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Rached Ghannouchi : «La Tunisie a besoin d’un gouvernement d’union nationale»

29 mai 2014 | Par Pierre Puchot

Alors que la loi électorale vient d’être votée sans prévoir de mesure d'exclusion pour les cadres de l'ancienne dictature et que le pays rencontre de grandes difficultés économiques, Mediapart ouvre avec le chef d’Ennahda une série d’articles sur la Tunisie en transition, à mi-chemin entre le vote de la Constitution et la tenue des prochaines élections.

De notre envoyé spécial à Tunis.

Pendant 26 mois, il fut l’homme qui dirigea la Tunisie post-révolutionnaire. À 72 ans, Rached Ghannouchi préside Ennahda, le parti musulman conservateur qui a quitté le pouvoir en janvier, à l’issue du vote de la Constitution. Alors que la loi électorale vient d’être votée sans prévoir de mesure d'exclusion pour les cadres de l'ancienne dictature et que le pays rencontre de grandes difficultés économiques au point de contracter un emprunt national, Mediapart ouvre avec le chef d’Ennahda une série d’articles sur la Tunisie en transition, à mi-chemin entre le vote de la Constitution et la tenue des prochaines élections.

Comment juge-t-il les cent premiers jours du nouveau gouvernement tunisien ? Le parti Ennahda a-t-il cherché à marcher dans les pas de l’ancien régime, lui substituant sa propre administration, comme l’en accuse une partie de l’opposition ? Quel dialogue l’organisation conserve-t-elle avec les mouvements salafistes ? Un premier bilan, alors qu'Ennahda se remet en marche vers les prochaines élections, qui devraient avoir lieu, selon l'instance supérieure indépendante pour les élections, à la fin du mois de novembre. Entretien.

Mediapart. L'arrestation du blogueur Azyz Amami et du photographe Sabri Ben Mlouka est très symbolique de la période ambiguë que vit actuellement la Tunisie. La loi 52 sur les stupéfiants, qui punit le consommateur de une à cinq années de prison ferme, est particulièrement contestée, car elle permet depuis l'époque de la dictature d'emprisonner artistes et opposants politiques. Les gouvernements successifs menés par Ennahda n’ont pourtant pas pris l’initiative de la réformer. Quelle est aujourd'hui votre position sur cette loi (un non-lieu a été prononcé depuis dans cette affaire) ?

Rached Ghannouchi. Nous n’avons pas encore arrêté la position du parti sur la question, mais nous sommes pour faire jouer les circonstances atténuantes. Nous sommes favorables à la révision de la loi s’il s’avère effectivement que son application donne lieu à des injustices non conformes à son objectif. Nous sommes pour alourdir les sanctions contre les trafiquants, plutôt que contre ceux qui en sont les victimes, c’est-à-dire les consommateurs qui, pour une bonne partie d’entre eux, sont des jeunes et des adolescents.

Lire aussi

Le premier ministre de transition, Mehdi Jomaa, a tenu une conférence de presse mercredi 13 mai pour les cent jours de son gouvernement. Quel bilan tirez-vous de son action ?

Globalement, nous sommes assez satisfaits de la prestation du gouvernement jusqu’à présent.

Vous avez déclaré ne pas être opposé à ce qu’il poursuive sa mission après les élections (Mehdi Jomaa a lui-même dit qu’il ne se voyait pas poursuivre au-delà de sa mission initiale, qui doit s'achever avec le prochain scrutin), que vouliez-vous signifier par là ?

Comme on dit dans le domaine sportif, on ne change pas une équipe qui gagne. Nous leur souhaitons un plein succès. Et s’ils réussissent, il n’y a pas de raison de changer. Nous verrons, peut-être pourrons-nous continuer avec cette équipe, une partie d’entre eux à tout le moins, ceux qui auront été au niveau de leur tâche. Nous faisions partie des organisations qui ont soutenu ce gouvernement au sein du processus de dialogue national, et nous tenons à ce qu’il réussisse. Nous ne sommes pas des petits enfants qui construisent quelque chose un jour pour le détruire le lendemain.

Rached Ghannouchi au siège d'Ennahda, jeudi 15 mai, à Tunis © Pierre Puchot

Le bilan de la situation économique dressé par Mehdi Jomaa n’est cependant pas brillant, notamment du point de vue de la balance commerciale. À tel point que la Tunisie a dû ouvrir le 12 mai une campagne pour un grand emprunt national. Une pierre dans le jardin des gouvernements qu'Ennahda a menés. Comment expliquer ce manque d’anticipation ?

