qui ne s’inscrit pas dans ce temps court qui nous est sans cesse proposé. En attendant, avec cet écrit, me voilà désormais catégorisée dans les « pro-méluch ». Oui, il parait que c’est ainsi : soit on est fan, soit on déteste. Si, si, je t’assure. En la matière, aucune pensée complexe ne semble tolérée. C’est un constat, le refus de personnalisation conduit à l’excès de personnalisation.

Il faut aimer ou détester Jean-Luc Mélenchon. Le caractère clivant de son personnage est tout à la fois dénoncé et alimenté. Nous en sommes là. Tu imagines mon désarroi. Oui, je pense avoir des divergences fondamentales avec Jean-Luc Mélenchon sur deux aspects importants : son approche avant-gardiste et sa conception «Jacobine» de l'organisation de la République, des politiques et de la pensée. Mes très longues années de confrontation concrète à la démarche autogestionnaire m’éloignent nettement des positions que celui qui sera mon candidat expose. Ce n’est pas un problème dans l’immédiat. D’ailleurs, j’ai appris que les convergences équivoques font souvent basculer la roue de l’histoire. Celles-ci me semblent loin d’être insurmontables. Et, je fais confiance à son intelligence et à l’intelligence collective pour cela. D’où l’importance à accorder à l’environnement de cette candidature. A la condition, de ne pas mettre nos vies dans cette élection et de poursuivre partout où cela est possible l’élaboration d’une alternative démocratique.

A ce propos, je voulais te parler d’un mouvement né récemment : Nuit debout. Au départ contre une Loi baptisée improprement « loi Travail », et qui se veut désormais bien plus ample, sans revendication vis-à-vis du système actuel, c’est ce que je trouve pertinent et qui déstabilise médias et politiques. Leurs cadres de pensées sont si rigides qu’elles, en réalité plus souvent ils, n’arrivent pas à comprendre ce qui cherche à s’exprimer dans ce mouvement, parfois maladroitement, mais si justement. Le peuple, dont beaucoup parle si souvent, se cherche, se construit ici ou là, dans des usines, sur des places, dans des coopératives, des AMAP, des associations de toutes sortes, il se met en scène aussi au cinéma et ça fait du bien.

Tu imagines si le Front de Gauche avait pu exister pour de vrai, et poursuivre sa construction avec tout cela, quelle force. Les responsables des partis politiques qui le composaient portent une lourde responsabilité sur l’impasse dans laquelle nous sommes. Relancer quelque chose à partir d’eux, je t’avoue ne plus y croire. Les différents mouvements sociaux, qui ont selon moi une dimension politique forte, seront-ils capables d’amorcer la construction de ce nouvel espace politique à même de faire converger les luttes comme certains l’affichent. Je le souhaite sincèrement. Les organisations politiques seront-elles capables de converger elles aussi, je veux dire pas entre elles, mais avec tous les autres espaces se préoccupant de la chose publique, sans vouloir tout régenter ? Je l’ignore. L’heure est grave et la situation pas des plus favorables. Car si des signes de résistance et d’espoir se multiplient, une grande partie de la population se tient éloignée, très éloignée de tout cela. Au mieux résignée, au pire repliée, prête à bondir sur l’autre, l’étranger, le plus pauvre.

«Mon amour je te jure, les fleurs, je les fais boire, ensemble on est pétés, tu pourrais pas le croire…» Cinq ans. Cinq ans que tu n’es plus là. Cinq ans que je vis sans toi. Je t’écris de Dieppe où je suis partie quelques jours, seule. Besoin de m’isoler, de me retrouver, de méditer. Ironie du sort, j’ai croisé hier à la fin d’une balade, une de nos connaissances. Il était assis sur un banc avec sa femme. J’étais bien, tu ne peux pas savoir à quel point je me sentais heureuse à cet instant. J’avais fait une belle randonnée, les rayons du soleil m’avaient réchauffé corps et âme, les senteurs du printemps emplissaient mes narines, de magnifiques paysages s’offraient à moi, je me savais aimée, une véritable sensation de bien-être m’envahissait intégralement. Le copain s’avança alors vers moi d’un air compatissant et les larmes aux yeux, sans doute peiné de me voir seule, et repensant à ta disparition brutale. Alors, je voulais te dire que je vais bien, enfin pas plus ni moins que n’importe qui d’autre. Quoi que, parfois mieux peut-être, tant je sais la vie si courte et si savoureuse. Je la dévore à pleine dents. Je la vis intensément, tentant de fuir sa médiocrité et d’approcher les nombreuses facettes de sa beauté.

Et, j’arrose les fleurs une fois par semaine.

Tendres pensées.
Lydia, le 06 mai 2016

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O
Bonjour Lydia,<br /> En te croisant à l'Université d'été d'Ensemble l'an dernier, j'ignorais ton drame. Nous avons alors juste parlé sport, et valeurs éducatives, et place de l'argent... Je suis touché par ton texte, par ton histoire, par ton énergie et ta force de vie.<br /> Comment faire renaître l'espoir, comment l'extirper des niches où il s'enfouit ? L'arroser une fois par semaine, c'est sans doute la bonne méthode. Le ritualiser pour ne pas le laisser s'échapper...<br /> Et puis témoigner, comme tu le fais, au milieu d'un fouillis politique qui nous fait passer à côté de l'essentiel. Je te rejoins : sur le Front de Gauche, sur Jean-Luc, sur l'injonction où nous sommes de l'adorer ou de le détester, alors que les choses pourraient être tellement plus simples : comme capitaliser pour développer ; cultiver pour faire grandir ; s'investir sur l'essentiel plutôt que de nous perdre dans l'accessoire. Il y a plutôt de ce côté de la production d'idées, de la rectitude, de la clairvoyance sur le contexte, de la statégie... J'ai les mêmes réserves que toi (ah! les ravages de l'avant-gardisme...), et comme toi, elles me paraissent dépassables, et en tout cas, il me semble qu'il y a, dans ce sillage, place pour inventer - comment dis-tu ? - "des propositions réellement disjointes du système capitaliste" ? Comme à Nuit Debout qui nous rafraichit tant ! Et si ces idées et cette convergence se retrouvaient finalement au second tour. Je préfère le croire possible. Je t'embrasse.
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