Tous les gouvernements successifs après la révolution ont fait face à de très sérieuses difficultés économiques, car le pays était auparavant dirigé par la terreur. Quand la terreur est tombée, le pays s’est libéré, et les revendications sociales ont explosé. Tout ce qui était caché s’est révélé au grand jour. Les gouvernements successifs ont dû faire face à cet héritage de l’ancien régime. Et il s’est avéré que le modèle de développement antérieur à la révolution a montré ses limites. C’est l’échec de ce modèle qui est à l’origine de la situation actuelle. La mise en place d’un nouveau modèle de développement économique pour le pays est le défi du gouvernement actuel. C’est aussi ce à quoi essaie de parvenir le processus de dialogue national économique.

Peut-être le gouvernement de Mehdi Jomaa a-t-il davantage de marge pour réviser le modèle de développement que le gouvernement précédent antérieur, parce que c’est un gouvernement non partisan. Il lui est demandé un certaine nombre de réformes structurelles et radicales dans plusieurs domaines, comme la caisse de compensation et les subventions publiques, les entreprises publiques, la dette… Ces questions requièrent un consensus national transpartisan, pour que ces dossiers importants pour le pays ne fassent pas l’objet de tiraillements ou de surenchères, notamment lors d’une campagne électorale.

Une partie des mesures économiques prises par le gouvernement Jomaa, ce sont les prêts sollicités auprès du FMI et de l’Union européenne, dans la continuité des gouvernements précédents, avec des contreparties d'austérité drastiques. Pensez-vous que, dans ces conditions, ces prêts seront bénéfiques pour la Tunisie ?

Il y a des réformes qui sont demandées par les bailleurs de fonds internationaux et les instances internationales, et nous considérons que tout ce qu’ils demandent n’est pas négatif. À l’inverse, tout n’est évidemment pas bon, mais c’est l’intérêt national du pays qui doit prévaloir. Sur la question de la caisse de compensation, où les subventions ont atteint un niveau démesuré, il faut aider les plus démunis d’une autre manière, et cibler en matière d’aide sociale, pour que le destinataire en bénéficie véritablement. Avec la caisse de compensation, les couches les plus riches sont les plus grandes bénéficiaires des aides, sur le plan notamment de la consommation d’énergie : plus vous avez de voitures, plus vous profitez des subventions. C’est injuste. Il en va de même pour les entreprises publiques, qui ont été gérées sans aucune efficacité économique, dans une finalité socialisante. Cela doit être revu.

Pour en privatiser une partie d’entre elles ?

Il faut que l’efficacité économique soit assurée, sans injustice sociale.

«Des mesures qui étaient possibles au lendemain de la révolution ne le sont plus aujourd’hui»

La loi d’immunisation de la révolution, qui excluait une partie des responsables de l'ancienne dictature et faisait l’objet d’un large consensus national à la fin de l’année 2011, a finalement été rejetée, dans le cadre du vote de la loi électorale. Vous-même avez fait campagne auprès de vos députés pour qu’ils ne votent pas ce texte. Pourquoi ?

Il y a des mesures qui étaient possibles au lendemain de la révolution qui ne le sont plus aujourd’hui. Une telle loi est devenue une véritable menace pour la transition et pour l’unité nationale et la révolution. Et c’est pour cette raison que nous avons abandonné notre position initiale, pour préserver ce consensus qui a permis au pays de finaliser la Constitution, d’avoir une instance supérieure pour les élections.

Il y a cependant une résurgence en cette année 2014 des cadres du RCD, le parti aujourd'hui dissous de l'ancien président Ben Ali, invités sur les plateaux de télévision, et qui réclament une place sur la scène politique. N’est-ce pas contradictoire avec les aspirations des Tunisiens qui ont fait la révolution ?

Il y a eu des provocations de la part de certaines personnes, en effet, qui ont commencé à glorifier l’ancien régime. Mais devant l’indignation générale, ils vont bien vite se retirer.

On peut aussi analyser cette décision d’Ennahda comme une tactique politique, car avec la loi d’immunisation, les représentants de votre principal rival, le parti Nida Tounes (dirigé par Béji Caïd Essebsi), issus de l’ancien régime auraient été mis hors du jeu, ce qui aurait permis au parti de sortir d’une crise intestine dans lequel il s’empêtre actuellement.

Nous avons été simplement guidés par l’intérêt national, qui requiert que l’on dépasse les conflits et les tensions, pour privilégier la stabilité du pays, condition indispensable pour la réussite de la transition. Et la loi pour l'immunisation aurait brisé cette stabilité, et créé des tensions supplémentaires dont nous n’avons pas besoin.

Ce passage d’un positionnement à un autre sur la loi d'immunisation a épousé une même évolution face au parti Nida Tounes. Jusqu'en 2013, vous considériez ce parti comme un danger pour la Tunisie. La semaine passée au contraire, l’ancien conseiller Ennahda auprès du premier ministre, Lotfi Zitoun, a notamment affirmé que cette organisation était bénéfique pour la construction démocratique tunisienne. Comment expliquez-vous ce nouveau revirement ?

Ce n’est pas nous, Ennahda, qui donnons leur attestation de naissance ou de mort aux partis. C’est Ben Ali qui faisait cela. Nous, nous ne choisissons pas nos opposants, nous traitons avec les organisations qui sont en compétition avec nous. Nida Tounes fait partie de la réalité politique du pays, avec laquelle on doit traiter.

C’est pour cette raison que vous avez rencontré Beji Caïd Essebsi à Paris en juillet 2013, alors que le pays était en pleine crise politique ?

Cette rencontre a permis alors d’apaiser les tensions et de donner un coup de pouce pour le dialogue national, ce qui a permis, au bout du compte, d’achever la Constitution et de pouvoir finaliser le processus constitutionnel. Ce n’est pas à nous de choisir nos interlocuteurs ou nos adversaires politiques, c’est la société tunisienne qui le fait. C’est le choix des Tunisiens.

Vous regardez donc aujourd’hui Béji Caïd Essebsi comme un démocrate ?

Nous traitons et dialoguons avec tous les partis qui travaillent dans la légalité, conformément aux lois établies dans le cadre de la révolution. C’est ce dialogue qui a permis de sauver la révolution tunisienne.

C’est cependant Béji Caïd Essebsi qui a demandé, à l’été 2013 et au nom de son parti, la dissolution de l’Assemblée nationale constituante, élue démocratiquement par les Tunisiens en octobre 2011, huit mois après la révolution.

Nous étions opposés à cette demande de Béji Caïd Essebsi de dissoudre l’Assemblée, et grâce au dialogue, il s’est lui-même rétracté sur ce point, et les députés de son parti ont continué de siéger dans l’Assemblée, participant ainsi à la finalisation de la Constitution.

En contrepartie de cette rétractation, vous vous êtes finalement retirés du gouvernement.

Nous avons accepté de quitter le gouvernement en contrepartie du fait que le pays se dote d’une Constitution et d’une instance supérieure indépendante pour les élections. Il était plus important de notre point de vue que le pays se dote d’une institution démocratique, que ce processus de démocratisation se consolide et avance, c'était plus important que le fait que nous restions au pouvoir et au gouvernement.

Quelle est la part des événements égyptiens et de la répression contre les Frères musulmans à l’été 2013 dans votre décision de quitter le pouvoir ?

Certains ont voulu importer le scénario égyptien en Tunisie. Mais les Tunisiens ne l’ont pas accepté. La révolution est née en Tunisie. Nous avons offert un modèle de révolution aux Égyptiens. En retour, ils nous ont offert un modèle de contre-révolution. Nous ne l’avons pas accepté.

«Dans une démocratie naissante comme la nôtre, 51% des suffrages ne suffisent pas pour gouverner»

Dans un entretien accordé en mars à la radio tunisienne Mosaïque, vous estimiez que la Tunisie était actuellement dans une période de « démocratie transitionnelle » qui se prolongera selon vous au-delà des prochaines élections, et qui appelle la formation d’un gouvernement d’union nationale. Pourrait-il prendre la forme d’un gouvernement Ennahda-Nida Tounes ?

Je réitère ma déclaration : la Tunisie a besoin d’un gouvernement d’union nationale pour les années à venir. Dans une démocratie naissante comme la nôtre, 51 % des suffrages ne suffisent pas pour gouverner. Il faut un large consensus. Nous avions construit la troïka, entre un parti islamique modéré, et deux partis laïques modérés, dans un esprit qui est une excellente expérience pour la Tunisie. Et nous nous sommes rendu compte que même avec la troïka, qui était pourtant une large coalition, cela ne suffisait pas pour gouverner convenablement le pays dans une période de transition. Nous aspirons donc à avoir une plus grande coalition encore après les prochaines élections.

Ces deux partis, le CPR du président de la République Moncef Marzouki et Ettakatol, du président de l’Assemblée Mustapha Ben Jaffar, sont sortis laminés de cette expérience, et une grande partie de leurs députés ont fait défection. En interne, beaucoup de militants ont contesté leur incapacité à peser face à Ennahda sur les décisions prises par les gouvernements successifs. En y repensant aujourd’hui, cela n’a-t-il pas été une erreur de ne pas les associer davantage au processus de décision ? Le cas échéant, ne vous faudra-t-il pas trouver un meilleur mode de gouvernance pour ce gouvernement d'union nationale que vous appelez de vos vœux ?

Un gouvernement de coalition est un exercice démocratique très difficile. Il n’était évidemment pas facile de gérer cette période de transition sans faire d’erreur. Mais ce mode-là de gouvernance demeure meilleur que celui d’un parti unique, qui crée une bipolarisation entre la majorité et l’opposition au sein de la société. Or une telle bipolarisation est très dangereuse pour une transition démocratique.

Du point de vue politique, la Tunisie n’y est-elle pas déjà dans cette bipolarisation ? Vous-même, et Ennahda, en rencontrant Béji Caïd Essebsi, puis en vous rapprochant de Nida Tounes, ne l’entretenez-vous pas ? Après tout, Nida Tounes n’existait pas au soir de l’élection de l’Assemblée nationale constituante, le 23 octobre 2011.

Grâce au dialogue national, avec l’ensemble des partis, nous avons pu dépasser une bipolarisation idéologique très aiguë qui aurait pu casser tout le processus de transition. C’est ainsi que nous avons pu avoir une Constitution adoptée par 94 % des députés.

Rached Ghannouchi au siège d'Ennahda, jeudi 15 mai, à Tunis © Pierre Puchot

N’y a-t-il pas un danger à ce que la vie politique tunisienne s’enferme pour les mois à venir dans un duel entre, d’un côté, votre parti à référence islamique, de l’autre, les anciens courants destouriens et du RCD, situation qui ne manquerait pas de décourager une partie des électeurs et de favoriser l’abstention ?

Nous avons aujourd’hui dépassé ce danger, puisque nous avons une Constitution qui a été largement adoptée par les différentes sensibilités politiques.

Quelle stratégie Ennahda va-t-il adopter ces prochains mois, jusqu’aux élections ? Les cadres ont été très vite remobilisés pour partir en région à la rencontre des militants. L’ancien premier ministre Ali Laarayedh s’est notamment rendu à Medenine (sud) la semaine passée pour y tenir un meeting.

Notre premier objectif est que le pays atteigne les élections dans les meilleures conditions et que tout le monde puisse participer, sans que les résultats soient contestés par la suite. Cela requiert que le gouvernement actuel soit soutenu au niveau sécuritaire et économique. Pour que le pays puisse arriver à l’étape des élections, il faudrait qu’il y ait une stabilité dans le pays. Or aujourd’hui, les plus grandes menaces pour cette stabilité sont d’ordres sécuritaire et économique.

Pour regagner une partie de vos sympathisants qui se détournent de vous aujourd’hui, allez-vous donc mettre l’accent sur l’économie ? Votre programme en 2011 évoquait un plan de développement régional que vous n’avez pas mis en place.

Nous sommes en train d’évaluer notre passage au pouvoir, pour déterminer les succès et les échecs de cette expérience. Sur la base de cette évaluation, nous définirons notre stratégie et notre projet pour l’avenir. Nous communiquons dans le même temps avec nos adhérents et nos bases pour expliquer notre politique. Ils sont en train de comprendre davantage la sagesse des positions prises par le parti. Une politique doit être jugée sur ses résultats. Et nos résultats gagnent chaque jour davantage l’approbation de nos membres.

L’image d’Ennahda et de ses dirigeants évolue positivement, auprès de l’opinion publique en général, et également en dehors de la Tunisie. Ennahda a gagné la confiance de beaucoup d’observateurs, en Tunisie et ailleurs, parce que l'organisation est vue comme ayant privilégié l’intérêt national sur l’intérêt du parti en renonçant au pouvoir et en faisant des concessions pour la finalisation de la période de transition.

«Nous n'avons aujourd'hui aucun dialogue avec les salafistes»

Quels sont aujourd’hui vos rapports avec les différents mouvements salafistes en Tunisie ?

Au début, après la révolution, nous avons demandé aux salafistes de dialoguer, pour les convaincre de renoncer à nombre de positions radicales. On a insisté sur le fait qu’il fallait voir l’islam comme porteur de valeurs de tolérance, et non pas des valeurs d’extrémisme. Nous avons insisté sur la modération. Mais aujourd’hui, l’on voit qu’il y a une démarcation entre un courant radical qui utilise la violence et le terrorisme, et un autre courant qui rejette la violence, même s’il adopte des positions qui ne sont pas très modérées. Quand certains groupes salafistes ont commencé à utiliser la violence, le gouvernement les a classés dans la liste des organisations terroristes. L’État est alors entré en guerre contre ces mouvements. Et ceux qui ont accepté de jouer le jeu de la légalité ont été légalisés.

Entretenez-vous aujourd’hui un dialogue avec ces différents courants ?

Nous n’avons aucun processus de dialogue avec eux aujourd’hui. Mais nous appelons au dialogue avec tout le monde, y compris ceux qui sont en prison, pour les ramener à plus de modération.

Quel était le sens de cette vidéo, diffusée le 9 octobre 2012 sur You Tube, dans laquelle vous demandiez aux jeunes salafistes d’être patients, en attendant qu’Ennahda s’empare de l’administration ?

Cette vidéo était tronquée et sortie de son contexte, des pans de dialogues ont été enlevés, et cela a déformé mon propos, qui est pourtant toujours le même. À cette époque-là, je les ai avertis qu’ils allaient dans des directions dangereuses, que l’État était fort et qu'il ne faudrait pas qu’ils sous-estiment la puissance de l’État, ou qu’ils cherchent à travailler en dehors de la légalité.

Se basant sur ce que l’on pouvait y entendre, une partie de l’opposition vous a accusé de chercher à noyauter l’appareil d’État, et de vous substituer au système du RCD de Ben Ali au sein de l’administration, en nommant par exemple de nouveaux gouverneurs et hauts fonctionnaires. C’est encore un discours très présent au sein des députés de l’opposition notamment. Que répondez-vous à ces accusations ?

Personne ne peut contrôler l’État tunisien : il y a 600 000 fonctionnaires dans ce pays, et l’appareil est très ancien. Nous avons donc travaillé avec l’administration existante, telle que nous l’avons trouvée. Tout cela relève de l’exagération. Les éléments recrutés ou placés par Ennahda représentent quelques centaines de personnes. Il y a des milliers, peut-être des dizaines de milliers de fonctionnaires qui ont appartenu au RCD. Nous avons d’ailleurs accepté la révision des nominations sur des bases objectives telles que la compétence et l’intégrité. Le premier ministre Jomaa a déjà changé une vingtaine de préfets, va annoncer des changements au niveau de 150 sous-préfets, et nous n’avons pas de problème avec ces révisions.

À terme, le parti Ennahda lui-même n’est-il pas menacé de division, entre une aile dure représentée par Habib Ellouze (favorable à l'inscription de la charia dans la Constitution, idée rejetée par Ennahda dès le printemps 2012), et une autre, constituée notamment par la vice-présidente de l’Assemblée, Meherzia Laabidi, grande promotrice de la parité ? La question économique divise encore davantage votre parti, entre les tenants d’une économie libérale, et ceux, plus attachés à la protection sociale et aux principes économiques de gauche.

Ennahda est un grand parti, constitué de tendances et de personnalités différentes. Il a une expérience dans la gestion des divergences. C’est un parti qui a trente ans d’existence, et ses dirigeants ont des liens très forts, nés des épreuves, de l’exil, de la prison et des persécutions. Quelles que soient leurs divergences, ils sont capables de trouver une façon de travailler ensemble. Et en dernier recours, ce sont les instances du parti qui tranchent, et non pas les leaders du parti.

À la mi-2014, comment définiriez-vous en quelques mots le projet sociétal d’Ennahda, alors que la Tunisie vient de lever par exemple les dernières réserves sur la convention pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (Cedaw) ?

Nous nous conformons au système universel des droits de l’homme, tout en tenant compte de nos valeurs, et maintenant de notre Constitution. Tout cela est d’ailleurs parfaitement exprimé dans le texte constitutionnel, auquel nous adhérons pleinement, puisque nous l’avons voté.

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